dimanche 10 août 2014

Mt 13, 31-35

Mt 13, 31-35 – Royaume de Dieu et don de soi

Lectures bibliques : Pr 2, 1-9 ; Mt 22, 34-39 ; Mt 13, 44-46 ; Mt 13, 31-35.
Thématique : La Parole et le souffle de Dieu… des dons qui appellent au don de soi.
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 10/08/14, culte avec baptême de Noah
Partiellement inspirée d’une analyse biblique d’Alberto Mello

* Quoi de mieux, en ce jour de baptême, que de méditer sur ces paraboles du Royaume... qui nous rappellent la promesse et l’appel que Dieu nous adresse en Jésus Christ.

En effet, Noah vient de recevoir le baptême et déjà, l’Evangile lui fait entendre – nous fait entendre – une promesse de Vie.

Pour dire cette promesse d’accomplissement et de bonheur, Jésus utilise un langage un peu particulier : il parle du « Royaume de Dieu » ou « Royaume des cieux » comme de l’advenue d’une Bonne Nouvelle (cf. Mt 9,35).

De quoi s’agit-il ?
L’expression traduit une notion assez largement connue dans le Judaïsme de l’époque de Jésus. Elle recouvre plusieurs facettes :
- D’une part, elle est liée au Temple, au sanctuaire, lieu de la présence de Dieu, de sa gloire, de sa royauté… et donc à la liturgie, à la pureté et aux rites nécessaires pour entrer en communion avec la majesté divine.
- D’autre part, elle s’enracine aussi dans l’idée que la royauté céleste de Yahvé est appelée à s’étendre sur la terre, dans l’histoire des hommes : sur Israël, d’abord (par la royauté davidique ou par une restauration politique), puis sur la terre entière.
- Enfin, cette notion comprend également – et peut-être surtout – une espérance eschatologique, pour la fin des temps. A ce titre, elle vise ce lieu céleste où les Justes, après leur mort, seront réunis autour de Dieu, pour goûter une intense félicité. Elle décrit un lieu de bonheur où enfin les hommes vivront dans la justice et la paix, dans la vie éternelle de Dieu, avec tous ceux qui ont vécu une vie juste sous le regard de Dieu.

En écoutant les évangiles, on se rend compte que Jésus reprend cette notion – déjà riche de sens – en la transformant partiellement :

Il nous parle du « Royaume de Dieu »… non seulement comme une espérance pour « après », pour un « au-delà », après la mort ou la fin des temps (cf. Mt 13, 41-43)… ni même comme quelque chose qui devrait se cantonner au lieu saint du Temple ou à un pays, sous forme de théocratie… mais comme une réalité qui peut commencer, ici et aujourd’hui, en nous… une réalité à laquelle nous pouvons avoir accès dès maintenant, lorsque nous laissons Dieu régner sur notre vie… lorsque nous lui faisons confiance pour vivre selon sa Parole, sa volonté (cf. Mt 7, 21)… lorsque nous cherchons à vivre en communion avec notre Père céleste et avec nos frères, ici bas (cf. Mc 12, 28-34).

En d’autres termes, le Royaume de Dieu, ce n’est pas seulement le but, l’accomplissement et la finalité de notre histoire, c’est ce à quoi nous sommes appelés à tendre, c’est ce vers quoi nous cheminons, dès cette vie-ci, à la suite de Jésus… dans l’idée qu’en Jésus Christ, ce Royaume de Dieu s’est déjà approché (cf. Mt 10,7 ; Mt 12,28 ; Lc 10,9). Il s’est manifesté dans notre histoire.

Plus précisément, Jésus nous laisse entendre que quelque chose ou plutôt quelqu’un – l’Esprit saint – peut habiter notre existence présence… que notre vie peut être fécondée et transformée par le souffle de Dieu… que nous pouvons, dores-et-déjà, accéder à une nouvelle réalité, une nouvelle manière d’être-au-monde (cf. Jn 3,3)… et faire advenir ce monde nouveau de Dieu en nous et dans notre monde. (Voir aussi Paul : par ex. 1 Co 3,16-17.)

Alors, ce matin, la question se pose : Comment entrer… comment accéder à cette nouvelle réalité, à ce monde nouveau de Dieu ?

A travers des paraboles – dites « paraboles du royaume » – l’évangéliste Matthieu reprend les paroles de Jésus et nous donne quelques pistes, sous forme d’images et de comparaisons, car, bien évidemment, le « royaume de Dieu » n’est pas une réalité objectivable, que nous pourrions saisir ou appréhender de façon directe et immédiate.
Nous pouvons sans doute l’expérimenter à certains moments de notre vie, lorsque nous nous sentons en étroite communion avec Dieu… lorsque nous vivons de justes relations avec tel ou tel. Nous pouvons la découvrir en suivant Jésus Christ, dans la mesure où il a incarné par sa vie, ses paroles et ses actes, cette nouvelle réalité… mais nous ne pouvons pas dire : elle est ici ou elles est là (cf. Lc 17, 21).

Malgré tout, Jésus nous dit que nous pouvons y avoir accès, que cette réalité est à portée de main… parmi nous (cf. Lc 17, 21).… et même potentiellement « en nous », qu’elle nous est accessible.

Pour nous en dire plus – nous l’avons entendu – Jésus nous donne quelques images. Je vous propose d’en examiner deux, ce matin :

* La première est la graine de moutarde. L’évangile la présente comme la plus petite de toutes les semences et potentiellement comme la plus grande des plantes potagères. A travers ce contraste, Jésus nous révèle une potentialité de croissance pour nos vies, une dynamique de transformation, capable de soulever nos existences… pour autant que nous semions cette petite graine dans notre champ.

Dès lors, une question toute simple – mais fondamentale – se pose : quelle est donc cette mini-graine du Royaume des cieux capable de faire toute chose nouvelle dans notre vie ?

Deux réponses peuvent être données :
-       Si on s’appuie sur la parabole précédente, celle du semeur (cf. Mt 13, 1-9. 18-23), on comprend sans difficulté que la graine, c’est la Parole (la parole de Dieu ou la parole du royaume (cf. Mt 13, 19))… la Parole que Jésus Christ est venu incarner et éclairer dans notre monde (cf. Jn 1, 1-18).
-       Si on s’appuie sur l’apôtre Paul, on dira davantage que cette graine, c’est l’Esprit saint, le souffle que Dieu nous donne… qui est l’objet de la promesse (Ga 3,14) et qui est capable de nous transformer, de nous sanctifier (voir aussi Jn 3, 5-8).

Quoi qu’il en soit, ces deux réponses ne sont pas contradictoires, mais complémentaires !
Dans la mesure où nous reconnaissons en Jésus le Christ, le porteur de l’Esprit saint, celui qui est venu nous révéler le projet de Dieu pour l’être humain, nous comprenons que l’image de la graine nous appelle à recevoir, au cœur de notre existence, dans l’humus de notre vie, ce souffle et cette Parole de Dieu… pour qu’ils nous fassent grandir, pour qu’ils fassent véritablement de nous – et de Noah, petit à petit – des créatures à l’image et à la ressemblance de Dieu, des êtres humains accomplis dans leur vocation d’enfants de Dieu, c’est-à-dire au diapason de notre être véritable.

Mais, si nous sommes attentifs à cette image que Jésus nous donne, nous pouvons découvrir autre chose… nous pouvons y entendre… non seulement le don que Dieu nous fait à travers l’image de la semence offerte – de la Parole et de l’Esprit saint – … mais également ce que Dieu attend de nous, la réponse que nous pouvons faire à ce don de Dieu, à travers l’image de l’enfouissement de la graine dans le champ (cf. Mt 13, 31), comme une semence appelée à tomber dans la bonne terre (cf. Mt 13, 8.23).

Dans l’antiquité, on pensait qu’une graine devait être enfouie, ensemencée dans la terre et mourir, pour naître à quelque chose d’autre, pour devenir une plante et donner du fruit.

Selon l’idée que se faisaient les Anciens, une graine déposée sous terre meurt. On en trouve l’explication dans l’évangile selon Jean : « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il produit beaucoup de fruit » (Jn 12, 24. Voir aussi 1 Co 15, 36).
L’évangéliste Matthieu a exactement la même manière de penser. On la retrouve dans cette parole de Jésus : « Qui veut sauver sa vie, la perdra ; mais qui perd sa vie, à cause de moi, la trouvera » (Mt 16, 25. Voir aussi Mt 10, 39 et Jn 12, 25).

Le mot « psyché » en grec signifie « vie » et « âme ».
« Perdre sa vie » veut dire « donner son âme ». Il s’agit là de l’exigence la plus radicale de la Torah [du Shema’] : aimer le Seigneur notre Dieu de tout notre être (Dt 6, 5)… de toute notre âme (Mc 12, 30 ; Mt 22, 37).

« Aimer », c’est bien « donner », « se donner »… donner ce que l’on est… donner sa vie par amour – dira Jésus (cf. Jn 15, 13).

Voici donc en quoi consiste le plus grand mystère du royaume :
Le monde nouveau de Dieu est une puissance de vie prodigieuse qui est mis en route par un petit geste souvent caché et ignoré de tous : le don de soi.

« Semer », ce n’est pas avoir, posséder, conserver, retenir (ce que l’on a reçu)… mais c’est, au contraire, prendre le risque de lâcher prise, accepter de perdre la semence, pour gagner la récolte. C’est « se donner », c’est libérer la semence de vie qui nous a été offerte, pour – à notre tour – la donner, pour lui permettre d’exprimer toute sa potentialité.

* On retrouve cette idée dans la 2ème parabole : celle du levain caché dans la pâte.

L’image révèle l’action cachée du levain qui permet de faire fermenter l’ensemble de la pâte. Pour obtenir un tel résultat – pour faire lever toute la masse – il suffit d’un peu de levain.

Ici, ce qui est mis en relief, c’est le fait que le levain doit être enfoui, « enseveli » dans la farine, pour développer son action de ferment.

Autrement dit, ce qui est à l’origine de la plante de moutarde ou de la masse du pain qui lève, c’est un don : don de la semence ou don du levain… don qui ne peut conduire à une belle plante accueillante ou un bon pain croustillant, qu’à condition qu’il ne soit pas conservé et économisé tel quel, mais qu’il soit utilisé, intégré, assimilé et donné en retour.

* Ainsi, Jésus nous fait comprendre que le Royaume – fruit de la Parole et du souffle de Dieu – ne peut advenir en nous et dans notre monde, sans réponse de l’être humain… sans que nous acceptions de recevoir ces dons, de nous les approprier, de les transformer, en les redonnant au monde, à travers nous-mêmes, à travers le don de notre vie, de nos charismes, de notre temps, de nos savoir-être et savoir-faire, en faveur des autres, en faveur de nos frères humains… et même des plus petits parmi nos frères – dira Jésus (cf. Mt 25,40).

C’est « le don de soi » qui permet de libérer les potentialités de l’être… qui nous permet de faire grandir le royaume en nous et dans notre monde… ainsi que Jésus nous l’a montré et enseigné par sa vie.

* Il me semble qu’il y a là, pour nous, ce matin, une véritable promesse et un appel à entendre :

Loin de toute idée de bonheur solitaire et consumériste… loin de tout individualisme et de tout égocentrisme, dans lequel a tendance à nous replier la société actuelle, influencée et parfois abrutie par la publicité et son appel incessant à convoiter et à posséder tel ou tel objet de consommation… ou par l’idée d’une réussite synonyme d’avoir, de pouvoir, de grandeur, de notoriété, d’exploit sportif ou de gain financier… l’Evangile nous redit aujourd’hui que le royaume – le monde nouveau de Dieu – ne peut, au contraire, advenir que dans un geste inverse : celui du don (autrement dit : celui de l’être, plutôt que de l’avoir).
Geste qui consiste à recevoir les dons de Dieu (sa Parole et son Esprit) et à les faire fructifier en nous et autour de nous, en les redonnant au monde et aux autres, par le don de soi, par amour de Dieu et du prochain.

Le Royaume – synonyme de l’advenue d’une nouvelle réalité, celle d’un monde où règne enfin la justice et la paix, l’harmonie et la réconciliation entre les hommes et les peuples… et, en regardant les actualités, nous savons combien notre monde, soumis aux conflits et à la violence, en a besoin – … ce monde nouveau de Dieu … ne pourra advenir sans un changement de mentalité, sans que chacun accepte de lâcher prise, d’abandonner l’optique du « chacun pour soi », pour élargir la perspective à la préoccupation de l’autre (cf. Mt 6,33 ; 25,40).

A travers ces paraboles, nous comprenons bien pourquoi Jésus a conservé cette image du Royaume de Dieu. Elle est tout à fait parlante !
Il y a véritablement une dynamique transformation et une promesse de bonheur pour celui qui se met à l’écoute de l’Evangile, pour celui qui veut marcher à la suite de Jésus Christ, en empruntant le chemin de l’humilité, de la douceur, de la justice, du pardon et de la paix – en un mot, le chemin des Béatitudes (cf. Mt 5, 1-12).

C’est également ce que rappelle le livre des Proverbes, dans le passage que nous avons entendu : « Mon fils, si tu acceptes mes paroles,
si mes préceptes sont pour toi un trésor […]
Alors tu comprendras ce que sont justice, équité, droiture :
toutes choses qui conduisent au bonheur » (Pr 2, 1.9).

Les Proverbes comme l’Evangile, nous parle de la Parole de Dieu comme d’un trésor (Prov 2,1.4 ; Mt 13, 44)… une semence de vie… capable d’instiller une nouvelle mentalité (Mc 1,15), capable de transformer l’existence de celles et ceux qui l’accueillent, et par ricochet, celle de leur entourage.

Avec Jésus, nous pouvons dire que Dieu règne dans nos vies, quand nous osons lui faire confiance, quand nous nous essayons de vivre selon sa Parole, en prenant part à son règne d’amour dans nos relations humaines.
Ce n’est évidemment pas toujours simple ni naturel, mais c’est pourtant la transformation à laquelle le Christ nous appelle.

Parce que Jésus sait que c’est là le seul chemin possible pour le salut de notre monde, il ne cesse de nous appeler à changer de regard, à nous enraciner dans cette nouvelle mentalité du don de soi (cf. Mc 1,15 ; 8, 34-35).

Il nous reste à lui faire réellement confiance et à nous mettre en route derrière lui… lui qui a vécu ce don jusqu’au bout, jusqu’au don de sa vie.

Qu’il soit pour chacun d’entre nous – et pour Noah, en particulier – un guide, un ami et un confident.  


Amen.

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