samedi 28 juin 2014

Mt 5, 6.10

S’engager pour la justice – Mt 5, 6.10

Lectures bibliques : Jr 22, 1-5 ; Ez 33, 10-20 ; Ps 143 ; Mt 5, 1-12
[Autres textes possibles : Ez 18, 19-29 ; Ps 1]
Thématique : Choix de vie, Justice et Béatitude(s)
Prédication de Pascal LEFEBVRE
Soirée de prière – Nuit des veilleurs, avec l’ACAT – temple de Marmande, le 27/06/14.

* Nous venons d’entendre plusieurs passages bibliques : les prophètes Jérémie et Ezéchiel, le psalmiste et l’Evangile. Quel point commun peut-on trouver entre ces textes qui proviennent d’époques et de contextes si différents ? Qu’est-ce qui peut les réunir… et que nous enseignent-ils ?

Ces livres de la Bible partagent une conviction fondamentale :
Ils nous parlent d’un Dieu qui a un projet pour l’être humain… qui veut faire alliance… qui souhaite le bonheur de l’homme.
Ils nous parlent d’un Dieu qui donne… qui aime l’homme, qui lui offre sa grâce. Mais aussi d’un Dieu qui désire, qui appelle… d’un Dieu qui attend une chose de l’humain : qu’il pratique la justice.

C’est cet appel que Jésus nous laisse entendre au cœur du sermon sur la montagne : « Cherchez d’abord le règne de Dieu et sa justice et tout le reste vous sera donné par surcroît » (cf. Mt 6,33).

* Les textes que nous avons entendus ne nous décrivent pas un monde idéal… utopique. Ils partent, au contraire, de notre existence concrète… du monde tel qu’il est.
Sans concession, ils brossent le portrait d’un monde inaccompli où règne encore l’injustice… un monde dominé par le pouvoir que certains exercent sur d’autres… un monde, bien souvent, soumis à la loi du plus fort, à la violence, à la convoitise… et finalement à la souffrance et à la mort qui en résultent.

L’idée fondamentale qui domine dans ces passages, c’est que nos intentions et nos actes ne sont pas indifférents et ne sont pas sans conséquences.
Pour Ezéchiel, Jérémie et le Psalmiste, la justice du Juste conduit à la vie. Et l’injustice du méchant conduit inévitablement à la mort.

C’est cette conviction qu’on retrouve dans le Psaume 1 au tout début du recueil des Psaumes : L’homme juste qui se plaît à la loi du Seigneur est comparé à un arbre planté près des ruisseaux, qui donne du fruit en son temps. En revanche, les méchants n’ont aucune consistance, ils sont comme la paille que le vent emporte.
« Le Seigneur connaît la voie des justes, mais la voie des méchants se perd » (cf. Ps 1,6).

En regardant le monde autour de nous, nous pouvons nous interroger sur cette affirmation du psalmiste. Est-ce si évident ?
Notre expérience concrète et le spectacle des actualités que nous livre le journal télévisé, semblent démentir cette conviction.
Comme le souligne régulièrement le journal de l’ACAT, bien des hommes et des femmes justes, croupissent en prison ou sont soumis à une torture inhumaine. Bien des innocents souffrent injustement, tandis que bien des crapules semblent prospérer impunément.

* Mais pourtant ce que nous laissent entendre les Prophètes, c’est que cela ne saurait durer. C’est que cela ne peut rester en l’état.
Pourquoi ?

- D’une part, il n’est pas du tout évident que les méchants aient envie de le rester. Quand bien même ils exerceraient une forme de pouvoir, de domination… quand bien même ils en tireraient profit… il n’est pas du tout certain que ceux qui commettent l’injustice, soient réellement heureux de le faire. C’est même le contraire qu’il faut penser :
L’homme méchant est souvent devenu ainsi à cause du malheur, à cause d’une histoire – son histoire – faite de ruptures ou d’abandons, d’errances ou de traumatismes… à cause d’expériences ou de rencontres qui ont dévoyé sa vocation d’homme, qui ont enfoui et bloqué son humanité en deçà d’elle-même, dans la peur, la violence ou la vengeance.

Il faut croire que le méchant est d’abord malheureux… quand bien même il  montrerait un visage contraire… qu’il ne peut pas être en paix avec lui-même…  qu’il n’est pas devenu méchant par hasard, mais du fait de son parcours de vie (ou plutôt de mort)… du fait de blessures secrètes.

Bien sûr, le fait d’en avoir conscience, n’enlève rien à la force de la méchanceté, à l’atrocité ou la barbarie des actes. Mais cela nous rappelle que le méchant demeure un être humain, une personne… un homme ou une femme aimé(e) de Dieu… malgré tout.

Il y a une prière du prêtre Guy Gilbert qui exprime cela à sa façon :
« Bienheureux celui qui ne hait ni le voleur, ni le violeur, ni l’assassin, Car il sait que personne ne l’est comme ça, de naissance ».[1]

- D’autre part, ces passages de la Bible nous parlent de nos choix et de leurs portées. Ils nous laissent entendre qu’à plus ou moins long terme, nous subissons forcément les conséquences de nos décisions et de nos actes :
Celui qui choisit le chemin de l’injustice… un jour ou l’autre… finira par en payer le prix. Et « le salaire du péché, c’est la mort » – dit l’apôtre Paul (cf. Rm 6, 23 ; voir aussi Ez 18,4.20) – c’est-à-dire que cela nous restreint, nous diminue, nous enferme, nous rend esclave.
A contrario, celui qui choisit le chemin des Justes en récoltera aussi les fruits : la vie en plénitude, la vie éternelle – selon l’apôtre.

En réalité, c’est face à cette alternative que nous sommes constamment amenés à nous positionner dans l’existence… surtout à l’heure où nous avons des choix importants à faire :
Choisir la vie en écoutant la volonté bienveillante de Dieu à notre égard, ou s’enliser dans des choix mortifères… avancer, évoluer, relever la tête, ou, par nos mauvais choix, restreindre le champ de notre liberté et finir par nous punir nous-mêmes.

C’est tout simplement la situation devant laquelle nous place le livre du Deutéronome (cf. Dt 30, 15-20) :
« Vois : je mets aujourd’hui devant toi la vie et le bonheur, la mort et le malheur, moi qui te commande aujourd’hui d’aimer le Seigneur ton Dieu, de suivre ses chemins, de garder ses commandements […] Choisis la vie ! »

- Enfin, le prophète Ezéchiel nous parle aussi de conversion (cf. Ez 18, 32 ; 33, 11.19). Il nous rappelle que pour Dieu, il n’est jamais trop tard…. Rien n’est jamais perdu.
L’homme méchant peut toujours revenir… changer de mentalité et de comportement.

C’est cette conviction que nous livre Ezéchiel :
« Dis-leur : Par ma vie, — déclaration du Seigneur DIEU — ce que je désire, ce n'est pas que le méchant meure, c'est qu'il revienne de sa voie méchante et qu'il vive ! Revenez, revenez de vos voies mauvaises. Pourquoi devriez-vous mourir, maison d'Israël ? » (cf. Ez 33,11 ; voir aussi Ez 18,23)

De manière explicite, le prophète nous rapporte la volonté de Dieu : Le désir de Dieu est que l’homme se convertisse, qu’il retrouve le chemin des Justes. Car la justice produit la vie en partage. Et Dieu ne veut pas punir ; il veut la vie pour ses enfants. Sa volonté, c’est qu’aucun ne se perde (cf. Mt 18,14).

* Par ailleurs, à côté des Prophètes qui laissent la voie ouverte à la possibilité d’un changement, d’une conversion du méchant, nous avons également entendu les « Béatitudes » dans le Nouveau Testament :

Dans son sermon sur la montagne, Jésus déploie la perspective d’un chemin de vie… de justice… qui conduit au vrai bonheur.
Il s’agit, bien sûr, d’un bonheur paradoxal, car cette voie… ce chemin de vie… est semé d’embuches et d’obstacles.
Mais, quand bien même notre marche croiserait le visage de l’injustice, de l’épreuve et de la souffrance, il demeure, pour Jésus, une certitude et une espérance :

- La certitude, c’est que Dieu est Juste et qu’il est présent aux côtés de la victime, de l’innocent.
Les Psaumes comme l’Evangile affirment avec force que Dieu soutient celui qui tombe… celui qui est mis à mal… celui qui souffre injustement.
Il est du côté du Crucifié, du côté de tous les crucifiés de la terre, surtout quand ils le sont à cause de la justice.

- Et puis, il y a une espérance, c’est que comme Dieu est Juste, il restaurera, il rétablira celui qui a été meurtri, écrasé par l’injustice.

Celui qui a soif de justice (cf. Ps 143,6 ; Mt 5, 6) aura la Vie… la vie en plénitude. Il sera rassasié par l’amour et la justice de Dieu.

On trouve cette promesse dans les Béatitudes (cf. Mt 5, 6.11-12) qui témoignent avec force de cette conviction de foi dans la justice divine:
Nous pouvons faire confiance à Dieu, l’Eternel, le Juste, car il saura faire droit au malheureux. Son amour accomplira toute justice.

Puisque « rien ne peut nous séparer de l’amour de Dieu » (cf. Rm 8,39) – comme le souligne l’apôtre Paul – nous sommes assurés qu’une main est tendue à tout être humain qui crie vers Dieu, son Créateur et son Sauveur.
Celui qui a subi l’iniquité, celui qui a été brisé par l’injustice, sera relevé, tel le crucifié ressuscité.

C’est en raison de cette assurance que Jésus – comme par anticipation – déclare dores et déjà « bienheureux » les assoiffés de justice (cf. Mt 5, 6) et les persécutés pour la justice (cf. Mt 5, 11s).
En dépit du malheur actuel…  les justes souffrants sont, dès à présent, dès maintenant, déclarés « bienheureux ».

C’est bien sûr paradoxal. Mais cela signifie que Jésus ne s’arrête pas à la réalité avant-dernière du mal, de l’injustice, de la souffrance.

Le regard du Christ porte plus loin… et prend son origine bien en amont. Il est orienté par la volonté de Dieu.
Le moteur de son action, c’est le dessein de Dieu et ce dessein, c’est la justice.

C’est la raison pour laquelle ceux qui marchent sur ce chemin sont déclarés « bienheureux » : Ils sont assurés d’être sur le bon sentier – comme dit le psalmiste – sur le seul… le vrai chemin voulu par Dieu : celui des Justes… celui qui mène à la Vie.

* Il n’en demeure pas moins une question qui doit nous préoccuper ce soir.
Il y a, en effet, un point crucial que nos passages bibliques laissent ouvert… comme en suspend :
C’est de savoir qui est Juste et qui ne l’est pas ?
De quel côté sommes-nous réellement ?

Nous le savons, notre monde – notre réalité quotidienne – demeure ambigu. Nos désirs et nos actes ne sont pas limpides. La réalité du mal nous traverse tous.

De temps à autres … et peut-être même plus souvent qu’on ne le pense… par notre indifférence, notre inconscience, notre inconséquence… nous faisons, nous aussi, partie des injustes… parfois, bien malgré nous (cf. Rm 7).

Ne sommes-nous pas à compter parmi la moitié de l’humanité la plus riche… en tout cas, celle qui a le niveau de vie le plus élevé… le plus de confort ? Pour autant, agissons-nous toujours comme des frères vis-à-vis des plus pauvres, des plus petits, des plus faibles ?

Nous pouvons le reconnaître, notre manière de vivre ne transforme pas toujours positivement ce monde.
A n’en pas douter, nous sommes, nous aussi, à compter parmi les pécheurs et les malades… ceux pour qui Jésus est venu (cf. Mt 9, 12-13)… pour nous appeler à la conversion… pour nous apporter le salut.

C’est d’ailleurs ce que relève le psalmiste en se plaçant devant Dieu :
« N’entre pas en jugement avec ton serviteur – dit-il au Seigneur – car nul vivant n’est juste devant toi » (cf. Ps 143, 2).

* Un tel constat – celui de notre injustice présente – ne doit pas nous enfermer dans la culpabilité, mais, au contraire, nous inciter à agir… à nous laisser transformer par Dieu, par son Esprit d’amour.

Le monde qui est le nôtre est certes inaccompli et semé d’injustices… mais il appartient à Dieu.
Aussi, notre Père céleste nous appelle, nous attend et nous envoie…
Il nous invite à devenir ses ouvriers… à entrer dans la logique du Royaume, ici et maintenant… de façon à l’introduire, à l’instiller, à l’impulser dans notre monde.

Dieu attend que nous soyons sa voix, ses bras et ses mains, pour accomplir la justice (cf. Jr 22,3 ; Es 1, 17 ; 58, 6-8). Il attend que nous soyons des acteurs engagés… que nous prenions le parti de l’Evangile… celui de l’amour fraternel.

Il nous appelle à être solidaire avec les faibles, les laissés-pour-compte, les sans-voix, les affamés, les malades, les prisonniers (cf. Mt 25).

Comme Dieu se tient du côté de la victime, de son enfant qui souffre, il nous appelle à faire de même… à être ses enfants de lumière (cf. Ep 5, 1.8-9).
Il demande nos cœurs et nos mains, pour qu’avec nous, enfin, justice soit faite !

Et faire la justice, cela ne veut pas dire écraser ou éliminer le bourreau – vouloir lui rendre le mal commis et subi – mais, au contraire, prier pour celui qui persécute (cf. Rm 12,14 ; Mt 5, 44), prier qu’il se convertisse… qu’il revienne à son humanité devant Dieu… prier pour sa libération, comme on prie pour que celui qui souffre injustement soit délivré et réhabilité.

Alors, frères et sœurs, par nos prières, nos paroles et nos actes, rejetons l’indifférence et le « chacun pour soi », vivons dans la compassion et soyons des artisans de paix et de justice… et ainsi nous pourrons vraiment être appelés fils de Dieu (cf. Mt 5, 9.45)… ainsi, nous serons, à la suite du Christ, ses envoyés et ses disciples… ceux qu’il appelle à être « sel de la terre » et « lumière pour le monde » (cf. Mt 5, 13-16).[2]

Amen.


[1] cf. « l’Aventurier de l’amour ».
[2] Et dans ce service… soyons sûrs qu’il s’agit là d’un chemin de bonheur… du bonheur, tel que Dieu l’entend et le veut.
Là où notre société contemporaine nous promet et nous vend un bonheur solitaire et individualiste – un pseudo-bonheur – confondu avec une quête de possessions et de satisfactions matérielles… Jésus nous invite à ne pas nous contenter d’un petit bonheur au rabais, mais d’avoir une soif plus grande et plus profonde.
Le seul vrai bonheur – celui dont l’Evangile nous parle – n’est pas solitaire, mais solidaire. Ce n’est pas un bonheur égoïste et egocentrique, mais un bonheur partagé, diffusé, contagieux, ouvert.
Ce bonheur-là se conjugue au pluriel. Il se vit avec l’autre… avec tous les autres… à commencer par les plus petits parmi nos frères (cf. Mt 25)… Et ce bonheur-là – soyons en certains – ne peut advenir qu’avec la recherche de la justice (cf. Mt 6,33).

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