lundi 20 avril 2015

Jn 5, 1-18

Lecture biblique : Jn 5, 1-16
Thématique : « veux-tu guérir ? »
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 19/04/15 & Marmande, le 17/01/16

« Veux-tu guérir ? »[1]

C’est la question directe – et presque incongrue – que Jésus ose poser à cet homme asthénique[2], couché au bord de la piscine de Bethzatha depuis 38 ans ?

C’est peut-être une question qui nous est aussi adressée à nous, indirectement, deux mille ans plus tard : Avons-nous besoin d’être guéri ? De quoi ? Et le voulons-nous ?
Sommes-nous en paix… libres et réconciliés avec nous-mêmes, sous le regard de Dieu ?

Comme la foule de malades – aveugles, boiteux, impotents – qui trainent autour de cette piscine de Jérusalem, l’asthénique de Bethzatha attend désespérément qu’une âme charitable l’aide à plonger dans la piscine au moment où l’eau se met à bouillonner. On croyait, en effet, à cette époque – selon une tradition populaire, sans doute emprunt de superstition – que le premier malade qui plongeait au moment où les eaux s’agitent, se trouvait totalement lavé et purifié de sa maladie.

Il s’agit donc pour chacun des malades, qui patientent autour de la piscine, de plonger au moment favorable. Malheureusement, l’homme – sans doute ralenti et atteint par sa maladie – n’arrive jamais en premier dans la piscine. Il est – de ce fait – condamné à errer là, sans véritable espoir de guérison… puisqu’il n’est jamais le premier, le meilleur, le plus rapide.
Il est sans doute résigné et découragé. Il n’y croit plus vraiment… peut-être… plus du tout !

C’est alors que Jésus remarque cet homme. Il sent exactement ce dont il a besoin. Il le regarde personnellement et le « sort du lot des malades ». Il saisit en profondeur[3] ce qui est en cause dans sa maladie… il discerne le problème de cet homme qui attend depuis toutes ces années :
Il comprend que l’homme s’est finalement accoutumé à son sort. Il n’a pas simplement accepté sa maladie. Il s’y est résigné… peut-être s’y est-il laissé enfermer.

Par sa question provocatrice : « veux-tu guérir ? », Jésus l’encourage à entrer en contact avec sa propre volonté.

Il arrive, en effet, que ce soit le désir qui soit malade… que ce soit notre volonté qui ait d’abord besoin d’être guérie.

Certains peuvent trouver la question de Jésus plutôt étrange : N’avons-nous pas tous envie d’être en bonne santé ?
Mais les choses ne sont pas si simples. Il arrive qu’on développe une maladie physique à cause de blocages émotionnels ou psychiques refoulés. La maladie peut aussi être un moyen inconscient ou détourné d’obtenir de l’attention ou de la reconnaissance de la part de son entourage. Les psychologues parlent d’un « gain de plaisir secondaire », dans le sens où il peut y avoir parfois des avantages à être malade : On n’a pas besoin, par exemple, d’assumer la responsabilité de sa vie… d’autres nous prennent en charge.
(Demandez aux enfants… si parfois ils ne sont pas contents d’être malades et retenus à la maison : c’est un bon moyen de louper l’école… et de se faire cajoler par ses parents !)

On peut parfois ne pas avoir envie de recouvrer la santé pour différentes raisons. Bien sûr, ce n’est pas vrai dans tous les cas. Le plus souvent, on subit sa maladie. Mais d’autres fois, on peut aussi y prendre part. Certains disent même qu’on la construit, comme on peut aussi bien la déconstruire et la dépasser, par la guérison.[4]

A la question abrupte que Jésus lui pose, le malade répond de façon évasive : C’est de la faute à pas de chance ! Il n’a personne pour l’aider, pour le porter et le plonger dans l’eau quand elle commence à s’agiter. Il y a toujours quelqu’un qui passe avant lui ! Ce sont les autres malades qui sont coupables !
Autrement dit, l’homme ne se remet pas lui-même en question. Il n’analyse pas les causes de ses symptômes, ni les moyens de surmonter ses difficultés. Par la plainte, il rejette la responsabilité de sa situation sur autrui.

Mais Jésus n’entre pas dans ces considérations. Il répond sans empathie, ni compassion. Il ne laisse aucune place aux jérémiades. Il ordonne simplement au malade de se lever, lui ôtant le prétexte fallacieux de la responsabilité d’autrui.  

« Lève-toi, emporte ton grabat et marche ! » Jésus confronte le malade avec sa propre force et lui enlève ses illusions.

L’homme ne doit pas attendre que les autres le portent. Il doit se mettre lui-même debout, dépasser son asthénie et ses faiblesses, surmonter sa paralysie.
« Il ne doit pas se laisser plus longtemps attacher à sa civière, symbole de sa maladie. Il doit se lever, prendre son brancard sous le bras et, pour ainsi dire, aborder autrement ses blocages. Il doit se redresser avec ses faiblesses, ses paralysies, ses insécurités, se réconcilier avec ses inhibitions, les prendre à bras-le-corps. Ses peurs ne l’empêcheront plus de vivre et il sera capable d’aller son propre chemin. »[5]

Bien sûr, les paroles et la thérapie employées ici par Jésus sont strictement adaptées à la situation particulière de cet homme. Elles ne sont pas transposables à n’importe qui.  
En même temps, à travers elles, nous pouvons entendre un appel qui s’adresse à chacun d’entre nous… un appel à assumer la responsabilité de sa propre vie… à prendre sa vie en mains.

Les mots de Jésus sont déterminants : chaque fois que nous pouvons nous sentir paralysés par telle ou telle situation, quand nous avons peur de nous ridiculiser aux yeux des autres, ou de leur montrer nos limites et nos insécurités, nous pouvons penser à ces paroles : se lever tout simplement, avec ses fragilités et ses vulnérabilités, voilà le chemin salutaire proposé par Jésus ; accepter ses peurs au lieu de les refouler, les intégrer pour les dépasser ; ne pas attendre jusqu’à être guéri de ses angoisses ou de ses blessures, mais se redresser avec elles et poursuivre sa route.

En aidant l’homme à exprimer son désir, en restaurant sa volonté, en l’appelant à se lever, Jésus fait entrer cet homme dans une dynamique verticale de résurrection : Il remet l’homme debout et en marche !

A un moment ou à un autre de notre vie, nous pouvons nous laisser submerger par des blocages, des inhibitions ou des symptômes désagréables. Face à cela, face à ce qui risque de nous enfermer, de restreindre notre vie ou notre désir de vivre, Jésus nous invite à éveiller notre conscience et développer notre confiance (en nous-mêmes, bien sûr, mais aussi en Dieu, qui peut agir dans notre intériorité et transformer notre cœur et notre esprit… et donc aussi sur notre corps).
Il s’agit de ne pas se laisser enchaîner par son passé, par ses peurs ou ses fragilités… « de les aborder différemment… de les prendre à bras-le-corps et de vivre avec elles au milieux des autres hommes ».[6]

Jésus nous rappelle qu’un Autre nous aime et nous attend… La confiance que Dieu nous offre – et que nous pouvons accueillir – a le pouvoir de nous relever.

Dans la suite du récit biblique, Jésus rencontre à nouveau l’homme et lui dit cette fois : « ne pèche plus, de peur qu'il ne t'arrive quelque chose de pire ».
Cette affirmation est bien étonnante. Que pourrait-il arriver à cet homme de pire que ce qu’il a vécu depuis 38 ans ?

La pire, c'est d'être malade de cette maladie-à-la-mort que la Bible nomme « le péché », parce qu’elle nous paralyse au plus profond du cœur. C'est de cette maladie dont Jésus est venu nous relever, en restaurant notre relation avec notre Source intérieure, avec notre Père céleste.

« Le péché » - pour faire bref - c’est le refus du projet de Dieu pour nous. C’est un rendez-vous manqué avec Dieu, avec nous-mêmes – avec notre vocation d’enfants de Dieu – et avec les autres. Ici, c’est peut-être le fait que l’homme se soit résigné à réduire sa personne et sa vie à sa seule maladie.

Dieu nous veut en marche et nous sommes parfois arrêtés sur nos sentiments (nos ressentiments) ou notre passé – sur nos manques ou nos regrets – sur nos refus ou nos replis. Dieu nous veut libres, confiants et réconciliés avec nous-mêmes. Ce n’est pas en restant figés et prostrés sur nos difficultés ou nos ressassements que nous pouvons accéder à cette paix intérieure, mais c’est en marchant… en essayant d’aller de l’avant, malgré tout.

« Lève-toi, prends ton grabat et marche ! » L’Evangile c'est cela : une Bonne Nouvelle qui nous remet en marche et nous dynamise… qui nous permet de surmonter nos blessures, nos failles et nos découragements. C’est une Parole d’envoi qui nous permet d'assumer notre passé, pour nous tourner résolument vers l’avenir et vers les autres.

Amen.




[1] Littéralement : « Veux-tu devenir sain, bien-portant, sensé ? »
[2] Le malade est « asthénique ». Le mot grec « astheneia » (qui signifie sans force, sans vigueur) désigne un état de faiblesse ou de maladie. C’est un état de fatigue généralisé dont la cause peut-être physique ou psychique.
[3] On trouve ici le mot grec « gnosis », qui désigne la connaissance, une connaissance subtile.
[4] Nous savons qu’il y a des situations dans la vie qui provoquent des inhibitions profondes, qu’il y a des blocages qui détruisent notre volonté, notre personnalité, et conduisent à des dépressions si graves qu’elles provoquent des troubles psychiques et physiologiques : sentiment de lassitude, d’usure, d’isolement, dévalorisation totale, perte du langage, anorexie mentale, et même paralysie des membres. Le malade ressasse ses malheurs, s’enferme dans le passé, sombre dans la dépression. Cloîtré dans l’isolement, il ne parvient pas à se libérer de son mal intérieur. Alors la maladie physique se mêle à la maladie spirituelle, la paralysie du corps se fait aussi paralysie de l’âme [psyché]. Le repli sur soi, le découragement, la perte de volonté, l’enfermement dans la peur ou la culpabilité, l’absence de discernement, l’immobilisation dans l’indécision et la dépendance vis-à-vis des autres, la perte de sa liberté de décision en sont des caractéristiques bien connues.
[5] Cf. Anselm Grün, Jésus Thérapeute, p.119
[6] Cf. Anselm Grün, Jésus Thérapeute, p.120.

dimanche 12 avril 2015

La Croix (à la lumière des évangiles de Matthieu et Jean)

La Croix (à la lumière des évangiles selon Matthieu et Jean)
Lectures bibliques (textes distribués) :
- Matthieu : Mt 23, 23.27-32 / 27, 39-44. 50-54
- Jean : Jn 13, 31-36 + 14,1-3 / 20, 19-23
Thématique : la Croix, comme manifestation de la vérité de la Parole portée par Jésus.
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Marmande, le 12/04/15

Prédication = voir plus bas, après les lectures

Introduction avant les lectures bibliques :

Quel sens donner à la Croix ?
Dans le Nouveau Testament, les évangiles et les épîtres ne proposent pas une interprétation unique de la mort de Jésus. Chaque auteur biblique tente de comprendre et d’expliquer, à partir de ses propres références (de son système de croyances, de ses présupposés et du langage disponible), la signification de la crucifixion du Messie et de sa résurrection.

Les faits qu’on peut constater sont les suivants. Ils sont rappelés par Paul dans sa 1ère lettre aux Corinthiens (cf. 1 Co 15, 3-5) :
Jésus a été crucifié comme agitateur et transgresseur de la loi. Il est mort et a été enseveli. Mais, contre toute attente, il est apparu le troisième jour à une poignée de disciples. Il s’est fait voir à eux, vivant. Cet événement inouï – et totalement inattendu – a été désigné par le mot « résurrection » : Dieu a réveillé Jésus de la mort. Il l’a relevé d’entre les morts.

Cela signifie que Dieu était bien du côté de Jésus – et non du côté du pouvoir religieux ou politique qui a fomenté sa mort, ni de l’interprétation légaliste de la loi. Cela veut également dire que Jésus était bien son fils, son envoyé, celui qui parlait de façon juste au nom de Dieu. Il était bien le Christ, le révélateur de Dieu, de sa volonté et de sa justice.

Ce matin, je vous propose une méditation plus biblique que d’habitude, pour essayer de mieux percevoir le sens de la mort de Jésus dans deux évangiles, à l’aide de quelques passages de Matthieu et Jean.

Lectures bibliques : Mt 23, 23.27-32 / Mt 27, 39-44. 50-54 / Jn 13, 31-36 + 14,1-3 / Jn 20, 19-23

- Mt 23, 23.27-32 (Invectives contre les Pharisiens)

23Malheureux êtes-vous, scribes et Pharisiens hypocrites, vous qui versez la dîme de la menthe, du fenouil et du cumin, alors que vous négligez ce qu’il y a de plus grave dans la Loi : la justice, la miséricorde et la fidélité ; c’est ceci qu’il fallait faire, sans négliger cela. […]
27Malheureux êtes-vous, scribes et Pharisiens hypocrites, vous qui ressemblez à des sépulcres blanchis : au-dehors ils ont belle apparence, mais au-dedans ils sont pleins d’ossements de morts et d’impuretés de toutes sortes. 28Ainsi de vous : au-dehors vous offrez aux hommes l’apparence de justes, alors qu’au-dedans vous êtes remplis d’hypocrisie et d’iniquité. 29Malheureux, scribes et Pharisiens hypocrites, vous qui bâtissez les sépulcres des prophètes et décorez les tombeaux des justes, 30et vous dites : “Si nous avions vécu du temps de nos pères, nous n’aurions pas été leurs complices pour verser le sang des prophètes.” 31Ainsi vous témoignez contre vous-mêmes : vous êtes les fils de ceux qui ont assassiné les prophètes ! 32Eh bien ! vous, comblez la mesure de vos pères !

- Mt 27, 39-44. 50-54 (Crucifixion et mort de Jésus)

39Les passants l’insultaient, hochant la tête40et disant : « Toi qui détruis le sanctuaire et le rebâtis en trois jours, sauve-toi toi-même, si tu es le Fils de Dieu, et descends de la croix ! » 41De même, avec les scribes et les anciens, les grands prêtres se moquaient : 42« Il en a sauvé d’autres et il ne peut pas se sauver lui-même ! Il est Roi d’Israël, qu’il descende maintenant de la croix, et nous croirons en lui ! 43Il a mis en Dieu sa confiance, que Dieu le délivre maintenant, s’il l’aime, car il a dit : “Je suis Fils de Dieu !” » 44Même les bandits crucifiés avec lui l’injuriaient de la même manière. […]

50Jésus poussa un grand cri et rendit l'esprit. 51Et voici que le voile du sanctuaire se déchira en deux du haut en bas ; la terre trembla, les rochers se fendirent ; 52les tombeaux s’ouvrirent, les corps de nombreux saints défunts ressuscitèrent : 53sortis des tombeaux, après sa résurrection, ils entrèrent dans la ville sainte et apparurent à un grand nombre de gens. 54A la vue du tremblement de terre et de ce qui arrivait, le centurion et ceux qui avec lui gardaient Jésus furent saisis d’une grande crainte et dirent : « Vraiment, celui-ci était Fils de Dieu. »

- Jn 13, 31-36 + 14, 1-3 (trahison de Judas, commandement nouveau, préparation d’une demeure céleste)

31Dès que Judas fut sorti, Jésus dit : « Maintenant, le Fils de l’homme a été glorifié, et Dieu a été glorifié par lui ; 32Dieu le glorifiera en lui-même, et c’est bientôt qu’il le glorifiera. 33Mes petits enfants, je ne suis plus avec vous que pour peu de temps. Vous me chercherez et comme j’ai dit aux autorités juives : “Là où je vais, vous ne pouvez venir”, à vous aussi maintenant je le dis.
34« Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres. Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres. 35A ceci, tous vous reconnaîtront pour mes disciples : à l’amour que vous aurez les uns pour les autres. »
36Simon-Pierre lui dit : « Seigneur, où vas-tu ? » Jésus lui répondit : « Là où je vais, tu ne peux me suivre maintenant, mais tu me suivras plus tard. » […]

1« Que votre cœur ne se trouble pas : vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi. 2Dans la maison de mon Père, il y a beaucoup de demeures : sinon vous aurais-je dit que j’allais vous préparer le lieu où vous serez ? 3Lorsque je serai allé vous le préparer, je reviendrai et je vous prendrai avec moi, si bien que là où je suis, vous serez vous aussi.

- Jn 20, 19-23  (Jésus apparaît aux disciples après sa mort)

19Le soir de ce même jour qui était le premier de la semaine, alors que, par crainte des autorités juives, les portes de la maison où se trouvaient les disciples étaient verrouillées, Jésus vint, il se tint au milieu d’eux et il leur dit : « La paix soit avec vous. » 20Tout en parlant, il leur montra ses mains et son côté. En voyant le Seigneur, les disciples furent tout à la joie. 21Alors, à nouveau, Jésus leur dit : « La paix soit avec vous. Comme le Père m’a envoyé, à mon tour je vous envoie. » 22Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et leur dit : « Recevez l’Esprit Saint ; 23ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. Ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus. »


Cantique

Prédication

A travers ces différents passages, quel sens l’évangéliste Matthieu donne-t-il à la mort et la résurrection de Jésus ? Comment interprète-t-il la Croix ?

En relisant le récit de la passion selon Matthieu, on est frappé du silence de Jésus (cf. Mt 27). Le contraste entre le mutisme de Jésus et l’avalanche des paroles et des injures à l’encontre du Crucifié est saisissant. Ce silence prend également un certain relief, si on le compare aux paroles précédentes du maître envers les Religieux de son temps…
Comme nous l’avons entendu, dans un extrait du chapitre 23, Jésus a parlé et dénoncé l’hypocrisie des scribes et des Pharisiens, dont il conteste l’autorité et la manière de comprendre la Loi… et dont il accuse les pères d’avoir tué les prophètes envoyés par Dieu.

Face à tous les enseignements du maître que le lecteur a en mémoire… le silence de Jésus au moment de la crucifixion apparaît, d’une certaine manière, comme un temps de révélation : La croix vient manifester la vérité des paroles prononcées par Jésus et les accomplir. Les Religieux sont bien les dignes héritiers de ceux qui ont tué les prophètes (cf. Mt 23, 29-32).

Ce qui arrive à Jésus renvoie le lecteur, d’une part, aux paroles qui annonçaient sa mort prochaine, et, d’autre part, aux raisons, aux causes qui ont conduit le pouvoir religieux et politique à vouloir le condamner :
Jésus est un transgresseur : Il a opéré des guérisons le jour du sabbat, fréquenté des exclus, partagé sa table avec des personnes considérées comme « impures ». Il a remis en cause l’ordre établi et défié le pouvoir en place en chassant les marchands du Temple.
Par ailleurs, il serait aussi un blasphémateur. Car il appelle Dieu « son Père ». Se prendrait-il pour le « fils de Dieu » ? (Mt 26, 65 ; Jn 19,7)

Les évangiles présentent un certain nombre de récits de controverses entre Jésus et les Pharisiens au sujet de l’interprétation de la volonté de Dieu : Jésus parle du Royaume et de l’attente de justice de Dieu (Mt 5, 17-20 ; 6,33 ; 7, 21-23), qu’il distingue de l’hypocrisie des scribes et des pharisiens (Mt 23).
Malheureusement, la Croix est la concrétisation finale de cet antagonisme. Elle vient dévoiler l’illusion et l’injustice des hommes qui vivent sous la coupe des Religieux qualifiés d’« hypocrites ».

En traitant les pharisiens d’hypocrites, il ne s’agit pas de dénoncer une volonté délibérée de tromperie ou de faire le mal (au contraire, les religieux croient faire le bien), mais d’affirmer que les scribes et les Pharisiens sont eux-mêmes trompés par leur orgueil et leur manière d’envisager leur rapport à Dieu. Ils portent un masque, un voile. Ils vivent dans une illusion de justice, en croyant plaire à Dieu.
Convaincus d’être justes, d’accomplir les commandements de Dieu, par des rites, par le respect scrupuleux de la Loi, ils ont en réalité enfermé les hommes dans un système d’échange religieux qui pervertit la nature de la relation à Dieu et qui crée de l’injustice et de l’exclusion.

En effet, les sacrifices ont instillé une relation de type « commercial » avec Dieu… une relation « donnant-donnant », une sorte de « troc », de marchandage, qui repose sur un échange destiné à se concilier les bonnes grâces de Dieu : un sacrifice contre un pardon, une offrande contre une indulgence ou simplement pour se rendre Dieu favorable, propice, comme cela se faisait avec n’importe quelle divinité (dans les multiples temples de la civilisation gréco-romaine).
Mais du coup, il ne s’agit plus d’une relation libre, confiante et gratuite.
                                                         
Par ailleurs, le système des sacrifices dans le Temple exclut d’office tous ceux qui ne peuvent pas pénétrer dans la cour intérieure du Temple à cause de leur soi-disant impureté (prosélytes étrangers, personnes malades, handicapées, etc.). Par leur légalisme et leurs rites, les religieux ont fermé le ciel et restreint l’accès à Dieu, plongeant beaucoup de ceux qui n’étaient pas considérés comme des « purs » dans le désespoir.

Maintenant, en condamnant Jésus, les chefs religieux s’apprêtent à mettre à mort son envoyé, son Messie, son fils. La méprise des responsables religieux est donc totale, comme Jésus l’affirmait déjà.

Pour l’évangéliste Matthieu, ce qui se joue à la Croix – avec la mort silencieuse de Jésus et les signes qui accompagnent sa fin tragique (un tremblement de terre, les tombeaux qui s’ouvrent) et la résurrection au matin de Pâques, par laquelle Dieu relève celui qui est son fils – retentit comme une apocalypse, une révélation : La vérité était bien du côté de Jésus et non du côté de la religion instituée, avec sa manière d’interpréter la Loi et d’exiger des sacrifices.

Les signes apocalyptiques qui accompagnent la mort de Jésus – le voile du sanctuaire qui se déchire, le tremblement de terre, etc. (cf. Mt 27, 51-53) – et la grande théophanie du matin de Pâques (cf. Mt 28, 1-8) où un messager de Dieu annonce la résurrection du Christ… tout ces évènements que Matthieu raconte ont pour but d’attester de la vérité des paroles de Jésus.

Le Crucifié que Dieu a relevé et justifié était bien le « Fils de Dieu », son envoyé, son révélateur, comme l’avait proclamé intuitivement le centurion romain au pied de la croix (Mt 27,54).

Ainsi donc la Croix – par laquelle Dieu relève et révèle Jésus comme étant son Christ – invite les disciples à se souvenir des paroles et des enseignements de Jésus :
Lorsque le maître affirmait que la Justice de Dieu est inséparable de son amour et de sa miséricorde (Mt 5, 45 ; Mt 18, 23-35 ; Mt 20, 1-16)… quand il affirmait que la perfection du Père réside en sa bonté, dans la gratuité de sa providence qui veille à l’existence et à la reconnaissance de chacun, indépendamment de ses qualités morales… Jésus avait raison (cf. Mt 5 – 7). Il dévoilait le vrai visage de Dieu.

Cette découverte de la véracité des paroles de Jésus, attestée par la résurrection, constitue pour tous les humains une libération. C’est en cela que Jésus est l’instrument du salut de Dieu.

La Croix libère les hommes de leurs fausses images de Dieu, du dieu de la religion : le grand juge, devant qui nous devrions être « impeccables », qui nous attendrait au tournant dans le cas contraire, et qui se complairait dans la souffrance et le châtiment des coupables.

En confirmant la vérité des paroles de Jésus, la Croix signifie, en même temps, l’échec de la religion et de sa manière de penser. Elle signe la fin de la recherche d’une perfection morale, par laquelle les humains pourraient acquérir le salut, grâce à leurs efforts.
Elle nous libère de cette quête épuisante de faire notre salut, par nous-mêmes, par nos qualités ou nos mérites - comme les Pharisiens le pensaient.
Bien au contraire, le salut est offert gratuitement. Il suffit de l’accueillir et d’y prendre part.

Entre parenthèses, c’est la prétention des Religieux à détenir le vrai Dieu – et à protéger cette image « orthodoxe » de Dieu contre les blasphémateurs – qui les a conduit à crucifier Jésus, l’envoyé de Dieu. La Croix vient donc renverser nos vieilles croyances et nos certitudes.[1]

En tant que disciples de Jésus, nous devons percevoir l’importance de la « Croix », non pas en tant que lieu de « sacrifice » (Dieu n’appelle pas les hommes – ni même Jésus son fils – à la souffrance. Il ne sauve pas en raison du sang versé. Il n’est pas le dieu cruel ou sadique qui se satisferait du sacrifice expiatoire d’une victime innocente et sans tâche (cf. 1 P 1, 19)), mais nous devons l’envisager en tant que lieu de « révélation ».
Puisque la Croix met en lumière la validité des paroles de Jésus, c’est là qu’il nous faut aller, c’est là qu’il faut revenir.
Pâques nous ramène, en réalité, au sermon sur la montagne, à la manière dont Jésus nous appelle à vivre dans une relation de confiance et de gratuité avec notre Père céleste, qui est un Dieu d’amour.

Ce que révèle le matin de Pâques – à savoir, la grâce de Dieu qui relève l’homme qui choisit la confiance – c’est précisément ce que Jésus déclarait dans ses enseignements et c’est cela qui doit fonder notre foi, notre espérance et notre quête de justice. Je cite Jésus :
« […] Je vous dis : Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent, 45afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et les injustes » (Mt 5, 43-45).
C’est ce Dieu de miséricorde, ce Dieu qui est au-delà du bien et du mal et qui aime chaque être humain, que manifeste l’événement de Pâques.

Cantique (pause)

Voyons maintenant quelle signification reçoit la Croix dans l’évangile selon Jean.

Dans le quatrième évangile, la mort, la résurrection et l’ascension sont présentées, d’une certaine façon, comme un seul et même événement (qui superpose ces différents aspects dans un même mouvement).
Jean ne se situe pas du point de vue de Jésus, mais de celui du Christ. La Croix est interprétée comme le lieu de révélation de la transcendance de Jésus en tant que « Fils » de Dieu, envoyé de Dieu… comme le lieu de révélation d’une origine divine : celui qui vient de Dieu (qui a incarné son Esprit et manifesté sa Parole, son Logos) est élevé et retourne au Père.

Pour l’évangéliste Jean, la Croix est le lieu de l’élévation du Fils vers le Père. La mort et la résurrection de Jésus sont traduits en un seul et même geste à travers un langage particulier : celui de la glorification du Christ à travers sa montée en Croix et l’ascension – le retour vers le Père – par laquelle il ouvre le chemin vers le ciel.

C’est sans doute là la reprise d’un symbolisme ancien attaché à la Croix. Bien avant Jésus, la Croix était déjà un symbole utilisé dans les mythes, les religions orientales ou les milieux pré-gnostiques : la croix symbolisait l’harmonisation du vertical et de l’horizontal, du transcendant et de l’immanent, l’union du Royaume de l’au-delà avec celui de l’ici-bas.
La croix représentait l’harmonisation de l’être dans les différents plans de la réalité, l’harmonisation des plans situés au-delà du plan matériel avec notre plan physique perceptible dans l’ici et le maintenant.

Il ne faut donc pas être étonné que Jean réinterprète ce symbole de la croix, à la lumière du Christ. La Croix, symbole de l’Esprit incarné dans la matière, symbolise, à la fois, la descente de l’Esprit dans la chair et la montée de l’Esprit au-delà de la chair. Elle est le lieu de communication entre les plans de la réalité, donc le lieu d’élévation vers le Père.

Du coup, les apparitions pascales après la crucifixion ont une fonction précise : elles assurent de la présence du Christ, malgré son absence physique.
En donnant son Esprit – l’Esprit saint – le Ressuscité donne aux disciples la possibilité et la force de croire, malgré son absence. Il leur donne un souffle pour poursuivre la proclamation de la Bonne Nouvelle qui appelle à la confiance, au pardon et à la réconciliation (cf. Jn 20, 19-23).

Par ailleurs, Jésus aurait lui-même donné un sens à sa mort : il meurt pour nous, pour ses disciples, pour leur préparer une demeure vers le Père, avant de revenir les chercher.
Rappelons-nous que Jésus avait annoncé sa mort et fait cette promesse :
« Dans la maison de mon Père, il y a beaucoup de demeures : sinon vous aurais-je dit que j’allais vous préparer le lieu où vous serez ? 3Lorsque je serai allé vous le préparer, je reviendrai et je vous prendrai avec moi, si bien que là où je suis, vous serez vous aussi. » (Jn 14, 2-3).

Le passage salutaire et précurseur du Fils de Dieu vers la maison du Père témoigne d’une appartenance commune : Jésus et ses disciples appartiennent à Dieu, à la lumière. Ils appartiennent déjà au monde d’en haut, à une transcendance qui les libère des ambiguïtés et des enfermements du quotidien.
Tout en étant dans le monde (sans être du monde – cf. Jn 17,16), ils sont déjà promis au monde d’en haut, à une demeure céleste préparée par le Christ.
Cela ne doit pas détacher les disciples des taches quotidiennes et de la préoccupation du prochain – bien au contraire (cf. Jn 13, 34-35) – mais cela leur ouvre une espérance inouïe : la promesse d’une communion céleste avec le fils de Dieu.

La manière qu’à Jean d’interpréter la Croix comme une élévation ouvre le lecteur de l’évangile à une nouvelle dimension… une dimension verticale… puisqu’il y a désormais : le monde d’en haut et celui d’en bas.
Cette vision dénonce l’illusion de notre monde – du monde matérialiste, d’en bas – qui croit pouvoir trouver en lui-même sa propre origine.
C’est cela que Jean appelle « le péché », c’est l’incrédulité de l’homme qui refuse de faire confiance à Dieu, au monde d’en haut…. et à son envoyé : Jésus Christ.

Pour « Jean » (et l’école Johannique), la venue de Jésus offre à chacun la possibilité de se positionner par rapport à cette dimension verticale : Les disciples de Jésus sont ceux qui croient en lui, ceux qui acceptent de recevoir une nouvelle origine qui leur vient d’en haut, qui leur est offerte dans la foi.
Il suffit pour cela d’avoir confiance en Jésus Christ, le révélateur du monde d’en haut et à l’Esprit qu’il a envoyé – le Paraclet – pour confirmer sa Parole.

On trouve les traces de cet appel à la foi dans de nombreux passages, par exemple, dans le dialogue de Jésus avec Nicodème (Jn 3, 5-8), où Jésus appelle le vieux sage à naître d’en haut, c’est-à-dire à naître de l’Esprit.
Cette nouvelle naissance – cette nouvelle identité – correspond à un engendrement intérieur, à une entrée dans la foi, dans la confiance pleine et entière que Dieu nous offre. Elle est donnée à tout être humain, sans condition, indépendamment de ses qualités ou de ses mérites.

C’est encore une fois une manière d’affirmer la totale gratuité de l’amour de Dieu, qui attend juste une réponse : le « oui » de l’être humain.

Le jugement dont parle Jésus dans l’évangile selon Jean, est un jugement relatif à la foi (Jn 3, 17-18) : Celui qui choisit le salut offert par Jésus Christ est celui qui accepte de s’inscrire dans la confiance, c’est celui qui choisit la lumière.
La foi – la confiance en Dieu et en son envoyé – est synonyme de vie : la confiance ouvre à la vie véritable, à la vie éternelle (Jn 3,16.36).

Conclusion : Que peut-on conclure de cette méditation biblique à travers les évangiles de Matthieu et Jean ?

La Croix – la mort et la résurrection de Jésus Christ – ne donne pas de connaissance précise sur le monde d’en haut, mais elle ouvre la possibilité de la foi…. Le Dieu de Jésus Christ n’est pas seulement le Dieu d’ici-bas, de notre réalité matérielle, terrestre, mais aussi le Dieu du monde d’en haut, le Dieu qui nous appelle à une renaissance spirituelle. Puisque Jésus affirme que nous avons une patrie céleste, une demeure qui nous attend ailleurs et autrement.

Pour nous enraciner dans cette confiance, il suffit de nous mettre à l’écoute des paroles de Jésus. Puisqu’au matin de Pâques, en relevant le Crucifié, en justifiant son fils, Dieu lui donne raison.

En tant que disciples de Jésus, nous sommes donc invités à lire, à relire et à écouter les paroles du maître, qui parlait au nom de Dieu :

- L’événement de la Croix, de la mort et de la résurrection, révèle – comme Jésus l’enseignait déjà – que Dieu est un Père aimant, qui agit par grâce, par amour (Mt 5, 45 ; 7,11 ; 18,27 ; etc.). Il a donné à l’homme la liberté : celle de l’écouter ou – au contraire – de ne compter que sur ses forces et ses mérites, et même d’agir avec injustice et violence. L’homme peut toujours refuser la Parole de Dieu. C’est bien d’ailleurs ce que montre la crucifixion de Jésus.
Mais le désir de Dieu, sa volonté, c’est la Vie. Il est le Dieu vivant, le Dieu des vivants, pas le dieu de la rétribution, des systèmes d’échanges et des sacrifices. C’est donc un Dieu d’amour que nous révèle Pâques.

- Un autre aspect de la Croix, c’est la révélation de l’appartenance des croyants au Père, au monde d’en haut. Ceux qui se confient à Lui, ceux qui lui donnent son âme, appartiennent déjà à Dieu. C’est ce qu’affirme Jésus à ses disciples dans l’évangile de Jean. Et c’est aussi ce que dit l’apôtre Paul. Je cite :
« Aucun de nous ne vit pour soi-même et personne ne meurt pour soi-même. […] Soit que nous vivions, soit que nous mourions, nous sommes au Seigneur ».(Rm 14, 7-8).

La résurrection du Christ est un acte de Dieu qui manifeste que rien ne peut séparer le croyant de son Père céleste, rien ne peut interrompre la confiance, par même la mort.
Cette révélation nous appelle à placer notre foi en Dieu, à lui faire totalement confiance pour aujourd’hui et pour demain, comme l’a fait Jésus.

C’est une merveilleuse nouvelle de savoir que nous appartenons à Dieu ! Face aux difficultés et aux épreuves de la vie, quoi qu’il puisse nous arriver, rien n’est définitif, rien n’est aussi essentiel et important que cette seule assurance : celle de la présence de Dieu avec nous et en nous.
Une main bienveillante nous est toujours tendue, permettant de franchir les ravins et les obstacles. Dieu est avec nous. Il nous offre sa confiance, pour soulever nos existences.

Amen.



[1] A sa manière l’apôtre Paul aboutit à la même conclusion : Lire Ga 3, 6-14. Pour Paul, la Croix est révélatrice de la folie des hommes, qui se croient sages, mais qui méconnaissent Dieu et qui ont crucifié son envoyé (1 Co 1, 18-25). Paul montre que la loi est incapable de conduire à la justice. Seule la foi (la confiance) le peut. En effet, aux yeux de la loi (cf. Ga 3, 10-14), le fait que Jésus ait été crucifié et pendu au bois de la croix, faisait de lui un maudit. C’est ce que l’apôtre affirme en Ga 3,13 (qui cite Dt 21,23). Or, l’événement de la résurrection, le fait que Dieu ait ressuscité un Crucifié, le fait qu’il ait relevé Jésus comme son fils, vient contester le régime de la loi. Dieu n’agit pas en fonction de la loi. Ce n’est donc pas par une application stricte des prescriptions de la loi que l’on peut être sauvé, c’est un acte gratuit de Dieu offert à celui qui croit. C’est ce qui fera dire à l’apôtre Paul que Dieu sauve par grâce, par le moyen de la foi, et non en raison d’une justice acquise par la loi. Cette découverte du salut gracieux de Dieu sauve l’homme du désespoir. Tout ceux qui n’avaient pas accès au Temple, aux sacrifices, à la possibilité d’appliquer la loi, peuvent se réjouir d’entendre que Dieu sauve par grâce, par le moyen de la foi, et non en raison de leurs mérites ou de leurs qualités. La résurrection de Jésus est donc une formidable nouvelle, une libération pour beaucoup… une libération vis à vis de la loi, de la religion, de ce qui condamnait les impurs et les exclus, les prosélytes et les païens. En ce sens, l’événement de la Croix libère tous les humains du désespoir et du souci de devoir mériter le salut par leurs œuvres. Il nous constitue comme des créatures nouvelles devant Dieu : des sujets libres et responsables, des enfants de Dieu.