S’engager pour la justice –
Mt 5, 6.10
Lectures bibliques : Jr 22,
1-5 ; Ez 33, 10-20 ; Ps 143 ; Mt 5, 1-12
[Autres textes
possibles : Ez 18, 19-29 ; Ps 1]
Thématique :
Choix de vie, Justice et Béatitude(s)
Prédication de
Pascal LEFEBVRE
Soirée de prière
– Nuit des veilleurs, avec l’ACAT – temple de Marmande, le 27/06/14.
* Nous venons
d’entendre plusieurs passages bibliques : les prophètes Jérémie et
Ezéchiel, le psalmiste et l’Evangile. Quel point commun peut-on trouver entre ces
textes qui proviennent d’époques et de contextes si différents ? Qu’est-ce
qui peut les réunir… et que nous enseignent-ils ?
Ces livres de la
Bible partagent une conviction fondamentale :
Ils nous parlent
d’un Dieu qui a un projet pour l’être humain… qui veut faire alliance… qui
souhaite le bonheur de l’homme.
Ils nous parlent
d’un Dieu qui donne… qui aime l’homme, qui lui offre sa grâce. Mais aussi d’un
Dieu qui désire, qui appelle… d’un Dieu qui attend une chose de l’humain :
qu’il pratique la justice.
C’est cet appel
que Jésus nous laisse entendre au cœur du sermon sur la montagne : « Cherchez d’abord le règne de Dieu et sa
justice et tout le reste vous sera donné par surcroît » (cf. Mt 6,33).
* Les textes que
nous avons entendus ne nous décrivent pas un monde idéal… utopique. Ils partent,
au contraire, de notre existence concrète… du monde tel qu’il est.
Sans concession,
ils brossent le portrait d’un monde inaccompli où règne encore l’injustice… un
monde dominé par le pouvoir que certains exercent sur d’autres… un monde, bien
souvent, soumis à la loi du plus fort, à la violence, à la convoitise… et
finalement à la souffrance et à la mort qui en résultent.
L’idée
fondamentale qui domine dans ces passages, c’est que nos intentions et nos
actes ne sont pas indifférents et ne sont pas sans conséquences.
Pour Ezéchiel,
Jérémie et le Psalmiste, la justice du Juste conduit à la vie. Et l’injustice
du méchant conduit inévitablement à la mort.
C’est cette
conviction qu’on retrouve dans le Psaume 1 au tout début du recueil des Psaumes :
L’homme juste qui se plaît à la loi du
Seigneur est comparé à un arbre planté près des ruisseaux, qui donne du fruit
en son temps. En revanche, les méchants n’ont aucune consistance, ils sont
comme la paille que le vent emporte.
« Le Seigneur connaît la voie des
justes, mais la voie des méchants se perd » (cf. Ps 1,6).
En regardant le
monde autour de nous, nous pouvons nous interroger sur cette affirmation du
psalmiste. Est-ce si évident ?
Notre expérience
concrète et le spectacle des actualités que nous livre le journal télévisé,
semblent démentir cette conviction.
Comme le
souligne régulièrement le journal de l’ACAT, bien des hommes et des femmes
justes, croupissent en prison ou sont soumis à une torture inhumaine. Bien des
innocents souffrent injustement, tandis que bien des crapules semblent
prospérer impunément.
* Mais pourtant
ce que nous laissent entendre les Prophètes, c’est que cela ne saurait durer. C’est
que cela ne peut rester en l’état.
Pourquoi ?
- D’une part, il
n’est pas du tout évident que les méchants aient envie de le rester. Quand bien
même ils exerceraient une forme de pouvoir, de domination… quand bien même ils
en tireraient profit… il n’est pas du tout certain que ceux qui commettent
l’injustice, soient réellement heureux de le faire. C’est même le contraire
qu’il faut penser :
L’homme méchant est
souvent devenu ainsi à cause du malheur, à cause d’une histoire – son histoire
– faite de ruptures ou d’abandons, d’errances ou de traumatismes… à cause
d’expériences ou de rencontres qui ont dévoyé sa vocation d’homme, qui ont
enfoui et bloqué son humanité en deçà d’elle-même, dans la peur, la violence ou
la vengeance.
Il faut croire
que le méchant est d’abord malheureux… quand bien même il montrerait un visage contraire… qu’il ne peut
pas être en paix avec lui-même… qu’il
n’est pas devenu méchant par hasard, mais du fait de son parcours de vie (ou
plutôt de mort)… du fait de blessures secrètes.
Bien sûr, le
fait d’en avoir conscience, n’enlève rien à la force de la méchanceté, à l’atrocité
ou la barbarie des actes. Mais cela nous rappelle que le méchant demeure un
être humain, une personne… un homme ou une femme aimé(e) de Dieu… malgré tout.
Il y a une
prière du prêtre Guy Gilbert qui exprime cela à sa façon :
« Bienheureux celui qui ne hait ni
le voleur, ni le violeur, ni l’assassin, Car il sait que personne ne l’est
comme ça, de naissance ».[1]
- D’autre part,
ces passages de la Bible nous parlent de nos choix et de leurs portées. Ils
nous laissent entendre qu’à plus ou moins long terme, nous subissons forcément les
conséquences de nos décisions et de nos actes :
Celui qui
choisit le chemin de l’injustice… un jour ou l’autre… finira par en payer le
prix. Et « le salaire du péché,
c’est la mort » – dit l’apôtre Paul (cf. Rm 6, 23 ; voir aussi
Ez 18,4.20) – c’est-à-dire que cela nous restreint, nous diminue, nous
enferme, nous rend esclave.
A contrario, celui qui choisit le chemin des Justes
en récoltera aussi les fruits : la vie en plénitude, la vie éternelle –
selon l’apôtre.
En réalité, c’est
face à cette alternative que nous sommes constamment amenés à nous positionner
dans l’existence… surtout à l’heure où nous avons des choix importants à faire :
Choisir la vie
en écoutant la volonté bienveillante de Dieu à notre égard, ou s’enliser dans
des choix mortifères… avancer, évoluer, relever la tête, ou, par nos mauvais
choix, restreindre le champ de notre liberté et finir par nous punir
nous-mêmes.
C’est tout
simplement la situation devant laquelle nous place le livre du Deutéronome (cf.
Dt 30, 15-20) :
« Vois : je mets aujourd’hui devant toi
la vie et le bonheur, la mort et le malheur, moi qui te commande aujourd’hui
d’aimer le Seigneur ton Dieu, de suivre ses chemins, de garder ses
commandements […] Choisis la vie ! »
- Enfin, le
prophète Ezéchiel nous parle aussi de conversion (cf. Ez 18, 32 ; 33,
11.19). Il nous rappelle que pour Dieu, il n’est jamais trop tard…. Rien n’est
jamais perdu.
L’homme méchant
peut toujours revenir… changer de mentalité et de comportement.
C’est cette
conviction que nous livre Ezéchiel :
« Dis-leur : Par ma vie,
— déclaration du Seigneur DIEU — ce que je désire, ce n'est pas que
le méchant meure, c'est qu'il revienne de sa voie méchante et qu'il vive !
Revenez, revenez de vos voies mauvaises. Pourquoi devriez-vous mourir, maison
d'Israël ? » (cf. Ez 33,11 ; voir aussi Ez 18,23)
De manière
explicite, le prophète nous rapporte la volonté de Dieu : Le désir de Dieu
est que l’homme se convertisse, qu’il retrouve le chemin des Justes. Car la
justice produit la vie en partage. Et Dieu ne veut pas punir ; il veut la
vie pour ses enfants. Sa volonté, c’est qu’aucun ne se perde (cf. Mt 18,14).
* Par ailleurs,
à côté des Prophètes qui laissent la voie ouverte à la possibilité d’un
changement, d’une conversion du méchant, nous avons également entendu les
« Béatitudes » dans le Nouveau Testament :
Dans son sermon
sur la montagne, Jésus déploie la perspective d’un chemin de vie… de justice…
qui conduit au vrai bonheur.
Il s’agit, bien
sûr, d’un bonheur paradoxal, car cette voie… ce chemin de vie… est semé
d’embuches et d’obstacles.
Mais, quand bien
même notre marche croiserait le visage de l’injustice, de l’épreuve et de la
souffrance, il demeure, pour Jésus, une certitude et une espérance :
- La certitude,
c’est que Dieu est Juste et qu’il est présent aux côtés de la victime, de
l’innocent.
Les Psaumes
comme l’Evangile affirment avec force que Dieu soutient celui qui tombe… celui
qui est mis à mal… celui qui souffre injustement.
Il est du côté
du Crucifié, du côté de tous les crucifiés de la terre, surtout quand ils le
sont à cause de la justice.
- Et puis, il y
a une espérance, c’est que comme Dieu est Juste, il restaurera, il rétablira
celui qui a été meurtri, écrasé par l’injustice.
Celui qui a soif
de justice (cf. Ps 143,6 ; Mt 5, 6) aura la Vie… la vie en plénitude. Il
sera rassasié par l’amour et la justice de Dieu.
On trouve cette
promesse dans les Béatitudes (cf. Mt 5, 6.11-12) qui témoignent avec force
de cette conviction de foi dans la justice divine:
Nous pouvons
faire confiance à Dieu, l’Eternel, le Juste, car il saura faire droit au
malheureux. Son amour accomplira toute justice.
Puisque « rien ne peut nous séparer de l’amour de
Dieu » (cf. Rm 8,39) – comme le souligne l’apôtre Paul – nous sommes
assurés qu’une main est tendue à tout être humain qui crie vers Dieu, son
Créateur et son Sauveur.
Celui qui a subi
l’iniquité, celui qui a été brisé par l’injustice, sera relevé, tel le crucifié
ressuscité.
C’est en raison de
cette assurance que Jésus – comme par anticipation – déclare dores et déjà
« bienheureux » les assoiffés de justice (cf. Mt 5, 6) et les
persécutés pour la justice (cf. Mt 5, 11s).
En dépit du
malheur actuel… les justes souffrants
sont, dès à présent, dès maintenant, déclarés « bienheureux ».
C’est bien sûr
paradoxal. Mais cela signifie que Jésus ne s’arrête pas à la réalité
avant-dernière du mal, de l’injustice, de la souffrance.
Le regard du
Christ porte plus loin… et prend son origine bien en amont. Il est orienté par
la volonté de Dieu.
Le moteur de son
action, c’est le dessein de Dieu et ce dessein, c’est la justice.
C’est la raison
pour laquelle ceux qui marchent sur ce chemin sont déclarés « bienheureux » :
Ils sont assurés d’être sur le bon sentier – comme dit le psalmiste – sur le
seul… le vrai chemin voulu par Dieu : celui des Justes… celui qui mène à
la Vie.
* Il n’en
demeure pas moins une question qui doit nous préoccuper ce soir.
Il y a, en
effet, un point crucial que nos passages bibliques laissent ouvert… comme en
suspend :
C’est de savoir
qui est Juste et qui ne l’est pas ?
De quel côté
sommes-nous réellement ?
Nous le savons,
notre monde – notre réalité quotidienne – demeure ambigu. Nos désirs et nos
actes ne sont pas limpides. La réalité du mal nous traverse tous.
De temps à
autres … et peut-être même plus souvent qu’on ne le pense… par notre indifférence,
notre inconscience, notre inconséquence… nous faisons, nous aussi, partie des
injustes… parfois, bien malgré nous (cf. Rm 7).
Ne sommes-nous
pas à compter parmi la moitié de l’humanité la plus riche… en tout cas, celle
qui a le niveau de vie le plus élevé… le plus de confort ? Pour autant, agissons-nous
toujours comme des frères vis-à-vis des plus pauvres, des plus petits, des plus
faibles ?
Nous pouvons le
reconnaître, notre manière de vivre ne transforme pas toujours positivement ce
monde.
A n’en pas
douter, nous sommes, nous aussi, à compter parmi les pécheurs et les malades…
ceux pour qui Jésus est venu (cf. Mt 9, 12-13)… pour nous appeler à la
conversion… pour nous apporter le salut.
C’est d’ailleurs
ce que relève le psalmiste en se plaçant devant Dieu :
« N’entre pas en jugement avec ton serviteur –
dit-il au Seigneur – car nul vivant n’est juste devant toi » (cf. Ps
143, 2).
* Un tel constat
– celui de notre injustice présente – ne doit pas nous enfermer dans la
culpabilité, mais, au contraire, nous inciter à agir… à nous laisser
transformer par Dieu, par son Esprit d’amour.
Le monde qui est
le nôtre est certes inaccompli et semé d’injustices… mais il appartient à Dieu.
Aussi, notre
Père céleste nous appelle, nous attend et nous envoie…
Il nous invite à
devenir ses ouvriers… à entrer dans la logique du Royaume, ici et maintenant…
de façon à l’introduire, à l’instiller, à l’impulser dans notre monde.
Dieu attend que
nous soyons sa voix, ses bras et ses mains, pour accomplir la justice (cf. Jr
22,3 ; Es 1, 17 ; 58, 6-8). Il attend que nous soyons des acteurs
engagés… que nous prenions le parti de l’Evangile… celui de l’amour fraternel.
Il nous appelle
à être solidaire avec les faibles, les laissés-pour-compte, les sans-voix, les
affamés, les malades, les prisonniers (cf. Mt 25).
Comme Dieu se
tient du côté de la victime, de son enfant qui souffre, il nous appelle à faire
de même… à être ses enfants de lumière (cf. Ep 5, 1.8-9).
Il demande nos
cœurs et nos mains, pour qu’avec nous, enfin, justice soit faite !
Et faire la
justice, cela ne veut pas dire écraser ou éliminer le bourreau – vouloir lui
rendre le mal commis et subi – mais, au contraire, prier pour celui qui
persécute (cf. Rm 12,14 ; Mt 5, 44), prier qu’il se convertisse… qu’il
revienne à son humanité devant Dieu… prier pour sa libération, comme on prie
pour que celui qui souffre
injustement soit délivré et réhabilité.
Alors, frères et
sœurs, par nos prières, nos paroles et nos actes, rejetons l’indifférence et le
« chacun pour soi », vivons dans la compassion et soyons des artisans
de paix et de justice… et ainsi nous pourrons vraiment être appelés fils de
Dieu (cf. Mt 5, 9.45)… ainsi, nous serons, à la suite du Christ, ses envoyés et
ses disciples… ceux qu’il appelle à être « sel de la terre » et « lumière pour
le monde » (cf. Mt 5, 13-16).[2]
Amen.
[1] cf. « l’Aventurier
de l’amour ».
[2] Et dans ce service… soyons sûrs qu’il
s’agit là d’un chemin de bonheur… du bonheur, tel que Dieu l’entend et le veut.
Là où notre
société contemporaine nous promet et nous vend un bonheur solitaire et
individualiste – un pseudo-bonheur – confondu avec une quête de possessions et
de satisfactions matérielles… Jésus nous invite à ne pas nous contenter d’un
petit bonheur au rabais, mais d’avoir une soif plus grande et plus profonde.
Le seul vrai
bonheur – celui dont l’Evangile nous parle – n’est pas solitaire, mais
solidaire. Ce n’est pas un bonheur égoïste et egocentrique, mais un bonheur
partagé, diffusé, contagieux, ouvert.
Ce bonheur-là se
conjugue au pluriel. Il se vit avec l’autre… avec tous les autres… à commencer
par les plus petits parmi nos frères (cf. Mt 25)… Et ce bonheur-là – soyons en
certains – ne peut advenir qu’avec la recherche de la justice (cf. Mt 6,33).
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