dimanche 16 avril 2017

Mc 12, 18-27

                                               Mc 12, 18-27
Lectures bibliques : Jn 20, 19-23 ; Mc 12, 18-27 ; 2 Co 5, 1-7
Thématique : La résurrection
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, Pâques 2017, le 16/04/17
(Inspirée d’une méditation de Jean-Marc Babut)

Y a t-il, pour nous, quelque chose au-delà de la mort ?
Qu’est-ce qu’en dit la Bible ? Que doit-on en penser ?

* Tout d’abord, il faut signaler qu’il n’y a pas de réponse uniforme dans la Bible.
La Bible a été écrite par des auteurs variés, sur plus de 1000 ans, qui ont été en dialogue avec différents milieux culturels : Juifs, Samaritains, Païens, Assyriens, Perses, Grecs, Romains, etc. Ces différentes cultures ont influencé leurs croyances, leurs manières de parler de Dieu ou de l’au-delà.

En tant que Chrétiens, ce qui nous intéresse c’est de connaître la foi de Jésus, pour marcher à sa suite, pour entrer dans sa confiance.
Avant de méditer ce qu’il dit sur cette question, il est bon de savoir d’où il part : quel était le « croyable » disponible à son époque ?... donc de voir ce que pensaient les croyants avant lui… et plus particulièrement de regarder ce que dit l’Ancien Testament de la Résurrection

Pour répondre le plus brièvement possible à cette question, on peut dire que les Juifs étaient partagés : certains croyaient en la résurrection, comme les Pharisiens ; d’autres non, comme les Sadducéens.

On trouve, par exemple, dans l’Ancien Testament, des plaintes qui expriment le désespoir face à la mort. Pour ces auteurs bibliques, la personne défunte descend au shéol, au séjour des morts.
Écoutons, par exemple, le prophète Esaïe : « Ceux-là sont morts et ne revivront plus, ils ne sont plus que de ombres, ils ne se relèveront pas » (Es 26,14) ou encore le livre de Job : « Comme un nuage se dissipe et disparaît, on descend chez les morts pour n'en plus remonter » (Jb 7,9). Ou encore, dans un Psaume : « ­Dans la mort on ne peut plus penser à toi, chez les défunts on ne peut plus te louer » (Ps 6,6).

Prendre au sérieux la mort, comme le faisaient ces gens de l'Ancien Testament, voilà qui donne à la vie tout son prix.
Quand on sait que la mort est au bout de notre chemin, on est mieux disposé à ne pas rater la vie qui reste devant nous.

En même temps, cette manière de voir peut nous interroger : ne manque-t-elle pas de confiance en Dieu ?
Dieu est-il seulement le Dieu de notre vie terrestre ? N’est-il pas le Dieu de l’univers, le Dieu de la Vie ?... le Dieu au-delà de l’espace et du temps ?

Nous qui avons appris par la science que nous sommes des corps énergétiques – composés de particules énergétiques, dont la matière n’est qu’un condensé – ne sommes nous pas autorisé à penser qu’il y a autre chose au-delà de notre corps matériel : en quelque sorte, un corps spirituel ?… et, du coup, n’y a-t-il pas, pour nous – après la mort du corps biologique – une autre forme de vie, une vie dans une autre sphère de réalité, qui nous attend ?
Au-delà de ce que nous pouvons voir ou savoir, ne sommes-nous pas appelés à faire confiance à Dieu pour cette vie d’aujourd’hui, comme pour celle de demain ?
N’est-ce pas ce que l’apôtre Paul affirme quand il écrit que « nous cheminons par la foi, non par la vue » (2 Co 5,7) ?

De tout temps, les hommes se sont posés cette question. D’autant plus quand la mort frappe prématurément et semble totalement scandaleuse : lorsqu’un jeune disparaît brusquement après un accident, une maladie ou encore dans un conflit armé, on reste dans l’incompréhension. La mort semble frapper injustement et nous laisse sans voix.

Cette question était particulièrement brûlante pour les Juifs du 2ème siècle avant Jésus Christ. A cette époque, la Palestine traverse une crise politico-religieuse déclenchée par le souverain Antiochus IV Épiphane, qui avait profané le temple de Jérusalem en y consacrant un autel à Zeus-Baal.

Devant cet acte « sacrilège », la révolte des Macchabés éclate contre « l’abomination de la désolation » (Dn 11,31 ; 12,11). Dans cette guerre « sainte » (entre parenthèses, une expression horrible, aucune guerre ne peut « sainte »)… dans ce conflit, des milliers de croyants tombent sous les coups des soldats. La mort de toute cette jeunesse martyre pose un problème théologique crucial : qu’en est-il de la justice de Dieu, si les Justes (les croyants) sont écrasés, alors que l’Impie, l’ennemi de Dieu, s’en sort ?

Le dogme de la rétribution, qui veut que Dieu récompense ou punisse hommes et femmes de leur vivant, est ici mis en échec. Quand donc ces hommes morts pour leur foi seront-ils récompensés de leur martyre ?

Voici la réponse du prophète Daniel : « Beaucoup de ceux qui dorment dans le sol poussiéreux se réveilleront, ceux-ci pour la vie éternelle, ceux- là pour l'opprobre, pour l'horreur éternelle » (Dn 12, 2).

Autrement dit, la récompense ou la punition seront d'outre-tombe. Dieu réveillera les morts pour faire la balance des dettes et des mérites : honneur aux martyrs, damnation des bourreaux.

C’est dans ces circonstances particulières que le peuple d’Israël s’est ouvert à la promesse de la résurrection des morts. Cette espérance ne répond pas initialement à une préoccupation de survie après la mort, mais à la question de la justice de Dieu.

L’espoir de la résurrection est lié à la question de la justice de Dieu, de l’attente de son jugement :
Si Dieu est juste, il faut qu’il récompense ceux qui le méritent, ceux qui sont tombés injustement en son nom. S’il ne le fait pas dans cette vie, il le fera dans la suivante, au moment de son jugement final, en vue de la résurrection des Justes.

* Voilà donc, d’où vient l’espérance de la résurrection : elle est d’abord liée à la question de la justice de Dieu. On est donc loin du cas d’école posé à Jésus, concernant une femme qui épouse successivement sept frères.

En effet, selon la loi du lévirat, si un homme meurt sans enfant, son frère doit épouser la veuve, afin de donner une descendance au défunt.
La loi du lévirat ayant amené sept frères à épouser successivement la même femme, on demande alors à Jésus duquel elle sera la femme lors de la résurrection : une question tout-à-fait saugrenue.

Par cette question « tirée par les cheveux », les Sadducéens, qui ne croient pas à la résurrection des morts, font tout pour montrer l’absurdité de cette croyance et la discréditer.

Mais Jésus répond simplement et commence par leur dire qu’ils n’ont rien compris ni aux Écritures, ni à ce dont Dieu est capable.

En effet, ces gens ne peuvent pas penser la résurrection autrement que comme une sorte de prolongement de ce qu’ils vivent sur la terre. Ils ne parviennent pas non plus à penser Dieu autrement que d’une façon purement humaine.

A dire vrai, c’est sans doute un reproche qu’on pourrait aussi faire au prophète Daniel, qui finalement pensait la justice de Dieu comme le prolongement d’une justice purement humaine (œil pour œil, dent pour dent / récompenses pour les justes, châtiments pour les infidèles) : Cette manière de voir peut nous paraître pour le moins caricaturale ou manichéenne, pour ne pas dire « simpliste ».

Un Dieu qui récompense les bons et punit les méchants, ne ferait et ne serait rien de plus qu’un Juge ou un Roi tout-à-fait humain… rien à voir, en tout cas, avec le Dieu miséricordieux et compatissant dont nous parle Jésus Christ… rien à voir avec l’image du Père que Jésus brosse dans la parabole du fils prodigue, où Dieu est présenté comme un père saisit de compassion, qui accueille et qui pardonne à son fils infidèle.

Jésus – pour sa part – nous parle d’un Dieu d’amour et de grâce, et non pas d’un Dieu qui compte les points, les bonnes œuvres ou les péchés.
Le Dieu de Jésus Christ est au-dessus de la morale ordinaire, de la justice « rétributive » habituelle.
C’est un Dieu au-dessus de Dieu, un Dieu qui « fait le lever son soleil sur les bons et les méchants et pleuvoir sa pluie sur les justes et les injustes » (Mt 5,45)

"« Vous êtes dans l'erreur parce que vous ne comprenez pas la puissance de Dieu », dit Jésus [aux Sadducéens]. On pourrait traduire aussi : « parce que vous ne comprenez pas ce dont Dieu est capable. »

[C’est un fait… c’est inévitable… ] nous cherchons toujours un Dieu à notre image, mais Dieu n'est pas à notre image, sinon il ne serait pas Dieu.
Il est autre que ce que nous imaginons - ou que ce que nous aimerions qu'il soit. C'est d’ailleurs incomparablement mieux ainsi.
Dieu est infiniment au-dessus de ce que nous pouvons demander ou concevoir. Ce qu'il est capable de faire dépasse et dépassera toujours infiniment nos intuitions les plus extraordinaires ou les plus généreuses.

Avant de récuser la résurrection, les Sadducéens n'imaginaient celle-ci que comme une sorte de prolongement amélioré de la vie ici-bas. Selon eux, on ne pourrait ressusciter que marié si on était marié, ou jeune si on était jeune, ou vieux si on était vieux, ou riche si on était riche, etc.
Mais tout cela n'a aucun sens, nous apprend Jésus, car le monde de Dieu dans lequel nous sommes appelés à ressusciter n'est pas le décalque agrandi et embelli du monde où nous vivons maintenant. C'est un monde autre, que nous ne pouvons imaginer.

Pour l'expliquer, Jésus déclare aux sadducéens : « Quand on ressuscite d'entre les morts, on ne prend ni femme ni mari, mais on est comme des anges dans les cieux ». Autrement dit, tout cela dépasse mille, dix mille, cent mille fois ce que vous pouvez vous représenter. C'est autre chose que ce que vous avez connu sur notre terre. C'est le monde de Dieu.

Il faut donc bien le savoir : quelle que soit notre curiosité, le comment de la résurrection nous échappera toujours.
Mais le fait qu'il y aura une résurrection n'aurait pas dû échapper aux Sadducéens.[…]

[En effet, dans les passages du Premier Testament, notamment de la Torah (du Pentateuque) auxquels ils se référaient, il n’est pas fait mention explicitement de « résurrection »,] mais il est déjà question de Dieu et de la façon dont il se lie aux humains en les appelant, en leur parlant, en faisant alliance avec eux, en suscitant leur confiance, en faisant naître chez eux un attachement toujours plus fort pour lui, en éveillant leur amour.

Dieu s'étant lui-même complétement engagé envers des gens comme Abraham, puis Isaac, puis Jacob, on peut et on doit désormais parler de lui comme du « Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob ».
C'est dire qu'il y a entre ces hommes et lui un lien que rien ne pourra défaire [pas même la mort biologique]. C'est pour cela, explique Jésus, qu'il y a forcément résurrection.

Si on se réfère à ce lien indéfectible que Dieu a établi entre lui-même et des êtres humains, il ne peut y avoir pour eux que résurrection car, comme le dit encore Jésus, Dieu « n'est pas le Dieu des morts, mais des vivants ». Liés au Dieu vivant, ces gens ne peuvent être, pour Dieu, que des vivants.

Nous ne savons pas et nous ne pouvons pas savoir le comment de la résurrection. Notre curiosité ne peut pas être satisfaite, c'est vrai. Mais une chose est certaine : ceux et celles qui sont liés au Dieu vivant ne peuvent qu'être promis à la résurrection."[1]

En fin de compte, cette « croyance » en la résurrection est une question de confiance, de foi : ce n’est pas une question spéculative, intellectuelle, mais une question existentielle.  
Osons-nous faire confiance à Dieu pour notre vie, pour toute notre personne, pour aujourd’hui et pour demain ?
Pouvons-nous croire que le lien d’amour qui unit Dieu aux humains, ses enfants, transcende toutes les difficultés, les fautes et les épreuves, et même la mort ?

"Concernant la résurrection, Jésus ne s'est pas référé à une doctrine déjà existante, comme celle des Pharisiens, qu'il aurait adoptée. Il n'en a pas non plus créé une [nouvelle] […]. Il a seulement regretté que les Sadducéens n'aient pas lu correctement les Écritures et n'aient donc pas reconnu « ce dont Dieu était capable ».
Or ce dont Dieu est capable, c'est de faire vivre.
Ceux et celles auxquels il est lié reçoivent de lui la vie, une vie nouvelle. Et le lien d'amour qui les unit à Dieu ne peut pas être détruit, même par la mort."

* Après avoir rappelé cet essentiel, que peut-on tirer encore comme enseignement de ce que dit Jésus ? Deux choses peut-être :

- Si Jésus affirme qu’Abraham, Isaac et Jacob sont vivants pour Dieu, cela signifie que Jésus remet en cause l’idée d’une résurrection à la fin des temps.[2]
Pour lui, Abraham et ses descendants sont déjà dans la vie nouvelle. Ils sont déjà ressuscités par le lien vital qui les attache au Dieu Vivant.

En d’autres termes, on pourrait dire qu’il n’y a pas de résurrection à la fin des temps, mais qu’elle est déjà offerte dès maintenant dans la confiance en Dieu.
De toute façon, l’idée d’une résurrection finale à la fin des temps ne peut avoir un sens que d’un point de vue humain, dans le monde de la relativité que l’on perçoit.
Dieu, lui, est au-delà du temps. Dans le monde de l’absolu, le monde de Dieu, il n’y a pas de temps, c’est l’Éternel présent, c’est le maintenant pour toujours et à jamais.

- Le deuxième enseignement qu’on pourrait tirer de notre épisode est une conséquence de l’affirmation « quand on ressuscite… on est comme des anges dans les cieux » :
Cette image de l’ange, d’un être céleste, invisible, immatériel, insaisissable, semble indiquer que Jésus ne croit pas à une sorte de résurrection de la chair, une résurrection matérialiste, qui serait le décalque ou la répétition de notre vie biologique. Il nous parle d’une résurrection spirituelle.

Autrement dit, la résurrection n’est pas le réveil des trépassés, mais la vie nouvelle avec Dieu, dans une autre sphère de réalité.
Un ange, en grec, c’est un messager, un messager de Dieu. Cela indique donc bien une relation, une vie en communion avec Dieu.

On ne peut pas aller plus loin avec le peu d’informations dont nous disposons sur le comment de la résurrection. Et c’est très bien ainsi. Cela nous oblige, d’une part, à prendre au sérieux notre vie d’aujourd’hui, ici et maintenant, et, d’autre part, à faire confiance à Dieu, pour notre vie toute entière.

* Pour conclure, je m’arrêtai sur les mots d’un enfant, à qui on parlait de la mort d’un proche et qui a posé une question toute simple : quand on meurt, est-ce que c’est pour la vie ?

Une question qui peut évidemment prendre plusieurs sens :

-       Oui, la mort, c’est pour la vie, dans le sens : la vie est une chose sérieuse. Même s’il y a une résurrection après la mort, nous allons quitter un jour ou l’autre notre « tente » (pour reprendre l’expression de Paul : cf. 2 Co 5,4), notre enveloppe corporelle, notre existence dans ce corps et cette vie présente.
Il nous revient donc de prendre cette vie-ci au sérieux, de ne pas perdre notre temps et de ne la rater. Notre responsabilité, c’est de créer, d’inventer notre vie, comme nous la choisissons vraiment (pour qu’elle nous ressemble). Et sans doute aussi d’aimer : nous sommes là pour aimer… sachant que nous sommes libérés par un Dieu qui nous aime, sans condition.

-       Le deuxième sens de cette question, c’est « oui, la mort, c’est pour la vie », pour une autre vie dans une autre sphère de réalité. La mort, c’est le passage qui nous ouvre vers une nouvelle forme de vie. Jésus l’affirme « quand on ressuscite… on est comme des anges dans les cieux » : nous sommes promis à une transformation… à une vie nouvelle… une vie céleste dans la lumière de Dieu.

-       Mais, on pourrait aussi faire une troisième réponse : oui, quand on meurt, c’est pour la vie… c’est vrai… pour autant, n’attendons pas la mort pour goûter la vie : Jésus nous appelle à une relation de confiance avec le Dieu Vivant, dès maintenant : il nous invite ainsi à être toujours plus vivant dans cette relation, cette communion avec ce Dieu qui nous fortifie, nous régénère et nous inspire.

En ce sens, la résurrection, c’est déjà pour aujourd’hui, ici et maintenant, dans la foi et la relation avec Dieu, Force d’amour et de vie.
S’il est le Dieu de la Vie, le Dieu Vivant, c’est auprès de lui que nous trouvons la Vie… comme l’ont trouvé Abraham, Isaac, Jacob… ou Jésus… et comme nous pouvons la recevoir.    
Amen.



[1] Jean-Marc Babut, Actualité de Marc, Cerf, p. 265-269.
[2] Jésus utilise le langage apocalyptique comme une image, dans ses paraboles : cf. Mt 25, 31-46. D’ailleurs, cette image est utilisée pour dire que le Christ est lié à tous les humains, notamment aux petits et à ceux qui souffrent. Il y a un lien de solidarité, de communion, entre le Christ et l’humanité humiliée ou meurtrie.

samedi 15 avril 2017

1 Co 1, 18-31

1 Co 1,18-31
Lectures bibliques : 1 Co 1, 18-31 ; 2 Co 5, 14-21 ; Jn 20, 19-23
Thématique : Pâques ou le sens de la Croix comme révélation
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Marmande, Veillée de Pâques, le 15/04/17

Que s’est-il réellement passé le jour de Pâques ?

Nous aimerions bien le savoir. Mais, sans doute, le saurons-nous jamais précisément, car les récits de Pâques ne sont pas des récits historiques, mais des témoignages de foi. Ils nous disent, de plusieurs manières, la foi en un Dieu capable de résurrection.

* Expériences spirituelles et retournement de la foi des disciples

Les récits les plus anciens dans le Nouveau Testament sont vraisemblablement des récits d’apparitions. Ils tentent de dire à travers le langage – les mots sont limités et pauvres, pour décrire une expérience inouïe, extraordinaire – … ils tentent de raconter les expériences spirituelles qu’ont vécues des disciples.

Celui qui avait suscité tant d’espérance, celui en qui certains avaient reconnu un prophète, un guérisseur, un maître, un envoyé de Dieu… celui-ci a fini trahi et abandonné de tous… crucifié comme un vulgaire criminel sur le bois de la Croix… pour avoir contesté la Religion établie et remis en cause son autorité et ses pratiques.

Mais, ce jour de Pâques, il s’est passé quelque chose : des hommes et des femmes, désemparés, découragés, résignés à l’échec, claquemurés sous l’effet de la peur, ont vécu une expérience spirituelle inouïe : celui qu’ils ont vu mort, crucifié, il y a quelques jours… leur est apparu soudainement comme Vivant… vivant dans une autre sphère de réalité… puisqu’il se rend présent dans une pièce fermée à clé.

Cette expérience spirituelle – qui dépasse la raison ordinaire – les surprenne totalement. Ils sont pris à revers – retournés – par cet événement, qui leur donne la certitude que la vie a été redonnée à leur maître.

Finalement, il est impossible d’en dire plus sur l’expérience visionnaire de Pâques.
Le mot « résurrection » décrit, avec le seul vocabulaire disponible de l’époque, une réalité qui dépasse le langage :

Pour dire que le maître mort a été vu comme étant Vivant, il est dit que Jésus a été exalté, glorifié par Dieu – ou encore, qu’il a été relevé, réveillé de la mort … mais évidemment notre langage humain est très limité.
Et cette expérience bouleversante a dû être à la fois troublante et extraordinaire pour les disciples. Ils en ressortent avec une assurance :

Si Dieu a permis à Jésus de surmonter la mort sur la Croix, de vivre dans une vie nouvelle, c’est qu’il était bien son envoyé, son Messie. Il était bien son Fils (celui qui appartient à Dieu), celui qui révélait le visage et l’amour de Dieu au monde.

* En ressuscitant son fils, Dieu donne raison à Jésus

En effet, la Croix a posé un problème théologique complexe aux disciples de Jésus. Il était inconcevable – pour la plupart des Juifs et des disciples – que Celui qui parlait et guérissait au nom de Dieu, celui qui était porteur de paroles et de gestes de salut, puisse être crucifié comme un brigand ou un criminel.

Il n’y a qu’une possibilité « logique » : cet homme était finalement un imposteur ou un manipulateur.

La Religion établie l’avait, en effet, fait condamner pour blasphème, parce qu’il avait menacé le Temple et les sacrifices, parce qu’il contestait l’autorité des Saducéens et des Pharisiens, parce que il se faisait soi-disant « fils de Dieu ».

Puisqu’il est impossible que le Messie de Dieu soit crucifié comme un maudit, il en découle que tous ceux qui l’ont suivi, ont dû se tromper à son sujet.

Mais, l’annonce de la Résurrection du Nazaréen renverse du tout-au-tout la perspective. Car elle vient, dès lors, confirmer Jésus… confirmer la justesse du salut proclamé par Jésus, au nom du Dieu-Père.

Dieu – qui est Juste (puisqu’il est Dieu – la Justice est un attribut de Dieu) – à qui donne-t-il raison, en fin de compte ?
- Donne-t-il raison aux Religieux qui ont fait condamner le prétendu blasphémateur ?… c’est-à-dire à ceux qui ont prétendu sauver l’honneur de Dieu et agir en son nom : ceux qui se disaient être les seuls intermédiaires autorisés entre Dieu et les hommes : grands prêtres et scribes ?
- Ou donne-t-il raison à Jésus, le prédicateur révolutionnaire qui annonçait la proximité du règne de Dieu ?... celui qui annonçait par sa présence, ses paroles et ses gestes thérapeutiques, la venue du monde nouveau de Dieu ?

L’Annonce que Jésus a été relevé de la mort – qu’il est apparu comme « ressuscité » – vient renverser la perspective de la Croix : elle n’est plus le sort bien mérité d’un homme sacrilège qui a bafoué Dieu et la religion, et qui, de ce fait, devait mourir… mais un instrument, le lieu d’une révélation, qui, permet de dévoiler l’injustice profonde de l’homme et son incompréhension du projet de Dieu.

La croix est un scandale, dans la mesure où la résurrection atteste que Dieu donne raison à Jésus, le Juste souffrant.

La Croix révèle la folie de l’être humain et son injustice… donc son péché.
Elle révèle sa prétention à enfermer Dieu dans un système, dans des textes ou des doctrines prétendument « sacrés ». Elle vient, d’une certaine manière, crucifier la religion (qui a tué son envoyé), en même temps que l’orgueil humain.

Contre toute-attente, Dieu était présent dans le silence de la mort de son fils.
Pâques est cet événement, cette Parole, qui le fait savoir.

Dieu était donc du côté de Jésus et non de la religion instituée.
La résurrection (œuvre de Dieu) – la manifestation de Jésus comme étant Vivant – vient justifier Jésus. C’est un renversement du sens de la Croix. Le Crucifié est non seulement réhabilité, mais déclaré Juste et véritable révélateur de Dieu.

C’est à partir de cet événement « Croix et Résurrection » que l’apôtre Paul va réinterpréter l’Evangile de Jésus Christ, comme la crucifixion de l’orgueil, du péché humain, et la résurrection du Juste, comme œuvre de la grâce de Dieu, comme manifestation de la réconciliation offerte par Dieu. Un événement auquel le croyant peut prendre part par la foi, par la confiance en la grâce de Dieu.

Bien entendu, la résurrection n’efface pas l’échec de la Croix, l’échec temporaire de la prédication de Jésus.
Si le message de Jésus – l’Évangile de l’amour de Dieu et prochain – avait vraiment été entendu, il n’aurait jamais été crucifié.

Pâques ne vient pas invalider la croix, mais, d’une certaine manière, la confirmer : la résurrection de Jésus confirme la folie des humains qui veulent toujours dominer… qui prétendent connaître la volonté de Dieu et même agir en son nom… et qui sont prêts à tuer, pour asseoir leur pouvoir et leur autorité.

La résurrection fait donc de la Croix le lieu de la révélation de l’injustice de l’homme, en même temps que celui de la justice du Christ, qui n’a agi que, dans la non-violence, par amour et don de soi.

Désormais, Dieu se donne à connaître dans le corps crucifié de Jésus, son fils… et non dans la gloire d’un Temple, dans des sacrifices ou des rites à honorer, dans des traditions qu’il faudrait inlassablement répéter.

Dieu se donne à voir dans le visage d’un Crucifié, d’un homme qui n’a jamais rien réclamé pour lui-même, ni pour Dieu… mais qui était juste venu apporter l’Évangile de la fraternité, du service et du partage. C’est-à-dire la possibilité dans la relation au Père de vivre un peu moins d’égoïsme, de « chacun pour soi », et un peu plus d’altruisme, de compassion et de justice pour notre monde…. et la révélation que nous sommes tous un, tous unis, nous les humains, entre nous et avec Dieu (cf. Mt 25,40 ; Jn 17, 20-23).

Mais au-delà de Jésus Christ Crucifié, apparu comme Vivant… Pâques révèle plus largement que, désormais, Dieu se donne à voir dans le visage de chaque crucifié – chaque petit, chaque être humain – mort pour la justice, mort pour avoir réclamé un monde plus humain et plus fraternel, un monde où l’on puisse enfin s’appuyer les uns sur  les autres, servir et partager… un monde où la générosité, la gratuité et la miséricorde sont les maîtres mots : un monde que Jésus appelait le royaume de Dieu, le monde nouveau de Dieu.

Le miracle de Pâques, c’est d’abord celui-là : la révélation d’un Dieu tout Autre que ce qu’on imaginait, nous les humains (tout-puissant et dominateur sur son trône de gloire). … un Dieu qui se révèle dans ce qui est humble et petit, qui se révèle dans l’amour et le don de soi, plutôt que dans la domination et le pouvoir… un Dieu qui révèle sa présence et sa solidarité avec les humains, jusqu’à la croix, jusque dans la souffrance et la mort.

A pâques, Dieu donne raison à Jésus et à son Évangile de la non-domination : c’est à la lumière de cette révélation que les évangélistes et l’apôtre Paul pourront reprendre et transmettre le message de Jésus aux génération suivantes :

« La folie de Dieu est plus sage que les hommes et la faiblesse de Dieu est plus forte que les hommes » dira Paul dans sa 1ère lettre aux Corinthiens.

L’événement de « la croix et de la résurrection » vient libérer les humains de toutes les fausses images de Dieu, toutes leurs idoles.

Par la Croix, l’orgueil humain et la religion sont crucifiés, pour ouvrir définitivement les croyants à la possibilité de la confiance en un Dieu de grâce.

* Qui donc est-il ce Dieu qui a relevé Jésus de la mort ?

A vrai dire, cette révélation était déjà dans les Paroles de Jésus.
Pour Jésus, Dieu, l’Eternel, Source de vie, celui qu’il appelle « son Père », « notre Père » est encore plus extraordinaire que nous pouvons le penser, encore plus fou (pour reprendre le langage de Paul) que nous ne pouvons le concevoir.

Car, ce Dieu-là, notre Père, n’a pas seulement relevé Jésus, le Juste souffrant de la mort, il relève aussi les pécheurs de la mort, du désespoir, de la culpabilité.

Jésus, pour sa part, allait beaucoup plus loin que Paul ou que les prophètes de l’Ancien Testament, comme Daniel, qui croyaient en un Dieu qui rétribue et qui rend à chacun selon ses œuvres. (cf. Dn 12,2 ; 2 Co 5,10)

Jésus, lui, parlait d’un Dieu au dessus de Dieu… au-dessus de ce qu’on peut bien imaginer au sujet de Dieu.
Non pas un Dieu moral et simplement Juste, mais un Dieu dont la justice est inséparable de l’amour : un Dieu compatissant et miséricordieux, qui aime et qui pardonne sans compter. En un mot, un Dieu de grâce et de liberté.

Le Dieu de Jésus Christ, c’est le Dieu qui ne rend pas la justice selon nos œuvres ou nos mérites, c’est le Dieu, le Père de la parabole du fils prodigue, qui attend inlassablement le retour de son fils cadet et qui se jette à son cou (cf. Lc 15). C’est le Dieu dont Jésus dit qu’« il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber sa pluie sur les juste et les injustes « (Mt 5,45)… oui, un Dieu au-dessus de la justice humaine, un Dieu d’amour qui sans cesse relève et pardonne.

Alors, la bonne nouvelle de Pâques, c’est n’est pas seulement que Dieu a relevé Jésus, son fils, de la mort…. Puisqu’il est le Vivant, le Dieu de la Vie, Celui qui donne la vie…
Mais c’est aussi qu’il ne punit pas les pécheurs… qu’il ne va pas condamner ceux qui se sont trompés, ceux qui étaient prisonniers de leur orgueil ou de leur égoïsme… qu’il leur offre inlassablement la possibilité de recommencer, de sortir de leur aveuglement et de leur enfermement.

Le Dieu de Jésus Christ est donc un Dieu qui se rend solidaire de la souffrance humaine : celle de la victime, comme celle du bourreau. Car, là où il y a « injustice », il y a toujours malheur : un manque d’amour, une souffrance ou une blessure originelle.
Et Dieu est toujours là pour y apporter sa tendresse et sa compassion.

Voilà donc la Bonne Nouvelle de Pâques : la révélation du fait que Jésus avait raison de faire confiance à Dieu, raison lorsqu’il parlait à ses disciples d’un Dieu d’amour et de miséricorde.
Et Jésus ajoutait une chose, un appel pour tous ses disciples : Imitez-le ; imitez ce Dieu ; calquez votre manière d’agir sur la sienne : vous aussi soyez généreux et compatissants, agissez gratuitement, sans compter, soyez les fils et les filles de votre Père céleste, agissez à sa façon, entrez dans son amour !  (Mt 5-7 ; Lc 6,36)

La Bonne Nouvelle de Pâques, c’est que quand nous agissons à la manière de Dieu dans notre vie quotidienne, nous agissons déjà comme des ressuscités, des Vivants… nous sommes déjà dans une relation filiale de confiance avec Dieu, nous croyons en lui et en sa Providence. Et rien ne peut plus nous séparer de son amour, pas même la mort.


Amen.

dimanche 9 avril 2017

Mc 13, 1-13

Mc 13, 1-13
Lectures bibliques : 1 R 9,1-9 ; 1 Jn 4, 1-6 ; Mc 13, 1-13
Thématique : avertissements et consignes de Jésus
Prédication (reprise en grande partie d’une méditation de Jean Marc Babut)
Tonneins, le 09/04/17

* A première vue, il semble un peu difficile de trouver une Bonne Nouvelle dans le passage de l’Évangile de ce jour. Jésus annonce la ruine du temple de Jérusalem, puis le commencement des douleurs à venir pour ses disciples, dans une sorte de récit « apocalyptique ».

Vous le savez, il y a plusieurs livres de la Bible qui utilisent ce genre littéraire appelé « apocalypse ». C’est le cas du dernier livre du Nouveau Testament : l’Apocalypse de Jean, mais il est aussi utilisé dans le livre d’Ésaïe et celui du prophète Daniel.

Une apocalypse, c’est une révélation : une révélation du sens de l’histoire. Et non pas ce que nos contemporains ont habituellement mis derrière ce terme, à savoir : soit une suite horrible de catastrophes planétaires, qui prélude à la fin de notre monde ; soit une sorte de message secret à décrypter, qui raconterait à mots couverts comment Dieu aurait programmé la fin dramatique de notre monde.

Bien sûr, on ne sait pas vraiment de quoi demain sera fait. Et l’avenir est souvent source d’angoisse pour beaucoup autour de nous. D’ailleurs, les actualités de cette semaine avec la guerre en Syrie, les bombes « chimiques » sur les populations civiles et les frappes américaines – en riposte – ne peuvent que contribuer à l’inquiétude générale. Se dirige-t-on vers un conflit international de plus grande ampleur ? Ces événements ont de quoi nous bouleverser et nous interroger.

Les disciples, eux-mêmes, questionnent Jésus : ils aimeraient – et nous aussi – avoir des « signes », qui permettraient de se repérer face à cet avenir incertain.

C’est sans doute en raison de cette inquiétude – de cette angoisse existentielle – qu’il y a tant de gens qui continuent de consulter les horoscopes ou qui se dirigent vers des voyantes.
Ils le font avec l’idée que notre avenir doit être secrètement inscrit quelque part, dans les astres, par exemple, ou programmé par quelque fatalité insaisissable.

Certains croyants – quelle que soit la religion – pensent d’ailleurs que c’est Dieu qui détermine les événements de notre vie.
« Cela devait arriver » entend-on parfois ou « Dieu l’a voulu » ou autre chose de ce genre.

Personnellement, je crois que cette vision d’un Dieu manipulateur, qui aurait tout déterminé d’avance, ne correspond pas à la manière de voir de Jésus.
Celui que le maître itinérant appelle « notre Père » est un Dieu bon, compatissant et miséricordieux. Il n’a rien d’un montreur de marionnettes qui, dans la coulisse, tirerait en secret les ficelles de nos vies, et qui aurait donc déjà tout prévu, en programmant les étapes successives de la fin de notre monde.

D’ailleurs, la réponse de Jésus à l’inquiétude des disciples est toujours la même : c’est un appel à la confiance. On entend ces différentes expressions dans le passage de ce jour : « ne vous alarmez pas », mais en même temps « soyez sur vos gardes », « ne soyez pas inquiets à l’avance » mais faites confiance à Dieu !
Jésus rappelle à ses disciples que, quels que soient les événements à venir, même difficiles, éprouvants ou sombres, ils ne sont pas seuls : l’Esprit de Dieu est avec eux, pour les guider et les inspirer.

* Le passage que nous lisons aujourd’hui, l’évangéliste Marc l’a placé peu de temps avant la mort de Jésus.
Depuis qu’il a chassé les marchands du temple et contesté la religion instituée (en raison de son infidélité au Dieu d’amour), Jésus sait pertinemment que la fin est proche… en tout cas pour lui.

Au moment où il va être enlevé à ses disciples, l’avenir de ceux-ci s’annonce bien incertain et périlleux. Mais Jésus tente de les préparer à son départ et à cette perspective. Il leur livre ici une sorte de testament et quelques recommandations.

- "Sa première consigne, c'est : « Veillez à ce que personne ne vous égare. » (v.5) C'est-à-dire : ne vous laissez pas manipuler.

Notre monde va mal, très mal, il court à sa perte, c'est évident. Il ne faut donc pas s'étonner que des sauveurs se présentent, qui prétendent détenir la solution.
Les plus caricaturaux sont les chefs de certaines sectes […] mais il y a aussi les petits sauveurs religieux […] : ces gens plus ou moins intégristes ou fondamentalistes qui [prétendent] détenir « la vérité » [et manipulent les assemblées].
Et [en période d’élection présidentielle] on aurait tort enfin d'oublier les soi-disant sauveurs politiques, les « hommes providentiels ».

Les uns et les autres ne sont tous que de faux sauveurs, prévient Jésus. Notre conviction, à nous chrétiens, c'est que Jésus est le seul sauveur possible de l'humanité [dans la mesure où il propose un autre type de salut, de guérison, de relation entre les humains].

Le salut qu'il annonce et qu'il propose, c'est qu'enfin les humains changent de mentalité et qu'ils entrent dans le monde nouveau de Dieu.
Donc, « que personne ne vous égare ! » Ne vous laissez pas détourner du seul Évangile.

- La seconde consigne de Jésus, c'est : « Ne vous alarmez pas. »
Les guerres, les bruits de guerre, les conflits entre nations..., l'actualité récente nous en a servi plus que nécessaire. Mais tout cela n'est pas le signe que la fin de notre monde serait imminente. C'est bien plutôt le lot quotidien de l'humanité, c'est la conséquence directe des choix que les peuples et les individus ont faits pour gérer leurs relations avec les autres, à savoir dominer et accumuler :

[La vision d’un salut par plus d’avoir et de pouvoir. Une soif insatiable d’être le plus fort, de faire concurrence aux autres, pour en avoir toujours plus.]
Si les conséquences de ces choix universels sont catastrophiques, les humains n'ont à s'en plaindre qu'à eux-mêmes !

On peut dire, en effet, que presque toujours ce sont eux [nous, les hommes] qui sont finalement responsables des malheurs qui frappent l'humanité. Je ne parle pas seulement des guerres civiles ou internationales, qui enracinent la haine et ruinent le vainqueur autant que le vaincu. Mais les famines ne feraient pas tant de victimes si nous acceptions un peu plus de partager avant qu'il soit trop tard.

Bien sûr, ce ne sont pas les humains qui déclenchent les sécheresses ou les tremblements de terre, ou les éruptions volcaniques, ou les inondations catastrophiques. Mais, si ces fléaux font si souvent tant de victimes, c'est […] [à la fois, à cause de la pauvreté et de la misère des peuples touchés par ces événements, et à cause des rivalités, des guerres, des conflits armés ou encore de la corruption qui s’ajoutent aux catastrophes naturelles.]
Et cela continuera aussi longtemps que nous les humains nous continuerons à chercher notre salut dans plus d'avoir et plus de pouvoir. [C’est-à-dire, tant que nous ne changerons pas de manière de penser et d’agir, de mentalité et de comportement.]

Au fond, Jésus nous fait découvrir que nous avons tous une vision profondément tordue des choses. Nous raisonnons toujours comme si, tout compte fait, ça n'allait pas si mal sur notre terre, et comme si les guerres ou les catastrophes naturelles survenaient injustement pour mettre en péril la vie de notre monde. Mais il y a longtemps que le glas sonne pour notre monde.

[Nous devrions peut-être penser que tout cela n’arrive pas par hasard et que nous avons quelques responsabilités dans cette affaire.]
Les malheurs qui frappent notre humanité ne sont pas le signe que la fin est imminente, ils sont le signe qu'elle est profondément gangrenée et qu'elle n'a d'autre issue que la mort, à moins d'un changement profond des mentalités, à commencer par nos propres mentalités. […]

[Bien caché, il y a sans doute une Bonne Nouvelle dans ce que dit Jésus, c’est cette affirmation que je vous relis : « Car il faut d’abord que l’Évangile soit proclamé à toutes les nations. »
Pour Jésus], la seule chose qui pourra marquer que la fin des catastrophes est enfin venue pour notre monde, c'est que le but de Dieu soit enfin atteint, c'est-à-dire­ que […] [l’Évangile de l’amour de Dieu et du prochain soit annoncé à toutes les nations.

Alors, quand ce message aura été annoncé et reçu, les choses changeront : les malheurs de l’humanité prendront naturellement fin.]
Mais tant que le message de l'unique salut possible – celui apporté par Jésus – n'aura pas été offert à tous, notre monde ne fera que continuer sur sa lancée et courir de catastrophe en catastrophe."[1]

* Si Jésus dit vrai, comme je crois… alors, qu’est-ce que nous attendons pour proclamer partout cette Évangile qui appelle à la transformation des cœurs, des consciences et des comportements ? … qui invite à plus d’altruisme, de compassion et de fraternité.

Pour le théologien Jean Marc Babut, il y a deux obstacles considérables à surmonter sur la route de cette proclamation au monde entier du message de salut apporté par Jésus. Je le rejoins dans son analyse et je vous livre sa pensée :

- "Le premier obstacle [dit-il], c'est la résistance que chaque être humain oppose naturellement au message de salut proclamé par Jésus.

Aucun de nous n'est prêt à renoncer volontiers aux deux choses qu'il considère comme les meilleures garanties de sa sécurité et donc de son salut du moment, à savoir, d'une part, ce qu'il possède, son avoir (ses biens, sa culture, son confort, ses assurances du lendemain...) et, d'autre part, les pouvoirs directs ou indirects qu'il détient sur d'autres humains (le désir secret de dominer, les rapports de force, comme on dit en politique, les stratégies « agressives » dont on se vante dans le monde des affaires, etc.).

C'est donc tout à fait clair : le message de salut proclamé par Jésus est loin d'aller de soi pour la plupart des humains. On ne doit donc pas s'étonner qu'il rencontre les plus dures oppositions.

Mais Jésus, qui croyait, lui, à ce qu'il annonçait, est allé jusqu'au bout de sa mission [jusqu’à la mort, sur la Croix : mort réservée aux bandits et aux criminels]. Et, en le ressuscitant, Dieu lui a donné raison contre toutes les oppositions qu'il avait rencontrées. [Il lui a donné raison contre les religieux et les politiques, incapables de se remettre en cause… en tout cas, contre la manière habituelle de penser.]

- Le second obstacle à l'évangélisation du monde – dit encore Jean Marc Babut –, c'est nous, les chrétiens, qui l'avons dressé en faisant du christianisme une religion, c’est-à-dire un ensemble de croyances et de pratiques, alors que Jésus n'a créé aucune religion, mais qu'il a appelé avec insistance à un style de vie vraiment différent de celui qu'on mène [habituellement] sur notre terre.

La foi que Jésus s'efforce de susciter parmi nous, j’ai envie de dire que c'est une foi « laïque ».

Mais si c'est, au contraire, une religion que nous les chrétiens nous présentons aux autres humains, alors, malgré tous les efforts que l'on fait aujourd'hui pour faciliter le dialogue interreligieux, nous ne pourrons jamais leur apparaître autrement que comme des rivaux, des gens qui leur contestent un des traits marquants de leur identité.

Dans de telles, conditions – [en faisant de l’Evangile de Jésus, une religion, plutôt qu’un message accessible, une Bonne Nouvelle, qui appelle chacun à la confiance et la transformation] – quelle chance leur reste-t-il de jamais connaître l'Évangile qui peut seul sauver le monde de ses démons ?  On se le demande.

[D’une certaine manière] cette chance, c'est nous les chrétiens qui la leur ôtons, et je ne sais pas comment il est possible de remonter la pente et de repartir de zéro.
[C’est pourtant cela qu’il faudrait faire : permettre à l’Evangile de sortir de la religion (de la sphère du religieux), pour imprégner la vie quotidienne… pour rendre le cœur de son message accessible à tous.]"

* "Dans ce monde à l'agonie, Jésus annonce que les siens doivent s'attendre à être persécutés.
Cela n'a rien d'étonnant dans la mesure où le message sauveur de Jésus met radicalement en question les choix de vie adoptés par l'ensemble des humains, qu'ils soient africains, américains, asiatiques ou européens. Sur ce plan-là, tous en sont au même point.

Dans la mesure où on n'aspire [partout] qu'à davantage de force et davantage de richesse, un message qui prône au contraire le service et le partage, et qui met donc en question nos appétits de pouvoir et d'avoir, ne peut paraître que particulièrement dérangeant et subversif. […]

[Du coup, nous devrions nous demander si le message que les églises portent aujourd’hui, au nom de Jésus, n’est pas devenu relativement mou et insipide.]
Le fait ­qu’en Occident, nous les chrétiens ayons maintenant plus ou moins pignon sur rue devrait nous poser des questions.
Si nous sommes, en effet, tellement bien tolérés, cela ne veut-il pas dire que nous ne sommes plus vraiment les témoins de l'Evangile dérangeant proclamé par Jésus ?

[En quoi le message que nous proclamons remet-il réellement en question nos façons habituelles d’agir… notre manière ancestrale de penser ?
En quoi sommes-nous réellement les témoins d’une autre voie (voix) ouverte par Jésus ?]

[En tout cas, Jésus lui – au nom de la confiance en Dieu, de la certitude de son amour et de sa bienveillance, de sa bonté et de sa Providence – a osé porter un message qui dénonçait toutes les idoles forgées par les humains, leurs fausses sécurités, et les mécanismes de réciprocité et de rivalité, induit par les relations de type « donnant-donnant ». Sa contestation – y compris de la religion – lui a valu la mort.]

[Ainsi] Jésus avertit les siens que l'épreuve risque d'être très dure. Cela peut aller jusqu'à d'affreuses trahisons à l'intérieur même des familles.
Mais Jésus promet que les siens ne seront pas abandonnés à l'épreuve. L'Esprit de Dieu sera à leurs côtés et leur permettra de tenir bon.

Jésus lui aussi a tenu bon. Non par entêtement, ni pour éviter de perdre la face, mais parce que c'était pour lui le seul moyen de témoigner qu'il croyait envers et contre tout au message de salut qu'il était venu proposer aux habitants de notre terre – le seul moyen donc que ce message, mal­gré son échec du moment, reste encore crédible aux générations à venir.

C'est grâce à cet ultime témoignage, dans lequel Jésus a fait don de sa vie, qu'il nous est encore possible aujourd'hui d'avoir l'assurance que l'humanité connaîtra un jour enfin le salut.
[Ce salut est à portée de mains… et de cœurs… pour autant que nous le recevions et le vivions.]

À Pâques Dieu a confirmé que, pour lui, c'est bien Jésus qui avait raison."

Et nous, qu’en pensons-nous ?
Osons-nous vivre cet Évangile au quotidien ?

Vivre l’Évangile du détachement, de la non-domination, du partage, de la fraternité, chaque jour, n’a rien d’évident.

C’est pour cela que Jésus offre une promesse… une Bonne Nouvelle :
« Celui qui tiendra jusqu’à la fin, celui-là sera sauvé ! »

Amen.



[1] Cf. Jean-Marc Babut, Actualité de Marc, Cerf, p.282-287.