dimanche 19 janvier 2014

Mt 22, 1-10 - Lc 14, 15-24

Lc 14, 15-24 / Mt 22, 1-14
Lectures bibliques : Lc 14, 15-24. 25-27.33 ; Mt 22, 1-14
Thématique : quand la grâce appelle notre réponse et notre adhésion
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Marmande, le 19/01/14

* « Heureux celui qui prendra part au repas dans le Royaume de Dieu » (cf. Lc 14,15)

Cette introduction de la parabole des invités au festin en dit long sur notre façon de comprendre le message de Jésus aujourd’hui encore – ou plus exactement – sur notre manière de ne pas vouloir l’entendre.

L’homme qui partage son pain avec Jésus imagine le Royaume comme une réalité future… dans un ailleurs… un domaine privé, réservé à quelques-uns.

Or, à travers une histoire insolite, Jésus lui répond qu’il fait erreur… que le Royaume c’est déjà « maintenant ».

Jésus – par sa Parole et sa personne – vient rendre manifeste ce Royaume. Il est là… il est accessible, dès aujourd’hui… dès que l’invitation retentit.

Il nous rappelle que l’invité, c’est toi, c’est moi, c’est nous… que nous sommes tous conviés… appelés, dès maintenant, à prendre part à cette nouvelle réalité… à ce règne de Dieu sur/dans nos vies.
Car il ne s’agit pas d’un lieu, ni d’une époque, mais plutôt d’une modification complète de notre existence, de notre manière de penser et de vivre.

* Pour nous dire cela, Jésus raconte une parabole des plus extravagantes :
Un maître de maison a un projet : organiser un festin et inviter ses amis. Mais, tous les invités se récusent les uns après les autres. Devant leur refus de venir, le maître se met en colère.
Dès lors, il n’abandonne pas son projet, mais décide de l’élargir. Il choisit d’ouvrir sa table à d’autres invités, plus nombreux et différents de ceux qu’il avait initialement appelés.

Il y a au moins deux bonnes nouvelles dans cette parabole :
- la 1ère, c’est l’attente et la persévérance du maître. Malgré le refus des premiers invités, le maître ne se décourage pas. Bien au contraire, il rebondit sur leur refus, pour élaborer un nouveau projet… pour ouvrir le festin à d’autres invités pour le moins inattendus : des pauvres, des estropiés, des aveugles, des boiteux.
- La 2ème bonne nouvelle, c’est justement l’identité des convives. Ceux qui sont habituellement oubliés ou exclus de la vie sociale et religieuse… les laissés-pour-compte du fait de leur état (pauvreté, handicap, maladie, impureté)… sont désormais invités et accueillis. Jésus montre ainsi ce qui caractérise la joie du royaume : chaque événement qui abat les frontières… qui crée des contacts, des liens, de la solidarité… chaque situation où des personnes sont accueillies, reçues, pardonnées, aimées, de façon inconditionnelle… chaque situation où des personnes se rapprochent et s’entraident… sont des temps de fête.
Chacun est invité à prendre part à la communion du royaume, quelle que soit sa situation personnelle… ses qualités, ses différences.
Comme le dit l’apôtre Paul (cf. Ga 3, 28), il n’y a plus ni pauvre ni riche, « ni homme ni femme », « ni Grec ni Juif », ni malade ni bien-portant. Il n’y a plus que des invités au grand festin offert par le maître.

* Mais la parabole nous en dit plus. Derrière ces bonnes nouvelles – qui font résonner la grâce de Dieu qui s’offre à tout être humain et l’appel adressé à chacun – les évangiles nous laissent également entendre deux choses, deux exigences :

-      la 1ère relève de l’écoute, de notre capacité de répondre à l’appel (cf. Lc 14, 15-24).
-      La 2nde de l’engagement, de notre aptitude à nous accorder à l’appel du maître, en revêtant le vêtement adéquat… celui que Dieu attend de nous : la justice (cf. Mt 22, 1-10).

Regardons cela à travers les deux récits évangéliques :

* Si on relie la parabole de Luc avec ce qui suit dans son évangile (cf. Lc 14, 25-27.33), on s’aperçoit vite qu’il est question de notre liberté et de nos choix de vie :

Quelle réponse allons-nous apporter à la grâce de Dieu ? Quelle écoute, quelle attention et quelle disponibilité sont les nôtres face à l’appel qu’il nous adresse ?

Il est question de priorités et de préoccupations :
Les premiers convives ont été appelés, mais se sont dérobés pour différentes raisons. Leurs préoccupations mondaines (d’ordre pratique, économique, social ou conjugal) sont passées avant la préoccupation du Royaume.
Ne réalisant pas l’importance et l’urgence qu’il y avait à répondre à l’appel du maître, ils ont refusé son invitation, en s’excusant.
Ils se sont sans doute dit qu’ils pourraient bien y répondre plus tard. Ce n’était pas leur préoccupation du moment.

Or – dans le discours qui suit la parabole – Jésus précise qu’être disciple, implique justement d’oser quitter… d’accepter de renoncer à… nos préoccupations les plus élémentaires, les plus immédiates… pour se laisser orienter vers une préoccupation plus déterminante – une préoccupation ultime – : marcher à sa suite.
C’est ce que Matthieu résume ailleurs dans son évangile par la phrase suivante : « Cherchez d’abord le royaume et la justice de Dieu, et tout [le reste] vous sera donné par surcroit » (cf. Mt 6,33 // Lc 12, 31).

La question en jeu est celle de nos priorités… de notre « préférence » (cf. Lc 14,26), pour reprendre ce que dit Jésus : Le préférer, lui et son chemin, à tout autre chose.[1]

En d’autres termes… la réponse à l’invitation posée par le maître, relève d’un choix :
« Choisir » implique de distinguer, de discerner, d’établir des priorités, de hiérarchiser… et par là-même, de renoncer à ce qui est second, pour s’orienter vers l’ultime.

Jésus précise qu’il ne s’agit pas là seulement de quelque chose d’important – d’essentiel – mais d’une réalité urgente.
Il y a, en effet, une urgence à répondre à l’invitation que Dieu nous adresse pour entrer dans son règne, pour y prendre part, pour en être les invités et les artisans.  

Si nous voulons que les choses changent autour de nous… si nous voulons que notre monde (traversé par tant de misères, de convoitises et d’injustices) se transforme, qu’il soit salé au gout de l’Evangile… nous ne pouvons plus attendre, nous dérober, nous excuser, renvoyer notre participation à plus tard… en vue d’un hypothétique lendemain… d’un royaume post-mortem.

Evidement… comme les personnages de la parabole, on aurait – encore au 21e siècle – sans doute chacun de bonnes raisons – de bonnes excuses – pour repousser une fois de plus son invitation :
« Je ferai ça quand j’aurais le temps… je m’en occuperai quand je serai à la retraite… quand j’aurai réglé mes affaires courantes… celles qu’en réalité, on n’a jamais fini de régler ni dans le présent ni dans le futur… car il a toujours à faire ».

Mais, le problème crucial, pour nous auditeur de l’Evangile, c’est que Jésus parle d’un Royaume pour ici et maintenant !
Et c’est la raison pour laquelle, il appelle tous ceux qui désirent le suivre à se positionner, à répondre dans le présent :
Le repas est prêt, l’invitation est lancée. Le dîner ne peut plus être reporté.
Jésus a besoin de nous, dès aujourd’hui, pour faire entendre la Bonne Nouvelle de son Evangile… pour propager la nouvelle mentalité et les valeurs du Royaume.

Alors, bien sûr… on peut toujours entendre dans notre passage une sorte de menace pesante, destinée à nous persuader : Il y aurait, pour chacun, un risque à refuser ou à différer l’invitation, car la fête aura quand même lieu. Elle aura lieu de toute façon… avec ou sans nous… Mais avec et grâce à tous ceux qui répondront.

Quoi qu’il en soit, la question n’est pas là. Jésus nous appelle… et c’est là l’essentiel !
Il veut que la maison soit pleine. Il veut que nous fassions partie des convives, pour gouter à la joie de la fête.

Dans notre société contemporaine où règne, à la fois, un certaine indifférence (chacun s’occupant de ses propres problèmes) et une explosion de la communication via Internet, les Médias et les réseaux sociaux (ne permettant plus réellement de dégager l’essentiel, de l’accessoire et du superflu), il est important de prendre le temps d’écouter et de réentendre l’appel que Jésus nous adresse :
Il souhaite vraiment que nous y répondions. Il demande notre participation active.
Jésus compte sur nous – sur ses disciples – pour participer à la réalisation du projet de Dieu… pour prendre part à ce règne de justice et de paix que Dieu veut pour les humains.
Et c’est la raison pour laquelle il invite avec insistance tous ceux qui entendent son message… tous ceux qui veulent le suivre.

* La 2nde exigence que nous laisse entendre l’évangile, c’est Matthieu qui la fait résonner, dans la mesure où il a ajouté une fin à la parabole, à travers l’histoire d’un homme qui ne porte pas de vêtement de noce.

Sans entrer dans le détail, il faut dire que le contexte où apparaît la parabole est très différent de l’évangile de Luc.
Matthieu utilise la parabole de Jésus comme une allégorie qui présente l’histoire du salut :
Un roi organise des noces pour son fils et envoie ses serviteurs pour convier ses invités. Le refus de ces derniers s’accompagne du meurtre à l’encontre des serviteurs (Cf. Mt 21,35 et 23, 37) provoquant la vengeance du roi, en particulier l’incendie de leur ville.
Cela fait bien sûr allusion au refus historique des prophètes (et de Jésus) par une partie du peuple Juif et à la destruction de la ville de Jérusalem.
Ce rejet inaugure alors l’ouverture du repas à d’autres convives (v. 10) – aux Païens – pour lesquels une robe de noce est exigée, faute de quoi l’accès à la salle de noces est interdit (v. 11-13).

L’histoire de cet homme expulsé du grand festin par le roi, parce qu’il n’a pas revêtu d’habit de noce, a fait couler beaucoup d’encre.
Pour tenter une interprétation, il faut se souvenir qu’à l’époque de Jésus, on vous donnait un bel habit pour vous vêtir à l’entrée de la noce (si vous n’en aviez pas). Ce n’est donc pas une question de moyens si l’homme ne l’a pas revêtu, contrairement aux autres convives.

En réalité, dans la Bible, le vêtement est un signe d’identité. Il révèle le statut d’une personne. Il exprime ce que l’on est, l’état d’esprit dans lequel on se situe.
Rappelez-vous, par exemple, ce qui se passe à la fin de la parabole dite « de l’enfant prodigue » (cf. Lc 15,11-32). Le premier réflexe du père, est de revêtir son fils cadet en haillons de sa plus belle tunique, pour manifester clairement qu’il est son fils et qu’il le reste.
L’apôtre Paul utilise aussi l’image du vêtement en ce sens, lorsqu’il parle de « revêtir le Christ » (cf. Ga 3,27 ; Rm 13,14 ; Ep 4,24 ; Col 3,10), comme pour exprimer l’adoption d’une nouvelle identité que nous recevons en Jésus Christ… en vivant en communion avec le Ressuscité.

Alors, on peut se demander ce que l’évangéliste veut ici exprimer à travers ce vêtement manquant.
En bon lecteur de l’évangile, vous avez sans doute remarqué que « la justice et les œuvres de justice » constituent une préoccupation dominante chez Matthieu (cf. Mt 5,6.10 ; 5,16-20 ; 6,33 ; 7,21-23).
Il est donc probable que l’habit de noce manquant à cet homme soit le symbole de la justice, de cette vie juste que le Seigneur veut nous donner par son Esprit et qu’il nous appelle à vivre et à mettre en pratique.

Au niveau de la parabole, cela signifierait que l’homme en question avait certes répondu à l’appel de Dieu, mais sans réellement en prendre la mesure, sans s’y engager, sans que cela ne change quoi que ce soit dans sa vie.

S’il n’a pas changé de vêtement, c’est précisément qu’il n’a rien changé, qu’il ne s’est pas laissé transformer par l’appel de Dieu, par sa grâce… que cela n’a finalement eu aucun impact dans son existence.
Il est finalement resté étranger à la fête des noces offerte pour le fils.

C’est justement ce que semble nous montrer Matthieu dans la suite de la parabole :
Quand le roi interroge l’homme sur sa tenue incorrecte, celui-ci reste muet, sans voix. Ce silence indique son incapacité à entrer en relation avec celui qui l’a invité.

S’il s’avère incapable de répondre quoi que ce soit, c’est vraisemblablement qu’il n’a rien compris au sens de l’appel du Seigneur… qu’il n’en a tiré aucune conséquence dans sa vie.
Il y a peut-être répondu, mais sans reconnaître le don qui lui a été fait… sans que cela ne modifie réellement quelque chose dans son existence et ses relations avec les autres… Autrement dit, sans prendre la grâce au sérieux.

Ce dernier élément de la parabole nous donne une information importante :
L’invitation de Dieu est certes gratuite et nous sommes invités à y répondre… mais elle est aussi exigeante[2] :

Répondre à l’invitation, ce n’est pas seulement dire « oui », c’est réellement s’y engager (cf. Mt 7, 21-23 ; 22, 28-32), c’est franchir un pas décisif qui nous ouvre à une nouvelle identité – celle de frères et sœurs de Jésus Christ – à un changement d’orientation, pour réellement faire route avec Jésus, « pour chercher le règne et la justice de Dieu » dans notre vie (cf. Mt 6,33).

* Voilà … chers amis… ce que nous pouvons retenir de cette méditation :

La parabole du maître qui convie largement au festin, nous redit l’invitation qui nous est adressée :
Nous sommes tous appelés à participer au Royaume de Dieu… à ce règne de justice, de paix et de joie qu’il attend pour nous. C’est un cadeau qui nous est fait, une grâce qui nous est offerte.

Pour autant… Jésus nous rappelle que cette invitation attend une réponse concrète de notre part ! Pas un « non… excuse moi… je n’ai pas le temps »… pas non plus un « oui » du bout des lèvres… Mais une vraie réponse, synonyme d’engagement et de responsabilité. Car « suivre le Christ » – ou « revêtir le Christ » – implique des choix, des changements, de nouvelles priorités.

Alors… n’hésitons plus… répondons, en toute confiance !
Puisqu’un nouvel habit nous est offert – un habit de noce – comme un vêtement à revêtir au-dessus de l’autre (cf. 2 Co 5, 1-3) pour vivre une vie nouvelle… Osons porter ce nouvel habit, comme signe de notre identité d’« enfants de Dieu ».
Osons revêtir le vêtement de la confiance, de l’amour, du pardon, de la justice, de la paix… pour prendre part au royaume… pour en être des artisans… et pour nous réjouir avec le Seigneur.
Amen.




[1] Le grec rend toute la radicalité de cette « préférence », puisque Jésus parle de venir à lui, en haïssant le reste, y compris sa famille. Le verbe grec parle de « haïr » (cf. Lc 14,26).
[2] C’est en ce sens qu’on peut dire (à la suite de Bonhoeffer) que la grâce a un prix. Car si elle nous est offerte, elle nécessite notre réponse, elle attend notre adhésion.
C’est précisément là que réside l’élection, que Matthieu distingue de l’appel :
Tous sont appelés, mais tous n’osent pas répondre, tous n’osent pas s’engager.

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