dimanche 11 août 2013

Mc 1, 1-15


Mc 1, 1-15

Lectures : Es 1, 10-17 ; Mc 1, 1-20 ; Rm 8, 12-19
Thématique : Le St Esprit… quand Dieu vient exercer sur nous une douce pression… pour nous permettre de résister à nos mauvais démons.
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 11/08/13  / Culte avec baptême et Ste Cène.
(largement inspirée d’une méditation de Jean-Marc Babut)

Nous venons d’entendre le début de l’évangile de Marc. Et, en y regardant de près, bien des choses peuvent nous étonner dans ce récit pourtant bien connu.

* D’abord, il est question d’un baptême – comme celui que Jeanne vient de recevoir – sauf qu’à l’époque de Jean Baptiste, celui qui était baptisé était plongé tout entier dans l’eau, pour bien signifier que sa vie ancienne (marquée par le péché) était noyée et qu’il renaissait à une vie nouvelle, en communion avec Dieu.
C’est d’ailleurs le sens du mot « baptême » qui vient du grec « baptizô » : faire naufrage, couler, plonger.
Jean Baptiste appelle ses auditeurs à la conversion, à un retournement, à un changement radical de vie… un peu comme le prophète Esaïe, des siècles avant lui.
Il proclame la justice de Dieu. Il annonce un temps nouveau, qui demande un changement d’attitude…. car Dieu attend des hommes qu’ils vivent selon sa Loi, selon sa volonté de justice pour tous les hommes… qu’ils se soucient non d’eux-mêmes, de leur avoir ou des apparences … mais de la justice voulue par Dieu, de leurs frères, des plus petits.[1]
Autrement dit, le baptême pratiqué par Jean Baptiste était un baptême de changement radical, pour le pardon des péchés. C’est un baptême qui – comme plus tard, dans le christianisme – n’a lieu qu’une fois… qui annonce la grâce, le pardon offert par Dieu… qui témoigne d’un temps nouveau et qui engage à mener une vie nouvelle, en relation avec Dieu.

* Mais l’évangéliste Marc annonce dès le début que les choses prennent une autre dimension – une envergure nouvelle – avec Jésus. Il ne s’agit plus seulement d’un baptême d’eau, mais désormais d’un baptême d’Esprit. Alors, bien sûr, on peut se demander ce que cela peut bien vouloir dire : « un baptême d’Esprit saint » ?

Pour le comprendre, on peut se tourner vers l’apôtre Paul qui dit au moins trois choses à propos de l’Esprit saint :
-       d’abord, pour Paul, l’Esprit saint, c’est l’objet de la promesse (cf. Ga 3,14, voir aussi pour Marc : Mc 1,8). C’est un don que Dieu nous donne.
-       Deuxièmement, cet Esprit c’est un Esprit filial, un Esprit d’adoption. En nous donnant son Esprit, Dieu fait de nous ses enfants (cf. Ga 4, 6-7). Il nous invite à le considérer comme « notre Père » et à vivre selon cet Esprit d’amour, de don et de gratuité qui le caractérise.
-       Enfin, l’apôtre nous dit que cet Esprit nous rend libre… qu’il nous permet de ne pas nous comporter comme des esclaves (en voulant vivre et nous réaliser par nous-mêmes, par nos seules forces, comme des êtres indépendants, auto-suffisants et tout-puissants), ni comme des être humains conduits par la peur (par la peur d’échouer ou de rater… par la peur de perdre ou de manquer), mais que cet Esprit nous permet de vivre libre, en plaçant notre confiance à l’extérieur de nous-mêmes, en Dieu, qui nous propose de nous conduire et de nous guider dans notre existence, comme ses enfants (cf. Rm 8, 12-17 ; Ga 5)… comme un berger qui prend soin de son troupeau (cf. Ps 23) et qui porte attention à chacun… à chacune de ses brebis (cf. Lc 15 ; Jn 10), pour reprendre une image biblique.

De manière plus simple encore, on peut comprendre cette idée de « baptême d’Esprit saint », à travers la signification du mot « Esprit ».
L’Esprit saint est une des façons dont Dieu agit dans le monde et en nous. En hébreux, le mot « rouar » veut dire « souffle, air, vent ». Et quand le vent souffle, nous le ressentons comme une pression d’air qui s’exerce sur nous ou, par exemple, sur les branches d’un arbre ou les voiles d’un bateau.

Le Saint Esprit, c’est le vent, le souffle de Dieu… c’est, à la fois, une pression que Dieu veut exercer sur nous… une pression susceptible de nous fait avancer… et un grand bol d’air, un souffle nouveau qu’il nous offre, pour nous permettre de respirer et d’inspirer… pour nous donner l’inspiration, pour nous permettre d’inventer, de créer, d’agir de façon nouvelle dans notre existence.

On le voit très bien dans ce qui se passe avec Jésus juste après son baptême :
Au moment de son baptême – nous dit l’évangéliste Marc – Jésus reçoit l’Esprit saint, figuré ici par une colombe. Dès lors, il est déclaré « fils bien aimé » de Dieu… il est reconnu comme le représentant, le mandataire par qui Dieu va agir… il est présenté comme « le porteur de l’Esprit de Dieu », c’est-à-dire, comme celui en qui Dieu se rend présent et agissant dans le monde, pour le salut des hommes.

Or, dès que Jésus se trouve animé par l’Esprit de Dieu, voilà que cet Esprit le pousse au désert. C’est là qu’il est mis à l’épreuve de Satan (cf. Mc 1, 12-13).
Autrement dit, aussitôt après son baptême, l’Esprit de Dieu exerce une pression sur Jésus, pour qu’il agisse et, d’une certaine manière, pour qu’il fasse ses preuves face aux pressions exercées par le Satan… un personnage « mythique », qui représente l’adversaire de Dieu et des humains.

Alors, bien sûr, on peut s’étonner que Dieu, par son souffle (son Esprit saint) veuille nous guider et exercer sur nous une pression… dans l’espoir que nous entrions davantage dans son projet de sauver l’humanité de ses mauvais démons. Mais, en réalité, Dieu n’est pas le seul à exercer une telle pression.
Autour de nous, de nombreuses voies, dans le monde, tentent de nous influencer, de guider nos préoccupations et nos désirs dans un sens ou dans un autre… et généralement, ce n’est pas dans le sens des valeurs de l’Evangile.

Beaucoup, dans notre société post-moderne, sont réticents à l’égard de la religion. Et, sans doute, verraient-ils d’un mauvais œil cette idée que Dieu veuille ainsi nous influencer, par son Esprit.
Pourquoi – demandent-ils – si Dieu existe, ne respecte-t-il pas notre liberté ?
Mais, il ne faudrait pas nous faire trop d’illusion sur ce que nous appelons « notre liberté ».

En réalité, de tous côtés, nous sommes déjà l’objet de tentatives constantes de manipulations :

- Soyons assurés, par exemple, que la publicité a minutieusement étudié les réactions psychologiques des acheteurs potentiels que nous sommes, et qu’elle sait fort bien quelles ficelles tirer, pour nous faire pencher et réagir dans le sens souhaité… pour nous inciter à consommer tel ou tel produit.

- Le discours politique, quant à lui, sait user de techniques de « communication », pour noyer le poisson. En général, il ne nous fournit jamais les éléments essentiels d’un dossier, susceptibles de nous permettre de nous forger un jugement personnel fondé. Il pratique le plus souvent le jeu des demi-vérités. Et il a tendance à monter en épingle tel événement, pourtant complètement secondaire, pour ne pas avoir à parler des vrais problèmes… des questions qui fâchent… et qu’on préfère garder à l’abri des regards indiscrets.
Qui parle aujourd’hui, de façon crédible, d’alternative possible à notre système néo-libéral en crise permanente ?
Qui parle aujourd’hui sérieusement du problème du travail, de l’innovation, de l’écologie ?
Qui parle aujourd’hui de l’intérêt général… sans se soucier de la pression de tel ou tel groupe de lobbies ou de sa prochaine réélection ?
Où se trouve le courage politique ?

- Quand aux médias, sensés nous informer, ils préfèrent ne pas trop donner la parole à ceux qui dérangent… qui posent les bonnes questions… ou qui tentent d’innover. Ils s’arrangent plutôt pour focaliser l’attention des lecteurs ou téléspectateurs, sur un fait divers ou un événement sportif, peut-être brillant, mais sans lendemain et donc sans influence sur l’avenir de notre monde, de sorte qu’on n’aille pas s’intéresser de trop près à ceux qui sont responsables – et qui font de nous des complices et des victimes – de la crise économique et financière, de la pollution galopante, des paradis fiscaux et d’autres réalités scandaleuses… pour ne pas nuire aux intérêts des plus puissants. 

L’esprit de parti – ou l’esprit de clan – sans parler du fanatisme des intégristes de tout poil : voilà encore des pressions, auxquelles il peut être difficile – et même dangereux – de résister.
Alors, qu’on ne parle par trop facilement de « notre liberté » que Dieu viendrait menacer, en exerçant sur nous une pression, en nous insufflant son Saint Esprit.

Au contraire… il faut accueillir comme une grande et bonne nouvelle cette promesse de Jean Baptiste qui va prendre corps avec l’arrivée de Jésus… avec l’arrivée du Messie qu’il annonce : « lui vous baptisera – vous plongera – d’Esprit saint » (cf. Mc 1,4).
Il y a là une promesse : celle que Dieu nous donne son souffle, pour nous permettre de résister aux pressions néfastes… aux pressions mortelles pour notre humanité… car elles font obstacle au plan de Dieu pour sauver notre monde.

Précisément… la pression que Dieu promet d’exercer sur nous par le saint Esprit ne vient pas s’ajouter à toutes celles qui pèsent, parfois insidieusement, sur nous. Elle vient, au contraire, les compenser… nous permettre d’y résister victorieusement… pour nous en libérer.
Comme le dit l’apôtre Paul, loin de menacer notre liberté, l’Esprit que Dieu nous offre – son souffle – vient, au contraire, nous rendre cette liberté… en vue d’accomplir le projet de Dieu.
Car… ce que nous révèle l’Evangile, c’est que Dieu a formé un plan pour l’humanité. Il veut sauver le monde de ses mauvais démons… (en particulier, de la quête incessante d’avoir et de pouvoir qui pourrit notre monde).

Grâce à cette douce pression qu’il a choisi d’exercer sur nous par le Saint Esprit, nous sommes enfin libres : libres de ne plus baisser les bras… de ne plus nous laisser dissuader, décourager ou empêcher de nous engager davantage et plus efficacement au service de ce plan de Dieu.

* Alors – me direz-vous – si Dieu a un tel projet… comment le savoir ? Comment le connaître ? Quel est-il ?

Ce projet de Dieu pour l’humanité, Jésus l’appelle « le Royaume » … « le règne de Dieu ». Et il nous appelle à y entrer, à y participer, ici et maintenant.

A ce sujet, l’évangéliste Marc – qui nous raconte le baptême de Jésus – nous dit une chose étonnante : c’est que le règne de Dieu s’est approché grâce à Jésus.
Il nous révèle que là où souffle l’Esprit de Dieu, là où il s’incarne concrètement … là aussi, le règne de Dieu s’accomplit, il prend chair, de façon visible.

Et ce matin, je voudrais finir notre méditation avec ce point important que formule Marc, comme une sorte de résumé du message de Jésus : « le Règne de Dieu est devenu tout proche. Changez de mentalité, croyez à la bonne nouvelle » (cf. Mc 1, 15).

Le règne de Dieu… qu’est-ce que c’est au juste ? Quelle image avons-nous de ce Royaume ?

A mon sens… il faut tout de suite dire que l’idée que nous en avons… ou l’image que la religion nous en a donné…  – on pense, peut-être, au royaume de Dieu, comme une réalité future (post-mortem), comme un avenir heureux où les difficultés seront résolues, les injustices réparées et les deuils effacés… ou, peut-être, comme une utopie – … toutes ces idées risquent de ne pas correspondre à ce qu’annonce Jésus. Et cela pour une simple et bonne raison, c’est que nous avons la fâcheuse tendance à repousser, à plus tard dans le temps, les exigences qui nous viennent nous interpeller, nous bousculer et nous déranger.

Or, ce que Jésus cherche à nous faire saisir justement – lorsqu’il annonce que le règne de Dieu est proche – c’est que ce monde nouveau n’est pas pour plus tard, pour je ne sais quel ailleurs, mais pour ici et maintenant.
C’est précisément la bonne nouvelle que Marc nous annonce dès le début de l’évangile :
Avec l’apparition de Jésus sur notre terre, quelque chose de nouveau est désormais à proximité de nous, à portée de main (si j’ose dire)… accessible dans l’espace de notre vie.
Il s’agit d’une réalité à laquelle il nous appelle à prendre part, dans laquelle il nous invite à « entrer » sans attendre.
Il suffit pour cela de nous y engager… de faire un pas à la suite de Jésus.

En lisant l’évangile… nous découvrons qu’entrer dans le règne de Dieu n’est pas une récompense pour plus tard, pour après notre mort. Y entrer est un engagement que l’on prend.
On s’aperçoit également qu’on y entre pas non plus par intérêt personnel, pour « être sauvé » (comme on dit), ou parce qu’on a peur de la mort. Mais, on y entre parce qu’on a découvert que là seulement est le salut pour notre monde, tant il est vrai qu’il n’y a de salut pour nous, sans salut pour les autres humains.

Enfin, l’évangile nous apprend que pour découvrir le règne de Dieu… il suffit, en réalité, de regarder Jésus et de l’écouter parler…. Et nous en voyons des traces, des signes, des témoignages tout au long de l’évangile :

Que pouvons-nous en dire ?

- En voyant Jésus purifier un lépreux ou délivrer un possédé[2], on découvre que dans le Règne de Dieu les exclus sont réintégrés dans la communauté humaine et que les relations humaines rompues sont rétablies.
- En voyant Jésus accueillir le paralysé de capharnaüm descendu de son brancard par ses amis à travers le toit, on découvre que dans le Règne de Dieu tout commence par le pardon et la confiance.
- En voyant Jésus faire appel à Lévi pour qu’il devienne son disciple, lui le ramasseur de taxes, qui faisait partie des gens infréquentables, des parias…  on découvre que dans le Règne de Dieu le droit à la différence est pleinement reconnu. Chacun y a sa place s’il le veut.
- En écoutant Jésus dialoguer avec la femme syro-phénicienne, on découvre que les frontières de nationalités, de races, de religions, de sexes ont perdu toute signification dans le Règne de Dieu.
- En voyant Jésus organiser la distribution des cinq pains et deux poissons à la foule assise en ordre sur l’herbe verte, on découvre qu’un des maître mot du Règne de Dieu est « le partage ».  - Etc…

Alors, la question que se pose à nous… lorsque nous découvrons que cette réalité du règne de Dieu (du monde nouveau de Dieu) est à l’envers des habitudes, des convictions et des pratiques de ce monde… est de savoir comment nous allons réagir ?
Que faisons-nous de l’appel que Jésus nous adresse à y entrer ? à y participer ?
Est-ce que nous croyons vraiment que Jésus a raison, contre la conviction d’innombrables générations qui ont toujours prôné la réciprocité et le donnant-donnant… qui ont cru dur comme fer à la loi du plus fort et à l’efficacité de la violence… qui ne tolèrent pas le droit à la différence ?
Contre ces convictions ancestrales et viscérales qui nous sont tous les jours enseignées par le spectacle du monde, est-ce que nous croyons vraiment que c’est Jésus qui a raison ?
Pour lui, en tout cas, le message du Règne de Dieu était vraiment l’Evangile, LE message dont le monde avait le plus urgent besoin pour être sauvé de ses démons.

Frères et sœurs… chers amis… si nous poursuivions notre enquête dans l’évangile, nous verrions comme il est difficile d’accueillir véritablement ce message dans notre existence (cf. Mc 10, 17-31)… d’oser changer de mentalité et de comportement dans un monde orienté par d’autres dieux : par la course à l’avoir et au pouvoir.
Pourtant, c’est bien ce message, cette bonne nouvelle, que Jésus nous offre ce matin.
Et pour nous aider à entrer dans cette nouvelle mentalité du règne de Dieu… l’Evangile nous rappelle que nous ne sommes pas seuls, que Dieu nous donne son souffle, son Esprit… afin de venir exercer sur nous, et en nous, une pression favorable… afin de nous permettre d’ouvrir notre demeure – notre vie et notre cœur – à son amour… pour nous transformer… pour nous faire entrer pleinement dans son projet, son plan de salut pour tous les hommes. 

Dans un instant… nous allons nous réunir autour de la table du Seigneur. Nous allons partager le pain, geste combien significatif du monde nouveau de Dieu. Et nous allons lever la coupe à la victoire finale de ce Règne. Nous confesserons ainsi que nous sommes ensemble solidaires du monde nouveau de Dieu que Jésus est venu semer avec espoir dans notre humanité.

Dans ce moment de communion… gardons en mémoire cette parole et cet appel du Seigneur qui nous donne son Esprit d’amour :
Le règne de Dieu est devenu tout proche… Changez de mentalité… Croyez à la bonne nouvelle.

Amen.



[1] Bien sûr, nous n’avons pas connaissance du détail de la prédication de Jean le Baptiste. Il s’agit là d’une supposition qui s’appuie sur les récits évangéliques et le lien que fait, par exemple, Matthieu entre la prédication de Jean Baptiste et Jésus (cf. Mt 3, 2 & Mt 4, 17) qui appellent tous les deux à la même attitude : « convertissez-vous : le règne de Dieu s’est approché ».
[2] Comme de possédé de Gérasa qui était habité par un régiment de démons. 

dimanche 4 août 2013

Mt 9, 1-8


Mt 9, 1-8
Lectures bibliques : 1 Jn 4, 7-9.16b.18-21 ; Mt 18, 15-18 ; Mt 9, 1-8
Thématique : une autorité qui libère du péché et de la peur / Libérés pour libérer
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Marmande, le 04/08/13.

* Qui a le pouvoir de pardonner les péchés ?
Voilà une question très sérieuse posée à Jésus, face à un homme paralysé sur une civière et à un groupe de religieux – de scribes – qui pensent que ce pouvoir n’appartient qu’à Dieu… qu’il relève d’une prérogative divine.

Tout le passage vise à démontrer qu’il n’en est pas seulement ainsi… qu’en réalité il appartient à l’homme (à l’homme préoccupé par le règne de Dieu et sa justice (cf. Mt 6,33)… à l’homme qui agit au nom du Christ (cf. Mt 10, 1) ou de l’Esprit saint (cf. Mt 12,20 ; Jn 20, 22s)) de remettre le péché d’autrui au nom de Dieu.
Le pardon des péchés n’est pas la chasse gardée de Dieu au ciel. Sur la terre, ce pardon peut aussi être prononcé et donné… et il est tout aussi complet, tout aussi valable, que celui que Dieu accorde au ciel (cf. Mt 18, 18).

La conviction de Jésus, c’est que Dieu délègue ce pouvoir à ses enfants. Il permet à chacun de délier autrui du poids de son péché, du poids de sa dette, d’une culpabilité, capable de l’enfermer, de le réduire et même de le paralyser.

Pour comprendre ce passage de l’Evangile, il faut se souvenir qu’en hébreux, le mot « péché » veut dire « rater sa cible ». Il s’agit avant tout d’une faute relationnelle (vis-à-vis de soi-même, de Dieu et des autres), avant d’être une faute morale.
Et il faut resituer ce récit dans le contexte de l’Ancien Testament et du Judaïsme.
La pensée du Proche Orient Ancien opère un lien, une association entre péché et maladie[1].

Aujourd’hui, ce mode de pensée peut nous choquer, car, bien évidemment, nous savons que ce lien peut être contestable.
Si j’attrape, par exemple, le virus de la grippe ou un staphylocoque, ou si je nais avec une maladie génétique ou auto-immune, cela n’a rien à voir avec la notion de péché, avec une faute relationnelle.

En même temps, on ne peut pas rejeter complètement cette manière de penser qui s’intéresse à l’homme dans sa globalité (dans son rapport à lui-même, aux autres et au monde), sans limiter la notion de santé (ou de maladie) au registre physique ou physiologique.
S’il n’existe pas de lien systématique entre péché et maladie, l’association « péché-maladie » (et donc « pardon-guérison ») peut parfois s’avérer juste dans certaines situations :
Par exemple, à la suite d’une faute relationnelle grave (dont je suis responsable ou dont je suis victime), il se peut que je développe un fort sentiment de culpabilité ou même une maladie psychosomatique.
Le péché, en tant que cause, peut avoir des conséquences sur mon mode de vie et mes représentations. Il peut conduire à une maladie, en tant qu’effet : à la dépression, au développement d’une pathologie ou d’un comportement mortifère.

Autrement dit… la conception du Judaïsme du 1er siècle, c’est que le péché est une puissance capable d’asservir l’homme au point de le paralyser… qu’il peut être la cause d’une maladie… et qu’il est plus difficile d’éliminer la cause (le péché) que de soigner les symptômes, les effets (que constitue la maladie).

En effet, pour les scribes, l’homme ne peut pas remettre le péché, il ne peut pas s’en libérer par lui-même. Il appartient exclusivement à Dieu de pouvoir le faire. Le pardon est un acte de Dieu. Cela signifie que l’homme ne peut agir que sur les conséquences, les symptômes de la maladie.
Et c’est la raison pour laquelle les Juifs religieux du temps de Jésus pensent que celui-ci blasphème, qu’il emploie le nom de Dieu en vain, en osant pardonner au nom de Dieu… en s’arrogeant une autorité (celle de remettre les péchés) qui n’appartient qu’à Dieu (cf. Mc 2, 7).

Mais Jésus conteste cette manière de penser notre relation à Dieu. Il veut montrer que Dieu – pour faire advenir son règne… son royaume d’amour, de justice et de paix, sur terre – délègue aux hommes cette autorité… qu’il leur donne la possibilité d’opérer des guérisons (cf. Mt 10, 1) et de pardonner les péchés (cf. Mt 9, 8 ; Mt 18, 15-35), c’est-à-dire d’en libérer autrui, en les remettant, en les écartant, en tournant la page une bonne fois pour toutes.[2]  

Pour démontrer le bien fondé de cette conviction, Jésus opère un renversement :
Pour lui, il n’est pas plus difficile de dire à un homme « tes péchés sont pardonnés » que de le guérir et de lui dire « lève-toi et marche ». Au contraire, il est plus difficile d’opérer une guérison et de dire « lève-toi et marche », car une telle affirmation doit être suivie d’effet et être immédiatement constatable aux yeux de tous, tandis que dire « tes péchés sont remis » reste une affirmation indémontrable et invérifiable.

En opérant une démonstration a fortiori, Jésus part du plus difficile pour aller au plus facile… « qui peut le plus peut le moins » :
S’il est capable de dire au paralytique « lève-toi et marche » et que cela se réalise vraiment, d’autant plus aura-t-il montré qu’il a aussi l’autorité de remettre les péchés.

Et c’est précisément ce qui se passer dans ce récit de guérison. Jésus adresse à l’homme couché la parole la plus difficile à dire : « lève-toi, prends ta civière et va dans ta maison ». L’homme se relève et obéit.
Ainsi, il montre que sa parole initiale : « confiance , mon fils, tes péchés sont pardonnés » (cf. Mt 9, 2) était adéquate et n’avait rien de blasphématoire… contrairement à ce que croyaient les scribes.

Le fils de l’homme – et ici l’expression ne désigne pas seulement Jésus (v.6), mais l’Homme / l’être humain en général (v.8)… tout individu en tant que fils de Dieu, en tant que disciple du royaume, de cette humanité nouvelle que Jésus est venu susciter – a cette capacité : Dieu lui donne cette faculté, cette autorité de remettre aux autres leurs péchés… et ainsi de s’attaquer à la cause présumée du mal, afin d’en délivrer autrui.

C’est sur ce point que se conclut le passage :
En transmettant aux apôtres le pouvoir d’accomplir des guérison (cf. Mt 10,1), Jésus étend aussi à l’ensemble des disciples l’autorité des prêtres, l’autorité sacerdotale d’être ministre de la miséricorde de Dieu, qui remet les péchés (cf. Mt 16, 19 ; Mt 18, 18 ; Jn 20, 19-23).
(C’est ce que les Réformateurs ont très bien perçu avec la notion de « sacerdoce universel » qui reconnaît que cette mission incombe à tous – aux laïcs – et pas seulement à une classe de clercs.)
Chacun est appelé à imiter Dieu (cf. Mt 5, 45.48), à agir en son nom, en faisant preuve de miséricorde et en soulageant l’autre du poids de son péché, de sa dette, de sa culpabilité… de tout ce qui pèse sur lui et qui risque de l’enfermer dans son passé.

Ainsi, en remettant à autrui son péché, Jésus appelle ses disciples à faire de même, à faire œuvre de libération, à permettre à chacun de reprendre le chemin d’une vie nouvelle, vivante et libre, sous le regard de Dieu.

* Par ailleurs, un autre aspect important concernant la guérison et le péché peut être relevé dans ce passage de l’évangile :
Il est intéressant d’observer la manière dont Jésus s’y prend avec cet homme paralysé. En s’adressant à lui, il le rend actif et le renvoie à lui-même.

Premier aspect, premières paroles : « courage, fils, tes péchés sont remis ».
Nous ne connaissons pas la cause de la paralysie de l’homme, mais ce que nous pouvons constater c’est que la parole que lui adresse Jésus – que Matthieu traduit avec le verbe grec tharseô à l’impératif : « aie courage ; aie confiance ; ne crains pas !  » – l’invite à un changement d’attitude existentiel.

Jésus ne s’intéresse pas d’abord aux symptômes de la maladie, il ne cherche pas à en soigner les manifestations physiques, mais, de façon globale, il appelle l’homme à une conversion, à un changement de comportement… à apprivoiser ce qui le paralyse : la peur.

Précisément, le mot qui traduit cet appel au « courage » et à la « confiance » vient nous révéler que sa paralysie est avant tout le symptôme d’une peur, d’une angoisse fondamentale.
Symboliquement, la paralysie est souvent liée à la peur, et la peur renvoie à de fausses bases, à une conception erronée de la vie.

Tout au long de l’évangile – comme dans le récit qui précède de peu notre passage : celui de la tempête apaisée (cf. Mt 8, 23-27) – Jésus ne cesse de s’étonner que les disciples aient peur, qu’ils manquent de foi, de confiance en Dieu.
C’est peut-être là le péché fondamental de cet homme paralysé : il vit enfermé dans la peur.

D’ailleurs, cela rejoint la signification du mot « péché », qui veut dire (comme je le rappelais) : « manquer son but », « vivre à côté de soi-même »… en d’autres termes : « être à côté de la plaque » par rapport à sa véritable humanité.
Et il y a au moins deux manières de vivre à côté de soi-même :
- Vivre sans Dieu, sans préoccupation ultime, sans personne à qui se fier…
- Prendre la place de Dieu… en faisant de soi le centre de la réalité, le centre de son monde…
Dans les deux cas, cela revient à mettre toute la pression de la vie sur ses seules épaules… dans l’angoisse et la peur de ne pas parvenir à tout maîtriser ou d’échouer… car, bien évidemment, l’homme n’est pas un être autonome, autosuffisant et tout-puissant. Et une vie vécue dans la stricte indépendance – sans confiance – le condamne, en réalité, à l’inquiétude… à l’angoisse incessante de l’échec.

Dans notre monde d’aujourd’hui, comme dans celui de Jésus, de nombreux individus vivent immobilisés, paralysés par la peur : peur de souffrir ou simplement de vivre et d’aimer, parce qu’ils ont vécus des expériences douloureuses ou traumatisantes ; peur de l’échec, parce qu’ils pensent qu’ils n’ont pas le droit à l’erreur… parce qu’ils ont vécu sous la pression de leurs parents ou sous celle la société, dont l’injonction est la réussite et la rentabilité.
Il faut toujours être parfait et fort. Il faut être le premier, le meilleur.
L’individu ne doit jamais avoir ni inhibitions, ni blocages. Il ne doit jamais trembler… avoir ni failles, ni fragilités.

En bref… les expériences douloureuses, comme les fausses attentes démesurées, peuvent nous enfermer dans la peur et paralyser notre désir et notre capacité à vivre débout… à avancer et à inventer, au fur et à mesure des rencontres de l’existence.

Pour surmonter cette fausse conception de la vie, qui enferme l’individu à côté de lui-même, à côté de sa réalité d’être humain faillible et fragile, Jésus invite ses auditeurs, et plus particulièrement ici cet homme paralysé, à se réconcilier avec la fragilité et l’imperfection qui sont inhérentes à la réalité humaine.

En appelant l’homme à la confiance et au courage (au courage de vivre avec ses fragilités) et en lui remettant ses péchés, Jésus l’invite à changer de comportement, à réviser sa manière de voir. Il l’appelle à quitter toutes ses peurs, pour s’en remettre à un Autre… pour se confier au Dieu de Moïse, au Dieu de Jésus Christ… à Celui qui nous libère aussi bien du péché, que de l’illusion de la perfection.

Sous le regard bien aimant de Dieu, il n’y a plus de peur et de crainte à avoir (cf. 1 Jn 4, 18). Le Dieu miséricordieux nous fait grâce… il nous délivre de la peur, du poids de notre passé, de notre péché, de nos échecs, comme de notre volonté de tout maîtriser… il nous libère des fausses conceptions de la vie et de nous-mêmes, pour nous remettre debout et en marche.

Ainsi libéré par l’amour et le pardon de Dieu, l’homme peut s’appuyer sur un Autre que lui-même. Il peut non seulement se relever, vivre debout, mais aussi porter sous son bras son brancard (son grabat) – le symbole de ses paralysies – pour rentrer chez lui et vivre une vie nouvelle, dans l’assurance de pouvoir se reposer sur Dieu… d’avoir un berger, un guide, pour l’aider à conduire sa vie (cf. Ps 23).

* Il me semble… chers amis, frères et sœurs… que c’est ce que nous pouvons retenir de ce passage de l’Evangile :

Tout comme le paralysé, il nous arrive souvent de vivre dans la peur (peur de l’échec, peur de manquer, peur de lâcher prise, peur perdre, peur de souffrir, peur de se faire avoir, peur d’aimer,…).

C’est bien ce qui paralyse notre monde d’aujourd’hui… qui l’empêche d’inventer de nouveaux modèles de vie… et qui retient nombre de nos contemporains dans le désespoir : la peur de changer, la peur de s’ouvrir à la nouveauté, la peur d’innover.

Si nous cessions de vivre dans la peur… nous pourrions changer de mentalité… et commencer par vivre des vraies relations… des relations plus authentiques, plus fraternelles avec nos proches, notre famille, nos collègues, nos voisins, nos connaissances….
Nous pourrions aussi changer de mentalité face à l’argent, face à l’avoir et au pouvoir. 
Nous pourrions cesser de garder nos points fermés et nos portes closes, cesser de vouloir accaparer et posséder, dans la crainte de perdre ou de manquer… cesser de nous scléroser dans des comportements méfiants vis-à-vis d’autrui.

Face à ce constat… face à cette peur fondamentale (peur de l’inconnu, de l’autre, de la vie) qui nous paralyse… Jésus ne nous propose pas de guérison surnaturelle… mais il nous renvoie à nous-mêmes, avec un impératif… un petit mot qui change tout : « courage » !« confiance » !

« Confiance »… nous dit-il… « confiance » !… tu es aimé de Dieu… Dieu te fait grâce, il te pardonne, il te relève…
Désormais, tu n’as plus rien à craindre… tu appartiens à un Autre… ton nom est écrit sur la paume de la main de Dieu… et tout ce qui t’éloignait de lui, des autres et de toi-même, tout cela, il le balaie… il l’écarte du revers de son autre main… il ne s’en souvient plus…
Lève-toi et marche… vis avec tes failles et tes fragilités… tu n’es pas seul, Dieu t’apprendra à les surmonter… « courage » !  « confiance » !
Désormais, tu es libre… libre de te savoir aimé, sans condition… libre d’aimer aussi, gratuitement… libre, pour vivre dans la foi et pour libérer, à ton tour, tous ceux que tu rencontreras sur ta route !
Libéré par Dieu (pardonné et sauvé), tu es appelé, toi aussi, à libérer autrui au nom de Dieu… à prendre part, ici-bas, sur terre, au règne de Dieu.

Amen.




[1] A titre d’exemple, on retrouve cette idée dans le discours des amis de Job.
[2] Il s’agit donc ici à la fois d’un récit de guérison et d’une controverse. La polémique avec les scribes porte sur cette autorité divine qu’aurait le Fils de l’homme – et avec lui, la communauté des disciples (cf. Mt 9,8 ; Mt 18,18) – pour libérer l’homme de la puissance du péché, sans la médiation de la Loi et du Temple. Ce qui revient, en conséquence, à mettre en cause la pratique officielle des sacrifices et même la notion d’expiation sacrificielle, en cours dans le judaïsme du 1er siècle (jusqu’en 70, date de la destruction du temple… et reprise autrement, à travers l’interprétation de la Croix, par l’orthodoxie chrétienne). / Voir aussi la citation d’Osée 6,6 en Mt 9,13.