dimanche 29 janvier 2012

Mt 4, 1-11

Mt 4, 1-11

Culte-Prédication autour du récit des « tentations » de Jésus

Lectures bibliques : Ex 17, 1-7 ; Mt 6, 24. 19-21 ; Mt 4, 1-11 ; Mt 16, 21-23 
Thématique : qui voulons-nous servir ? … se servir de Dieu… ou se mettre à son écoute et accomplir sa volonté.

Prédication = voir plus bas, après les lectures

Lectures

- Ex 17, 1-7 (L'eau de Massa et Mériba)

1Toute la communauté des fils d'Israël partit du désert de Sîn, poursuivant ses étapes sur ordre du SEIGNEUR. Ils campèrent à Refidim mais il n'y avait pas d'eau à boire pour le peuple. 2Le peuple querella Moïse : « Donnez-nous de l'eau à boire », dirent-ils. Moïse leur dit : « Pourquoi me querellez-vous ? Pourquoi mettez-vous le SEIGNEUR à l'épreuve ? »

3Là-bas, le peuple eut soif ; le peuple murmura contre Moïse : « Pourquoi donc, dit-il, nous as-tu fait monter d'Egypte ? Pour me laisser mourir de soif, moi, mes fils et mes troupeaux ? » 4Moïse cria au SEIGNEUR : « Que dois-je faire pour ce peuple ? Encore un peu, ils vont me lapider. » 5Le SEIGNEUR dit à Moïse : « Passe devant le peuple, prends avec toi quelques anciens d'Israël ; le bâton dont tu as frappé le Fleuve, prends-le en main et va. 6Je vais me tenir devant toi, là, sur le rocher — en Horeb. Tu frapperas le rocher, il en sortira de l'eau, et le peuple boira. » Moïse fit ainsi, aux yeux des anciens d'Israël.

7Il appela ce lieu du nom de Massa et Mériba — Epreuve et Querelle — à cause de la querelle des fils d'Israël et parce qu'ils mirent le SEIGNEUR à l'épreuve en disant : « Le SEIGNEUR est-il au milieu de nous, oui ou non ? »

- Mt 6, 24 & 19-21

24« Nul ne peut servir deux maîtres : ou bien il haïra l'un et aimera l'autre, ou bien il s'attachera à l'un et méprisera l'autre. Vous ne pouvez servir Dieu et l'Argent.

19« Ne vous amassez pas de trésors sur la terre, où les mites et les vers font tout disparaître, où les voleurs percent les murs et dérobent. 20Mais amassez-vous des trésors dans le ciel, où ni les mites ni les vers ne font de ravages, où les voleurs ne percent ni ne dérobent. 21Car où est ton trésor, là aussi sera ton cœur.

- Mt 4, 1-11

1Alors Jésus fut conduit par l'Esprit au désert, pour être tenté par le diable. 2Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il finit par avoir faim. 3Le tentateur s'approcha et lui dit : « Si tu es le Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains. » 4Mais il répliqua : « Il est écrit : Ce n'est pas seulement de pain que l'homme vivra, mais de toute parole sortant de la bouche de Dieu. » 5Alors le diable l'emmène dans la Ville Sainte, le place sur le faîte du temple 6et lui dit : « Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas, car il est écrit : Il donnera pour toi des ordres à ses anges et ils te porteront sur leurs mains pour t'éviter de heurter du pied quelque pierre. » 7Jésus lui dit : « Il est aussi écrit : Tu ne mettras pas à l'épreuve le Seigneur ton Dieu. » 8Le diable l'emmène encore sur une très haute montagne ; il lui montre tous les royaumes du monde avec leur gloire 9et lui dit : « Tout cela je te le donnerai, si tu te prosternes et m'adores. » 10Alors Jésus lui dit : « Retire-toi, Satan ! Car il est écrit : Le Seigneur ton Dieu tu adoreras et c'est à lui seul que tu rendras un culte. »11Alors le diable le laisse, et voici que des anges s'approchèrent, et ils le servaient.

- Mt 16, 21-23 (Jésus annonce sa passion et sa résurrection)

21A partir de ce moment, Jésus Christ commença à montrer à ses disciples qu'il lui fallait s'en aller à Jérusalem, souffrir beaucoup de la part des anciens, des grands prêtres et des scribes, être mis à mort et, le troisième jour, ressusciter. 22Pierre, le tirant à part, se mit à le réprimander, en disant : « Dieu t'en préserve, Seigneur ! Non, cela ne t'arrivera pas ! » 23Mais lui, se retournant, dit à Pierre : « Retire-toi ! Derrière moi, Satan ! Tu es pour moi occasion de chute, car tes vues ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. »


Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 29/01/12

Rien d’étonnant que Jésus connaisse des tentations alors qu’il est dans le désert : un lieu aride et éprouvant où l’on souffre de la faim et de la soif… un lieu où resurgit toutes les questions fondamentales qui hantent l’être humain lorsqu’il est face à lui-même : la peur du manque, le goût du merveilleux, le désir du pouvoir… toutes ces tentations qui nous appellent irrésistiblement… pour venir nous enchaîner, en nous éloignant de Dieu.
Il suffit de se souvenir de l’épisode du veau d’or (Ex 32) qui dit le penchant récurrent de l’humanité pour l’idolâtrie… une idolâtrie qui peut prendre bien des formes.

Notre passage indique que Jésus est là depuis une longue période : quarante jours et quarante nuits. Le nombre « quarante » a ici une valeur symbolique. Il rappelle l’expérience de Moïse sur le mont Sinaï (Ex 24, 18 ; 34, 28) et celle d’Elie dans le désert (1R 19, 8), deux personnages que l’on retrouvera dans le récit de la transfiguration.

L’épisode sur lequel nous méditons aujourd’hui présente le combat intérieur d’un homme : Jésus… qui laisse entrevoir un « acteur » caché : le « diable ».
Alors, qui est-il ce « diable » ou ce « satan » dont nous n’aimons pas trop parler ?

Le mot « diable », du grec diabolos, veut dire « ce qui divise » (qui défait du lien, qui dissocie) ou mieux « ce qui détourne », qui sépare de Dieu.
Par extension, ce qui divise, signifie aussi ce qui rend confus, ce qui apporte la confusion.
Diabolos, c’est le contraire exact du terme sum-bolon (symbole) qui désigne une réalité qui unit, qui joint et relie.
A l’origine, en Grèce, le symbole était un tesson de poterie cassé en deux morceaux et partagés entre deux personnes qui avaient contracté une alliance. Pour signifier ce lien contractuel, on devait réunir les deux morceaux pour qu’ils retrouvent leur unité. L’assemblage parfait des deux parties constituait une preuve de leur origine commune et donc un signe de reconnaissance.
Le diabolique, c’est le stricte opposé du symbolique. Là où il y a relation, lien, alliance, là où il y a du sens, le diabolique fait croire à une cassure, une brisure, et au non-sens.
Pour les Grecs, ce qui relève du diabolique, c’est, par exemple, le bâton qui semble rompu lorsqu’il est plongé dans l’eau ; c’est l’apparence trompeuse ; c’est ce qui fait croire à la cassure et relève de l’illusion des sens.
Cette force qui divise et qui trompe, l’évangéliste Matthieu l’appelle aussi « le tentateur » (v.3)[1]
Le mot « diable » remplace un terme hébreux plus ancien : « satan » (v.10) qui signifie « l’adversaire, l’opposant », « l’accusateur », c’est-à-dire « celui qui se met en travers », « qui empêche le lien ».

Il ne faut donc pas voir ici un nom propre qui désignerait un individu, une personnalité, une créature ou une sorte d’anti-dieu[2], mais plutôt un nom commun signalant une tentation, une force « adverse », qui s’insinue dans notre intimité, pour instiller le doute, nous mettre à mal, semer la confusion, et nous diviser profondément.
Le « diable » n’est rien d’autre que la personnification artificielle de notre propre opposition à Dieu. Il vient signifier un combat intérieur contre ce qui – en l’homme – est encore orgueilleux et idolâtre.

Selon des témoignages (divers et variés au cours de l’histoire), l’expérience de « ce qui divise » peut arriver au moment où l’intensité de la relation avec Dieu est à son comble ; elle vient alors brusquement interroger cette union à Dieu.
C’est le cas ici, pour Jésus, puisque l’épreuve de la tentation survient au cœur de sa vocation… alors qu’il vient de recevoir le baptême et qu’il est conduit par l’Esprit au désert (v.1).

Dans notre récit, les deux premières tentations commencent de la même manière : « si tu es le Fils de Dieu » (v. 3 et 6). La tentation est dans le « si », c’est-à-dire dans le doute au sujet de la vérité de la filiation de Jésus… et, plus avant encore, dans la possibilité qui s’offre à Jésus de renoncer à occuper cette place de Fils, de renoncer à être celui qui vient de la part de Dieu.
Cette filiation a été exprimée dans le passage précédent au moment du baptême, où Jésus reçoit l’Esprit de Dieu (Mt 3, 16), et se voit proclamé « Fils bien-aimé » du Père (Mt 3, 17).

Il faut déjà souligner ici la différence fondamentale entre Dieu et le « diable » :
Là où Dieu fonde l’identité de Jésus comme « Fils » sur une reconnaissance gratuite et inconditionnelle, sur un don… le « diable », lui, remet cette parole de grâce en doute : il demande des preuves, des garanties. Il demande à Jésus de montrer qu’il est à la hauteur, de mériter cette filiation, de la justifier par ses performances.
Autrement dit, il demande à Jésus de se donner lui-même sa propre valeur, au lieu d’accepter de la recevoir de Dieu, dans la confiance en sa parole.

L’autre argument utilisé par le diviseur, l’adversaire, ce sont les Ecritures.
Entre Jésus et le tentateur s’engage une sorte de dispute herméneutique, où tout se joue sur ce qui « est écrit » (v.4.6.7.10).
Précisément, l’adversaire connaît et cite à la lettre l’Ecriture. Toutefois, ce n’est pas pour « l’accomplir », mais pour l’utiliser à ses propres fins…. alors que Jésus s’y réfère en rappelant la volonté de Dieu, ce que Dieu attend des humains.
Le fait que le « diable » tente de se faire l’avocat du « bon Dieu », en utilisant un Psaume, doit attirer notre attention sur les effets pervers du littéralisme qui se meut bien souvent en fondamentalisme : toute citation biblique n’est pas forcément parole d’Evangile. Il est toujours possible de se fonder sur la lettre de l’Ecriture, pour la détourner ou la déformer.

Alors… voyons maintenant plus en détail quelles sont les tentations qui se présentent à Jésus :

- La 1ère tentation (v.3-4) est celle du pain, c’est-à-dire de ce dont l’homme vit, de ce qui est sa vraie nourriture pour ne pas mourir dans le désert : est-ce les aliments (qui entrent dans la bouche de l’homme) ou l’écoute de la volonté de Dieu (c’est-à-dire de ce qui sort de la bouche de Dieu pour entrer dans le cœur de l’homme) ?
Les deux sont essentiels à l’homme, comme le précise Jésus en citant le Deutéronome : « l’homme ne vit pas de pain seulement, mais il vit de tout ce qui sort de la bouche de Dieu » (Dt 8, 3).

A l’heure où notre société de consommation s’essouffle dans un modèle purement matérialiste marqué par l’avoir, le « toujours plus », l’accumulation des biens matériels (tandis que d’autres n’ont même pas le minimum vital), il est bon de réentendre que ce qui nourrit vraiment vient aussi d’ailleurs : de notre relation Dieu, de sa Parole, de ses dons spirituels.
C’est, en réalité, cette Autre nourriture que nos contemporains recherchent, même si beaucoup n’arrivent pas à mettre de mots sur cette véritable quête, ni à trouver la voie de leur préoccupation ultime.
Il y a donc une tentation diabolique (quelque chose qui nous trompe et nous divise) dans le fait de réduire la vie de l’homme, et ce qui constitue sa nourriture, au seul pain matériel.

Alors…. d’où vient cette tentation ? … d’où vient cette tentation qui nous conduit à avoir, à stocker, à accumuler tant de biens de consommation ?
Elle prend d’abord appui sur une peur : la hantise du manque, la peur de manquer, d’être un jour dans le besoin.
Elle repose également sur de faux espoirs, des promesses trompeuses relayées (entre autres) par la publicité : la double illusion selon laquelle l’abondance de biens est capable de nous procurer plus de liberté et de nous offrir le bonheur. (Regardez les spots publicitaires, et vous verrez que ce qui vous est présenté : c’est le prétendu pouvoir d’un produit de vous offrir plus de liberté, de bien-être, et de plaisir…. voire de bonheur.)

Face à ces promesses trompeuses… il est bon de réentendre, ce matin, que l’homme n’a pas seulement faim de biens matériels, mais aussi de la Parole de Dieu, de la relation avec Dieu : de ce qui nourrit plus profondément sa vie et lui donne du sens.

C’est précisément ce que nous demandons à Dieu dans la prière du « Notre Père » que Jésus a donné à ses disciples envoyés en mission : « donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour » (Mt 6, 11 ; Lc 11, 3)….c’est-à-dire, donne-nous tout ce qui nourrit véritablement : outre le « pain de la terre » pour le corps physique, donne-nous le « pain du ciel » pour le cœur et l’esprit… autrement dit, donne-nous les moyens indispensables pour continuer à accomplir la mission qui nous est confiée : d’être des témoins du monde nouveau de Dieu.

-       Prières (confession du péché & pardon) + Chant -

- La 2ème tentation (v. 5-7) est celle du pinacle du Temple de Jérusalem. « Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas, car il est écrit : Il donnera pour toi des ordres à ses anges et ils te porteront sur leurs mains pour t'éviter de heurter du pied quelque pierre » (v.6).
En citant les Ecritures, le tentateur veut inciter Jésus à prendre Dieu au piège de sa propre parole. Il tente d’entraîner Jésus dans une provocation à l’égard de Dieu, en l’obligeant à vérifier que Dieu dit vrai.
L’adversaire cite ici le Psaume 91 (90 LXX).
Mais il omet quelque chose.
Le texte intégral serait le suivant :
« A ses anges il donnera des ordres pour toi de te garder en toutes tes voies. Sur leurs mains ils te porteront pour que ton pied ne heurte pas sur la pierre » (v. 11-12).
Ce psaume promet à chaque croyant une protection angélique (c’est-à-dire divine). Mais « en toutes tes voies » veut dire dans l’existence ordinaire de l’homme, et pas dans une sorte de confiance béate en des solutions miracles… confiance qui laisse penser que tout est possible, comme « satan » voudrait le faire croire.
Jésus lui répond à nouveau par une citation du Deutéronome. Le texte qu’on trouve dans notre Ancien Testament dit exactement :
« Vous ne mettrez pas à l'épreuve le SEIGNEUR votre Dieu comme vous l'avez fait à Massa » (Dt 6, 16).

Qu’est-ce que les Hébreux (les Israélites) ont fait a Massa ? Dans leur impatience, ils ont imposé une épreuve à Dieu ; ils ont murmuré contre Moïse et tenté l’Eternel ; ils l’ont mis en cause et lui ont demandé une manifestation de sa grâce… un miracle… en réclamant à manger et à boire en plein désert (Ex 16 et 17, notamment Ex 17, 1-7).
Or, comme le souligne Jésus, en citant la Torah, l’homme n’a pas à mettre à l’épreuve son Dieu ; il n’a pas à le contraindre à intervenir.

Cette 2ème expérience vécue par Jésus (sommé de se jeter dans le vide du haut du Temple) montre qu’il y aurait donc une tentation diabolique (et trompeuse) de ne pas assumer ses responsabilités, de se mettre en danger, pour finalement invoquer le secours (surnaturel) de Dieu… comme si lui seul devait agir et faire l’impossible, alors que, nous, nous n’aurions pas fait notre possible pour éviter des situations périlleuses.
C’est un peu comme si on jouait avec le feu, sans s’occuper des règles qui nous sont données pour vivre notre liberté… et, lorsque l’incendie se déclare, on demande à Dieu de l’éteindre.
Mais, Dieu n’est pas le pompier de service ; il n’est pas à notre service.

Pourtant en regardant notre monde, on a parfois l’impression que nous sautons cette étape… que nous oublions d’écouter la parole de Dieu… qui nous guide pour faire les bons choix : ceux qui nous conduisent vers plus de vie et de liberté.
Il y a tellement de situations… de domaines… dans notre monde où l’être humain se met en danger en jouant avec des puissances, des éléments, des forces qu’il ne maîtrise pas. Il suffit de regarder autour de nous :
Lorsque l’homme, par exemple, dans sa volonté de maîtrise et de toute puissance, installe des villes dans des endroits dangereux, sur des espaces côtiers régulièrement soumis aux aléas climatiques, aux tempêtes, aux cyclones, à des failles sismiques ou des tremblements de terre…  lorsqu’en toute connaissance de cause, l’homme prend des risques inconsidérés pour des raisons essentiellement économiques…il ne peux pas ensuite invoquer la responsabilité de Dieu dans des catastrophes naturelles (comme beaucoup le font pourtant), alors qu’il n’a pas lui-même fait preuve de responsabilité.
Il y a encore le cas de la force nucléaire. L’homme joue là avec une puissance qu’il est évidemment loin de maîtriser totalement, et dont les conséquences catastrophiques sur le long terme, en cas de difficultés (comme au Japon), laissent à penser qu’il serait sage de renoncer à utiliser une énergie susceptible de nous mettre en danger. Mais, bien sûr, la tentation de la toute-puissance (de la domination et de l’exploitation) est grande et trompeuse. L’homme est souvent prêt à tout pour en avoir davantage : qu’il s’agisse de pouvoir, de richesse ou de puissance.
A notre niveau personnel, la question se pose également. Pouvons-nous renoncer à certaines habitudes, à certaines pratiques, voir à un certain confort, lorsque celui-ci met, à plus ou moins long terme, en danger nos conditions de vie et menace notre environnement.

Dans son impatience et sa course au profit maximum, l’être humain a bien du mal à faire preuve d’humilité, de sagesse et de discernement. Il a bien du mal à s’auto-limiter, à se restreindre, à renoncer à certaines formes de puissance et d’arrogance… autrement dit, à rester à sa place de créature (vulnérable), sans vouloir devenir lui-même (par ses propres forces) un petit dieu.

Compter sur l’appui de Dieu dans sa vie quotidienne, avoir foi en Lui, s’en remettre à un Autre et à sa parole… n’a rien à voir avec le fait de se mettre en danger et d’invoquer le nom de Dieu pour réclamer un miracle… une protection surnaturelle.
Il me semble que cette tentation diabolique – qui suggère à Jésus de « se servir de Dieu » pour satisfaire ses propres désirs (v.3) ou assurer sa protection (v. 6) – interroge (ici encore) notre « conception » de Dieu et nos attentes vis-à-vis de Lui : notre Dieu n’est pas un des dieux du paganisme, une machine à miracles au service de ses fidèles, un dieu magicien, extraordinaire et prodigieux, qui réglerait tous nos maux d’un coût de baguette magique, et devant lequel nous ne serions que des spectateurs ou des marionnettes.
Bien des livres de la Bible, à commencer par la « Torah » (les 5 premiers), nous appellent avant tout à écouter la parole de Dieu et à exercer nos propres responsabilités d’être humain, à qui le Créateur à lui-même confié sa création, pour que l’homme coopère par son action à l’accomplissement à celle-ci (Gn 1, 27-28).
Et pour ce faire, Dieu nous a fait connaître sa volonté à travers sa parole : « la Torah et les Prophètes » auxquels justement se réfère Jésus.
Jésus refuse donc la définition simpliste et archaïque de Dieu que lui offre le « diable » : Dieu n’est pas le dieu-tout-puissant dont nous rêvons, l’idole forgée par l’imaginaire de l’homme.
Il n’est pas un dieu-tout-puissant ignorant la liberté et la place de l’homme.
Il veut être Dieu-avec-nous (Emmanuel).
Sa puissance est celle de l’amour d’un Père pour ses enfants.

-       Prière (confession de foi) + Chant -

- Le récit de la 3ème tentation (v. 8-10) débute par une vision offerte depuis le sommet d’une très haute montagne. Cette expérience fait penser à un épisode de la fin du livre du Deutéronome où le Seigneur montre à Moïse, depuis le sommet du mont Nébo (Dt 34, 1-4), la terre promise, en lui disant que lui-même n’y passera pas, mais qu’elle sera donnée à sa descendance.
Ici, le « diable » – l’adversaire – montre à Jésus les royaumes de ce monde et leur gloire (leur richesse), en lui promettant de lui offrir… à condition, toutefois, qu’il se prosterne devant lui.
Il s’agit donc d’une promesse conditionnelle. Mais, rien ne nous dit que l’adversaire possède vraiment ce qu’il promet[3], d’autant qu’il n’a pas encore vaincu le Messie, mandaté par Dieu.
D’ailleurs, la fin de l’évangile de Matthieu, où le Ressuscité dit : « tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre… de toutes les nations faites des disciples » (Mt 28, 18) montre le retournement de situation, la victoire du Messie… victoire « symbolique » au sens étymologique : c’est-à-dire qui relie, qui fait alliance.

Ici, le tentateur (qui cherche à occuper la place de Dieu) prétend offrir à Jésus un pouvoir qu’il n’a pas encore, mais à condition de le détourner de Dieu, de le faire renoncer à sa propre filiation.
C’est la tentation de la toute-puissance qui s’offre à Jésus, mais d’une toute-puissance à la manière de l’homme, dans la possession, la domination… une toute-puissance qui est forcément liée et soumise à une forme d’idolâtrie.

En effet, qu’est-ce que l’idolâtrie ?
L’idolâtrie consiste à se tromper de cible, à s’arrêter en cours de route, à transformer des moyens en fin ultime. La richesse, par exemple, ne devrait pas être une fin en soi, mais un moyen…un moyen au service de l’amour. Lorsqu’elle est élevée en but à atteindre, elle devient une idole : elle me fait alors tomber sous sa coupe, elle me rend dépendant, et fait de moi son esclave. En devenant l’objet de ma préoccupation ultime, au lieu de rester à sa place d’objet transitoire, de moyen, elle m’enferme sur elle-même et me détourne de Dieu.
Mais qui pourrait résister aux attraits idolâtres de la richesse et du pouvoir ?

Précisément, ce qui est « sagesse » pour le monde est « folie » pour Dieu (cf. 1 Co 1, 18-25).
En occupant la place que veut lui donner l’adversaire, Jésus aurait pu être un Jésus tout-puissant, mais il n’aurait jamais pu être le Christ… l’homme en communion avec Dieu tout au long de sa vie jusqu’à la croix… il n’aurait jamais pu être transparent à Celui qu’il porte en lui, et devenir le Révélateur de Dieu.

Jésus ne peut donc que refuser l’offre de celui qui cherche à le diviser, à le séparer de Dieu, pour le faire tomber dans l’idolâtrie.
Il ne peut que rejeter ce pouvoir qui l’aurait contraint à renoncer à vivre en relation avec le Père.
Par son obéissance, sa fidélité et ses paroles : « Arrière, satan ! », le diviseur est ainsi mis hors jeu.

Il faut souligner que ce sont presque les mêmes paroles qui seront adressées à l’apôtre Pierre, après son offre diabolique d’éloigner Jésus de sa vocation, de le détourner de sa mission messianique (Mt 16, 21-23)… mission qui ne peut s’accomplir que dans la communion avec le Père, même si cette union va le conduire à la croix.

Cette 3ème tentation nous montre toute la difficulté, et même l’impossibilité, qu’il y a à adorer deux maîtres à la fois.
La tentation du pouvoir, sous toute ses formes, est diabolique (au sens étymologique), dans la mesure où elle risque de nous diviser, de nous couper de notre relation à Dieu, car l’exercice du pouvoir selon le monde n’a rien à voir avec l’exercice de l’autorité selon Dieu :
le 1er s’exerce dans l’avoir, la domination, la puissance et la richesse… il est écrasant et il objectivise les personnes en les enfermant dans des rôles déterminés. Le 2nd s’accomplit dans l’être, le don de soi, l’humilité et le service… autrement dit, dans l’agape, l’amour inconditionnel… qui élargit les horizons et fait grandir les autres. Il y a donc une incompatibilité entre ces deux mondes : les royaumes du monde (Mt 4,8) et le règne des cieux (Mt 4, 17).

La seule solution… celle à laquelle Jésus nous appelle… c’est à la fois l’obéissance à la parole de Dieu et la conversion… qui signifie un changement de mentalité.
C’est ce changement à opérer et à vivre que Jésus va expliquer dans son sermon sur la montagne, par lequel il entend accomplir la Loi.

- Les trois tentations ont donc été vaines. « Alors, le diable le laisse, et voici que des anges s’approchèrent, et ils le servaient » (v.11), c’est-à-dire, lui procuraient de quoi manger[4].
La fin du récit nous offre une surprise… une promesse : ce que Jésus a refusé comme une tentation, ce qu’il a renoncé à obtenir comme une conquête, en passant par la tromperie et le pouvoir du tentateur, lui a finalement été apporté gratuitement comme un don, comme quelque chose qui vient par surcroît.

Ici prend déjà sens cette parole de Jésus : « Cherchez d’abord le royaume et la justice de Dieu, et tout cela [la nourriture et le vêtement] vous sera donné par surcroît » (Mt 6, 33).
C’est déjà le royaume du service, du don et de la gratuité qui est ici annoncé… à travers la fidélité de Jésus envers la parole de Dieu.

- Alors, chers ami(e)s…. que retenir de ce récit ?

Les tentations sont grandes de vivre à la manière du monde, de céder aux attraits de ce qui pourtant nous éloigne de Dieu : la peur, l’absence de responsabilité, l’idolâtrie, la soif du pouvoir et de l’avoir, etc.
Mais il existe encore bien d’autres épreuves qui n’ont pas été évoquées ici : tentations du découragement, du désespoir, de l’abandon, de la culpabilité qui paralyse.
Bien souvent, l’adversaire, le « diable », ne correspond pas à ce que nous pouvons penser ou imaginer. Il nous faut dépasser les représentations que nous offre, par exemple, l’histoire de l’art… oublier les cornes et les pieds fourchus. Le tentateur est bien plus discret. Il est à l’œuvre lorsque nous écoutons la voix qui vient remettre en question le fondement de notre relation de confiance en Dieu et en sa parole de grâce qui accueille et relève l’être humain sans condition.

Face à ce qui crée la division et la confusion en nous et dans notre monde, Jésus nous montre que la seule attitude possible, pour résister au mal, est l’obéissance : la fidélité envers la parole de Dieu.
« Obéissance » : c’est un mot que nous n’aimons pas beaucoup, nous les adultes. Et pourtant, si nous y réfléchissons, lorsque nous demandons à un enfant d’obéir, c’est en général pour son bien, pour lui éviter de commettre des erreurs, de faire des bêtises, ou de se blesser.
Alors, c’est sans doute ainsi qu’il faut comprendre l’obéissance.
Il ne s’agit pas d’une soumission aveugle, mais d’une fidélité emprunte d’une totale confiance en un Dieu bon, qui aime ses enfants.
En d’autres termes, il s’agit d’une fidélité qui nous appelle à vivre libre… libre comme Jésus…. et qui nous permet d’ouvrir notre désir… pour le faire grandir et l’orienter vers « quelque chose » de plus grand, de plus ultime, que les promesses stériles (et conditionnelles) d’avoir et de pouvoir offertes par le tentateur.

S’enraciner dans la fidélité pour accomplir la volonté de Dieu, telle que sa parole nous la fait connaître : voilà le chemin auquel Jésus nous appelle à sa suite.

Pour résister à ce qui menace de nous diviser, nous avons le secours d’un paraclet (un avocat, un conseiller, un défenseur) : l’Esprit Saint… qui vient nous éclairer et nous aider à comprendre les Ecritures… ce que Dieu attend de nous (que nous nous mettions au service de son royaume : de l’amour, de la paix et de la justice).
Alors, ne cessons pas de rechercher la volonté de Dieu dans sa Parole vivante… en Jésus Christ…. car c’est précisément dans cette Parole que nous trouvons notre nourriture pour la route… (pour prendre part au monde nouveau de Dieu).
Prions donc… pour que Dieu nous apporte sa lumière et sa sagesse, afin que nous puissions accomplir sa volonté…. afin « que sa volonté soit faite » (Mt 6, 10).
Amen.


[1] Un moyen aussi employé par Paul pour définir le Satan : 1 Th 3, 5 ; 1 Co 7, 5.
[2] Ex 20, 3 ; Dt 5, 7 : « Tu n’auras pas d’autre[s] dieu[x] face à moi ».
[3] La Bible, nous dit, au contraire, que la création est d’abord l’œuvre « bonne » de Dieu.
[4] Diakoneo indique en premier lieu le service de la table. 

dimanche 22 janvier 2012

Mt 3

Mt 3
Lectures bibliques : Mt 3 ; Jn 2, 13-16 ; 1 Co 3, 16-17 ; Dt 6, 4-5 ; Ps 42, 2-6.
Louange : Ps 63, 2-9.
Volonté de Dieu : Rm 13, 8-14.
Thématique : Se convertir : changer de mentalité… orienter son désir vers Dieu… laisser Dieu être Dieu en soi.

Prédication = voir plus bas, après les lectures.

Lectures

- Mt 3

En ces jours-là paraît Jean le Baptiste, proclamant dans le désert de Judée : 2« Convertissez-vous : le Règne des cieux s'est approché ! » 3C'est lui dont avait parlé le prophète Esaïe quand il disait : « Une voix crie dans le désert : “Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers.”  » 4Jean avait un vêtement de poil de chameau et une ceinture de cuir autour des reins ; il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage. 5Alors Jérusalem, toute la Judée et toute la région du Jourdain se rendaient auprès de lui ; 6ils se faisaient baptiser par lui dans le Jourdain en confessant leurs péchés.

7Comme il voyait beaucoup de Pharisiens et de Sadducéens venir à son baptême, il leur dit : « Engeance de vipères, qui vous a montré le moyen d'échapper à la colère qui vient ? 8Produisez donc du fruit qui témoigne de votre conversion ; 9et ne vous avisez pas de dire en vous-mêmes : “Nous avons pour père Abraham.” Car je vous le dis, des pierres que voici, Dieu peut susciter des enfants à Abraham. 10Déjà la hache est prête à attaquer la racine des arbres ; tout arbre donc qui ne produit pas de bon fruit va être coupé et jeté au feu.

11« Moi, je vous baptise dans l'eau en vue de la conversion ; mais celui qui vient après moi est plus fort que moi : je ne suis pas digne de lui ôter ses sandales ; lui, il vous baptisera dans l'Esprit Saint et le feu. 12Il a sa pelle à vanner à la main, il va nettoyer son aire et recueillir son blé dans le grenier ; mais la balle, il la brûlera au feu qui ne s'éteint pas. »

13Alors paraît Jésus, venu de Galilée jusqu'au Jourdain auprès de Jean, pour se faire baptiser par lui. 14Jean voulut s'y opposer : « C'est moi, disait-il, qui ai besoin d'être baptisé par toi, et c'est toi qui viens à moi ! » 15Mais Jésus lui répliqua : « Laisse faire maintenant : c'est ainsi qu'il nous convient d'accomplir toute justice. » Alors, il le laisse faire. 16Dès qu'il fut baptisé, Jésus sortit de l'eau. Voici que les cieux s'ouvrirent et il vit l'Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui. 17Et voici qu'une voix venant des cieux disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, celui qu'il m'a plu de choisir. »

- Jn 2, 13-16

La Pâque des Juifs était proche et Jésus monta à Jérusalem. 14Il trouva dans le temple les marchands de bœufs, de brebis et de colombes ainsi que les changeurs qui s'y étaient installés. 15Alors, s'étant fait un fouet avec des cordes, il les chassa tous du temple, et les brebis et les bœufs ; il dispersa la monnaie des changeurs, renversa leurs tables ; 16et il dit aux marchands de colombes : « Otez tout cela d'ici et ne faites pas de la maison de mon Père une maison de trafic. »

- 1 Co 3, 16-17

Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu et que l'Esprit de Dieu habite en vous ? 17Si quelqu'un détruit le temple de Dieu, Dieu le détruira. Car le temple de Dieu est saint, et ce temple, c'est vous.

- Dt 6, 4-5

ÉCOUTE, Israël ! Le SEIGNEUR notre Dieu est le SEIGNEUR UN. 5Tu aimeras le SEIGNEUR ton Dieu de tout ton cœur, de tout ton être, de toute ta force.

- Ps 42, 2-6

Comme une biche se tourne
vers les cours d'eau,
ainsi mon âme se tourne
vers toi, mon Dieu.

3J'ai soif de Dieu,
du Dieu vivant :
Quand pourrai-je entrer
et paraître face à Dieu ?

4Jour et nuit,
mes larmes sont mon pain,
quand on me dit tous les jours :
« Où est ton Dieu ? »

5Je me laisse aller
à évoquer le temps
où je passais la barrière,
pour conduire jusqu'à la maison de Dieu,
parmi les cris de joie et de louange,
une multitude en fête.

6Pourquoi te replier, mon âme,
et gémir sur moi ?
Espère en Dieu !
Oui, je le célébrerai encore, 
lui et sa face qui sauve.


Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 22/01/12

Nous poursuivons ce matin notre lecture méditative de l’évangile selon Matthieu.
Nous avons l’habitude d’entendre ce passage de la Bible pendant le temps de l’Avent qui précède la fête de Noël. Mais il va de soi que l’appel à la conversion qu’adresse ici, de façon semblable, Jean le Baptiste (Mt 3,2) et Jésus (Mc 1,15), ne se limite pas à quelques semaines de l’année. La conversion est à la fois un retournement et un cheminement qui concerne notre vie quotidienne dans la durée… tout au long des jours qui forment et transforment notre existence.

Les termes grecs metanoéo, métanoia, traduits par « se convertir, conversion », font allusion à un changement d’esprit ou de mentalité, à un renversement de pensé ou de perspective. Ces termes traduisent deux verbes distincts en hébreux : le 1ershuv, veut dire « se re-tourner, re-venir » ; le 2ndniham, veut dire « se repentir, renoncer ».
Dans notre passage, cette notion de conversion ou de repentir est étroitement associée à la venue du Royaume. Mais dans l’évangile de Matthieu et celui de Marc, les deux termes sont associés dans un ordre inverse :
« Convertissez-vous : le règne des cieux s’est approché ! » (Mt 3, 2)
« Le règne de Dieu s’est approché : convertissez-vous et croyez à l’Evangile » (Mc 1, 15)
La question qui se pose est alors de savoir ce qui vient en premier : est-ce la conversion qui permet d’accueillir le royaume qui vient ? ou, est-ce l’advenue du royaume qui produit la conversion ?
Les évangiles associent, en réalité, les deux aspects : C’est le royaume qui vient en premier. A travers Jésus Christ, c’est le royaume de Dieu qui s’approche et qui vient se manifester dans notre histoire. Ce royaume, il vient de Dieu et non des capacités humaines à le réaliser (seuls, par nous-mêmes). Mais, si, en Jésus Christ, le royaume de Dieu vient jusqu’à nous, il faut encore, individuellement, se préparer à l’accueillir dans sa propre vie.
Autrement dit, si, en Christ, Dieu nous offre son amour et sa grâce, et nous invite à vivre réconciliés et libres, il est de notre ressort de recevoir son offre de salut dans la foi et d’en vivre concrètement. C’est pourquoi l’évangéliste Matthieu comme l’apôtre Paul insistent sur la conversion… sur le changement, la transformation nécessaire pour accueillir le Christ et le revêtir (cf. Ep 4,24 ; Col 3,10-11 ; Ga 3,26-27 ; Rm 13,14), afin de vivre une vie nouvelle sous le regard de Dieu.
L’aspect réceptif du salut, offert par la grâce agissante de Dieu, est ainsi, d’une certaine manière, actif (et non passif), car il faut accepter de laisser agir l’amour de Dieu en nous.
Il nous appartient d’ouvrir les verrous de notre cœur et de notre intelligence, de faire de la place à l’Esprit de Dieu, de se laisser transformer par lui, pour peu à peu faire naître le Christ en nous.

La possibilité de la conversion vient de l’écoute… de la faculté de recevoir une parole extérieure à nous, en nous. Cala implique qu’il y ait un peu de place en nous, et donc que nous ne soyons pas plein de nous-mêmes. C’est pourquoi, le premier stade de la conversion est souvent la repentance, c’est-à-dire le fait de reconnaître que bien souvent il n’y a pas cette disponibilité, cette place, ce creux en nous pour accueillir autre chose que nous-mêmes, que bien souvent nous prenons toute la place, nous nous faisons le centre de nous-mêmes, au lieu de laisser cette place à Dieu.
La conversion est un retournement, mais aussi – et peut-être surtout – un cheminement de foi qui consiste à se laisser saisir et orienté par l’Esprit divin, pour que le Dieu de Jésus Christ à qui nous parlons au moment du culte, que nous louons, à qui nous adressons nos prières, soit avant tout un Dieu qui nous parle, que nous entendons, qui nous change et nous construit : un Dieu qui communique (non pas directement, mais à travers les autres, à travers les langages humains, à travers les Ecritures), un Dieu qui vient se manifester à nous pour nous appeler à nous mettre à son écoute, à accueillir sa parole dans notre intériorité, à nous laisser transformer par elle.

La repentance – comme le montre Jean Baptiste en adressant quelques vivres invectives à ses auditeurs (v.7) – commence généralement par une prise de conscience… prise de conscience du fait que l’on est dans une relation faussée à Dieu, à soi-même et aux autres, afin d’entamer un chemin de guérison qui permet de trouver, ou de retrouver, une relation juste à Dieu, à soi-même et aux autres.

La conversion implique donc un changement dans les mentalités et les comportements, une rupture dans les croyances et les pratiques.
Cela veut dire changer notre compréhension du monde, nos représentations, nos comportements… se libérer des idées reçues et des idoles, mais aussi des mécanismes de notre société qui bien souvent nous enferment et nous réduisent à la passivité du consommateur, à l’inertie ou à l’indifférence.
Cette rupture est symbolisée, dans le passage que nous avons entendu, par l’image de la hache « prête à attaquer les arbres à la racine »(v.10).
Il s’agit, en effet, de changer de mentalité…de réorienter notre manière de vivre, de penser et d’agir… pour entrer dans la gratuité de l’amour de Dieu (aussi bien avec Dieu, qu’avec les autres).
Et ce changement, c’est Dieu lui-même qui l’opère en nous.
Cela signifie qu’il faut en premier lieu laisser Dieu être Dieu en soi… qu’il faut lui ouvrir les portes de notre intériorité…  pour que puisse se creuser le désir de Dieu dans notre puits intérieur.

Lorsque je parle ici de « désir de Dieu », comme l’on fait de nombreux chrétiens : des théologiens, des mystiques, des moines, de quoi parle-t-on ?
Il ne s’agit pas ici de chercher à satisfaire un désir en comblant un manque, mais, au contraire, de creuser le désir de l’Autre, le désir de Dieu. Et là, se pose la question de notre attente, de notre recherche. Quelle est la nature de notre attente vis-à-vis de Dieu ?

Certains n’attendent rien de Dieu. (Soit, face au scepticisme ambiant, ils n’ont jamais rien attendu de lui. Soit, face à l’expérience d’une vie douloureuse marquée par un certain nombre d’épreuves et de souffrances, ils n’attendent plus rien de lui). D’autres attendent que Dieu réponde à toutes leurs attentes et qu’il vienne combler toutes leurs prières (comme si Dieu était le seul acteur en toute situation, comme s’il était le seul responsable des difficultés ou des malheurs qui accablent notre humanité). D’autres, enfin, attendent Dieu, pour Lui-même, comme on attend quelqu’un qu’on aime, un ami, un Père, quelqu’un avec qui on est en confiance, quelqu’un qui nous encourage, qui nous offre son discernement, pour nous aider à faire les bons choix (ceux qui nous orientent vers la vie), quelqu’un qui est présent à nos côtés quels que soient notre situation et nos choix.

C’est dans cette 3ème voie que j’aimerais vous inciter à chercher ce matin : de tendre vers Dieu, comme on tend vers une « personne » aimée… en réalité vers la source de l’Amour.

Une manière de parler de cette recherche de Dieu peut s’exprimer en termes de « désir », car le désir est le moteur de notre vie, la cause de nos actions, c’est ce qui nous motive, nous dynamise et nous donne envie de nous lever le matin.
Alors, si notre relation à Dieu est importante, fondamentale pour nous, s’il s’agit d’une véritable recherche, d’une quête, on peut parler de « désir de Dieu », comme d’une préoccupation ultime, comme le désir d’être réuni à Lui, parce qu’il nous aime et que nous souhaitons répondre à son amour, en lui offrant le notre.

Or, lorsqu’on aime quelqu’un, on n’attend pas de lui telle ou telle chose, on ne le désire pas pour ce qu’il peut faire ou procurer, pour sa fonction ou son utilité, mais on désire l’autre pour lui-même, dans sa singularité, avec sa personnalité, pour ce qu’il est, dans la liberté et la gratuité de l’amour.

Alors… peut-il en être ainsi dans notre relation avec Dieu ?
Peut-on aimer Dieu pour Lui-même, désirer vivre en sa présence, sans forcément attendre autre chose que cette présence, que sa seule confiance… cette confiance qui nous permet de vivre l’Evangile dans sa radicalité, avec les changements qu’il impose, quand il s’agit, par exemple, de convertir notre regard (Mt 6,22), de ne pas servir deux maîtres (Mt 6, 24), de vivre dans la confiance (Mt 6, 25ss), d’aimer ses ennemis (Mt 5,44), de renoncer à son bon droit, pour vivre dans le don et la gratuité (Mt 5, 38-42) ?

Je ne veux pas ici remettre en cause les prières de demande que nous pouvons adresser à Dieu, mais je crois qu’il faut savoir interroger le type de relations, de rapports que nous entretenons avec les autres, tout comme avec Dieu.
Notre relation à Dieu ne se limite-t-elle pas bien souvent à lui demander quelque chose ? Quelle place nous donnons nous lorsque nous nous tenons en présence de Dieu ? Sommes-nous comme un marchand ? un serviteur ? ou un ami ? un fils ?
La prière n’est pas une monnaie d’échange, un lieu de commerce ou de marchandage avec Dieu. Dans la prière, nous ne sommes pas dans le donnant-donnant, nous ne sommes pas dans une relation d’intérêt ou de négociation avec Dieu, mais dans la gratuité et la confiance propre à toute vraie relation.
En réalité, la prière n’a d’autre objet que l’union à Dieu. Comme dans une relation d’amitié sincère ou d’amour véritable, ce que nous donnons à l’autre, ce que nous pouvons donner à Dieu, c’est nous-même, notre personne toute entière. C’est tout notre être que nous pouvons librement offrir à Dieu dans la confiance.

Lorsque je dis cela, j’ai bien conscience qu’il est parfois difficile de lâcher prise et d’oser la confiance totale : le don de soi, la remise de soi-même à un Autre. Mais, je crois que c’est là qu’il faut creuser et nous interroger : dans notre relation à Dieu, prenons-nous pleinement au sérieux l’amour que Dieu nous offre ? Si ce que Dieu nous donne, c’est Lui-même, s’Il se donne totalement… est-ce que nous osons, nous aussi, lui offrir ce que nous sommes ? tout ce que nous sommes, sans peur, sans réserve, sans rien garder pour nous ? est-ce que nous pouvons le faire gratuitement, sans condition, sans demande, sans marchandage ?

La conversion consiste peut-être en premier lieu à chasser les vendeurs du temple… les marchands qui rôdent parfois en nous-mêmes… nous qui sommes appelés à être le temple de Dieu (comme le dit l’apôtre Paul), à accueillir son Esprit pour le laisser habiter en nous (1 Co 3, 16-17), pour nous laisser transformer par Lui.

-       Pause musicale  -

Parler de désir et d’amour pour Dieu implique de reconnaître que nous sommes dans une situation de manque, dans une situation de séparation vis-à-vis de Dieu.
Cette situation a été décrite symboliquement dans le chapitre 3 du livre de la Genèse, à travers le récit de la chute, de la sortie du jardin d’Eden. Avec ce récit, le rédacteur du livre de la Genèse nous fait comprendre que nous vivons notre existence présente dans une situation d’aliénation, de séparation d’avec Dieu.
L’être humain est créé pour être en relation, en communion avec Dieu. Mais, en vivant éloigné de Lui, nous nous trouvons en contradiction avec notre être essentiel, notre être véritable.
C’est là, en réalité, ce qu’est le péché. Fondamentalement, le péché est une manière de se détourner de Dieu, de se détourner de notre véritable vocation d’être humain uni à Dieu.

Or, l’amour est précisément ce qui permet de rentrer en communion ; c’est ce qui vient inscrire une relation là où il y avait séparation et éloignement. Autrement dit, l’amour permet d’unir ou de ré-unir ce qui est ou a été séparé.
Ce dont il est question dans l’amour, c’est l’union ou la ré-union à l’Autre. C’est l’autre qui est désiré, aimé.
L’amour, en tant qu’union à l’autre, ne se situe pas dans la catégorie des choses que l’on demande, mais dans celle du don : d’un don total, libre et gratuit… le don de soi…. et dans celle d’une présence : pour vivre en présence de l’autre, l’accueillir en silence, se mettre à son écoute, partager sa présence.

Alors… peut-il en être ainsi dans notre relation avec Dieu ?
L’essentiel de la prière n’est-il pas d’accueillir la simple et silencieuse présence de Dieu… qui est là… qui nous offre une relation… son amour… pour nous réjouir le cœur… ou pour nous parler, nous conseiller, comme un ami dont nous sollicitons le discernement ?

Aimer Dieu, c’est avant tout vivre en communion avec Lui, c’est vivre en Dieu, ce n’est pas attendre que Dieu accomplisse telle ou telle chose que nous pourrions lui demander.
Je crois qu’une phrase de Jésus dans l’évangile de Jean explique bien cette communion d’amour, cette union possible – en l’homme – entre Dieu et l’homme… cette unité (de Dieu et de l’homme) concrétisée en Jésus…qui fait de lui le Christ. Philippe interroge Jésus et lui demande de lui montrer le Père. Jésus lui répond la chose suivante : « Pourquoi dis-tu : "Montre-nous le Père" ? Ne crois-tu pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ? » (Jn 14, 9-10).
Jésus exprime ici la communion personnelle qu’il vit avec le Père, avec ce Dieu qui est Esprit (Jn 4, 24), qui est Amour (1 Jn 4, 16).
Le récit du baptême de Jésus que nous avons entendu (Mt 3, 16-17) ne dit pas autre chose. Il révèle que Jésus est rempli de l’Esprit au moment de son baptême, qu’il est le Christ, le porteur de l’Esprit… que l’Esprit divin (que Dieu) agit en lui.
L’apôtre Paul dit, avec ses mots, la même chose, lorsqu’il affirme que « Dieu était en Christ » (2 Co 5, 19).
Lorsque Paul invite les premiers chrétiens à vivre en Christ, il les appelle à vivre en communion avec Dieu, à la suite de Jésus Christ. Autrement dit, il invite ses interlocuteurs à faire naître le Christ en eux, en accueillant l’Esprit de Dieu, en se laissant transformer par lui.

Alors, comment s’engager sur ce chemin d’union avec Dieu ?

Si on devait actualiser ou transposer l’appel à la conversion de Jean le Baptiste et de Jésus pour notre monde contemporain – appel à changer de mentalité –  je crois qu’on pourrait l’entendre, en premier lieu, comme un appel au détachement, une invitation à se libérer de tout ce qui nous encombre, de tout ce qui nous rend esclave, de toutes les choses, les biens matériels, les idoles, les préoccupations qui prennent tant de place dans notre vie, et finissent bien souvent par prendre la place de Dieu.
La principale difficulté, dans la vie spirituelle, c’est l’occupation de l’espace. S’il y a déjà trop de préoccupations en nous, plus personne ne peut entrer, même ce qui devrait être notre préoccupation ultime.
Si notre cœur est plein, si notre vie ou notre agenda débordent, il n’y a souvent plus de place pour Dieu… pour le don… pour la gratuité.
On ne peut rien verser dans un vase déjà plein d’eau… c’est bien connu !

Alors, l’interpellation de Jean le Baptiste peut nous conduire à réfléchir à nos priorités et nous inciter à faire des choix.
Qu’est-ce qui compte vraiment à nos yeux ? Qu’est-ce qui a du poids ? Et surtout, qu’est-ce qui nous rend véritablement vivant ?
Derrière nos désirs éphémères, nos préoccupations provisoires, qui bien souvent nous attachent, nous emprisonnent, et nous détournent de l’essentiel… quelle est notre véritable soif  ? quel est notre véritable désir ?
Ne serait-ce pas d’entrer en communion avec Dieu ? de prendre du temps pour se rendre disponible à la présence de Dieu ? pour découvrir une autre dimension à notre existence… une profondeur insoupçonnée… plus de liberté, de confiance, de paix en nous-mêmes ?

L’appel à la conversion n’a pas pour but d’éteindre la flamme de notre désir, de notre dynamisme, de notre élan – il faut en finir avec l’image d’un christianisme triste, pénitent, masochiste ou castrateur – mais la question que soulève cet appel est celle de son orientation : acceptons-nous d’orienter notre désir vers Dieu ? et de le laisser, lui-même, nous orienter vers ce qui fait vivre ? (Mc 8, 34-35).

Orienter son désir vers Dieu, c’est faire comme le semeur qui sème dans la bonne terre pour porter du fruit (Mt 13, 23)… c’est accueillir le royaume qui vient à nous, qui s’approche en Jésus Christ… c’est accepter de recevoir le don de Dieu (son Esprit sanctifiant) et lui offrir ce que nous sommes… dans la certitude que cette communion spirituelle nous conduira dans une dynamique de transformation qui engendrera de bons fruits (Mt 3, 10 ; 7, 19-20). 

Vivre en communion avec Dieu, c’est nous interroger sur notre manière d’habiter le monde… de vivre notre quotidien.
Le quotidien nous offre une pluralité de lieux, d’activités, de moments différents à vivre. La question qui nous est posée est de savoir si nous pouvons en toutes occasions (quelles que soient nos activités) nous tourner vers Dieu, rester unis à Lui.
Cela implique de ne pas être esclave de ce que nous faisons, de garder une certaine liberté intérieure, pour se rendre présent à Dieu qui, lui, est présent en chacun de nous[1]… mais aussi de savoir prendre du recul en toute situation, pour que nos actes s’enracinent dans le don et la gratuité que prône l’Evangile de Jésus Christ.

C’est en se rendant présent à Dieu que nous sommes véritablement présents à nous-mêmes[2].

Chers amis, frères et sœurs… c’est à chacun de nous qu’il appartient d’orienter son désir vers ce qui fait vivre… vers ce qui, seul, peut constituer notre préoccupation ultime.
C’est à chacun de nous de convertir notre relation à Dieu, pour y exclure toute relation commerciale, tout donnant-donnant,… et découvrir – ou redécouvrir – la simplicité d’une relation de confiance… une relation où prime le don et la gratuité de l’amour, la joie de la simple présence à l’Autre.
C’est à chacun de nous de faire de la place à Dieu dans notre vie quotidienne, de rester intérieurement uni à Lui en toutes circonstances.

Autrement dit… c’est à toi, de laisser Dieu être Dieu en toi !

Je conclurai cette méditation par une phrase de Jean-Jacques Rousseau que je complèterai librement :
« Malheur à celui qui n’a plus rien à désirer »[3] dit le philosophe des Lumières.
Mais, heureux… Heureux celui qui désire suivre le Christ, pour vivre en communion avec Dieu, il creusera chaque jour davantage – avec les autres – son puits intérieur, pour que s’y répande la source de la vie éternelle.
Amen.


[1] Dieu est « plus intime à moi que moi-même » disait Augustin. De même, pour Luther, Dieu est plus proche d’un être que celui-ci ne l’est de lui-même.
[2] Guillaume de Saint-Thierry, un moine cistercien, priait ainsi : « Tant que je suis avec toi, je suis aussi avec moi ; en revanche, je ne suis pas avec moi tant que je ne suis pas avec toi ».
[3] Rousseau, Julie ou la Nouvelle Héloïse, 1761, VIème partie, lettre VIII. 

dimanche 8 janvier 2012

Mt 2, 1-18

Mt 2, 1-18
Lectures bibliques : Mt 2, 1-18 ; Jn 8, 12 ; 2 Co 5, 17 ; Ep 4, 17-32
Volonté de Dieu : Ep 5, 8-10
Thématique : se mettre en quête de la vraie lumière & devenir « enfants de lumière »

Prédication = voir plus bas, après les lectures

Lectures

- Mt 2, 1-18

1Jésus étant né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode, voici que des mages venus d'Orient arrivèrent à Jérusalem 2et demandèrent : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu son astre à l'Orient et nous sommes venus lui rendre hommage. » 3A cette nouvelle, le roi Hérode fut troublé, et tout Jérusalem avec lui. 4Il assembla tous les grands prêtres et les scribes du peuple, et s'enquit auprès d'eux du lieu où le Messie devait naître. 5« A Bethléem de Judée, lui dirent-ils, car c'est ce qui est écrit par le prophète : 6Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n'es certes pas le plus petit des chefs-lieux de Juda : car c'est de toi que sortira le chef qui fera paître Israël, mon peuple. » 7Alors Hérode fit appeler secrètement les mages, se fit préciser par eux l'époque à laquelle l'astre apparaissait, 8et les envoya à Bethléem en disant : « Allez vous renseigner avec précision sur l'enfant ; et, quand vous l'aurez trouvé, avertissez-moi pour que, moi aussi, j'aille lui rendre hommage. » 9Sur ces paroles du roi, ils se mirent en route ; et voici que l'astre, qu'ils avaient vu à l'Orient, avançait devant eux jusqu'à ce qu'il vînt s'arrêter au-dessus de l'endroit où était l'enfant. 10A la vue de l'astre, ils éprouvèrent une très grande joie. 11Entrant dans la maison, ils virent l'enfant avec Marie, sa mère, et, se prosternant, ils lui rendirent hommage ; ouvrant leurs coffrets, ils lui offrirent en présent de l'or, de l'encens et de la myrrhe. 12Puis, divinement avertis en songe de ne pas retourner auprès d'Hérode, ils se retirèrent dans leur pays par un autre chemin.

13Après leur départ, voici que l'ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph et lui dit : « Lève-toi, prends avec toi l'enfant et sa mère, et fuis en Egypte ; restes-y jusqu'à nouvel ordre, car Hérode va rechercher l'enfant pour le faire périr. » 14Joseph se leva, prit avec lui l'enfant et sa mère, de nuit, et se retira en Egypte. 15Il y resta jusqu'à la mort d'Hérode, pour que s'accomplisse ce qu'avait dit le Seigneur par le prophète : D'Egypte, j'ai appelé mon fils.

16Alors Hérode, se voyant joué par les mages, entra dans une grande fureur et envoya tuer, dans Bethléem et tout son territoire, tous les enfants jusqu'à deux ans, d'après l'époque qu'il s'était fait préciser par les mages. 17Alors s'accomplit ce qui avait été dit par le prophète Jérémie : 18Une voix dans Rama s'est fait entendre,des pleurs et une longue plainte : c'est Rachel qui pleure ses enfants et ne veut pas être consolée, parce qu'ils ne sont plus.

- Jn 8, 12

12Jésus, à nouveau, leur adressa la parole : « Je suis la lumière du monde. Celui qui vient à ma suite ne marchera pas dans les ténèbres ; il aura la lumière qui conduit à la vie. »

- 2 Co 5, 17

17Aussi, si quelqu'un est en Christ, il est une nouvelle créature. Le monde ancien est passé, voici qu'une réalité nouvelle est là.

- Ep 4, 17-32

17Voici donc ce que je dis et atteste dans le Seigneur : ne vivez plus comme vivent les païens que leur intelligence conduit au néant. 18Leur pensée est la proie des ténèbres, et ils sont étrangers à la vie de Dieu, à cause de l'ignorance qu'entraîne chez eux l'endurcissement de leur cœur. 19Dans leur inconscience, ils se sont livrés à la débauche, au point de s'adonner à une impureté effrénée. 20Pour vous, ce n'est pas ainsi que vous avez appris le Christ, 21si du moins c'est bien de lui que vous avez entendu parler, si c'est lui qui vous a été enseigné, conformément à la vérité qui est en Jésus : 22il vous faut, renonçant à votre existence passée, vous dépouiller du vieil homme qui se corrompt sous l'effet des convoitises trompeuses ; 23il vous faut être renouvelés par la transformation spirituelle de votre intelligence 24et revêtir l'homme nouveau, créé selon Dieu dans la justice et la sainteté qui viennent de la vérité.

25Vous voilà donc débarrassés du mensonge : que chacun dise la vérité à son prochain, car nous sommes membres les uns des autres. 26Etes-vous en colère ? ne péchez pas ; que le soleil ne se couche pas sur votre ressentiment. 27Ne donnez aucune prise au diable. 28Celui qui volait, qu'il cesse de voler ; qu'il prenne plutôt la peine de travailler honnêtement de ses mains, afin d'avoir de quoi partager avec celui qui est dans le besoin. 29Aucune parole pernicieuse ne doit sortir de vos lèvres, mais, s'il en est besoin, quelque parole bonne, capable d'édifier et d'apporter une grâce à ceux qui l'entendent. 30N'attristez pas le Saint Esprit, dont Dieu vous a marqués comme d'un sceau pour le jour de la délivrance. 31Amertume, irritation, colère, éclats de voix, injures, tout cela doit disparaître de chez vous, comme toute espèce de méchanceté. 32Soyez bons les uns pour les autres, ayez du cœur ; pardonnez-vous mutuellement, comme Dieu vous a pardonné en Christ.


Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 08/01/12

Le mot épiphanie signifie « manifestation » ou « apparition ».
C’est la manifestation de la lumière qu’est pour nous Jésus Christ, la Parole qui éclaire notre route.
En ce jour de l’épiphanie, c’est la tradition de l’Eglise de relire ce passage biblique bien connu, semé d’éléments légendaires, mais riche en contenus symboliques, présentant des mages venus d’orient pour se prosterner devant Jésus, signifiant ainsi l’universalité du salut offert et manifesté en Jésus Christ.
Ces mages sont peut-être des savants, des astronomes, ou peut-être des hommes un peu crédules, des astrologues, ou simplement des observateurs du ciel étoilé. Ce sont des étrangers, des non-juifs, qui partageaient sans doute avec le peuple d’Israël une espérance messianique. Mais surtout ce sont des hommes en quête de lumière, ouverts à la nouveauté, à l’inattendu et à la surprise… des veilleurs attentifs aux signes du temps… des hommes courageux et libres, prêts à bouger, à chercher, à se mettre en route, à quitter leurs habitudes et leur quotidien, pour avancer dans leur quête vers le nouvel astre qui vient d’apparaître.

Le récit biblique nous dit qu’ils voient une étoile qui les précède. Cette étoile qui éclaire Bethléem, la ville natale de David, c’est une nouvelle étoile qui vient de se lever pour accueillir la naissance de Jésus, celui qui sera lumière du monde (Jn 1, 9 ; Jn 8, 12), lumière pour éclairer les nations (Lc 2, 32). 
Les mages ont reconnu cette étoile en Orient, lorsqu’elle commençait à poindre.
Tous les Anciens croyaient qu’à la naissance d’un homme une étoile s’allumait dans le ciel, d’autant plus si celui-ci était un roi[1]. Les Israélites eux-mêmes, selon l’oracle d’un prophète « étranger », attendaient le Messie comme un « astre » qui devait surgir de Jacob. La prophétie de Balaam, dans le livre des Nombres (Nb 24,17) dit ceci (TM) :
« Une étoile point de Jacob et un sceptre surgit d’Israël ». Dans la traduction grecque (des LXX), le « sceptre » devient un « homme », et dans les traductions araméennes (targoumim), le « sceptre puissant d’Israël » est « le Messie ».
Ceci montre qu’il ne faut pas prendre trop à la lettre cette « étoile » dont nous parle l’évangéliste Matthieu, car il s’agit d’une figure messianique, indiquant que Jésus est véritablement le Messie, l’étoile, la lumière qui éclaire notre chemin et qui permet de nous diriger, même lorsqu’il fait nuit.

A travers ce récit, et à l’image de ces étrangers, de ces mages, dont l’intention est de se prosterner respectueusement devant le Messie, je crois que l’évangéliste Matthieu nous invite à partir en quête, à quitter nos habitudes (parfois sclérosantes) et nos certitudes (parfois rigides) pour marcher librement à la suite de cette étoile qu’est pour nous Jésus Christ.
Ce cheminement n’est pas linéaire et rectiligne. A l’image du périple des mages, qui passe d’abord par Jérusalem avant d’arriver au bon endroit : à Bethléem, nos routes peuvent être marquées par un certain nombre d’étapes et de difficultés. Comme le montre le récit, à travers le personnage d’Hérode, le chemin peut être semé d’embûches, d’horreurs et d’injustices… à commencer par l’hostilité de ceux qui ont peur de perdre leurs prérogatives, de ceux qui ont peur que le Messie remette en cause leur pouvoir et leurs privilèges. Et d’une certaine manière, les récits évangéliques, qui ne cessent de mettre en avant l’autorité de Jésus et le renversement des valeurs que provoque l’Evangile (aussi bien le Sermon sur la Montagne que la Bonne Nouvelle du salut offert par grâce), montrent que l’inquiétude de l’establishment des hommes politiques et religieux est tout à fait fondée. L’Evangile a bien la force de mettre en branle un certain nombre de logiques auxquelles notre monde semble s’être résigné : le dieu argent ; la loi du donnant-donnant, de la réciprocité et du mérite ; l’usage de la force et de la violence dans de nombreux domaines ; l’injustice des mécanismes économiques dont l’homme est responsable, à commencer par ceux qui exercent des pouvoirs politiques ou financiers ; l’enfermement, le manque de compassion et de générosité vis-à-vis des autres dans lequel un certain nombre de nos contemporains se replient. L’Evangile est puissance de transformation et de salut (Rm 1,16) pour qui le reçoit et le met en pratique. Il est capable de produire des changements et des bouleversements dans notre vie, pour autant que nous l’accueillons et que nous nous mettions, chaque jour davantage, à l’école du Christ (Mt 11,29).

Le passage de l’épître de Paul que nous avons entendu nous rappelle cette puissance de transformation à l’œuvre chez ceux qui ont revêtu le Christ, la nouvelle nature créée à la ressemblance de Dieu (Ep 4, 24). Suivre Jésus… devenir disciple du Christ….implique de se laisser traverser et transformer par la Parole de Dieu, jour après jour… dans toutes les relations que nous vivons avec les autres, dans la vie quotidienne… et cela… malgré les obstacles… malgré le péché, la méchanceté et la misère humaine dont nous sommes témoins.
Paul parle d’un renouvellement par la transformation spirituelle de notre intelligence (Ep, 4, 23), c’est-à-dire d’une rénovation en profondeur de notre intelligence, qui s’opère en revêtant l’homme nouveau (Ep 4, 24), en vivant en Christ (dans la justice, la sainteté et la vérité).
Il n’y a pas d’un côté, notre relation à Dieu le dimanche matin au culte, et, de l’autre, le reste de notre vie quotidienne. Nous ne pouvons pas véritablement grandir dans la foi en vivant intérieurement divisés, comme des êtres schizophrènes. C’est tout notre être, notre personne toute entière, dans tous ses aspects (relationnels, psychiques, spirituels, …), qui doit s’ouvrir au Christ et se laisser transformer, pour s’unifier sous l’action de l’Esprit.
C’est ce que la théologie appelle la « régénération » (c’est-à-dire la participation à la nouvelle réalité qui se manifeste en Jésus Christ) et la « sanctification » (qui est un processus de transformation).
Dans le Christ, l’homme est saisi de l’intérieur, et, à la lumière du Fils, il trouve un ré-ordonnancement de sa vie, pour devenir, peu à peu, une nouvelle créature (2 Co 5, 17).

Cette quête vers la lumière qu’est le Christ fera alors de nous progressivement des enfants de lumières (Ep 5,8). Et cette transformation nous apportera la paix et la joie. C’est là la promesse que nous révèle le récit des mages, dans l’évangile de Matthieu : « A la vue de l’astre, [les mages] éprouvèrent une très grande joie » (Mt 2, 10). L’effet généré par l’étoile, pour ceux qui sont à sa recherche, ceux qui sont en quête et finissent par la trouver : c’est la joie. Cette joie ouvre alors tous nos verrous fermés.
Devant Jésus – don du ciel – ceux qui découvrent en lui la véritable lumière, n’ont rien d’autre à faire que d’ouvrir leurs cœurs et leurs trésors, d’offrir leurs dons, pour rendre grâce à l’amour de Dieu manifesté par cet enfant…. cet enfant, figure d’avenir, porteur d’espérance, promesse de vie nouvelle. 

Ce matin, et particulièrement en ce début d’année où nous tentons bien souvent de prendre de nouvelles résolutions, ce récit des mages nous invite à réfléchir sur nos objectifs, sur le but que nous souhaitons atteindre.
En général, pour avancer, il faut avoir une visée, un point de mire, une étoile pour nous guider. Alors quelle est véritablement notre étoile ?

Je parle d’une étoile véritable, pas d’une « star », d’une étoile qu’on appelle « star » en anglais, et qui désignent plutôt des étoiles filantes, des « stars » éphémères auxquelles les médias et les mages modernes rendent un culte et vouent une admiration toute provisoire.
Quelle est notre étoile ? Quelle est notre préoccupation ultime ?
Quel est Celui qui illumine notre vie et notre route… même lorsqu’il fait nuit ?
Et quels mages sommes nous ? Sommes-nous prêts comme les mages de l’évangile à quitter les sentiers battus, à chercher, à tâtonner, à poursuivre courageusement la quête, malgré les obstacles, les fausses pistes… dans la certitude qu’une joie nous attend au bout de la nuit ?
Pouvons nous devenir des mages pour guider les regards nos contemporains vers la véritable étoile ?

Nous sommes les disciples de ce à quoi nous prêtons attention… de ce sur quoi, sur qui, se porte notre regard.
Alors… où se porte notre regard ?

L’évangile nous appelle à reconnaître la vraie lumière : celle qui délivre de nos ténèbres et nous apporte le salut… celle qui nourrit, qui donne sens à notre existence et notre espérance. 
Si Jésus Christ, le porteur de l’Esprit, est pour nous cette lumière, laissons nous transformer par l’Esprit, afin que nous devenions enfants de lumière dans notre monde, que nous puissions, nous aussi, rayonner et faire connaître aux autres la source de cette lumière qui nous habite.

En ce début d’année, en ce temps des vœux… je vous souhaite à toutes et à tous une année lumineuse, une année de transformation sous l’action de l’Esprit de Dieu.
Que cette année fasse de vous… de nous… des mages pour nos frères et sœurs… des mages en mouvement, animés du dynamisme du marcheur, du randonneur, en quête de lumière, pour aller vers les autres et leur offrir nos dons les meilleurs : notre amour et notre générosité. 
Que la joie des mages nous anime, et fasse vaciller nos soucis, nos inquiétudes et nos peurs. Guidés par la lumière, portés par la foi du Christ, soyons, nous aussi, saisis et rayonnants d’une grande joie !
Amen.


[1] Par exemple un Alexandre le Grand. Voir Cicéron, De divinatione, 1, 47.