jeudi 25 décembre 2014

Quand Dieu vient habiter en l'homme - Noël 2014

Lectures bibliques : Jn 1, 1-18 (ext.) ; Mc 1, 4-11 ; Mt 25, 31-40                  Noël 2014
Thématique : « Dieu demeure là où on le fait entrer » (M. Buber)
Prédication de Pascal LEFEBVRE (partiellement inspirée d’une méditation d’Henri Persoz) / Culte de noël, Tonneins, le 25/12/14.

« Qu’est-ce qu’un rite ? » demande le Petit-Prince au renard[1]. Un jour différent, un temps mis à part… C’est ce qui permet que les jours de ne ressemblent pas tous.
Si Noël est devenu une fête, un rite … c’est peut-être pour se souvenir de choses importantes, pour se rapprocher de Dieu, pour le recevoir, pour « s’apprivoiser ».  
Noël nous aide à répondre à une série de questions fondamentales que l’être humain peut se poser au sujet de Dieu :
Où se loge-t-il ? Où se trouve-t-il ? Comment le rencontrer ? Et comment l’accueillir ?

Il s’agit là d’interrogations, à la fois, bien posées et mal posées :
- « Bien posées » parce qu’en tant qu’hommes et femmes de foi, nous croyons en un Dieu juste et bon à qui nous pouvons faire confiance. Alors, peu importe où Dieu se trouve… peu importe qu’il soit ici ou là-bas, qu’il soit invisible ou dans une autre dimension que la nôtre. Ce qui compte c’est de pouvoir vivre en relation avec Lui, c’est de pouvoir communiquer ensemble dans la vie ou dans la prière (nous appuyer sur Lui, le louer, le remercier, nous tourner vers Lui).
- Mais cette question est également « mal posée », car Dieu n’est pas simplement un être, une créature. Certes, Jésus nous permet d’appeler l’Eternel « Notre Père », mais – à proprement parler – il n’est pas une personne… il est Esprit, il est Amour. Il n’habite donc pas un espace particulier. Il n’est pas localisable. Il reste mystérieux, inconnaissable, insaisissable.

Malgré les limites de ce genre de questions, les croyants (d’une manière ou d’une autre) ont essayé d’y répondre au cours des siècles. Il s’agit en fait d’une question logique : Si je veux rencontrer Dieu, il faut bien que je sache où le chercher – comment m’y prendre – pour essayer de le trouver.

Dieu habite sa création

Pour affirmer la puissance de Dieu, des hommes ont commencé à dire que Dieu se trouvait dans la nature, dans la force des éléments : le feu, le tonnerre ou la tempête. Mais le prophète Elie est venu affirmer qu’il s’est révélé à lui dans le murmure d’un souffle ténu (1 R 19), c’est-à-dire comme une réalité douce, quasi imperceptible.

Dieu habite le ciel

Pour les Hébreux de l’Ancien Testament – comme pour les évangiles – Dieu habite dans le ciel. C’est ce que dit la prière : « Notre Père qui es aux cieux ».
Dieu habite dans cette autre dimension qui nous dépasse et qu’on a appelée « ciel », peut-être pour affirmer la transcendance de Dieu, son mystère… mais aussi parce que c’est de là que viennent la lumière et les étoiles… (comme cette fameuse étoile qui va guider les mages dans l’obscurité).
Ainsi, le prophète Esaïe affirme que le ciel est le trône de Dieu (Es 66,1), sans doute pour rappeler que le monde appartient à Dieu et que toutes les créatures – et en premier lieu, les humains – lui appartiennent chacune personnellement.

Dieu habite le sanctuaire

Malgré tout, le ciel demeurait trop inaccessible, les hommes ont alors voulu enfermer Dieu dans des temples et même des statues.
Les instituions religieuses ont toujours eu la tentation de retenir Dieu dans leurs murs, pour se l’accaparer, pour signifier qu’il était chez elles, et qu’à ce titre, elles étaient divinement inspirées, que le vrai Dieu était de leur côté et qu’il fallait se soumettre à leur vérité.
Ainsi enfermé dans les tabernacles des synagogues et des Eglises, Dieu n’avait plus qu’à se laisser faire et se plier à ce qu’on attendait de lui.

Dieu habite la Torah

Néanmoins, tout cela restait fragile. Quand un conflit ou une guerre éclatait, on pouvait facilement porter atteinte au Dieu de l’autre, en rasant un bâtiment « sacré »… il fallait quelque chose d’autre… pour garder l’histoire, les lois et les enseignements… dans une mémoire portative et transmissible. On a alors clôturé Dieu et sa révélation dans des Ecritures saintes : la Torah et plus largement la Bible hébraïque.

Un livre « sacré » retraçant une histoire sainte et des prescriptions divines : c’était un trésor à la fois indispensable et précieux.
L’homme a besoin de pouvoir se nourrir des traces de la révélation divine. Il a besoin d’étudier, de méditer, de réfléchir, de comprendre.
Mais, en même temps, ne risquait-on pas, à nouveau, d’enfermer Dieu une fois pour toutes dans un espace clos : le canon d’une Ecriture figée ?
Dieu n’est-il pas, au contraire, une réalité dynamique ? Ne s’est-il pas révélé au cours de l’histoire et ne continue-t-il pas à se révéler jusqu’à aujourd’hui ?

Dieu habite en Jésus Christ

Tout a changé avec l’arrivée de Jésus.
En reconnaissant en cet homme, l’incarnation de la Parole de Dieu, du projet de Dieu pour l’humanité… on a pris conscience que Dieu n’habite pas seulement au ciel, dans un sanctuaire ou dans la Torah, il est venu se révéler sur terre à travers un homme : Jésus de Nazareth.

Dieu habite l’homme

C’est une autre vision de la demeure de Dieu : un renversement complet.
Désormais, ce n’est plus l’homme qui va dans la maison de Dieu, c’est Dieu qui va dans la maison de l’homme, c’est Dieu qui vient habiter en l’homme.
C’est ce que dit l’apôtre Paul dans ses lettres : « Ne savez-vous pas que vous êtes le Temple de Dieu… que l’Esprit de Dieu habite en vous ? » (1 Co 3, 16) … « C’est en [Christ] que, vous aussi, vous êtes ensemble intégrés à la construction pour devenir une demeure de Dieu par l’Esprit » (Ep 2, 22).

Cette révolution copernicienne de l’habitation de Dieu a commencé avec l’advenue de Jésus Christ et s’est étendue à tout être humain :

Dans les évangiles, les récits de la conception et du baptême de Jésus veulent nous montrer la façon dont Dieu s’incarne dans notre humanité… la manière dont il vient habiter parmi nous : par son Esprit saint.

Pour les rédacteurs des évangiles, c’est la présence de l’Esprit de Dieu, en Jésus, qui fait de lui le Christ. 
Parce que Jésus est le porteur de l’Esprit saint, le porteur du souffle de Dieu (de façon ultime, comme aucun homme avant lui), il peut être appelé « Parole de Dieu » : il est celui qui incarne pleinement le Verbe de Dieu, le projet de Dieu pour l’humain et le monde.

A chaque Noël, nous entendons cette nouveauté de la présence de Dieu en l’homme : nous accueillons Jésus comme le Verbe incarné, la Parole de Dieu (cf. Jn 1, 14 ; 6, 68)… comme celui qui a été reconnu comme le porteur du souffle, le porteur de l’Esprit de Dieu (cf. Mc 1, 9-11 ; Mt 3, 13-17 ; Lc 3, 21-22 ; Jn 1, 32-34)… alors, en quoi est-ce si important de réentendre cette Bonne Nouvelle tous les ans ?

Je crois que cela a une grande importance, surtout dans le contexte de notre société actuelle, très matérialiste, qui ne relaie absolument pas les préoccupations spirituelles de nos contemporains. Et cela au moins pour deux raisons :
-       D’une part, à cause du message de l’Evangile – de la Bonne Nouvelle – que Jésus est venu porter dans notre monde, pour nous éclairer et nous révéler l’amour du Père.
-       D’autre part, cela a une importance si nous considérons que Noël n’est pas seulement une vieille et belle histoire – celle d’une naissance – arrivée il y a plus de 2000 ans… mais que cette histoire nous concerne… qu’elle nous permet de mieux comprendre la manière dont Dieu agit dans notre histoire humaine.

Dieu y est intervenu par Jésus, en plaçant en lui son Esprit. Mais ce don n’est pas réservé à l’homme de Nazareth. Il nous concerne également. Il est offert à tous.

Dieu agit au cœur de notre humanité : Il le fait par amour… en respectant notre liberté : il le fait en nous donnant son Esprit.
Ce qui est vrai pour Jésus, est également vrai pour nous-mêmes.

Par notre être biologique, nous sommes des êtres finis et limités, en durée et en qualité.
En nous offrant sa présence, son Esprit… en nous proposant de venir habiter en nous… en nous appelant à l’accueillir…. en faisant de nous son temple – dira Paul (1 Co 3, 16.17b.)… Dieu vient nous ouvrir, nous élargir, nous permettre d’accéder à une autre dimension de notre être : une dimension lumineuse et éternelle.

C’est ce que nous pouvons ressentir quand nous prions ou nous méditons.
Il est vrai que généralement nous ne prenons que peu de temps pour cela. Nous pouvons passer des heures à l’école, au collège, à l’université ou chez soi, pour travailler à notre développement mental et intellectuel… ou des heures au stade ou dans des salles de sports, pour notre épanouissement physique… mais quel temps consacrons-nous à notre éveil spirituel ?... à la méditation, pour élever notre état de conscience… nos capacités de perceptions sensorielles et spirituelles ?

C’est là que la fête de Noël a sans doute un rôle à jouer : Elle nous rappelle que Celui qu’on appelle Dieu, l’Eternel, le Tout-Autre se fait, en réalité, Tout-Proche.
Il sollicite notre ouverture, notre écoute et notre liberté, pour venir faire sa demeure au cœur de notre humanité, en nous… pour agir de l’intérieur, pour nous modifier, nous transformer, nous modeler… si nous voulons bien nous ouvrir à lui.

« Si quelqu’un m’aime – dit Jésus – il observera ma parole, et mon Père l’aimera ;  Nous viendrons à lui et nous établirons chez lui notre demeure » (Jn 14,23).

C’est un changement complet dans notre manière de comprendre l’action de Dieu.
Il n’est plus le Dieu tout-puissant, plus ou moins tyrannique, qui voudrait gouverner par sa Loi ou nous dominer du haut du ciel. Désormais, il est « Emmanuel », « Dieu avec nous »… il est même « Dieu en nous » : il habite avec nous si nous voulons bien vivre des paroles de Jésus.

Il nous propose une alliance, qui nous permet de voir chaque nouvelle journée de notre existence autrement… il nous invite à nous laisser renouveler par son Esprit, pour faire émerger, en nous, une créature nouvelle, à l’image du Christ (parfaite image de Dieu : cf. 2 Co 4,4 ; Jn 1,18 ; Col 1,15)… en nous invitant à lâcher notre égo et à mettre au centre de nos préoccupations la dimension relationnelle et spirituelle de notre être.

En d’autre termes, en nous donnant son Esprit, en nous offrant un baptême d’Esprit, une naissance d’en haut… Dieu nous propose une nouvelle identité : il veut faire de nous des frères et des sœurs de Jésus Christ… il veut faire de nous ses enfants.
C’est cette Bonne Nouvelle qui résonne au cœur du prologue de Jean :
« A ceux qui ont reçu [le Christ, le Verbe de Dieu], à ceux qui croient en son nom, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu.
Ceux-là ne sont pas nés du sang, ni d’un vouloir de chair, ni d’un vouloir d’homme, mais de Dieu » (cf. Jn 1, 12-13).

A la suite de Jésus, c’est donc à une naissance spirituelle que Dieu nous appelle.
En venant habiter en nous, en mettant nos esprits au diapason de son Esprit… il attend que nous concrétisions sa Parole (sa Parole d’amour, de justice et de paix) dans notre monde… ainsi que Jésus l’a fait.
Il nous invite à être des porteurs de Bonne Nouvelle et d’espérance… à faire briller sa lumière pour tous ceux que nous rencontrons (Ep 5,8-9).[2]

Dieu habite parmi les plus petits de nos frères

Mais, l’Evangile va encore plus loin, ce matin – et c’est sur cette dernière affirmation que je conclurai, grâce à l’extrait de la parabole du jugement dernier que nous avons entendu (Mt 25, 31-46).

Malgré l’affirmation d’un Dieu qui vient habiter en l’homme… il faut avouer que nous avons, quand même, bien du mal à quitter les représentations traditionnelles de Dieu.
Nous avons du mal à accepter que Dieu ne soit pas le grand roi ou le grand juge auquel nous pensons.

Or, ce qui est intéressant dans cette parabole, c’est que ce juge du monde n’a qu’un seul critère de discernement : l’amour.
Le plus étonnant même, c’est qu’il quitte sa place de juge, pour endosser le rôle de l’autre, le visage du frère. C’est désormais là qu’il se rencontre.

Cela implique un retournement complet de notre manière de voir les choses. Cela implique notre disponibilité à aimer ce frère qui cache peut-être la présence de Dieu.

Dans un monde qui ne laisse place qu’à la réussite, au succès, à la performance… le renversement est radical :
Contre toute attente, le juge du monde se tient du côté des plus petits parmi nos frères – des étrangers, des malades, des prisonniers, des hommes et des femmes qui n’ont pas assez à manger, à boire, pour se vêtir – autrement dit, il se tient du côté de la vie apparemment ratée. Et la vie réussie, il la mesure au fait de vivre solidaire avec les faibles, les démunis, les malades, les prisonniers.

Autrement dit… en nous donnant son Esprit, le Seigneur nous appelle également à changer de mentalité : à le découvrir non plus seulement dans ce qui brille : au creux du bonheur ; dans les tentatives de vie réussie ; les personnes, les créatures et les situations les plus belles. Mais là où l’on ne l’attend souvent pas : en tout homme, y compris le plus petit, le moins considéré, le plus méprisé… là encore, au creux de l’humain, il y a la petite lumière de Dieu parfois bien cachée, parfois bien enfouie, dissimulée sous les malheurs et les blessures de l’existence.

Ainsi donc, l’évangile de Noël est bien plus dérangeant qu’il n’y paraît : Il ne s’agit pas seulement d’accueillir la présence de Dieu dans un bel enfant nouveau-né… mais de le reconnaître aussi dans le visage du Crucifié…  d’un homme qui sera prisonnier, rejeté et condamné comme un bandit.

Bien entendu, si Jésus était innocent, ce n’est pas le cas de beaucoup de prisonniers, qui ne sont sans doute pas détenu en prison par hasard, pour leur exemplarité ou leurs vertus.
Pourtant, l’Evangile nous appelle à nous tourner vers eux, comme vers tous les exclus.
Il s’agit désormais d’accueillir la présence de Dieu – la petite étincelle de lumière divine – en tout homme. Non plus seulement en celui qui accomplit le bien, mais même – et peut-être, avant tout – en celui qui va mal ou qui a peut-être fait quelque chose de moche, de tordu ou de terrible, à cause de son histoire cabossée et malheureuse.

Dieu habite incognito

Accueillir Noël, ce n’est donc pas simplement accueillir Jésus, c’est plus fondamentalement recevoir son message, son Evangile, et tous ceux qu’il a lui-même accueillis : ceux qui étaient perdus, malades, exclus (Mt 9, 9-13 ; Lc 15, 1-2 ; Mt 21, 31) … la prostituée, le collecteur d’impôt, le lépreux, etc…. ceux que Jésus est venu trouver pour leur rendre une dignité et les restaurer dans leur véritable identité d’enfants de Dieu.

C’est là, dans cet accueil de chacun – tel qu’il est – que Dieu nous appelle à notre vocation d’enfants de Dieu : à ne pas juger… à toujours regarder autrui avec espérance et persévérance… à ne jamais cesser de croire en l’autre… à ne jamais désespérer de nos frères et sœurs… pour aller chercher et réveiller ce qui est parfois caché au plus profond de chacun : le trésor enfouit dans le champ (Mt 13, 44-46) ; la lumière cachée dans l’obscurité ; la perle de grand prix perdue dans le désordre d’un coffre à bijoux.
(Et comment réveiller le meilleur en chacun si ce n’est en donnant le meilleur de nous-mêmes, en accueillant, en visitant, en prenant soin, en libérant, en nourrissant, etc.)

Ainsi, le juge de la parabole nous fait comprendre autrement le message de Noël : Dieu se rencontre certainement à travers Jésus Christ, sa Parole vivante, celui qui est notre étoile, notre berger, notre guide. Mais c’est également incognito que Dieu vient à la rencontre de chacun, à travers chaque être humain dans le besoin.
C’est incognito que se rencontre Celui qui vient habiter le monde, offrir son Esprit et juger le monde à travers le prisme de l’amour.
Il vient à ma rencontre dans le visage de tout être humain. Et c’est pour cela que je suis appelé à accueillir chacun de mes frères, comme un enfant aimé de Dieu.

Dieu habite là où on le fait entrer

C’est là – je crois – frères et sœurs, la Bonne Nouvelle, le cadeau que nous recevons ce matin : à Noël, nous nous redécouvrons frères et sœurs de Jésus Christ… enfants d’un même Père.

Or, ce Père céleste veut venir régner dans nos cœurs.[3]
Comme le disait le philosophe israélien Martin Buber, « Dieu demeure là où on le fait entrer »[4].
A nous de lui laisser de l’espace dans notre cœur pour le laisser habiter en nous… et à nous de regarder nos frères avec les yeux du cœur, pour découvrir la présence de Dieu en chacun.

Amen.




[1] Cf. Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince, Gallimard, 1946, p.70.
[2] C’est en ce sens que Jésus assigne à ses disciples cette mission d’être « le sel de la terre » ou « la lumière du monde » (Mt 5, 13-16).
[3] C’est la raison pour laquelle, il n’est pas prioritairement le Dieu de ceux qui réussissent : des biens portants, des riches, de tout ceux qui possèdent pouvoir, savoir et richesse… il est d’abord le Dieu des humbles : de ceux qui reconnaissent leur pauvreté, leur manque, leur faiblesse, leur vulnérabilité… car pour laisser Dieu venir habiter en soi, venir nous relever, nous changer, nous transformer… il faut d’abord avouer humblement son incapacité à se sauver par soi-même. « Heureux les pauvres de cœur, le royaume des cieux est à eux » (Mt 5,3) : Seuls ceux qui se savent pauvres en eux-mêmes, qui attendent tout de Dieu… qui ne sont pas prisonnier de leur égo… sont en capacité d’accueillir sa présence en eux-mêmes.
[4] Martin Buber, Le chemin de l’homme, Ed. Alphée, 2007, p. 56.

mercredi 24 décembre 2014

Un conte de Noël

"Nicodème… et le cadeau de Dieu"

Conte de Noël 2014 (basé sur Mt 25, 14-30 ; Jn 3, 1-16)
Pascal LEFEBVRE / Veillée de Noël à Marmande, le 24/12/14.

Une prédication pour la veillée de Noël… ce serait trop banal !
Permettez-moi, ce soir, de déroger à la règle… et de rêver un peu.
Voici un conte de Noël qui nous livre le témoignage imaginaire d’un certain Nicodème… un personnage du Nouveau Testament qui a rencontré Jésus.
Vous y reconnaitrez certainement quelques passages bibliques inspirés de Matthieu (chap.25) et Jean (chap.3) :

Moi, Nicodème, je suis un vieillard, un Juif devenu Chrétien, disciple du Christ.
Si j’écris ces paroles, c’est que je veux laisser une trace de la rencontre que j’ai faite un jour avec un homme extraordinaire, qui a changé ma vie : Jésus de Nazareth.

Autrefois, j’étais un notable, un homme respecté de tous, pour sa sagesse et sa connaissance, un Pharisien, un expert des Ecritures, notamment de la Torah.
Puis un jour, j’ai croisé ce Jésus qui m’a parlé de manière nouvelle : de nouvelle naissance, de la possibilité de naître d’en haut, d’accueillir en soi l’Esprit de Dieu.

Au premier abord, je n’ai pas compris grand-chose de cet appel qu’il adressait. C’était pour moi du charabia.
Mais plus tard, j’ai eu d’autres occasions de croiser sa route. Et un jour, en écoutant une histoire, un parabole qu’il racontait : j’ai eu un flash. J’ai été littéralement saisi par ses paroles.

Ma mémoire n’est plus ce qu’elle était. Mais je veux bien essayer de vous la raconter et de vous expliquer – en même temps – comment j’ai compris cette parabole :

Il en sera – disait-il – du Royaume, comme d'un homme qui allait partir en voyage : Faisant confiance à ses serviteurs, il les appela et leur confia… leur donna… ses biens. Il remit à l’un cinq talents – une somme considérable –, à un autre deux, à un autre un seul – ce qui correspond quand même à 10 000 deniers : à 17 ans de salaires d’un ouvrier   il donna à chacun selon ses capacités ; puis il partit.

L’histoire commence comme ça… et c’est déjà étonnant. Je ne connais pas un seul maître qui distribuerait une telle somme, qui ferait une telle confiance à ses employés.

Aussitôt – nous dit la suite de l’histoire 16celui qui avait reçu les cinq talents s’en alla travailler, pour les faire valoir, les faire fructifier, et en gagna cinq autres. 17De même celui des deux talents, doubla également le don reçu et gagna deux autres talents.
18Mais celui qui n’en avait reçu qu’un seul, s’en alla creuser un trou dans la terre et y cacha l’argent de son maître.
Il agit ainsi parce qu’il avait peur. Il se disait en lui-même : « Recevoir un cadeau pareil, ce n’est pas possible… ce n’est pas normal ! Il doit y avoir un piège !
Un patron comme ça, ça n’existe pas ! On les connaît les patrons ! Il n’y a que le profit qui compte pour eux ! »
Alors, prudemment… ou plutôt, peureusement… il enterra ce cadeau… qui pour lui n’en était pas un.

19Longtemps après, le maître de ces serviteurs arrive.
Contre toute attente, il revient, pour lever avec eux une parole, pour faire le point avec ceux en qui il avait eu confiance, pour prendre des nouvelles, tout simplement.

Dès lors, les deux premiers serviteurs présentèrent les nouveaux talents qu’ils avaient gagnés, par leur propre travail :
20Celui qui avait reçu les cinq talents s’avança et en présenta cinq autres, en disant : “Maître, tu m’avais confié cinq talents ; voici cinq autres talents que j’ai gagnés.” 21Son maître lui dit : “C’est bien, bon et fidèle serviteur, tu as été fidèle en peu de choses, sur beaucoup je t’établirai ; viens te réjouir avec ton maître.”
22Celui des deux talents s’avança à son tour et dit : “Maître, tu m’avais confié deux talents ; voici deux autres talents que j’ai gagnés.” 23Son maître lui dit : “C'est bien, bon et fidèle serviteur. Tu as été fidèle dans des choses qui ont peu de valeur, je te confierai donc celles qui ont beaucoup de valeur. Viens te réjouir avec moi.”

Jusque là l’histoire se répète. On comprend que les deux premiers serviteurs se sont comportés comme des gérants fidèles vis-à-vis de leur maître.
En conséquence, c’est la joie qui leur est offerte. Ils ne sont plus considérés comme des serviteurs, ils sont désormais traités comme des fils… des enfants du maître.

A travers la réponse du maître, on apprend que son projet est de leur confier d’autres biens, de leur donner d’autres talents encore plus nombreux… puisqu’ils ont su recevoir les premiers et faire bon usage de ce qui leur avait été offert gratuitement.

Malheureusement, avec le dernier serviteur les choses se compliquent, car lui n’a pas du tout compris le projet de son maître :

24S’avançant à son tour, celui qui avait reçu un seul talent dit : “Maître, je savais que tu es un homme dur : tu moissonnes où tu n’as pas semé, tu ramasses où tu n’as pas répandu ; 25par peur, je suis allé cacher ton talent dans la terre : le voici, tu as ton bien.”

Le 3ème serviteur s’est complètement trompé sur l’intention de son maître.
Par crainte, il n’a pas fait usage de ce qu’il avait reçu. Il s’empresse alors de restituer à son maître le talent qui lui avait été donné.
En réalité, celui-ci n’a jamais cru au don. Il n’a pas reconnu la générosité gratuite de son maître.

Il avoue même qu’il voit en lui un homme dur, sévère et exigeant… une sorte de tyran.
On se demande bien pourquoi ?
Peut-être était-il mal renseigné ? Peut-être ne venait-il jamais au temple ?
Ce qui est sûr, c’est qu’il n’avait pas rencontré le Christ… sinon il aurait su… il aurait mieux connu l’intention véritable de son maître.

En refusant ce cadeau, ce serviteur n’a pas donc agi avec sagesse : Non seulement il pouvait vexer son maître… mais, en plus, il s’est carrément privé de ce qu’il avait reçu.

Le maître lui répondit alors : “Mauvais serviteur, paresseux ! Tu savais que je moissonne où je n'ai pas semé, que je récolte où je n'ai rien planté ? 27Eh bien, si tel était ta pensée, tu aurais dû placer mon argent à la banque et, à mon retour, j'aurais retiré mon bien avec les intérêts.

28Retirez-lui donc son talent et donnez-le à celui qui a les dix talents.
29Car à tout homme qui a (qui sait recevoir avec confiance), l’on donnera et il sera dans la surabondance ; mais à celui qui n’a pas (qui est incapable de recevoir et de faire confiance à un Autre), même ce qu’il a lui sera retiré.

La réaction du maître vous paraît peut-être injuste (?) Mais qu’auriez-vous fait, à sa place ?
Imaginez, pour Noël, que vous faites un beau cadeau à quelqu’un, et que cette personne le refuse… auriez-vous envie, par la suite, de lui offrir d’autres cadeaux, d’autres présents ?
Je ne le crois pas !
Vous seriez plutôt fâchés de constater que cette personne – en vous rendant votre cadeau – signifie qu’elle ne veut rien avoir affaire avec vous.

Ainsi donc, comme cet homme avait d’autres présents à distribuer, il décida de les donner à ceux qui avaient accepté de recevoir les premiers :
Il donna d’autres biens, d’autres responsabilités aux deux premiers serviteurs, car ceux-là avaient su recevoir ses dons avec confiance.

Sans doute, connaissez-vous cette histoire : elle est raconté dans un évangile.
Mais, peut-être, ne connaissez-vous pas très bien la fin.

La suite de l’histoire… je la tiens de ma propre expérience :

En réalité, le maître ne voulu pas en rester là.
Finalement, il se ravisa, il eu pitié de ce dernier serviteur. Il éprouva de la compassion pour lui.
Comment aurait-il pu le chasser sans lui donner une seconde chance ?

En secret, il décida de lui donner un autre cadeau, encore plus précieux que le premier.
Il lui confia carrément son trésor ultime, la perle de grand prix, ce qui était le plus précieux à ses yeux : son propre fils.

Il confia ce don inestimable… il offrit à l’humanité et notamment à cet homme son propre fils. Il le fit, afin de lui montrer son amour et sa confiance… afin que ce serviteur change enfin d’avis sur son maître : qu’il ne le considère plus comme un homme dur, mais un père bien-aimant et bienveillant... comme un père céleste qui prend soin de chacun de ses enfants et qui fait confiance à chacun de ses serviteurs, même les plus petits.

Moi… Nicodème, j’ai été témoin de cela.
En rencontrant ce fils – un certain Jésus de Nazareth – j’ai compris que cet homme… ce maître de la parabole, était en fait une image de Dieu.
C’est Dieu qui nous confie ses trésors : la vie, la création, la paix, la joie, la fraternité, la justice, le partage, et tant d’autres choses.

Il peut arriver que nous refusions ses cadeaux, que nous refusions la vie… à cause de mauvaises expériences… à cause de notre méfiance vis-à-vis de Dieu… ou à cause de nos peurs, des épreuves ou des souffrances, parfois trop lourdes à porter.

Il faut bien l’avouer : nous sommes des créatures angoissées.
Bien souvent, notre égo prend le dessus… nous voulons être notre propre maître. Mais, cela ne nous rend pas paisible et serein : cela créé en nous de l’inquiétude et de l’angoisse… car il faut se débrouiller seul… lutter, pour mériter sa place… se battre, pour construire son propre bonheur. 

Cette parabole – comme l’évangile – nous apprend que Dieu nous propose un autre chemin : celui de la confiance… en acceptant de recevoir la vie comme un don.

Pour nous montrer son amour, Dieu nous a offert son bien le plus cher : il a envoyé son Fils parmi nous, pour nous révéler son vrai visage : celui de l’amour… il l’a fait, parce qu’il nous fait pleinement confiance… parce qu’il veut que nous soyons libres et non angoissés.

Mais nous… que faisons-nous de ce cadeau, de cette grâce ?
Savons-nous l’accueillir dans notre cœur ce Fils qui vient nous révéler l’amour du Père ?

Quand j’ai compris cela, j’ai enfin saisi ce que Jésus m’a dit un jour, à moi, Nicodème le Pharisien : « il te faut naître d’en haut. Il te faut naître de l’Esprit :
Naître de l’Esprit, cela veut dire accueillir la lumière, le souffle de Dieu, dans ton cœur et te laisser transformer par son amour ».

Quand j’ai entendu cette parole, je ne l’ai pas comprise sur le moment. C’est bien plus tard que j’en ai perçu la portée… en voyant que ce Fils que Dieu a donné aux hommes… ceux-ci ne l’ont pas compris… il ne l’ont pas accepté et l’ont même fait crucifier. Mais, à nouveau Dieu s’est manifesté… en le ressuscitant, en le donnant à voir Vivant à une multitudes de frères.

Si je vous dis cela… c’est parce que je crois que rien n’est jamais figé dans la vie… il n’est jamais trop tard pour accueillir la Bonne Nouvelle de l’amour de Dieu dans son cœur.
Il est toujours possible de faire les bons choix, de se laisser guider par Dieu. On peut toujours lui faire confiance à n’importe quel moment de son existence.

C’est cela que nous fêtons à Noël… nous les Chrétiens… nous qui avons reconnu dans ce Jésus – cet enfant né dans une humble étable – le Fils de Dieu, l’envoyé de Dieu.

C’est un message de paix et d’amour qu’il nous apporte.

Grâce à lui, je crois au don, je crois à la Vie, je crois que nous sommes aimés de Dieu.

Je crois que notre vie n’est pas écrite dans les étoiles du ciel, contrairement à ce que disent les mages… qu’elle n’est pas fixée dans les livres ou les lois, contrairement à ce que pensent les religieux ou les fondamentalistes… qu’elle n’est pas non plus dictée par les rois et les puissants, contrairement à ce que croient les fatalistes ou les grands de ce monde.
Mais, je crois que cette vie nous est donnée, tout simplement, comme un cadeau de Dieu, comme cet enfant dans la crèche… offert, par amour.

J’ai écris ces paroles parce que j’espère qu’un jour nous vivrons tous ainsi notre vie, comme un cadeau de Dieu à partager, au-delà de nos différences de talents, de charismes, de richesses ou de faiblesses et de handicaps.

Car Noël… c’est cela : c’est laisser place au don de Dieu, c’est accueillir l’Esprit de Dieu et de son fils Jésus, dans notre cœur et notre vie, comme une grâce.

Recevoir cet Esprit d’amour, savoir que Dieu nous aime comme un Père, c’est cela qui nous rend pleinement libres et vivants ! Cela change notre mentalité, notre manière de voir la vie et les gens.
Les autres ne sont plus des individus isolés, des concurrents, des rivaux… contre lesquels je devrais lutter pour mériter ma place. Ce sont mes frères et mes sœurs, aimés de Dieu… et nous sommes inter-dépendants.
Ils sont là… comme je suis là… parce que la vie est un cadeau… parce que nous avons, chacun, reçu des dons particuliers à faire fructifier et à partager.

Voilà, je que j’avais à dire, moi, Nicodème…

Noël, c’est redécouvrir que la vie est un cadeau de Dieu… que le plus beau présent est l’amour qu’il nous offre… et que ce présent devient d’autant plus précieux que nous l’utilisons… que nous partageons les dons reçus avec nos frères et nos sœurs.

Joyeux Noël à tous !