dimanche 11 septembre 2016

Lc 4, 1-13

Lecture biblique : Q 4, 1-8 (source Q) ou Lc 4, 1-13
Thématique : observer les oppositions comme des occasions de persévérer dans la confiance
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 11/09/16

* La présentation des tentations du Christ au désert constitue vraisemblablement un récit reconstitué par les évangélistes, à partir des paroles de Jésus. Car, bien évidemment, Jésus est seul dans le désert, conduit par l’Esprit.
Il n’y a pas d’autre observateur que lui-même, pour attester de ce qui s’est passé à ce moment-là, lorsqu’il vit cette expérience spirituelle inouïe, cette intense communion avec Dieu.

Il y a plusieurs manières d’aborder ce passage de la Bible :
- Soit, on le lit comme un récit narratif historique, qui raconte ce qui est arrivé à Jésus. Mais, dans ce cas, il ne nous apprend pas grand chose, sauf de savoir que Jésus a réussi à surmonter les épreuves et les pièges tendus pas l’adversaire, nommé « Diable ». Ce qui tend à le confirmer comme représentant de Dieu, comme Christ.
- Soit, on aborde ce texte de façon symbolique et on comprend que ce qui se joue ici entre les deux personnages raconte, en réalité, ce qui peut arriver à chaque être humain, qui tente de vivre en communion avec Dieu.
Car - vous en conviendrez – vivre en communion avec l’Esprit de Dieu, rechercher l’unité avec la dimension divine de notre réalité, n’est pas une chose réservée à Jésus : c’est une possibilité offerte à tout être humain, même si très peu s’y intéresse de près.

D’un côté, vous avez donc Jésus qui représente l’homme-Dieu, l’homme uni à Dieu.
De l’autre, de façon symbolique, vous avez un personnage, appelé « Diable », qui représente la voie de l’adversaire, de l’obstacle, de la tentation ou de l’épreuve qui peut surgir.
« Diabolos » (en grec) veut dire ce qui divise l’humain.

Il peut y avoir deux manières de considérer l’action de cette « chose » qui vient créer de la division : on peut l’envisager du point de vue de l’intériorité ou de l’extériorité.
- Soit, il s’agit d’une opposition intérieure, d’une voix intérieure. Dans ce cas, le « diable » ne représente ni un personnage réel, ni une force intermédiaire, ni une entité maléfique. Il s’agit plutôt de la personnification artificielle de ce qui, en nous, peut s’opposer à Dieu.
- Soit, on peut mettre derrière ce personnage mythologique une réalité concrète, comme des obstacles extérieurs tangibles : des personnes, des évènements, l’apparition de situations compliquées…  susceptibles de venir perturber notre vie ou notre Être, lorsqu’il tente de vivre unifié avec sa dimension transcendante.

Ainsi donc ce que nous raconte ce récit peut se résumer en quelques mots :
C’est au moment où l’homme s’oriente vers l’unité, vers la pleine communion avec Dieu, que quelque chose vient s’interposer pour empêcher cette unité, cette unification.

Je crois que ce qui nous est raconté ici relate en fait une vérité universelle : A savoir que c’est au moment de l’élévation de notre âme vers Dieu… c’est au moment d’un mouvement de totale confiance, d’un lâcher-prise complet de notre âme pour entrer en communion spirituelle avec le Père… que quelque chose, un obstacle, peut apparaître. Comme si un adversaire – soit quelque chose en nous : notre égo, notre mental, notre corps…  soit un évènement extérieur indésirable – était alors susceptible de se présenter, pour venir mettre en doute cette confiance et faire barrage à la communion spirituelle.

Ce que les évangélistes racontent ici – sans doute d’après un témoignage de Jésus – c’est ce qu’il convient de faire quand cela arrive. C’est un enseignement qui nous apprend comment surmonter les obstacles… comment réagir face à ce qui s’oppose à la confiance en Dieu.

* Examinons cela rapidement, avant de nous arrêter sur les différentes tentations :

- Le premier stade, c’est la prise de conscience de qui nous sommes réellement : une prise de conscience nécessaire pour entrer en communion avec Dieu.

La Bible nous dit que nous sommes « enfants de Dieu », fils ou filles de Dieu, que nous avons été créés à son image et à sa ressemblance.

Dès que nous mesurons consciemment ce que cela signifie réellement et profondément… dès que nous reconnaissons avec tout notre cœur, toute notre âme, que nous sommes « enfants de Dieu », aimés par le Père, frères et sœurs de Jésus-Christ… nous admettons que nous pouvons entrer dans la même communion avec le Père que Jésus… vivre la même unité avec Dieu que celle du Christ… pour autant que nous le désirions et le décidions.

Dès que nous réalisons consciemment qui nous sommes et ce que nous sommes – en tant que fils ou fille de Dieu – avec tout ce que cela implique… nous sommes en mesure d’entrer dans un véritable mouvement d’unité avec le Père.

- Deuxième stade : cette prise de conscience et cette décision de vivre en confiance et en unité avec Dieu… est alors inévitablement suivie par des oppositions qui se présentent à nous : c’est ce que notre passage raconte.

Tout ce qui s’écarte de notre identité de fils (ou de fille) va alors se manifester d’une manière ou d’une autre, de façon à nous faire douter de la réalité de cette identité… de façon à nous permettre d’orienter ce qui n’est pas encore pleinement uni à Dieu en nous, dans un sens ou dans un autre. Nous devrons prendre des décisions par rapport à ces obstacles.

- Troisième stade : se souvenir de ce qu’a fait Jésus, face à cela… pour faire les bon choix : ceux qui nous orientent vers une plus grande unité avec Dieu.

En relisant l’évangile et en voyant la manière de réagir de Jésus, pour dépasser les oppositions qui se sont présentées à lui… on pourrait résumer la manière adéquate d’être et de réagir de la façon suivante :

Observez l’opposition et appelez la « occasion »… occasion pour vous de faire un choix… occasion de rester dans la communion et la confiance en Dieu, malgré les difficultés et les épreuves.

En fait, sur le chemin de la transformation intérieure, il y a toujours des obstacles : c’est ce que raconte ce passage de l’Evangile.
Mais ceux-ci sont toujours temporaires. Et leur fonction est de guérir pour toujours tout sentiment négatif venant des expériences extérieures de notre vie.
Ce qui compte, pour dépasser l’obstacle, c’est de choisir le type de réaction adéquat qui nous maintient dans la relation à Dieu.

L’Evangile nous montre la manière dont Jésus a considéré ces obstacles : il les a saisi comme des occasions – certes difficiles, mais efficaces – de faire l’expérience réelle de sa communion avec Dieu.

L’opposition et les évènements adverses lui ont permis d’affirmer – quoi qu’il arrive – son identité de fils de Dieu.
En demeurant centré sur son engagement confiant envers Dieu, Jésus a su transformer l’expérience, l’épreuve, en une force, en quelque chose de positif.

En persévérant avec détermination dans la voie de la confiance en Dieu, Jésus a vu finalement disparaître ce qui s’opposait à lui : il l’a rendu nul, non avenu et sans effet.

Nous pouvons recevoir cela comme un encouragement qui nous invite à regarder calmement et avec confiances les obstacles spirituels qui traversent notre vie. Car, en les observant avec vigilance, comme un observateur aguerri qui laisse passer la pluie et la foudre, ils finiront par cesser de produire leurs effets.

* Voyons, à présent, les types d’obstacles qui se sont présentés à Jésus :

- La première tentation : c’est celle d’utiliser sa relation Dieu – de se servir de Dieu –  pour des fins personnelles et matérielles.
La réponse de Jésus est éclairante : « ce n’est pas seulement de pain que l’homme vivra ».

Bien souvent, nous considérons notre corps comme « le tout » de notre personne. Nous pensons que nous sommes « un corps », au point que nous passons beaucoup plus de temps à nous préoccuper de quoi – ou avec quoi – nous allons nourrir ou vêtir ce corps, plutôt que de nous mettre à l’écoute de notre âme.
Mais, si nous pensons que notre corps est là pour 100 ans, alors que notre âme nous est donnée pour l’éternité : nous devrions peut-être renverser nos priorités.

Quelle nourriture proposons-nous à notre âme ? Nous mettons-nous à l’écoute de celle-ci, par la méditation ou la prière ? Nous laissons-nous inspirer au quotidien par notre âme ?

Il est intéressant de souligner qu’au moment où Jésus explore la voie de l’Un, de l’unité profonde de son Soi avec le divin… c’est, en fait, la voix du corps qui se manifeste à lui.
Toute personne qui a jeûné sur une longue période a fait cette expérience : le stratagème du corps, c’est qu’il veut ou qu’il prétend être le tout – et c’est peut-être d’autant plus vrai aujourd’hui, car nous vivons dans une société fondée sur la matérialisme, où le soin donné au corps ou à l’apparence est devenu prépondérant.

Or, Jésus ne nie pas les besoins du corps… mais, en même temps, il n’y répond pas immédiatement : il les observe et fait patienter son corps, en répondant qu’il est aussi une âme : que cette âme ne vit pas seulement de pain, de matérialité, de préoccupation terrestre, mais qu’elle a besoin avant tout d’être en communion spirituelle avec le divin.

- La deuxième tentation (la 2ème dans la source Q : qui correspond à la 3ème chez l’évangéliste Luc), après celle du corps, est celle de l’esprit, du mental.
La réponse de Jésus nous éclaire sur l’objet de l’obstacle : « tu ne chercheras pas à éprouver le Seigneur ton Dieu ».

C’est la tentation de la preuve. Notre mental a besoin de preuves. Il refuse la confiance que notre âme porte spontanément à Dieu. Il demande des raisons, des justificatifs.
(Il n’y a que les enfants qui font confiance. Les adultes veulent des preuves et des sécurités avant de s’engager.)

Ainsi, notre âme devrait prouver à notre esprit (à notre mental) que nous sommes bien « fils ou filles de Dieu »… elle devrait prouver que Dieu est digne de confiance et capable d’agir pour nous sauver… elle devrait prouver qu’elle est immortelle.

Mais, le paradoxe de la situation que Jésus a bien compris : c’est que, si notre âme devait prouver quoi que ce soit à notre esprit, elle ne serait plus dans la confiance.
Elle se séparerait d’avec Dieu… elle quitterait l’unité avec Dieu… en lui imposant de se justifier, en le contraignant à prouver son amour.

Jésus laisse donc passer l’obstacle, en écoutant son âme et en signifiant qu’il n’a pas besoin de preuve, puisqu’il fait confiance à Dieu.

En réalité, en demandant à Dieu une preuve, Jésus aurait prouvé qu’il était séparé du Père.
Au contraire, en étant seulement confiant dans la promesse inconditionnelle d’être Fils, Jésus démontre – sans aucune preuve, mais par sa foi – son unité avec le Père.

Ceci est aussi un enseignement pour nous… car en fait, bien souvent, nous manquons de foi. Nous laissons notre mental dominer notre âme.
La méfiance ou la peur nous guettent et nous guident.

Jésus nous rappelle que la promesse d’être « enfants de Dieu »… donc d’être aimés quoi qu’il arrive… n’a pas besoin de preuve : la confiance se suffit à elle-même.
Seul l’esprit demande des preuves. L’âme, elle, connaît tout : elle sait notre unité avec le divin.

- la troisième tentation (la 2ème chez Luc) qui se présente à Jésus est l’obstacle du pouvoir. C’est la voix de l’ego qui aimerait dominer. Une voix souvent irrésistible pour les plus grands de ce monde…

« Si vraiment tu es Un, uni à Dieu et unifié par Lui, tout est possible : tu peux tout être, tout demander, tout avoir. Alors, pourquoi ne pas profiter de ce pouvoir pour toi-même ? »

Mais, Jésus l’a bien compris : répondre à ce pouvoir pour soi, pour satisfaire son égo, ce serait renier l’unité avec Dieu.
Quand on a atteint l’illumination, l’unité avec le divin, on n’a pas besoin de la richesse matérielle, on a déjà un trésor dans le ciel : un trésor éternel de communion et d’amour.

De plus, utiliser son pouvoir – le pouvoir de Fils, obtenu par la communion avec le Père – ce serait une manière de glorifier un autre Dieu : le dieu Mammon.
Ce serait une manière d’utiliser le Père comme un moyen d’obtenir un but suprême qui serait « le pouvoir et l’argent ».
Ce serait en fait de l’idolâtrie : confondre la fin et les moyens.

Pour Jésus, c’est justement le contraire qui est vrai : l’argent est un moyen, pas une finalité.
Le but de notre vie, c’est d’exprimer son vrai Soi en communion avec Dieu (et pas d’accumuler du pouvoir ou de l’argent.)

Jésus répond donc, à juste titre, que Dieu seul est Dieu : « c’est à Dieu seul que tu rendras un culte » précise-t-il.

Le pouvoir et l’argent sont des instruments : il n’est pas question de les mettre au dessus de Dieu, ni d’utiliser le Créateur pour satisfaire son appétit de pouvoir.

Ainsi, Jésus, par son unité avec le Père parvient à dépasser tous les obstacles à la communion de l’âme avec Dieu : - le corps avec ses besoins et ses appétits ; l’esprit et le mental qui exigent des preuves et refusent la confiance inconditionnelle ; enfin, l’égo qui voudrait bien profiter de la situation pour accroitre son pouvoir.

* En conclusion… ce récit nous rappelle qu’il peut y avoir des forces adverses en nous, qui peuvent empêcher notre âme de cheminer en communion avec Dieu, afin de trouver l’unité intérieure.

Le comportement de Jésus nous montre qu’il ne faut pas forcément satisfaire toutes les sollicitations… il faut, d’une certaine manière, les entendre, les laisser passer, les laisser dire… et rester centré sur le terrain de la confiance et de l’unité avec Dieu.

Cela ne veut pas dire qu’il faudrait laisser tomber certains aspects de soi, comme le corps ou le mental… mais il s’agit plutôt d’un choix : de ne pas forcément leur donner la priorité… comme nous avons tendance à le faire.

Pour Jésus, il s’agit d’élargir le point de mire… de se détourner d’un engagement presque exclusif pour tel ou tel aspect (notamment notre corps ou nos besoins matériels)… en vue de tendre vers l’amour véritable et l’unification de tous les aspects de notre être.

Le chemin de l’unité intérieure et de la communion avec Dieu commence par le fait de se mettre à l’écoute de notre âme… pour nous souvenir de ce qu’elle sait déjà intuitivement… de la promesse qu’elle a reçue :
« En toi, j’ai mis tout mon Esprit – dit Dieu – tu es mon enfant bien aimé ! »

C’est cette promesse que Jésus a reçue au moment de son baptême (cf. Lc 3,22 // Mt 3,17).
C’est la promesse que Dieu offre à chacun de ses enfants.

Amen. 

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