dimanche 29 mai 2016

Lc 18, 9-14

Lc 18, 9-14
Lectures bibliques : Mt 6, 5-8 ; Lc 18, 9-17
Thématiques : faire confiance à Dieu ou à ses oeuvres / lâcher son égo, pour accéder au divin.
Prédication de Pascal LEFEBVRE (= voir après les lectures) / Tonneins, le 29/05/16 – Fête de paroisse

Lectures :

Mt 6, 5-8 :  Et quand vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites qui aiment faire leurs prières debout dans les synagogues et les carrefours, afin d’être vus des hommes. En vérité, je vous le déclare : ils ont reçu leur récompense. 6Pour toi, quand tu veux prier, entre dans ta chambre la plus retirée, verrouille ta porte et adresse ta prière à ton Père qui est là dans le secret. Et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra. 7Quand vous priez, ne rabâchez pas comme les païens ; ils s’imaginent que c’est à force de paroles qu’ils se feront exaucer. 8Ne leur ressemblez donc pas, car votre Père sait ce dont vous avez besoin, avant que vous le lui demandiez.

Lc 18, 9-17 :  Il dit encore la parabole que voici à certains qui étaient convaincus d’être justes et qui méprisaient tous les autres : 10« Deux hommes montèrent au temple pour prier ; l’un était Pharisien et l’autre collecteur d’impôts. 11Le Pharisien, debout, priait ainsi en lui-même : “O Dieu, je te rends grâce de ce que je ne suis pas comme les autres hommes, qui sont voleurs, malfaisants, adultères, ou encore comme ce collecteur d’impôts. 12Je jeûne deux fois par semaine, je paie la dîme de tout ce que je me procure.” 13Le collecteur d’impôts, se tenant à distance, ne voulait même pas lever les yeux au ciel, mais il se frappait la poitrine en disant : “O Dieu, sois réconcilié avec moi, le pécheur [prends pitié du pécheur que je suis.]” 14Je vous le déclare : celui-ci redescendit chez lui justifié, et non l’autre, car tout homme qui s’élève sera abaissé, mais celui qui s’abaisse sera élevé. »

15Des gens lui amenaient même les bébés pour qu'il pose les mains sur eux. Voyant cela, les disciples les rabrouaient. 16Mais Jésus fit venir à lui les bébés en disant : « Laissez les enfants venir à moi ; ne les empêchez pas, car le Royaume de Dieu est à ceux qui sont comme eux. 17En vérité, je vous le déclare, qui n’accueille pas le Royaume de Dieu comme un enfant n’y entrera pas. »

Prédication :

Quand j’étais un bambin (grand, comme nos jeunes de l’école biblique)… et que j’étais assis à table pour déjeuner, il m’arrivait de lorgner dans l’assiette de mon frère, pour voir s’il n’en avait pas eu un peu plus que moi. Ma grand mère me disait avec le sourire : « on ne regarde pas dans l’assiette de son voisin ! ». Ce qui voulait dire : inutile de comparer ! ça ne sert à rien ! Ne sois pas inutilement jaloux !

Avec le temps, j’ai compris qu’il y avait quelques vérités dans cette sagesse populaire : se comparer aux autres, n’apporte jamais le bonheur : cela entraine soit de la frustration ou de la jalousie, soit, a contrario, un sentiment d’autosatisfaction, voire de supériorité.

C’est un peu ce qui arrive à notre Pharisien...
Dans les évangiles, nous avons ce récit qui met en perspective une comparaison entre deux comportements.
Il est vrai qu’habituellement, Jésus nous appelle à sortir de tout jugement vis-à-vis d’autrui. Il nous invite à ne pas nous comparer aux autres (cf. par ex. Mt 20, 1-16), à ne pas les juger (Mt 7, 1-5), mais ici, il fait, d’une certaine manière, une entorse à ce commandement, en vue de nous livrer un enseignement.

Et le paradoxe de cette histoire, c’est que quand on compare les deux personnages et qu’on juge (avec raison) que le Pharisien n’est pas très sympathique… on devient inévitablement soi-même une sorte de Pharisien, car on s’estime supérieur à lui :
C’est terrible ! A moins de refuser tout jugement, on ne peut pas ne pas être un Pharisien !

Notre passage tente de répondre à une question : comment prier ?[1] Comment se mettre en contact, en relation avec le Souffle de Dieu, avec Dieu qui est Esprit (comme nous l’a rappelé récemment le récit de Pentecôte) ?

Indirectement, ce passage éclaire aussi la question : Qui est ce Dieu en qui on peut se confier ?

Pour nous permettre de répondre à ces questions, Jésus part d’une comparaison entre deux hommes, deux attitudes, qui invite chacun d’entre nous à réfléchir et à changer de manière de voir.

* Je voudrais partager avec vous deux manières d’envisager ce passage qui sont complémentaires. La première est relativement classique, elle consiste à s’appuyer sur les deux personnages de l’histoire, pour voir ce qui les différencie et en quoi l’attitude du second est la seule juste.

- On apprend que nos deux protagonistes montent à Jérusalem pour prier dans le Temple. Le premier, nous dit-on, est un Pharisien.
Les Pharisiens sont des croyants convaincus, très attachés à l’étude de la Loi et à son application maximale, notamment la mise en pratique des règles liées au jeûne, aux prescriptions alimentaires (sur le pur et l’impur), à l’aumône et à la prière.
Certains diraient que ce sont des religieux orthodoxes, voire ultra-orthodoxes, qui sont plutôt bien vus, bien considérés, à cette époque.

Qu’apprend-on au sujet de ce pharisien ?
D’abord, il se croit irréprochable. Il est sûr de lui-même, plein d’autosatisfaction.
Il fait valoir ses œuvres, ses mérites personnels : il est honnête et intègre. Il « jeûne deux fois par semaine » et « paie la dime sur tout ce qu’il acquiert ».
Et il fait preuve d’une certaine arrogance, en se comparant aux autres, en se jugeant supérieur à eux. Il considère certains autres autour de lui, comme « voleurs, malfaisants ou adultères ».
Il s’élève, en écrasant les autres, en s’estimant au-dessus de la mêlée.

Son attitude révèle un certain orgueil. S’il croit en lui-même et en ses capacités (ce qui n’est pas forcément un défaut), il n’est pas très charitable vis-à-vis d’autrui. On ne peut pas dire qu’il éprouve de l’amitié ou de la sympathie pour celui qui prie avec lui dans le Temple : ce collecteur d’impôt. En réalité, il le méprise.

Les propos de ce pharisien semblent montrer que cet homme est assez imbus de sa personne et de sa condition : il est fier d’appartenir à la bonne classe, la bonne caste : celle des bons croyants, des justes et fidèles religieux.

Mais même si c’était vrai – même si cet homme était un bon pratiquant… après tout, on peut le croire… – son attitude pose question :
D’une part, parce qu’il se glorifie, il fait preuve d’un certain égocentrisme. En fait, il ne parle que de lui dans sa prière.
D’autre part, parce qu’il dénigre autrui.  Il a une attitude qui abaisse, qui méprise, qui exclut.

Le pharisien a donc un problème, comme le souligne, dans un de ses sermons, Martin Luther : son problème, c’est son cœur.
Il aurait beau accomplir toutes les œuvres bonnes, ce qui ne l’est pas, c’est son cœur…  comme le montre son manque d’empathie, de compassion et d’altruisme.

Une telle mentalité – encore courante dans notre monde d’aujourd’hui – pose question : pourquoi l’être humain éprouve-t-il si souvent le besoin de se comparer à autrui ? N’est-ce pas une manière de se rassurer ? ou de se faire valoir ?

Pourquoi ne se tourne-t-il pas vers Dieu, tout simplement, sans parler de lui (sans mettre en avant ses mérites) et sans rabaisser autrui ?

Cette attitude nous interroge : Sur quoi se fonde-t-elle ?
Est-ce que ce ne sont pas, en réalité, des présupposés inculqués par la religion qui déterminent son attitude ? Sa croyance en l’élection (la certitude de faire partie des élus, de ceux qui ont été choisis par Dieu) et la fierté d’avoir respecté les valeurs morales, inscrites dans la Loi ?

En d’autres termes, son attitude présomptueuse n’est-elle pas le résultat d’un conditionnement religieux ? La certitude d’avoir raison et de détenir la vérité ?
N’y-a-t-il pas un danger spirituel à se croire possesseur de la vérité, du seul chemin qui conduit à Dieu ou à la justice ?
Ceci doit nous interroger : n’avons-nous pas tendance, nous mêmes, à avoir la même prétention, en tant que Chrétiens ?

Par ailleurs, cela pose un autre question : en quel Dieu croit ce religieux ?
En un Dieu comptable qui additionne ou soustrait les points ? en un Dieu-juge qui se fonderait sur des critères moraux, pour distinguer parmi les humains ?

Faut-il croire en un Dieu moral et moralisateur qui établira son jugement final à partir d’une liste de vertus et de vices ?
Peut-on diviser l’humanité en deux : les bons et les mauvais ?
Ne doit-on pas, au contraire, se reconnaître « à la fois juste et pécheur » ?
Et plus fondamentalement, doit-on croire en un Dieu exigeant qui compte les points ?

Si Jésus remet en question l’attitude de ce Pharisien, ce n’est pas un hasard. Pour lui, il est à côté de la plaque. Il n’a pas compris Qui est vraiment Dieu.

C’est précisément ce que souligne le théologien Rudolf Bultmann. Pour lui, le Pharisien représente l’humanité tout entière dans sa méconnaissance de Dieu : le Dieu des œuvres, de Dieu-moral, le Dieu de la religion, plutôt que le Dieu d’amour, le Dieu de grâce… qui inspire ceux qui s’ouvrent à lui.

Mais revenons à notre passage : Ce que montre la manière de prier de cet homme, c’est son égocentrisme, son orgueil spirituel et son manque de charité vis-à-vis de son prochain.
On a finalement l’impression que sa prière est un monologue. Elle n’est destinée qu’à lui-même. Il s’écoute prier dans une sorte d’autosatisfaction.

Par sa manière de penser et de faire, cet homme s’isole en lui-même. Il n’est pas dans une attitude d’ouverture à autrui, ni au Transcendant.
Il établit une sorte frontière : il y aurait d’un côté, les bons croyants, les Juifs pieux, dont il fait partie : « le camp de Dieu » ; et de l’autre, le reste des hommes, dont le collecteur d’impôt est un exemple : un ramassis « de pécheurs et d’infidèles, promis à la colère divine ».

Cette vision manichéenne et caricaturale peut nous paraître, avec le recul, tout à fait anti-évangélique : en tout cas, contraire à ce que Jésus proclame.
Jésus n’annonce-t-il pas un Dieu d’amour, accessible à tous les humains ? un royaume ouvert à tous ceux qui acceptent de s’en remettre à Dieu, qui entrent dans sa confiance et dans une nouvelle mentalité… c’est-à-dire dans son règne de grâce ?

Mais, le paradoxe (et le danger), c’est que l’Eglise, dans son histoire, a reproduit une chose identique à la prière du Pharisien : dès qu’elle proclame une vérité qu’elle prétend détenir exclusivement (« hors de l’Eglise point de salut ») et qui exclut autrui (ceux qui ne pensent pas pareil ou qui ne sont pas dans le bon chemin : les hérétiques, les membres des autres religions), elle use en réalité du même orgueil spirituel que ce pharisien.

Il faut donc décrypter à travers ce que Jésus dit de l’attitude du Pharisien, non pas seulement une critique des Juifs pieux et orgueilleux (il ne faut surtout pas tomber dans une lecture antisémite de ce passage), mais une critique radicale de la religion, ou plus exactement du religieux, qui est à côté de la plaque quand il se regarde le nombril, prétend détenir la vérité, en excluant ou méprisant les autres. Ce danger guète tout croyant, y compris les bons protestants !

- De l’autre côté, nous avons affaire à un péager : publicain ou collecteur d’impôt.

C’est quelqu’un qui a reçu la charge de collecter des impôts pour l’occupant romain. Il travaille donc pour des païens, des ennemis.

Les péagers étaient considérés comme « impurs », car ils fréquentaient des païens et manipulaient de l’argent touché par toute sorte de personnes.
Ils gagnaient leur vie sur le dos de tous ceux qui payaient des taxes. Ils étaient souvent mal vus ou exclus, car ils n’étaient pas toujours très « honnêtes ». Leur moralité était douteuse ; leur réputation mauvaise. On s’en méfiait. Certains les considéraient même comme des parias. On peut penser au personnage de Zachée, dans les évangiles (cf. Lc 19).

Quelle est l’attitude de ce péager ?
Il est humble ; il se tient à distance de l’espace le plus « sacré » du temple.
Il a les yeux baissés. Il se frappe la poitrine en signe de repentance.
Pourquoi ? sans doute par modestie ou par honte. Il a conscience de son péché. Il estime ne pas être à la hauteur de la justice attendue par Dieu.

Notre passage montre bien les différences entre les deux hommes :
- Le premier ne parle que de lui. On pourrait dire qu’il ne place sa confiance qu’en ses mérites, ses bonnes œuvres.
- Le second, reconnaissant son péché, ne place sa confiance qu’en Dieu seul, qu’en sa grâce… puisqu’il s’estime incapable en lui-même, par lui-même, de répondre aux exigences de la Loi.

Le péager estime n’avoir rien à faire valoir, aucune œuvre personnelle, aucun mérite à revendiquer, pour son salut. Il espère tout de la seule miséricorde de Dieu.
Ce qu’il demande à Dieu (v.13), c’est d’être réconcilié avec lui, c’est le rétablissement d’une relation. C’est l’espérance qui l’anime, la foi en un Dieu compatissant.

Or, contre toute attente, à l’opposé de ce que pensaient les gens autour de lui, Jésus va opérer un retournement : il va donner raison au péager, au pécheur, et non au bon croyant, au pharisien.

En quoi donne-t-il raison au second ?
Ce n’est pas à cause de sa conduite morale, qui est sans doute moins bonne que celle du Pharisien. Non. C’est à cause de sa foi, de sa confiance en Dieu.
Le premier croit en lui-même. Il est plein de lui-même. Le second croit en l’amour et la miséricorde de Dieu. Il a confiance en la grâce de Dieu.

Ainsi, Jésus nous révèle que ce ne sont pas nos bonnes œuvres qui nous rendent justes, c’est le fait de s’en remettre à Dieu et de lui demander son aide et son appui, pour qu’il nous transforme, qu’il nous ouvre, nous libère, nous rende meilleurs et plus aimants.
Cela n’est possible que si nous lui faisons confiance, que si nous nous ouvrons à lui, pour le laisser agir en nous.

Pour exprimer cela, l’évangéliste Luc introduit une catégorie juridique : il nous dit que le collecteur d’impôt est « justifié », c’est-à-dire « rendu juste, déclaré juste », agréé par Dieu, du fait de son attitude.

Le thème de « la justification par grâce par le moyen de la foi » sera largement développé par l’apôtre Paul. Comment pourrait-on traduire cette idée en langage plus contemporain ?

Cela signifie que le fait que cet homme reconnaisse humblement sa pauvreté, sa faiblesse, son insuffisance, c’est-à-dire le fait qu’il n’ait rien à revendiquer par lui-même, en lui-même, lui permet de se tourner avec confiance vers Dieu, vers l’amour et la grâce de Dieu : et cela est en fait une attitude juste.

Par ce comportement vrai – malgré son péché et son injustice – il est reconnu juste et acquitté, c’est-à-dire accepté, sauvé, pardonné par Dieu.

C’est en ce sens que Jésus déclare dans la 1ère béatitude : « Heureux les pauvres de cœur - ceux qui se reconnaissent pauvres en eux-mêmes – le royaume des cieux est à eux » (Mt 5,3).

Pour Jésus, Dieu conforte celui qui reconnaît avoir besoin de lui. Cette attitude de pauvreté, d’humilité, est la seule possible, pour entrer en relation avec Dieu.
Celui qui prétend déjà être parfait (Jésus dira aussi celui qui est riche de lui-même, de son savoir, de ses biens) n’a pas besoin de Dieu pour le sauver. Il est autosuffisant. Il n’y a plus aucune place pour autre chose, pour quelqu’un d’autre, que lui-même dans son existence.

Jésus opère donc un renversement de perspective : Pour lui, l’accès à Dieu est, d’une certaine manière, barré à celui qui montre un égo trop fort. (Il n’est pas barré à cause de Dieu, d’une décision divine, mais à cause de l’attitude de l’homme.)
Au contraire, l’humilité, la disponibilité de cœur et la confiance sont des conditions nécessaires à la prière authentique, à une relation possible avec Dieu.

C’est parce qu’il a lâché son égo, qu’il s’est ouvert à la confiance et l’amour de Dieu, que le collecteur d’impôt va rentrer chez lui transformé, justifié, réconcilié avec lui-même et avec Dieu.

* Je voudrais vous livrer maintenant – pour conclure - une deuxième interprétation de ce passage… qui n’est pas différente de ce que je viens de dire… mais qui va plus loin.

Il me semble que la question de fond, ici, n’est pas une question éthique ou morale, mais celle de la prière et de l’accès à Dieu.

Notre passage nous apprend qu’il est nécessaire de lâcher son mental, son égo, son autosuffisance, ses mérites ou ses absences de mérites, pour entrer en relation avec Dieu.
La confiance, la disponibilité de cœur et l’ouverture d’esprit sont des dispositions nécessaires à une relation authentique avec Dieu.

Cela Jésus l’exprime dans notre passage à travers les notions de justification par grâce.
Dans le passage suivant, avec les bébés qu’on lui présente (v. 15-17), Jésus le souligne à travers les termes d’accueil et d’entrée dans le royaume de Dieu. Il le fait en invitant ses auditeurs à adopter le même comportement de confiance et d’ouverture de cœur que les enfants.
L’accès à Dieu est ouvert à ceux qui sont comme eux, qui ont un cœur disponible et confiant, comme des enfants.

Ce dont il est question ici, ce n’est pas une leçon de morale. Ce n’est pas seulement un appel à l’humilité, ou un appel à ne pas juger autrui et à ne pas se comparer aux autres. Tout cela est juste. Mais ce passage nous parle de quelque chose de plus fondamental encore.

La question sous-jacente, c’est : En quel Dieu se confier et comment entrer en contact avec lui ?
A mon avis, notre texte va beaucoup plus loin que ce que la conclusion de Luc (v.14b) laisse entendre.[2]

Le Dieu de Jésus Christ est un Dieu d’amour, un Dieu tout Autre. En réalité, il ne correspond à aucune de nos images, de nos projections humaines.
Il ne correspond pas à Celui qu’imagine le Pharisien, qui est le Dieu sévère et exigeant de la Loi et des œuvres, le Dieu-juge de la religion… ni même à Celui que prie humblement le péager, qui, d’une certaine manière, est encore un Dieu moral, un Dieu qui serait fâché par son péché et devant lequel, il faudrait s’abaisser pour être pardonné, pour se réconcilier avec lui. Ce que laisse entendre la conclusion qui a été rajoutée par l’évangéliste Luc (v.14b).

J’imagine, pour ma part, en m’appuyant sur d’autres passages des évangiles, que le propos de Jésus devait aller plus loin.

Le Dieu de Jésus Christ n’est pas le Dieu-juge, ni le Dieu de la morale. Ce n’est pas un Dieu comptable, dont il faudrait mériter l’amour. Cela, il nous l’offre par grâce.
Dans une de ses paraboles, Jésus compare Dieu au père du fils prodigue, qui attend le retour de son fils et qui l’accueille sans condition (cf. Lc 15). Il nous dit dans son sermon sur la montagne qu’il est au-delà du bien et du mal, du juste et de l’injuste, puisqu’il est un Dieu gratuit et créateur, un Dieu offert par grâce, qui fait lever son soleil et pleuvoir sa pluie sur les justes et les injustes (cf. Mt 5, 45). En d’autres termes… un Dieu qui est au-delà de nos catégories humaines.

Si on cherche à rencontrer Dieu, à travers sa moralité, sa religiosité ou ses œuvres, ou, a contrario, à travers son manque de moralité, la reconnaissance de son péché, de ses insuffisances ou de sa culpabilité, cela ne suffira pas encore à le rencontrer véritablement, car on en reste à une compréhension morale de Dieu et une préoccupation égocentrique et narcissique de soi-même.

Ce qui est juste dans l’attitude du péager, ce n’est pas seulement son humilité ou la reconnaissance de son péché, tout cela est vrai et sans doute nécessaire… mais un détail supplémentaire nous est donné :
« Il se tient à distance » nous dit-on… à distance de quoi ? De l’espace le plus « sacré » du temple, sans doute… mais aussi et surtout, à distance de lui-même, de son égo.

Ce n’est pas parce qu’il reconnaît son péché en se frappant la poitrine qu’il adopte une attitude juste, c’est parce qu’il s’adresse à Dieu en comptant sur lui… en sortant de lui-même… pour s’appuyer sur Dieu : A ce moment là, il n’est plus centré sur ses mérites ou ses insuffisances, sur ses réussites ou ses échecs… à ce moment-là, il s’ouvre à Dieu… il accède à la foi, il entre dans la confiance en Dieu.

Autrement dit, le Dieu Père et Esprit que Jésus Christ est venu révéler ne peut se rencontrer qu’en lâchant son égo, la préoccupation de soi-même…pour le laisser agir en soi.
Car si on demande à Dieu d’agir dans notre intériorité, pour nous transformer et nous rendre meilleur, pour nous ouvrir à une dimension spirituelle de la vie et à l’amour du prochain, il est nécessaire de ne pas prendre toute la place en nous-mêmes… de lâcher le souci de soi-même, pour laisser à Dieu la place d’agir en nous, pour nous transformer.

Et c’est bien l’objet de la méditation et de la prière : non pas rabâcher des demandes à Dieu (cf. Mt 6, 5-8)… mais faire silence en soi, pour se mettre à l’écoute de Dieu.

Je crois donc que ce que Jésus nous invite à vivre, c’est oser lâcher tout jugement aussi bien sur autrui que sur nous-mêmes, pour nous tourner vers Dieu en toute confiance.
Car le Dieu de Jésus Christ est un Dieu qui appelle l’humanité à se mettre à son écoute, à se relever et à se réveiller… pour avancer et progresser… pour se libérer de ses esclavages... de ses idoles (quelles que soient leurs noms : religion, perfection… argent, rentabilité… technologie, nouveauté… science ou politique)… pour vivre l’amour, la justice et la paix. Pour cela, Jésus nous invite à lâcher-prise et à faire enfin confiance à Dieu !

Amen.  




[1] Le but des 2 hommes est spirituel : ils vont au temple « pour prier » (v.10.)
[2] Beaucoup d’exégètes pensent que le v.14b a été ajouté par Luc. On le retrouve aussi en Lc 14,11. L’idée se trouve aussi en Ph 2, 8-9.

dimanche 22 mai 2016

Mc 5, 24-34

Lecture biblique : Mc  5, 24-34
Thématique : Accepter de s’abandonner dans la confiance en Dieu : un chemin de guérison
Prédication de Pascal LEFEBVRE (inspirée en grande partie d’une méditation d’Anselm Grün), Marmande, le 22/05/15.

Mc 5, 24-34 : [Jésus s'en alla avec Jaïros]. Une grande foule le suivait et le pressait de toutes parts.
25Or il y avait là une femme atteinte d'une perte de sang depuis douze ans. 26Elle avait beaucoup souffert du fait de nombreux médecins, et elle avait dépensé tout ce qu'elle possédait sans en tirer aucun avantage ; au contraire, son état avait plutôt empiré. 27Ayant entendu parler de Jésus, elle vint dans la foule, par-derrière, et toucha son vêtement. 28Car elle disait : Si je touche ne serait-ce que ses vêtements, je serai sauvée ! 29Aussitôt sa perte de sang s'arrêta, et elle sut, dans son corps, qu'elle était guérie de son mal.
30Jésus sut aussitôt, en lui-même, qu'une force était sortie de lui. Il se retourna dans la foule et se mit à dire : Qui a touché mes vêtements ? 31Ses disciples lui disaient : Tu vois la foule qui te presse de toutes parts, et tu dis : « Qui m'a touché ? » 32Mais il regardait autour de lui pour voir celle qui avait fait cela. 33Sachant ce qui lui était arrivé, la femme, tremblant de peur, vint se jeter à ses pieds et lui dit toute la vérité. 34Mais il lui dit : Ma fille, ta foi t'a sauvée ; va en paix et sois guérie de ton mal.

* Dans le Nouveau Testament, l’épisode racontant la rencontre entre Jésus et une femme malade, souffrant d’hémorragies, est troublante (voir Mc 5, 24-34). En lisant ce récit, on peut se demander ce qui permet la guérison de cette personne : est-ce un miracle « surnaturel » inexplicable ? Est-ce une force mystérieuse, une puissance de guérison qui émanerait de Jésus ? Ou est-ce la foi de cette femme ?

Deux explications nous sont données :
- Le point de vue du narrateur, de l’évangéliste Marc, c’est que Jésus est une personne hors du commun qui possède une sorte de force magnétique, un pouvoir exceptionnel de guérison. Ainsi, nous dit-il : « Jésus s’aperçut qu’une force était sorti de lui » et de ce fait, il demande qui a touché ses vêtements autour de lui.

- Mais, par la suite, une autre explication nous est donnée par Jésus lui-même. Après que la femme se soit livrée en vérité à Jésus, lui faisant part de son mal et de son intention (son désir de guérison), le maître lui dit : « Ma fille, ta foi t’a sauvé ; va en paix et sois guérie de ton mal ».
En lui disant ces mots, Jésus la voit vraiment. Il établit une relation avec elle et l’appelle « ma fille ». Il joue, pour ainsi dire, le rôle de père (par son écoute et le désir de vie et de dépassement qu’il stimule en elle) et lui donne le courage de voir sa propre vie telle qu’elle est. Il la reconnaît comme une personne à part entière, dans sa dignité. Jésus la renvoie simplement à son désir et à sa foi. Elle a en elle la foi et la confiance, une source à laquelle elle peut puiser. C’est là en réalité l’origine et le moteur de sa guérison : la foi est « une puissance de vie ». Par le mouvement de confiance que Jésus a suscité en elle, dans son intériorité – et qui s’est traduit par un mouvement extérieur jusqu’à toucher le vêtement du maître – elle a pu s’ouvrir à l’action positive et salutaire de Dieu dans son esprit et son corps.

En d’autres termes, la confiance que cette femme a en Jésus – en l’amour de Dieu émanant de Jésus (comme un Souffle vital capable d’agir en elle pour la libérer et la soigner) – c’est là la source véritable de sa guérison.

Autrement dit, cet épisode nous révèle (ou nous rappelle) que chaque être humain dispose en lui-même d’une potentialité de vie extraordinaire et de ressources cachées : pour les activer, la confiance est nécessaire : confiance en la confiance, confiance que « tout est possible pour celui qui croit » (Mc 9,23), que Dieu qui Esprit, Amour et Source de vie peut agir comme une force de guérison dans notre intériorité, pour nous libérer et nous ouvrir à la vie.
Une seule condition pour activer en soi cette puissance de vie : l’ouverture à la foi, accepter de s’en remettre à un Autre, avoir pleinement confiance en l’amour de Dieu pour nous … en cet amour susceptible d’agir comme un Souffle qui traverse notre existence pour la relever… comme une énergie dynamisante capable de nous transformer.

En bref, le seul travail de l’humain est de parvenir à faire comme cette petite femme : nous ouvrir à la dimension spirituelle de la vie, pour nous mettre au diapason de notre vrai Soi, de notre être intérieur uni à Dieu, c’est-à-dire en harmonie avec soi-même.

Dieu est un Souffle qui peut agir en nous, nous traverser et nous soulever, pour autant que nous acceptions de lâcher notre égo (notre petite voie intérieure qui veut tout maîtriser, nos préoccupations egocentriques et nos peurs, ainsi que l’image que nous construisons de nous-mêmes et que nous souhaitons montrer aux autres)… et pour autant que nous acceptions de nous ouvrir à Lui et de Lui faire vraiment confiance.
« Sois sans crainte, aie seulement confiance ! » (Mc 5, 36) : tel est l’appel que Jésus nous adresse, car – dit-il – le Père (l’énergie-Père) peut agir en nous : Il nous aime, nous connaît et sait ce dont nous avons besoin ! (Mt 6,8 ; 6,32 ; 7,11).
En d’autres termes, Jésus nous invite à lâcher-prise pour nous confier à Dieu dans la méditation et la prière !

* Bien sûr, Tout ça est beau – diront certains – mais ce n’est pas si facile que ça « la confiance inconditionnelle » ! Accepter de ne pas seulement compter sur soi-même et ses propres forces, lâcher son égo et accepter dans une certaine mesure de perdre le contrôle, en faisant confiance à un Autre : tout cela n’est pas si simple !... surtout dans une société individualiste comme la nôtre, où le mot d’ordre est l’autonomie, l’indépendance et la réussite personnelle.

Notre épisode est donc très intéressant de ce point de vue, car c’est justement ce que va accomplir la femme affligée de pertes de sang. L’occasion lui est donnée de rencontrer Jésus : elle va la saisir, pour changer de manière de faire et de comportement. Je vous livre l’analyse du théologien Anselm Grün :

« En chemin, [Jésus] rencontre une femme affligée depuis douze ans d'un « écoulement de sang ». […] Ce nombre douze peut être interprété symboliquement. Il exprime la complétude de l'être humain et sa capacité relationnelle. L'homme n'accède a sa vérité que s'il est capable de relations ; […] [Or, cette femme en semble incapable… d’autant qu’elle souffre de pertes de sang, ce qui la rend « impure » aux yeux de son entourage.

Dans les faits] la femme voudrait établir des relations, mais elle n'y parvient pas parce qu'elle s'y prend mal : elle ne donne, ne se dépense que pour obtenir qu'on se tourne vers elle. Donner son sang, c'est donner sa force, sa vitalité, mais seulement pour être aimée et reconnue des autres, or elle ne fait que perdre des forces ; elle donne beaucoup parce qu'elle a besoin de beaucoup.
Elle dépense aussi son avoir pour se soigner. La fortune, l'argent, renvoient toujours dans un rêve aux aptitudes et possibilités du sujet. Nous développons tous cette tendance : nous apprenons dans l'effort, mais seulement pour être reconnus par les autres. Ce faisant, nous sentons bien aussi que nous n'y trouvons pas notre compte et que finalement nous nous retrouvons vidés de notre substance.

La situation de cette femme change quand elle cesse de donner et touche simplement le manteau de Jésus ; elle prend ainsi quelque chose de lui : sa spiritualité, son rapport avec Dieu.
Elle ne donne plus pour recevoir [pour être reconnue et respectée], elle prend seulement ce dont elle a besoin et, prenant l'essentiel, elle reçoit à son tour, elle est guérie. Elle a perçu la force qui émane de Jésus, bien qu'elle n'ait osé l'approcher que par-derrière ; maintenant, ce qui était secret doit être abordé en face. Elle doit affronter sa maladie et sa guérison, dire toute la vérité.
Elle se sent alors acceptée, non seulement dans son corps mais encore dans tout son être, sa féminité, l'histoire de sa vie. Sentant le rayonnement de Jésus, elle prend confiance et peut lui exprimer ouvertement son tourment.

Sa situation n'était assurément pas facile dans une société masculine devenue impure à cause d'elle ; celui qui touchait une femme dans cet état devenait lui-même impur et devait se soumettre aux rites de purification. Mais Jésus la relève : « Ma fille, ta confiance t'a sauvée. Va en paix, sois délivrée de ton [mal] » (5,34). En lui adressant ainsi la parole, il ne la traite pas en étrangère, mais établit avec elle une relation de familiarité et lui confirme qu'elle a fait ce qu'il lui fallait faire.

Quand elle ne donnait que pour attirer l'attention, elle n'avait pas la foi ; elle voulait tout [contrôler, tout] accomplir par elle-même et ne pouvait qu'aller à sa perte.
Désormais elle fait confiance à Jésus et prend de lui ce dont elle a besoin pour vivre ; ainsi elle guérit et retrouve sa dignité. »[1]

* Ainsi donc, l’histoire de cette femme nous montre que la foi est un chemin de lâcher-prise et de confiance. Accepter de trouver le salut – la guérison – non pas seulement par soi-même, par ses propres forces, mais à l’extérieur de soi ; accepter de demander l’aide de Dieu et le laisser agir en soi ; se tourner en toute confiance vers Celui qui nous aime tel que l’on est, sans condition… et qui peut agir dans notre intériorité, pour autant que nous le laissions faire : Tel est le chemin du salut proposé par le Christ.  

Amen.



[1] Cf. Anselm Grün, Jésus, Le chemin de la liberté, Evangile de Marc, Ed. Bayard, p. 66-68.

dimanche 15 mai 2016

Dieu, conscience universelle créatrice, Souffle d'amour, Esprit de vie

Lectures bibliques : Mc 1, 9-12 ; Ac 2, 1-12
Thématique : Dieu, conscience universelle créatrice, Souffle d’amour, Esprit de vie
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 15/05/16, culte de Pentecôte, avec le baptême de Céleste.

* Deux remarques préliminaires sur ce texte de Pentecôte :
-       D’une part, ce récit est parlant dans la mesure où nous pouvons le mettre en lien et en perspective avec le baptême que Jésus a reçu dans le Jourdain : ce baptême est un baptême d’Esprit qui raconte le surgissement du Souffle de Dieu dans la personne et la vie de Jésus. L’évangéliste Marc nous raconte que Jésus vit ce jour-là une expérience spirituelle inouïe qui va le pousser ensuite au désert pour un cœur à cœur avec Dieu pendant 40 jours.
-       D’autre part – et sur un autre plan –, il faut avouer que ce récit de Pentecôte colle assez mal avec notre rationalité du 21e siècle : Qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire pour nous cette histoire extraordinaire de manifestation de l’Esprit, de langues de feu, de parler en langues ? Beaucoup de nos contemporains peuvent rester perplexes (comme les témoins de cette scène) devant ces évènements pour le moins étonnants.

Au-delà de ces deux remarques, je crois que ce passage que nous écoutons tous les ans pour la fête de Pentecôte est particulièrement important, car il nous permet de réfléchir de façon nouvelle à la réalité que nous mettons derrière le mot « Dieu ». 

* Deux obstacles se présentent à nous quand nous essayons de penser ou de parler de Dieu : la religion et la science.

- Premier point : Même si nous sommes dans un temple ce matin, même si nous plaçons notre confiance en Dieu (et que nous venons de lui confier Céleste, avec sa bénédiction), même si je suis habillé en robe pastorale, j’ai le droit avec vous… nous avons le droit ensemble… d’être critique à l’endroit de la religion. La religion est un moyen qui nous est donné pour cheminer, pas un but en soi. N’oublions jamais que Jésus a été crucifié par des Religieux et que la Croix est désormais un symbole qui vient remettre en cause la sagesse du monde (cf. 1 Co 1, 18-25) et celle des Religieux.

Dans un certain nombre de religions, Dieu est pensé ou vu comme une instance supérieure, comme un Être suprême qui règne du haut des cieux. Or, est-ce ce Dieu là que présente le Nouveau Testament ? Je ne le crois pas. A plusieurs reprises dans les évangiles, Jésus s’oppose à l’idée d’un dieu juge, d’un dieu susceptible de punir, d’un dieu qui exercerait un contrôle du haut des cieux, assis sur son trône de gloire.

A l’appui de ce récit de Pentecôte, qui parle de Dieu comme « Souffle », comme « Esprit », je vous propose ce matin un exercice un peu délicat… un peu perturbant pour un jour de fête : un exercice de déconditionnement.
Je vous propose pendant quelques minutes au moins – et j’espère même de façon durable – d’oser abandonner nos représentations conscientes ou inconscientes, nos manières de penser Dieu comme un Être ou une Personne.

Certes, Jésus parle de Dieu comme un « Père » pour nous dire une relation possible de proximité et de confiance, mais à proprement parler Dieu est plus qu’une personne… surtout si nous pensons que Dieu est créateur, à l’origine de la vie dans l’univers.

Osons un instant abandonner les représentations picturales ou religieuses de Dieu et essayons de le penser autrement :
Imaginons que « Dieu » ne possède en réalité aucune des caractéristiques humaines que nous avons tendance à projeter sur Lui : celle d’un roi ou d’un juge. Imaginons Dieu comme l’Un, l’Universel éternel et infini.

Imaginons Dieu comme une force créatrice, comme la Source, l’impulsion créatrice qui réside derrière et dans l’existence.

Pensons que Dieu, l’énergie Dieu-Père – comme l’appelle Jésus – est la conscience universelle qui crée, anime et soutient l’univers visible et toutes les autres dimensions qui existent certainement, au-delà de notre perception et de notre compréhension actuelles.

Imaginons Dieu comme « Esprit » comme la force de vie et d’amour en activité dans tout être vivant… comme la force motivante, la force intelligente d’impulsion et de vie qui agit à tous les stades et dans toutes formes vivantes.

Lâchons les images pieuses et religieuses, et prenons au sérieux cette hypothèse.
Une fois que nous avons cette pensée en tête… nous réalisons la présence de cette réalité « Dieu » en toute chose visible. Nous comprenons que nous ne sommes plus seuls. Nous sommes soutenus pas cette réalité dans notre être, notre personne, notre vie, car Dieu est la conscience universelle qui soutient l’univers et qui amène toute création, toute individualité, à une manifestation visible.

Si tel est le cas, quelle est notre aspiration ?
Ce à quoi notre âme aspire, c’est un véritable contact et une ré-union avec la Source de notre Être.

C’est ce à quoi s’attèlent des milliards d’êtres humains sur notre planète – quelles que soient leurs traditions religieuses – ce qu’ils cherchent, en réalité, par la méditation ou la prière, c’est à élever leur conscience jusqu’à l’Universel.

Tous ceux qui ont une activité spirituelle sur notre terre poursuivent un but : Ouvrir leur conscience à une vie renouvelée, une vitalité et une puissance spirituelle plus grande… Entrer en contact avec notre Source de l’Etre.[1]
Ils souhaitent, d’une manière ou d’une autre, dépasser leur mode de vie présent fondé sur l’égo, pour trouver une source de joie intérieure et de satisfaction de nos besoins, en lien et en communion avec les autres.

- Deuxième point : Après avoir remis en cause l’image de Dieu véhiculée par la religion, interrogeons-nous sur la manière de voir de la science.

La science fait des découvertes passionnantes. Les recherches scientifiques nous conduisent à mieux comprendre le monde qui nous entoure. C’est légitime, utile et même indispensable.
Cependant, la science a aussi des présupposés qu’elle a du mal à remettre en cause, et elle est loin de pouvoir répondre à tout.
Elle tente d’expliquer le « comment » du fonctionnement de la nature, des corps et des molécules, mais, plus fondamentalement, elle ignore le « pourquoi » et l’origine de l’activité intelligente dans la « matière » de l’univers.

La science explique le fonctionnement de telle ou telle cellule ou molécule. Mais la source initiale, l’impulsion de la vie, aussi bien que la finalité (qui répond à l’impulsion créatrice de la vie) sont à ce jour inconnues d’elle.

Bien souvent, la science tend à réduire l’activité et les origines des molécules à des substances chimiques inanimées ou à des informations emmagasinées et délivrées par des gènes [2], mais elle ne dit rien de la conscience intelligente derrière la vie, derrière l’origine, l’impulsion et le fonctionnement du vivant.
A quel moment de la création, la « conscience » s’est-elle faufilée dans des organismes vivants ? [3]
Comment la pensée intelligente, qui pèse et décide, est-elle arrivée dans le champ de la matière inconsciente et inanimée ?
Sans conscience sous-jacente à la vie, comment une activité si bien informée et informatrice pourrait-elle avoir lieu dans une cellule vivante invisible à l’œil nu ?

Ne faut-il pas en déduire que le vivant est le produit d’une conscience, de la conscience universelle, présente derrière toute créature vivante, toute forme de vie ?
Ne doit-on pas élargir notre vision du monde matériel et visible, perceptible par nos sens, pour envisager le fait que l’apparition de ce monde visible est liée à l’action d’une conscience invisible, d’une « Force motivante » sous-jacente ? [4]

La science aimerait nous faire croire que nous vivons dans un univers purement mécanique… que le phénomène de l’évolution naît de mutations hasardeuses et de la « survie du mieux adapté ». Mais ne faut-il pas penser qu’il y a une vaste Intelligence derrière la création : une conscience d’amour universelle, que la Bible appelle le Souffle divin, l’Esprit saint ?

* On voit que la religion comme la science ont chacune leurs propres présupposés. Et c’est une véritable question de savoir comment, dans notre monde du 21e siècle, mêler la foi et la raison ?

N’a-t-on pas tendance à les opposer ?  Ce qui entraine nécessairement soit un athéisme pseudo-scientifique : la croyance en un univers purement mécanique… soit une foi religieuse, vue comme la survivance d’une croyance archaïque, d’une foi crédule et naïve.

La foi consiste-elle à nous faire croire à des non-sens ? La raison a-t-elle réponse à tout ? Certainement pas !
Comment tenter de concilier « foi » et « raison » : sans doute en revoyant notre manière de comprendre et de parler de Dieu.

Et si Dieu ne correspondait pas à l’image que nous en avons : celle d’un haut et puissant Jéhovah créateur, comme le voyait les Juifs contemporains de Jésus (?)
Cette représentation, le Christ est venu lui-même la contester en parlant de Dieu comme « Père »… comme un Père actif dans sa création, puisque – nous dit-il – Il nourrit les oiseaux du ciel et habille magnifiquement l’herbe des champs (cf. Mt 6, 25-34)…. Autrement dit, il est actif et agissant dans sa création.

Si Dieu était davantage une énergie, l’énergie vitale derrière l’existence : la source d’Être, d’intentionnalité et de vie, présente en chaque être vivant.
Si Dieu était la conscience créatrice universelle, la conscience de vie présente en toute forme et espèce dans la création : n’aurait-on pas une autre manière d’envisager le rapport entre la foi et la raison ?

Les événements de Pentecôte – que nous lisons dans le livre des Actes (Ac 2) – décrivent une manifestation de l’Esprit. Ils nous appellent à quitter les représentations archaïques de Dieu, pour nous amener à comprendre qu’Il est à l’œuvre derrière et dans notre monde, et même en chacun de nous.[5]

Si nous posons cette hypothèse, cette nouvelle manière de « percevoir » Dieu, il n’y a plus de frontière, de barrage entre la foi et la science, Dieu comme énergie, comme source de l’Être, comme conscience universelle, peut agir en nous, d’autant plus que nous nous ouvrons à son influence, à son Souffle d’amour.
Dès lors, nous devenons co-créateur de notre réalité, par notre conscience, nos pensées, nos paroles, en laissant la créativité de Dieu agir en nous.

Jésus est cet homme qui est devenu totalement transparent au Souffle de Dieu, à l’action de Dieu en lui. Il a laissé l’Esprit de Dieu le guider et agir en lui.
Relisez l’évangile selon Jean, Jésus lui-même le déclare : je ne fais rien par moi-même, c’est le Père qui agit en moi ! (cf. Jn 5, 17.30 ; 10, 29-30 ; 14, 10 ; etc.)
C’est à cela que nous sommes appelés, nous aussi : à lâcher prise, à faire confiance à ce Souffle, cette Source d’amour qu’est Dieu, au point de le laisser agir en nous, au point de lui confier les rênes de notre existence. C’est cela la foi : faire confiance à cette force qu’est Dieu, qui pourvoit à nos besoins, qui est une force de paix et de guérison.

* Ainsi donc, il me semble que ce récit de Pentecôte nous porte à la nouveauté. De la même manière que les disciples ont été saisis par l’Esprit, nous pouvons quitter nos habitudes, nos présupposés, nos représentations, pour nous ouvrir à la nouveauté de l’Esprit, à une nouvelle manière de penser Dieu.

Nous pouvons oser abandonner l’image d’un Dieu tout-puissant qui agit comme un magicien ou un roi assis sur son trône quelque part en haut du ciel…  un Dieu qui récompense les vertueux et punit les méchants. Ces croyances sont peut-être rassurantes ou consolatrices, mais elles ne correspondent pas à ce que Jésus dit de Dieu, comme Source d’amour, comme énergie « Père » qui connaît nos besoins (cf. Mt 6,8 ; 7,11), qui apporte nourriture et guérison et qui se situe au-delà des questions de morale, de bien et de mal… puisqu’il fait lever son soleil et pleuvoir sa pluie aussi bien sur les bons que les méchants, sur les justes que les injustes (cf. Mt 5, 45).

La science aussi doit évoluer et admettre que l’hypothèse d’un monde purement mécanique ne tient pas debout, surtout quand 95 % de la matière de l’univers (matière noire et énergie sombre) nous est encore inconnue aujourd’hui, et que nous ignorons tout de la force d’intentionnalité à l’origine de la vie et sa finalité.

L’enjeu n’est-il pas, demain, d’essayer d’établir des ponts entre le monde visible de la matière et la dimension spirituelle invisible, des ponts entre l’apparition des particules électriques et la conscience universelle ? N’y a-t-il pas une manière de penser l’action de Dieu qui dépasse nos présupposés et qui soit compatible avec les découvertes encore inexpliquées de la science ? [6]

* Vous allez me dire … peut-être à juste titre… que, ce matin, je plane dans les hauteurs de la pensée spéculative… mais peu importe ! Ce qui nous intéresse, plus concrètement, c’est de savoir en quoi tout cela peut-il changer notre quotidien, ici et maintenant ?

Si nous essayons de penser Dieu, comme Souffle, comme Esprit… il faut se demander : qu’est-ce qui lui permet d’agir et qu’est-ce qui fait barrage à son action ?

Imaginons encore un instant que Dieu soit cette « Source de l’Être », cette conscience universelle à l’origine de la vie. Cela signifierait que – outre les gènes qui nous sont transmis par nos parents biologiques – nous tirons notre « être » (dans ses différentes composantes : spirituelle, mentale, émotionnelle, physique) de cette Force de volonté…  Que cette volonté de créativité et d’expression de soi est également en nous… puisqu’elle est « la vie » qui nous anime. [7]

Cela voudrait dire – en tant que créatures animées par une force de vie émanant de la conscience universelle – que nous sommes également à notre petit niveau des êtres animés par une conscience… que cette conscience nous rend aussi créateurs à notre échelle humaine… créateurs de notre propre réalité.
En d’autres termes, cela signifierait que nous sommes chacun (en tant que créatures individualisées) des expressions de la conscience universelle qu’est Dieu : ce que la Bible traduit en disant que nous sommes « enfants de Dieu ». [8]

Toutefois, la question cruciale, pour nous autres, êtres humains (conscients de notre existence et de nos actes), est de savoir si nous laissons ce Souffle, cette force de vie et de créativité, s’exprimer en nous et autour de nous / ou si nous lui faisons obstacle (?)

Il y a, en effet, quelque chose qui peut venir s’opposer à l’action et l’équilibre de l’Esprit dans notre vie, c’est « l’égo » qui bien souvent nous domine.[9]

Nous avons en nous des forces attachements et de rejets, d’attraction et de répulsion qui tendent à limiter et à ramener notre conscience uniquement vers nous-mêmes, vers notre égo… vers la protection et la satisfaction de notre seule individualité… et qui de ce fait, nous déconnectent de la conscience d’amour qu’est Dieu le Père… car nous prétendons nous préoccuper et répondre à nos besoins par nous-mêmes et pour nous-mêmes, en oubliant que nous sommes liés au Souffle créateur de Dieu et au reste de la création… Ce faisant nous pouvons causer des dommages et de la souffrance à notre entourage et à notre environnement.

Le message chrétien (en tout cas une bonne partie des enseignements donnés par Jésus) est un appel à surmonter notre égo, à dépasser nos préoccupations égocentriques, pour nous amener à nous ouvrir au Souffle de Dieu et aux autres.

Je pourrais vous citer un certain nombre de versets bibliques qui nous exhortent à lâcher notre égo pour nous tourner vers l’Esprit, vers le Père, pour le laisser agir en nous, dans notre intériorité. Je me limiterai ce matin à deux citations courtes :

« Si quelqu’un veut venir à ma suite qu’il renonce à lui-même […] Qui veut sauver sa vie, la perdra ; mais qui [risquera] sa vie à cause de moi et de l’Evangile, la sauvera » (cf. Mc 8, 34-35).
Ou encore : [Cessez de vous préoccupez de vous-mêmes] « cherchez d’abord le règne de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera donné par surcroît » (cf. Mt 6,33) dit Jésus.

A travers ces exhortations, le Christ nous appelle à nous connecter ou nous reconnecter au Souffle créateur qui est orienté vers la vie et l’amour inconditionnel.

Dans le récit de Pentecôte, nous voyons que l’impulsion de l’Esprit ne recroqueville pas les disciples sur eux-mêmes ou leurs préoccupations égoïstes (alors qu’ils sont dans le deuil de la séparation d’avec leur maître). Au contraire, la manifestation du Souffle divin les conduit à communiquer, à se tourner vers les autres, à s’ouvrir au monde. Ils passent de la peur à la confiance, de l’enfermement au témoignage. Et c’est l’Universel qui se manifeste à travers eux, dans chaque langage particulier. Ils manifestent les merveilles de Dieu (cf. Ac 2).

On peut voir à travers ce récit de Pentecôte, un appel qui nous est adressé à nous ouvrir à l’Esprit de Dieu dans notre existence, à oser s’inscrire dans la méditation, pour se mettre à l’écoute et s’ouvrir au Souffle créateur de Dieu, qui est la puissance d’amour intelligente et parfaite.[10]

Ce que ce récit de Pentecôte nous dit – comme le récit du baptême de Jésus nous le rappelle aussi – c’est que nous sommes appelés à vivre la nature de la réalité divine en nous… nous sommes appelés à laisser régner la conscience d’amour universelle dans notre intériorité et notre vie.

Lorsque Jésus nous parle du « royaume de Dieu », il nous parle de l’entrée dans une autre réalité : une réalité accessible, à portée de main, en nous (cf. Lc 17, 21) :
Il s’agit de quitter le monde de l’égo, du chacun pour soi, de la lutte ou de la rivalité pour la survie ou la réussite, pour nous ouvrir à la réalité que Dieu nous offre : l’accès à la conscience d’amour inconditionnel, qui nous apporte paix, communion intérieure et communion avec nos frères… pour la promotion du bien suprême de tous les êtres vivants.

Alors, chers amis, osons lâcher-prise et faire pleinement confiance au Souffle de Dieu qui nous anime. Que son amour nous fasse grandir dans la foi et nous apporte paix, espérance et joie – ainsi qu’à Céleste ! C’est tout le bien que nous pouvons lui souhaiter !

Amen.




[1] Le but est l’illumination spirituelle, le renouvellement de la vie, la force de volonté et la découverte de ce que Jésus a appelé « le royaume des cieux ».
[2] La science dit que la cellule contient un « noyau » qui pourrait se comparer au cerveau d'un être humain puisqu'il transmet des messages et que sa fonction principale est le stockage d'informations, la « bibliothèque » qui contient non seulement les détails relatifs à une cellule, mais à tout le corps dans lequel elle réside. En fait, selon les recherches de la science, il apparaîtrait que la cellule elle-même est un système de « messages » chimiques transportés d'une manière intentionnelle, intelligente et claire. Comment cela se pourrait-il si les origines des molécules de la cellule n'étaient que des substances chimiques inanimées ?
[3] Qui peut dire à quel stade de l’évolution du « monde matériel » la conscience est-elle pour la première fois perceptible ? (dans un corps ? dans des cellules vivantes ? dans les molécules ? dans les composés chimiques ? dans les éléments ? dans les particules électriques qui ont formé les éléments ?... ) La science ne sait pas répondre à une telle question.
[4] Ce que nous appelons la « matière » - à un niveau infinitésimal - n’est-elle pas « simplement » de la conscience rendue visible par l’action d’impulsions électro-magnétiques ? Que penser de l’hypothèse de l’action d’une « conscience » au niveau le plus primordial (le plus petit ou le plus élémentaire), au niveau des particules électriques (au niveau électro-magnétique) … qui auraient une action d’impulsion dans la formation des éléments (lesquels s’assemblent ensuite en composés chimiques) ?
[5] Ce que le récit biblique dit de façon symbolique en nous parlant d’un Souffle et de l’apparition de quelque chose « comme des langues de feu » sur chacun des disciples (cf. Ac 2).
[6] On s’aperçoit par exemple qu’une activité purement mentale – une activité de notre conscience, comme la méditation – est capable de stimuler nerveusement (c’est-à-dire de façon électro-magnétique) tel ou tel endroit du cerveau et de modifier à la longue la physiologie et les capacités du cerveau humain (qui est un organe plastique). Des recherches médicales ont été réalisées récemment à ce sujet avec des IRM. N’y a-t-il pas des ponts à trouver entre le travail de la conscience et son influence sur la « matière » ?
[7] En effet, la volonté de la Vie est de jaillir et de créer ; son but est de donner une forme individuelle à la création et d’en faire l’expérience. La vie est don et gratuité.
[8] Dans cette hypothèse, si Dieu est cette conscience universelle à l’origine de l’impulsion de la vie, nous pourrions dire que l’univers entier est une manifestation de la « puissance créatrice » de Dieu.
[9] Ce que la religion a appelé « le péché » pour désigner l’orgueil ou la convoitise / ou encore l’éloignement d’avec Dieu. (Ce que la Genèse présente dans un grand récit des origines, c’est la tentation de l’humain de vouloir être lui-même « Dieu », c’est la tentation de la toute-puissance, c’est le refus de la confiance en un Autre que soi-même.)
[10] Nous pouvons recevoir ce récit de Pentecôte comme la possibilité pour notre esprit de s’ouvrir à la conscience d’amour universelle, et donc à purifier notre conscience des impulsions égoïstes, qui bien souvent nous guident et nous enferment sur nous-mêmes.