dimanche 1 mai 2016

Mc 5, 21-43

Lectures : Mt 7, 7-11 ; Mc 1, 14-15 ; Mc  5, 21-43
Thématique : la confiance ou la peur / le Dieu de vie ou de mort
Marmande, le 01/05/15
Prédication, en grande partie reprise d’une méditation de Jean-Marc Babut[1]

Quel est le message central de l’évangile ?

Il y a certainement plusieurs aspects et un certain nombre de versets bibliques qui peuvent nous marquer et nous paraître importants, mais, en tant que Chrétiens Protestants, à la suite de l’apôtre Paul et de Luther, nous répondrions sans doute : la grâce de Dieu.

Oui… nous croyons en un Dieu bon, compatissant et miséricordieux (cf. Mt 5,45 ; Lc 6,36)… un Dieu "Esprit", "Lumière" et "Amour" qui aime les humains, ses créatures, comme un Père aime ses enfants.

Parce que Dieu est à l’image d’un Père, parce qu’il est la Source, le fondement de la vie, telle une force d’amour, d'impulsion positive, bonne, salvatrice… parce qu’il veut le bien de ses créatures… nous pouvons lui faire pleinement confiance et répondre à sa grâce par la foi.

Jésus nous appelle à nous tourner vers Dieu dans l’assurance qu’il nous entend, qu’il connaît nos besoins (cf. Mt 6,8), qu’il répondra positivement, au-delà de ce que nous pouvons souhaiter, imaginer ou demander.
Soyons confiants ! Dieu pourvoit à nos besoins et agit de façon providentielle pour chacun d’entre nous, parce qu’il nous connaît et nous aime. (cf. Mt 7, 7-11). « Demandez, on vous donnera ; cherchez, vous trouverez ; frappez, on vous ouvrira » (Mt 7,7)

Ce message, c’est celui que proclame Jésus.
Mais y croyons-nous vraiment ? Je veux dire : nos mauvaises ou tristes expériences ne nous empêchent-elles pas d’adhérer réellement à cet Evangile (cette Bonne Nouvelle) ?

Il y a quelques années, lors d’une visite à l’hôpital, une femme retraitée qui avait perdu un de ses enfants, 10 ans plus tôt, m’a avoué sa révolte contre Dieu : « Dieu m’a pris mon fils ! » m’a-t-elle dit, avec tristesse, désespoir et colère.
Cette femme, rongée par le chagrin, était fâchée contre Dieu. Elle ne voulait plus avoir de relation avec Lui, plus faire confiance à Dieu, depuis la mort de son fils de 30 ans.
Bien sûr, en tant que pasteur-aumônier, j’étais là pour être à son écoute. Je n’étais pas là pour faire de la théologie et dire à cette dame que le Dieu qu’elle refusait, je n’y croyais pas non plus et ne voulais rien avoir à faire avec lui.
Car, assurément, cette personne ne croyait pas au « bon Dieu », au Dieu de Jésus-Christ, au Dieu d’amour et de vie…  Elle croyait en un autre dieu, une idole (c’est-à-dire un faux dieu) : un dieu de mort, un dieu qui prend la vie… qui est capable de punir et de meurtrir.

Ce qu’on peut se demander, c’est si cette image de Dieu qu’avait cette femme malheureuse, ne traîne pas encore ici ou là, dans un certain nombre de têtes, de mentalités, de croyances ou de religions.
Dieu… Beaucoup s’en méfient ! Il faut faire attention à ce qu’on fait et ce qu’on dit… on ne sait jamais de quoi il est capable.
Dès lors, ce n’est pas la confiance qui règne, mais la peur, la crainte de Dieu.

C’était sans doute le cas à l’époque de Jésus… Car bon nombre de croyants Juifs – contemporains de Jésus – se sentaient obligés de se rendre au Temple de Jérusalem, pour offrir des sacrifices à Dieu… pour acheter des animaux à sacrifier et en offrir le sang – c’est-à-dire la vie –  à Dieu, en échange du pardon de leurs péchés.
Il fallait se purifier et marchander son salut, pour satisfaire Dieu et obtenir réparation de ses fautes. Ces hommes croyaient en un Dieu exigeant et vengeur… un Dieu terrible, capable de punir les infidèles et ceux qui ne méritaient pas son pardon.
En d’autres termes, ils ne connaissaient pas le Dieu miséricordieux et généreux, le Père bien aimant qu’est venu révéler Jésus Christ.

Pour le théologien Jean Marc Babut, c’est en ce sens qu’il faut comprendre l’intervention de Jésus auprès de la fille de Jaïros : Elle constitue un signe, un témoignage, une sorte d’attestation, par l’exemple, de ce que Jésus est venu proclamer au sujet du Dieu d’amour, du Dieu sauveur.

Les interventions extraordinaires et les guérisons spectaculaires accomplies par Jésus ont pour objectif – outre de relever et de guérir des personnes désemparées – de venir attester et illustrer ses paroles : le message qu’il est venu faire passer aux humains au sujet du Dieu-Père… de la possibilité de changer de mentalité… et d’entrer dans la confiance et dans le monde nouveau de Dieu, ici et maintenant.

Je vous cite la réflexion pertinente et éclairée du théologien Jean Marc Babut :

« Devant un malheur comme celui qui frappe la famille de Jaïros [comme la mort dramatique d’un enfant], on entend dire parfois, même parmi les chrétie­ns : « Dieu l'a voulu » ou, sous une forme moins brutale, « Dieu l'a permis ».

Au nom de l'Évangile, je voudrais réagir ici avec la dernière vigueur contre de tels propos, d'autant plus scandaleux qu'ils ont l'apparence de la piété.
Comment un tel soupçon à l'encontre de Dieu peut-il être compatible avec la Bonne Nouvelle de Dieu que Jésus proclame depuis le début de sa vie publique (Mc 1,14) ? Soyons sérieux.

Quand on apporte à Jaïros : la nouvelle consternante et redoutée : Ta fille est morte, Jésus aurait-il refusé de tenir compte de ces mots (Mc 5,36) s'il avait pensé que Dieu avait voulu ou simplement permis un tel malheur ? - Sûrement pas !
Aurait-il repris son chemin vers la maison mortuaire ? - Non, sans aucun doute, sinon pour accompagner Jaïros et ne pas le laisser seul en une épreuve aussi cruelle. Mais il ne lui aurait pas dit : N'aie pas peur, aie seulement confiance (5,36).

N'aie pas peur. Au fait, de quoi ou de qui Jaïros doit-il ne pas avoir peur ? Jésus ferait-il allusion à la mort ? Mais elle est déjà passée, elle n'est donc plus à redouter. Je pense plutôt que Jésus parle ici de la peur que Jaïros commence peut-être à éprouver devant Dieu. Evidemment, si c'est Dieu qui a voulu ou permis cette chose affreuse, il est compréhensible qu'on ait peur d'une divinité aussi imprévisible et cruelle.

Mais un tel dieu n'est pas celui de Jésus. Si Jésus, en effet, annonce partout que [le Royaume] le monde nouveau de Dieu est devenu tout proche, qu'il faut changer de mentalité et faire confiance à ce message de salut (Mc 1,15), peut-il en même temps servir un Dieu qui permet la mort d'un enfant ? Allons donc ! Jésus est cohérent.

Le dieu qui, de près ou de loin, est responsable de la mort d'un enfant est un autre dieu - un dieu qui n'existe que dans la tête des humains en mal d'une explication à trouver pour tout ce qu'ils ne comprennent pas, un dieu « bouche-trou » comme on dit. [Une idole,] un faux dieu… contre lequel nous met déjà en garde le premier commandement : Tu n'auras pas d'autre dieu face à moi (Ex 20,3), et aussi le second : Tu ne te feras pas d'image de Dieu (Ex 20,4).

En fait le Dieu de Jésus n'est pas à notre image. Je veux dire qu'il ne ressemble en rien à ce que nous imaginons.
Dans la Bible, il nous apparaît avant tout comme une voix - une voix porteuse d'un message de salut pour l'humanité et d'un appel pressant à entrer dans [le règne,] le monde nouveau qu'il propose à tous. Il est un Dieu de vie, de vie nouvelle. La vie, il ne la prend pas, il la donne. Voilà pourquoi il n'y a pas à avoir peur.

N'aie pas peur, dit Jésus, aie seulement confiance (crois seulement). On le voit clairement ici : la foi, c'est le contraire de la peur, c'est la confiance en Dieu, c'est se tourner sans crainte vers Celui qui donne la vie et appelle à la vie. Voilà pourquoi Jésus rappelle à la vie la fillette de Jaïros. Ce faisant il donne un signe clair que Dieu a choisi non pas la mort, mais la vie.
Certes, dans cette existence on continuera à côtoyer la mort et à se heurter à elle. Mais grâce à Jésus et avec lui on garde la certitude que le dernier mot reste et restera au Dieu de vie, au Dieu de notre vie.

L'histoire de Jaïros ne nous permet pas d'en dire plus. On pourrait donc s'arrêter là, mais un détail du récit mérite, me semble-t-il, d'être examiné de plus près :

Trois fois [dans notre épisode] […] on rencontre le verbe sauver. Tout d'abord, quand Jaïros vient supplier Jésus pour sa fille mourante, il lui demande : Viens poser les mains sur elle, pour qu'elle soit sauvée et qu'elle reste en vie (Mc 5,23). Ensuite, quand la femme atteinte d'hémorragie persistante s'apprête à toucher le vêtement de Jésus, elle se dit : Si j'arrive à toucher au moins ses vêtements, je serai sauvée (Mc 5,28). Enfin, quand Jésus la congédie, il lui dit : Ma fille, ta foi t'a sauvée, va en paix et sois guérie de ton mal (Mc 5,34).

Les traductions en usage hésitent sur la façon de rendre le verbe grec correspondant. […] [Certaines versions traduisent par « sauver » ; d’autres par « guérir ».] Cette hésitation des traducteurs est pleine d'enseignements.

Être sauvé, le salut, le Sauveur : toutes ces expressions évoquent [la plupart du temps] pour nous un état heureux après la mort. C'est l'espoir de beaucoup, c'est la consolation que nous entretenons volontiers pour nous-mêmes et pour ceux qui nous sont chers en réponse à l'angoisse plus ou moins sourde qui nous habite face à la mort.
Certes, cette espérance a sa source dans la Bible. Mais Marc nous fait découvrir ici combien cette façon de penser est réductrice. Pour lui, être sauvé, c'est d'abord être guéri, et guéri maintenant.

Oui, maintenant, et non pas dans un plus tard hypothétique. C'est maintenant que les choses peuvent changer pour nous. […]

La question reste posée alors de savoir si nous sommes vraiment prêts à ce changement.
Si nous sommes tellement pressés de reporter le salut à plus tard, à le réduire à une sorte de compensation de la mort, [n'est-ce pas que nous  manquons de confiance en l’action de Dieu, en la Providence de Dieu pour aujourd’hui ?] n’est-ce pas que nous avons plus peur encore de ce qui pourrait changer notre vie présente ?

Sommes-nous vraiment convaincus d'avoir besoin du grand changement que Jésus propose ? Ou nous faudra-t-il attendre d'être dans une situation insoluble de détresse, comme Jaïros ou comme la femme atteinte d'hémorragie ? Je pense qu'il serait bon que chacun de nous réfléchisse à ces questions : être sauvé ; être guéri maintenant, est-ce vraiment ce que nous voulons ?

[Croyons-nous réellement que Dieu peut agir en nous ? pour nous ?]

Être sauvé, c'est d'abord être guéri. Or, qui dit guérison dit évidemment aussi maladie.
Si notre monde a besoin d'être sauvé, c'est qu'il est malade. Il serait intéressant de savoir de quoi.
[J’ai bien sûr quelques réponses et vous aussi sans doute ; chacun peut avoir son analyse : il est malade de peur, d’angoisse ; il est malade d’égoïsme et d’avidité, d’égocentrisme et de convoitise. Il a oublié (en grande partie) la dimension spirituelle de l’humain.]

Si notre vie a besoin d'être sauvée, c'est qu'elle est malade elle aussi, même si nous n'en avons guère conscience.
Mais, dans le message de Jésus, il y a une guérison proposée pour notre monde, et une guérison pour nos vies, les deux guérisons n'allant d'ailleurs pas l'une sans l'autre. Il ne peut y avoir de salut pour nous si le monde n'est pas sauvé lui aussi.

Quiconque a lu [l’évangile selon] Marc […] ne peut manquer d'être frappé en constatant que, finalement, Jésus n'y fait guère autre chose que de rencontrer des gens, individuellement ou en groupes, de parler avec eux comme messager du monde nouveau de Dieu et de guérir celles et ceux qui sont dans la détresse.
[Sans cesse, Jésus appelle à un changement de mentalité et à la confiance en Dieu (cf. Mc 1, 14-15).]

Et aujourd'hui ? Demandera-t-on.

Jésus n'est plus physiquement présent parmi nous, pour arrêter une perte de sang incurable ou pour rappeler à la vie une enfant prématurément emportée par la mort. Mais, grâce aux évangiles, son message est toujours là, nous invitant à entrer pour de bon dans le monde nouveau de Dieu et à y trouver la guérison dont nous avons tous besoin.

Aujourd'hui, il est toujours possible d'écouter son appel et d' y répondre ». [2]
« Aie seulement confiance ! » dit le Christ (Mc 5,36)].

Amen.




[1] Cf. Jean Marc BABUT, Actualité de Marc, éd. Du Cerf, Paris, 2002.
[2] Cf. Jean Marc BABUT, Actualité de Marc, éd. Du Cerf, Paris, 2002, p.94-98.

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