dimanche 24 août 2014

Mc 6, 1-6a

Mc 6, 1-6a / Mt 13, 53-58

Lectures bibliques : Mc 1, 14-15 ; Mc 6, 1-6a ; Mc 12, 28-34
Thématique : « préjugés » ou « confiance »… accepter de remettre en question ses croyances, pour entrer dans la nouvelle mentalité proposée par Jésus.
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 24/08/14, culte avec baptêmes

* Qui d’entre nous n’a jamais été témoin (ou victime) de préjugés ?

« Ah celui-là – ce jeune – est un fainéant, un paresseux… il n’arrivera jamais à rien ! »
« Ah ça… on a déjà essayé… c’est pas la peine… ça ne marchera jamais… ça ne changera rien ! »
« Ah untel… pas la peine de le solliciter… on connait bien sa famille ! …. Inutile d’essayer ! »
« Ah celui-là ne porte pas un nom français… ça ne passera jamais avec la clientèle… c’est même pas la peine de regarder son C.V. »
« Ah ! Cette personne a un handicap… ça risque de nous retarder dans l’organisation du travail… Faut mieux prendre quelqu’un d’autre ! ». Etc. etc.

C’est, au fond, ce que nous entendions déjà à l’époque de Jésus :
« Ah celui-là vient de Nazareth… il ne peut rien sortir de bon de Nazareth ! « (cf. Jn 1, 45-46)
« Ah, cet homme !... on connaît ses parents… c’est le fils du charpentier… comment pourrait-il être un prophète ou le messie qu’on attend ? » (cf. Mc 6, 1-6). Etc. etc.

Ici ou là… à titre individuel ou dans les structures collectives (associations et entreprises)… nous ne sommes pas indemnes de préjugés, qui viennent parfois polluer notre manière de voir les choses, et limiter nos capacités d’innovation, d’imagination et d’action.

La plupart du temps ces préjugés sont véhiculés, de façon sous-jacente, dans la société ou dans nos familles, ou même dans la sphère médiatique, qui influence largement nos mentalités.

Le terme « préjugé » désigne ce qui a été jugé préalablement dans un cas semblable ou analogue… l’opinion, a priori favorable ou défavorable, qu’on se fait sur quelqu’un ou quelque chose, en fonction de critères personnels, d’apparences ou d’appartenances.
Mais bien souvent, il s’agit d’une opinion hâtive et préconçue, imposée par le milieu, l’époque, l’éducation, ou due à la généralisation d’une expérience personnelle ou d’un cas particulier.

Autrement dit, les préjugés sont souvent des projections, des « partis pris », issus d’opinions arrêtées ou de sentiments péjoratifs sans fondements, établis sur des éléments d’appréciation sommaires à l’égard de personnes jugées différentes.
Ils reposent souvent sur l’ignorance ou la méfiance. Et de ce fait, ils contribuent à propager des « idées reçues » et constituent une forme d’aveuglement, de jugement, de condamnation a priori, qui génère la défiance, la peur de l’autre ou encore des formes de racisme.

L’histoire de l’humanité en est malheureusement pleine. Mais elle est également et heureusement semée d’exemples de grandes figures – d’humanistes, de théologiens, de philosophes ou de scientifiques, de toutes les époques – qui ont dû et su braver et se battre contre les préjugés, les conformismes et les conservatismes.

Bien que les consciences et les esprits aient largement évolué depuis 2000 ans… il ne faudrait pas croire que tout, aujourd’hui, est parfait… que notre 21e siècle en est désormais préservé.
On peut toujours en trouver quelques exemples, ici ou là :

- En ce qui concerne la religion, par exemple. De nos jours, bien des hommes et des femmes – qui se disent « athées » – voient la religion comme un vieux truc poussiéreux et moralisateur. Sans distinction, ils associent la foi des Chrétiens du 21e siècle, à la morale religieuse du 19e siècle, ou au fondamentalisme religieux qui sévit dans certains pays, ou encore au monde des sectes soumis au dictat d’un gourou qui maintient ses fidèles dans l’obscurantisme. Ils pensent que la foi consiste à croire en des non-sens, des absurdités… peut-être parce qu’ils ne sont jamais entrés dans un temple, parce qu’ils n’ont jamais ouvert l’Evangile et ne savent pas, par exemple, que les Protestants ont toujours lutté pour la liberté de penser et de conscience.

- Ailleurs, et dans d’autres domaines, d’autres hommes ont d’autres préjugés. Et peut-être sommes-nous parfois de ceux-là. Ils croient, par exemple, que le bonheur de l’être humain est forcément lié à « l’avoir » et au « pouvoir »… que pour être heureux, il faut absolument posséder, accaparer, consommer… avoir toujours plus, toujours davantage.
Cette croyance – que l’on peut considérer comme un préjugé [1] – est largement entretenue par la publicité et le monde médiatique. Elle résulte d’une société entièrement tournée et soumise au dictat de l’économie (d’une économie dite « capitaliste »)… une société obsédée par les chiffres, par une réussite fondée sur le quantitatif, la croissance, la rentabilité… qui nous entraîne dans une course effrénée et sans fin… qui, en réalité, ne mène nulle part… sauf à tous les problèmes que nous connaissons aujourd’hui.
Beaucoup de nos contemporains pensent ainsi, parce qu’on ne les ouvre pas à d’autres modèles, d’autres manières de penser… parce que valoriser « l’être », le mieux-être, le qualitatif, le relationnel, le don, le partage ou la solidarité… ça ne rapporte rien à ceux qui détiennent les clés du pouvoir et qui veulent continuer à remplir leurs poches ou leurs portefeuilles boursiers.
Alors, on nous fait tout simplement croire qu’en faisant de même… nous serons, nous aussi, forcément plus heureux… mais sans se soucier des conséquences de ce mode-de-vie fondé sur l’accaparement et la convoitise, ni pour notre planète, ni pour les plus pauvres qui vivent dans des conditions misérables, en grande partie du fait de cette mentalité individualiste et consumériste.

- Autre exemple d’idée reçue : la science ou plutôt le scientisme. On présente la science comme l’ultime rempart contre l’ignorance et les préjugés. C’est en partie vrai, mais en partie seulement [2]. En idéalisant de façon exagérée (pour ne pas dire idolâtre) la science, on lui octroie une confiance sans limite et on crée un nouvel impérialisme. On oublie pourtant que les découvertes et les théories scientifiques sont toujours provisoires, que nos connaissances évoluent sans cesse… et, de ce fait, que les vérité de demain risquent sans aucun doute de remettre en question celles d’aujourd’hui… comme celles d’aujourd’hui ont pu ébranler les prétendues vérités d’hier.
En réalité, nos avancées scientifiques devraient nous pousser à plus d’humilité… nous qui sommes sur la planète terre à l’image d’un grain de sable dans l’immensité de l’univers… nous qui ne savons pas, aujourd’hui encore, de quoi sont constitués les 95% de la masse de l’univers… puisque la matière noire et l’énergie sombre sont encore, pour nous, totalement mystérieuses.[3]
En bref, un certain nombre de théories scientifiques – réputées véridiques – appartiennent, en réalité, au domaine spéculatif… et ne sont pas plus prouvable que l’existence même de Dieu.

- Pour élargir la panoplie, on aurait pu également parler du racisme et il y a encore bien d’autres exemples de préjugés qui sclérosent nos esprits. Chacun d’entre nous pourrait sans doute citer des exemples plus personnels.

En tout cas… ce qui est certain… c’est que nous vivons dans un monde où les préjugés existent toujours… soit par ignorance, par manque d’éducation ou d’instruction… soit par méfiance, par peur de l’autre ou par manque de confiance en de nouvelles manières de penser (avec une perspective plus large et plus altruiste)… soit par conservatisme, pour permettre aux privilégiés de notre monde (dont nous faisons peut-être partie, d’une manière ou d’une autre) de conserver leur sphère d’influence, leurs intérêts et leur confort, indépendamment – ou aux dépends – d’autrui.

* Mais, en réalité, il n’y a là… rien de nouveau sous le soleil ! A l’époque de Jésus… il en était déjà de même.
On peut même dire que Jésus s’est attaché à proposer aux hommes de son temps, la possibilité de s’ouvrir à une nouvelle manière de penser : d’envisager autrement la vie, notre rapport à Dieu et aux autres, de façon nouvelle.

C’est cette injonction, cet appel qu’on retrouve au début de l’évangile de Marc : « le règne – le monde nouveau de Dieu – s’est approché, convertissez-vous – changez de mentalité – et croyez à l’Evangile – à la Bonne Nouvelle de l’amour de Dieu » (cf. Mc 1, 15).

Pour Jésus, il faut justement sortir des jugements et des préjugés qui nous limitent, nous réduisent… et enferment les autres (voir par ex. Mt 7, 1-5 ; 12, 1-14 ; 15, 10-20). Rien n’est figé. Les choses peuvent évoluer : nous pouvons vivre en harmonie les uns avec les autres, avec plus de fraternité, de solidarité, de liberté… à condition que nous osions faire confiance à Dieu… à condition que nous vivions dans l’amour de Dieu et du prochain (cf. Mc 12, 28-34)… à condition que nous ne nous préoccupions pas seulement de nous-mêmes, mais aussi des autres, et notamment des plus petits parmi nos frères (cf. Mt 6, Mt 7, Mt 25, Lc 16, etc.).

Les évangiles nous montrent le « combat », à la fois, persévérant et pacifique, que Jésus a mené face aux Religieux de son temps, pour faire place à plus de compréhension et d’ouverture d’esprit entre les hommes – en donnant la lecture d’une Torah et l’image d’un Dieu qui accueillent et qui relèvent, au lieu d’exclure ceux qui étaient victimes de préjugés : les péagers ou les Samaritains, les personnes malades ou handicapées, les adultères ou les prostituées.

Le passage que nous avons entendu ce matin, nous montre que Jésus lui-même a été victime de préjugés.
Lui qui n’a cessé de relever, de guérir, d’encourager… lui qui était sans doute considéré comme un thérapeute, un guérisseur, a également rencontré le rejet de ses contemporains, du fait de ses origines modestes.

Les évangiles nous révèlent qu’une censure mentale que l’on peut appeler « préjugé de familiarité » s’est développée à l’égard de Jésus… non pas à cause de ses actes, de ses guérisons… ou simplement du fait qu’il venait bousculer les conservatismes religieux en dépassant les pratiques en vigueur au sujet du sabbat ou les règles de pureté… mais en partie à cause de la simplicité de ses origines.

En effet, comme ses concitoyens pensent bien le connaître… qu’ils savent de qui il est le fils – « le fils du charpentier » (cf. Mt 13, 54-58) – ou qu’il n’est lui-même rien de plus qu’un simple artisan (cf. Mc 6, 1-6) et qu’ils connaissent sa mère, ses frères et ses sœurs… ils ne sont pas disposés à le considérer autrement qu’ils se le sont toujours imaginé. Ils sont incapables de lui donner une autre image que celle qu’ils lui connaissent déjà.
Et c’est cela, au fond, s’arrêter à des préjugés, c’est manquer d’ouverture d’esprit et d’humilité pour accepter de se remettre (soi, ses croyances et ses connaissances) en question.

Ce n’est pas que les auditeurs de Jésus contestent sa sagesse et les guérisons qu’il accomplit, mais ils ne savent pas s’expliquer « d’où » cela lui vient (?) Et comme ils connaissent sa parenté, ils n’arrivent pas à comprendre l’origine de son autorité et des signes qu’il réalise… ils n’arrivent pas à admettre que cela lui vient d’ailleurs… de Dieu… qu’il tire cette force de l’Esprit saint, du souffle divin.  

C’est pourquoi, finalement, ils trouvent en lui un achoppement, un obstacle à la foi, à la possibilité d’entrer dans la nouvelle mentalité – dans le monde nouveau : le royaume de Dieu – que Jésus vient annoncer et proposer à notre monde.

En d’autres termes… leurs supposées connaissances quant aux origines de Jésus et de sa famille constituent pour certains de ses auditeurs un obstacle à la foi, un blocage psychologique.
A l’opposé de la confiance, cette familiarité avec la famille de Jésus suscite – au contraire – de la défiance, de l’incrédulité vis-à-vis de celui qui est pourtant présenté comme un maître de sagesse et un thérapeute extraordinaire. 

Ici, la question en jeu, n’est pas tant de savoir qui est Jésus… mais d’où – de qui – tire-t-il sa force et son enseignement (?). Et on voit que le fait de « savoir » ou plutôt de « croire savoir » peut parfois constituer un obstacle à la découverte et à la foi… quand on reste bloqué sur ses croyances, sans accepter de les remettre en cause.

Un tel constat peut nous interroger de façon plus personnelle : la foi et la croyance, ne sont pas du même ordre. Acceptons-nous, en ce qui nous concerne, de remettre en question nos croyances ?... nos manières de voir la vie, la société et peut-être même Dieu ?

* Alors… pour conclure… que pouvons-nous retenir de cette méditation ? Deux choses, peut-être :

- Premièrement… que Jésus et son Evangile nous appellent encore aujourd’hui à sortir de nos préjugés, de nos jugements ou de nos idées préconçues au sujet de notre prochain ou des valeurs mises en avant par notre société.
Jésus nous appelle à un changement de mentalité. Nous pouvons voir la vie autrement… du nouveau peut surgir dans notre existence et notre monde… dès lors que nous nous inscrivons dans la confiance en Dieu… en ce Dieu qui nous appelle à plus de justice et de fraternité entre les hommes.

C’est, d’une certaine manière, ce que Jésus affirme quand il dit que la foi peut nous permettre de déplacer les montagnes (cf. Mc 11, 22s). Et, a contrario, qu’il ne peut faire aucun miracle, ne permettre aucun changement, là où il n’y a ni foi ni d’espérance. [4]

C’est pourtant cela que Jésus est venu apporter à notre monde : du changement, de la nouveauté… en proclamant la proximité du règne de Dieu.
Alors osons lui faire confiance !

- Deuxième et dernier point… que signifie exactement « croire » ? Quelle est cette foi à laquelle Jésus nous appelle ?

Croire, ce n’est pas adhérer à un certain nombre de vérités concernant Dieu, Jésus, nous-mêmes ou le monde. Ce n’est pas non plus adhérer à une religion et la pratiquer. Jésus n’est pas venu créer une religion nouvelle, mais nous appeler à vivre autrement sous le regard de Dieu.

Croire, c’est d’abord tenir pour vrai ce que Jésus dit, reconnaître que c’est lui qui a raison quand il annonce que le monde nouveau de Dieu est devenu tout proche et qu’il nous appelle à changer de mentalité… à être enfin humains, comme Dieu le désire et l’espère pour nous.

Croire, c’est avoir compris avec Jésus que le salut qu’il nous apporte, nous pouvons y prendre part, ici et maintenant, en inscrivant notre existence dans la vie nouvelle qu’il nous propose… en nous appelant au service et au partage… en vivant pleinement l’amour de Dieu et du prochain…. autrement dit, en élargissant notre manière de voir la vie au-delà de nos cercles habituels : de nous-mêmes, de ceux/ce que nous aimons ou de nos seuls intérêts.

Alors, frères et sœurs, laissons-nous transformer par celui qui nous propose simplement d’oser lâcher nos fausses croyances, nos peurs et nos préjugés… pour vivre libres, dans la foi et l’amour du prochain.

Amen.



[1] Les statistiques semblent bien confirmer qu’il s’agit là d’un préjugé : La France, qui fait partie des grandes puissances économiques et des pays dont le PIB/ habitant est relativement élevé, est pourtant dans « top » des pays consommateurs d’antidépresseurs. Par ailleurs, une étude a relevé que les populations des pays « moins riches » (que les pays occidentaux) ne s’estiment pas forcément « moins heureuses ». Au contraire, la joie de vivre y paraît parfois plus grande. C’est également le constat que font bien des voyageurs et des touristes à l’autre bout du monde. Preuve qu’il faut déconnecter le sentiment de « bonheur » de celui de l’« avoir »… que celui-ci se trouve sans doute ailleurs… dans le partage et la joie des rencontres… dans les relations… les choses simples et authentiques de la vie.
[2] Il est évident que la science a permis à l’homme de développer des capacités d’observation, d’analyse et d’esprit critique, en mettant à distance ses objets d’étude et d’investigation… en passant de la théorie à l’expérience, et vice versa. Elle a permis des progrès considérables dans de nombreux domaines. Ce qui nous a permis, non seulement, de lutter contre les idées reçues (les préjugés et les superstitions), mais surtout de vivre mieux et plus longtemps. Pour autant, la science a – malgré tout – la fâcheuse tendance à déconsidérer tout ce qui ne rentre pas dans son champ d’observation ou d’investigation, comme par exemple la dimension spirituelle de l’homme.
[3] On aurait pu également parler de « la théorie des cordes » selon laquelle l’univers contiendrait, en réalité, 11 dimensions (cf. Edward Witten) et non pas seulement nos 3 dimensions + le temps.
[4] C’est une certitude… les choses ne peuvent jamais être autrement ni évoluer, tant qu’on ne croit pas possible qu’elles puissent vraiment l’être, tant qu’on ne croit pas à la possibilité même d’un changement.

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