dimanche 26 novembre 2017

Jonas ou l'idée qu'on se fait de Dieu

Lectures bibliques : Livre de Jonas ; [Lc 18, 9-14 ou Mt 5, 43-45 ou Lc 13, 1-5]
Prédication de Pascal LEFEBVRE (inspirée d’un ouvrage de Jean-Marc Babut) / 
Tonneins, 26/11/17

* C’est une évidence d’affirmer que l’histoire qui est racontée dans le livre de Jonas n’a rien d’historique. Personne ne peut croire qu’un homme soit resté trois jours dans le ventre d’un monstre marin immergé et qu’il en soit sorti vivant. Il faut donc entendre ce qui se joue, dans ce récit de fiction, sous un autre registre - un peu à la manière d’un conte - et comprendre qu’il nous délivre une vérité, à travers un récit à la fois imaginaire et humoristique. 

Cette histoire - bien qu’elle soit fictive ou légendaire dans ses détails - a véritablement quelque chose à nous dire. Elle vient nous interroger sur notre manière de comprendre Dieu, dans la mesure où le personnage principal : Jonas est lui-même retourné, du tout au tout, quant à ses présupposés théologiques. Ce qui le met en rogne à la fin de l’histoire : constater que Dieu n’est pas comme il le pensait. 

On découvre au cours du récit que Jonas a une image ambiguë de Dieu, du Dieu Adonaï en qui il croit : 

- D’un côté, il y a ce qu’il imagine : il voit Dieu à la manière des païens : Dieu est comme une puissance. Il le voit à l’image du tyran-type de l’antiquité, comme celui qui détient tous les pouvoirs, qui détruit ses adversaires et punit tous ceux qui contreviennent à sa volonté. Autrement dit, il croit en un Dieu qui n’en fait qu’à sa tête, un Dieu qui récompense les siens, les fidèles, et qui sanctionne les méchants (comme ceux qui commettent des atrocités). 

- D’un autre côté, il y a ce qu’il a appris « au catéchisme » ou dans les Psaumes (dont sa prière est inspirée) : Dieu est bienveillant et miséricordieux, lent à la colère et riche en fidélité. 
Cela, il le sait « inconsciemment » ou plutôt « intuitivement ». Il l’avoue à la fin, mais il ne veut pas (ou ne peut pas) vraiment y croire. Comment croire, en effet, que Dieu puisse être ainsi avec des païens, qui ont autrefois fait la guerre et détruit une partie du pays des Juifs, le peuple élu ?

Jonas est présenté comme un anti-héros, comme un prophète de Dieu - un de ses porte-paroles - mais un prophète qui se défile devant sa tâche et sa responsabilité.  

On voit, en effet, que Jonas se dérobe devant la mission que Dieu lui confie : il est censé porter un avertissement de la part de Dieu dans la grande ville de Ninive, une ville païenne. Mais, il s’enfuit en sens opposé à des milliers de kilomètres de là, à Tarsis. 

* La question que le lecteur d’aujourd’hui peut immédiatement se poser est la suivante : pourquoi Jonas refuse t-il cette mission ? 

La réponse est évidente pour celui qui connait le contexte historique. Ninive est la grande ville qui deviendra la capitale de l’empire assyrien [Elle le deviendra sous l’autorité de Sennachérib (-704-681)] : En 722 av J-C, le royaume d’Israël et sa capitale Samarie ont été détruits par les Assyriens. Seul, le petit royaume de Juda au sud s’en est sorti. 
Ninive sera à son tour conquise et ruinée un siècle plus tard (en -612), sous les coups des Medes et des Babyloniens. 

Quand l’histoire de Jonas est racontée, sans doute au 4eme siècle avant notre ère, il y a plus d’un siècle que Ninive n’existe plus, mais l’Assyrie est restée dans les mémoires comme un peuple ennemi et païen, une puissance implacable qui a écrasé le royaume d’Israël, patrie de Jonas. 

Par ailleurs, les rois assyriens étaient tristement réputés pour leur violence et les atrocités commises par leurs armées, ainsi que les pillages infligés aux vaincus. D’où la référence à la cruauté, dont l’écho, le bruit - nous dit le narrateur - est monté jusqu’à Dieu. 

Dans ces conditions, on comprend que Jonas n’ait pas du tout envie d’effectuer cette mission : il répugne - selon toute vraisemblance - à porter un message de la part de Dieu à un peuple qu’il considérait comme l’ennemi impardonnable d’Israël. 

D’ailleurs, il est vraisemblable que Jonas ne comprenne pas pourquoi Dieu s’intéresse aux habitants de Ninive. Ce sont des « gentils », des « païens », qui sont belliqueux et qui demeurent, aux yeux de Jonas, en dehors du cadre de l’amour de Dieu délimité par les Juifs. 

Jonas prend donc la poudre d’escampette et fuit loin de Ninive : devoir porter un avertissement de la part de Dieu aux ennemis les plus féroces de son peuple lui ait insupportable, au point que quand le bateau qui le conduit sur une route opposée vers Tarsis, menace de sombrer dans la tempête et qu’il est démasqué par l’équipage comme celui qui est responsable de la « colère de Dieu » et des vents tempétueux, il préfère choisir la mort que de se rendre à Ninive : 
« Prenez-moi, jetez-moi à la mer, et sa fureur se calmera » dit-il aux marins païens. « Je le reconnais en effet : c’est par ma faute que cette grande tempête s’est levée contre vous ».

* A cet instant, Jonas voit la mort comme l’ultime moyen par lequel il peut échapper définitivement à Dieu et à cette mission prophétique. Mais, c’est sans compter la persévérance de Dieu. 

C’est par le moyen d’un gros poisson que Dieu va, d’une part, faire réfléchir Jonas face à la mort qu’il va expérimenter, et, d’autre part, le sauver de son entêtement à fuir ses responsabilités… toujours dans le but que le prophète accomplisse enfin sa mission. 

Contrairement à l’idée qui revient toujours, chaque fois qu’on évoque le nom de Jonas, le gros (ou grand) poisson qui vient à point nommé pour gober le prophète, quand il est jeté par dessus bord, n’est pas une baleine. 
Non seulement la baleine n’est pas une espèce qu’on rencontre en Méditerranée, mais son gosier est trop étroit pour laisser passer en son entier le corps d’un homme. Le gros poisson du récit biblique n’est pas identifiable à une espèce connue. 

Ce poisson intervient comme l’instrument anonyme que Dieu fait survenir au bon moment, pour empêcher Jonas de lui échapper en se jetant dans la mort. 
Le prophète récalcitrant reste alors trois jours et trois nuits dans le ventre du poisson. Ce temps est assez long pour lui permettre de prendre conscience de sa véritable situation. 

Autrement dit, en sauvant Jonas d’une mort pourtant ardemment souhaitée, Dieu lui fait découvrir - du même coup - ce qu’est véritablement la mort. C’est dans cette circonstance redoutable que Jonas adresse à Adonaï une prière, largement inspirée des psaumes. [[D’ailleurs, nombreux sont les exégètes qui pensent que cette prière a été insérée ultérieurement dans le récit de Jonas.]] C’est une prière de détresse qui appelle Dieu au secours et qui reconnait que le salut lui appartient. Elle s’achève sur une promesse de fidélité envers Adonaï. 

Par cette prière, Jonas supplie Dieu de le faire sortir de sa situation de détresse, lui qui se trouve prisonnier du monstre marin. 

Adonaï ordonne alors au poisson de restituer Jonas sur la terre ferme (2,11). Mais Dieu n’a sauvé Jonas que pour le renvoyer à Ninive, accomplir son devoir prophétique. 

* Quelle est donc la mission confiée à Jonas ? 
L’histoire montre qu’il faut distinguer la mission réelle de la manière dont Jonas la comprend : 

- La mission réelle est un avertissement. Jonas doit littéralement crier contre la population de Ninive. 
Adonaï, Dieu est présenté comme un Dieu qui parle, qui prend l’initiative de la communication (via son prophète), dans l’intention de faire passer un message de salut, c’est-à-dire de mettre en garde les habitants de Ninive contre la catastrophe qui se prépare, s’ils conservent leurs comportements violents et cruels, s’ils continuent à agir comme il le font. 

- De son côté, Jonas semble comprendre le message que Dieu lui confie, non comme un avertissement, mais comme l’annonce d’une catastrophe inéluctable : la condamnation et la punition de Dieu vont tomber sur la grande ville, à cause du comportement des habitants païens… un peuple coupable et cruel… qui est forcément étranger à la promesse de salut de Dieu, aux yeux de Jonas. 

Il y a donc une ambiguïté sur la manière de comprendre le message prophétique dont Jonas est porteur au nom de Dieu. 
Ce message apporte une nouvelle inquiétante : il reste quarante jours avant le grand chambardement de Ninive. 

Encore une fois, la question est de savoir comment interpréter le message de Dieu (?) (un peu comme nous quand nous lisons la Bible, il nous faut interpréter) : 
- Est-ce la prédiction d’une punition inéluctable ? Mais si tel est le cas, on se demande pourquoi il est nécessaire d’attendre quarante jours - presque 6 semaines - pour que la sentence annoncée soit appliquée. 
- N’est-ce pas plutôt un temps de préparation ou d’épreuve, permettant aux habitants de prendre conscience de l’urgence du changement à effectuer, face à une situation de crise… comme le chiffre symbolique de quarante jours semble le suggérer ? 

Dans ce cas, le message ne consisterait pas en l’annonce d’une condamnation ou d’une punition prochaine, mais en l’annonce d’un désastre à venir, si rien ne change, si les conduites inhumaines perdurent. 

Jonas vient ainsi crier « casse-cou » à des gens totalement inconscients de la folie de leurs comportements fondés sur la violence et la cruauté vis-à-vis des autres peuples… Or, s’ils sont responsables de ces comportements, ils risquent aussi d’en être prochainement les victimes… à moins d’une conversion, d’un retournement, d’un changement radical de mentalité. 

* A ce stade du récit, on ne sait pas encore si cet avertissement va être entendu. On sait que dans la Bible tous les prophètes se sont heurtés à des oppositions. 

La difficulté rencontrée par cet avertissement, ce message de salut, tient au fait qu’il met radicalement en question le comportement social, économique et politique des humains, fondé sur la rivalité et la concurrence… donc sur une forme de rapport de force, de violence… comme si la chose était inéluctable. 

Ce comportement vise essentiellement au « chacun pour soi » au niveau individuel et même au niveau collectif (comme au niveau des états aujourd’hui) : chacun défendant ses propres intérêts. 
Ce comportement qui vise à avoir à soi - et pour cela, à exercer un pouvoir ou une domination - est en réalité ruineux pour l’ensemble de l’humanité. 
C’est toujours de la sorte que notre monde fonctionne aujourd’hui, sous des dehors plus « civilisés », disons moins « barbares » et « sanglants » qu’autrefois.

Un tel système fait inévitablement des victimes et appelle à la réciprocité, à une réaction en miroir, qui - en retour - risque de susciter toujours plus de violence. 
Nous le constatons depuis des siècles : Tant que notre niveau de conscience n’évoluera pas, notre monde risque d’aller de crise en crise. 

Malheureusement, les humains, qui se méfient les uns des autres, et qui veulent toujours avoir le dernier mot, considèrent la plupart du temps que « la force » est le seul moyen efficace, et donc incontournable, pour maintenir l’ordre et la sécurité au profit du système en cours (c’est-à-dire, le plus souvent, au profit des plus puissants). 

(Aujourd’hui, on pense encore à « la force » comme solution à tous nos malheurs, aussi bien comme moyen préventif que curatif, pour infliger à autrui un avertissement ou une punition, le cas échéant. 
Les Etats n’agissent pas autrement au 21e siècle : par intimidation ou par rapport de force… comme si la rivalité ou la violence pouvait régler les problèmes. Et d’ailleurs, on croit encore qu’en étant violent avec les violents, on va régler le problème du terrorisme. On ne se rend pas compte que ce système, lui-même, ne fait que de susciter plus de haine de l’autre.)

Face à nos comportements ancestraux et primaires, le message de Dieu - qu’on trouve par exemple dans l’Evangile de l’amour du prochain, qui appelle au service, au partage, à la fraternité - est jugé, par beaucoup, comme trop dérangeant et irréaliste. Mais la vérité : c’est que nous n’arrivons pas à nous remettre en cause !

En regardant notre monde tel qu’il est… on peut simplement constater que les normes humaines ne sont pas encore au niveau de ce que l’Evangile de Dieu propose pour notre humanité. 
On en est toujours - au mieux - au « oeil pour oeil, dent pour dent » (cf. Ex 21, 23-25 ; Lv 9, 17-22 // Mt 5, 43-48). 

Nous savons combien notre monde et nos coeurs ont besoin d’être pacifiés !… Combien nous avons besoin de réentendre les discours des prophètes et les paroles de Jésus. 

PAUSE

* Ici - contre toute attente - le message de Dieu est entendu. (C’est peut-être en cela que ce récit est une fiction.) 
Jonas n’a pas besoin de trois jours de déambulation pour atteindre l’objectif que Dieu lui a fixé. Car, dès la fin du premier jour, la population réagit positivement à ce qu’il proclame. Ce qui semble surprenant.

« Les habitants de Ninive firent crédit à Dieu » nous dit le narrateur, ou - autre traduction - : ils crurent ; ils mirent leur foi - leur confiance - en Dieu. 
Autrement dit, ils ont accueilli l’avertissement que Dieu leur envoyait et en on tiré immédiatement les conséquences. 
Mieux encore : ils y ont vu, non pas une menace, même si Jonas l’avait prêchée comme telle, mais un message de salut.
La réponse est unanime : même le roi se met à l’unisson de ses sujets, ordonnant au passage que personne ne reste à l’écart du comportement qui convient. 

Si les gens de Ninive ont fait « crédit à Dieu », c’est qu’ils ont reconnu la justesse de la critique dont ils étaient l’objet - à savoir leur tradition de violence et de cruauté - et qu’ils décident - en conséquence - d’opter pour un changement radical de comportement. C’est à cela que le roi appelle expressément ses sujets. 

Seulement une telle conversion ne peut porter ses fruits que dans l’avenir. Dans l’immédiat ce changement passe par une forme religieuse : pour illustrer sa consternation, la population doit prendre le deuil, revêtir le « sac » (une sorte de pagne de tissu grossier), se frotter de cendre et entrer dans un jeûne total, en s’abstenant de toute nourriture et boisson. 
Mais ce qui intéressant, c’est surtout l’engagement pris devant Dieu. Je cite : 
« Qu’hommes et bêtes soient couverts de la tenue de deuil, qu’ils s’adressent à Dieu avec force, que chacun renonce à sa funeste manière de vivre et à la violence dont ses mains sont pleines ! » (3,8). 
Ce qui est sous-entendu, c’est : voilà ce à quoi nous nous engageons ! 

Puisque ce peuple a entendu le message de Dieu et accepte de changer du tout au tout, Dieu prend la parole et annonce que, si tel est le cas, il n’en sera pas ainsi : Ninive ne connaitra pas un destin tragique… pour autant que ce changement se réalise… que chacun renonce à sa funeste manière de vivre. 

Ce changement d’avis de Dieu montre qu’il se laisse guider par son coeur… il se laisse émouvoir par la promesse des habitants de la grande ville. C’est donc un Dieu compatissant que présente ici le narrateur. 

* De ce fait, le narrateur permet au lecteur de s’interroger sur le thème du jugement : 

L’idée d’un jugement final - exercé par Dieu ou un représentant - est présent dans la Bible. 
La question est de savoir comment envisager ce jugement : 

- Doit-on le voir comme la punition que Dieu inflige à une humanité dévoyée, comme semble l’imaginer Jonas ? Mais, dans ce cas, cela implique de croire en un Dieu capable de punir. Ce qui ne correspond pas, dans le Nouveau Testament, à la manière dont Jésus parle de Dieu comme un Père à l’amour inconditionnel (cf. par ex. Lc 15). 

- Ou, doit-on voir ce jugement comme le désastre annoncé… désastre que les humains se sont inconsciemment préparés à eux-mêmes. Dans ce cas, Dieu n’est ni un juge ni un bourreau : son « jugement » consiste simplement à laisser les humains récolter ce qu’ils ont eux-mêmes semé. 

Il me semble que c’est cette deuxième perspective qui est ici présentée : En changeant d’avis, Dieu montre à Jonas qu’il est en réalité plus miséricordieux que punisseur… que si les Ninivites changent, leur destin aussi changera. 

En demandant à son porte parole, son prophète, de prévenir les Ninivites, le narrateur montre que l’action de Dieu vise le salut : 
Le message de Dieu est comme une lumière, un phare destiné à éclairer la réalité. Dieu essaie d’avertir et de limiter les dégâts avant qu’il ne soit trop tard, avant que la violence n’ait définitivement conduit le pays au désastre. 

* [[L’incroyable s’est donc produit dans ce récit que raconte la Bible : la population la plus brutale et la plus inhumaine a reconnu la perversité de sa tradition et de ses comportements, pour décider de repartir sur des bases saines et nouvelles. 
Malgré la mauvaise volonté de son porte-parole, Dieu a quand même atteint son objectif : sauver une population du désastre vers lequel elle se précipitait les yeux fermés. 

Dieu a donc eu gain de cause avec Ninive, mais pas avec son messager. 
Jonas, en effet, n’est pas du tout d’accord avec Dieu. Il lui reproche de ne pas avoir tenu parole… d’avoir changé d’avis. 
Du coup, son désir secret de revanche sur l’ennemi détesté est battu en brèche par Dieu… par le Dieu de son propre peuple. 
Et beaucoup plus grave pour Jonas : Dieu n’est pas ce qu’il devait être !
Jonas a confondu Dieu avec l’idée qu’il se faisait de Dieu… il a confondu le Dieu vivant avec une idole.]]

Le revirement de Dieu - dû au revirement des habitants de Ninive - plonge donc Jonas dans la colère. 
En fait, c’est contre lui-même que Jonas est en colère : il s’aperçoit combien il s’est trompé sur Dieu, sur l’image qu’il s’était forgée de Lui : Un peu comme le fils ainé de la parabole du fils prodigue (cf. Lc 15), qui peut être identifié au Pharisien, au croyant fidèle à la Loi… Jonas croyait en un Dieu sévère et stricte, mais il s’aperçoit que Dieu est bienveillant et miséricordieux, lent à la colère et riche en fidélité… comme le lui avait, sans doute, appris son « catéchisme » ou les psaumes… comme il l’avait pressenti intuitivement.

Seulement, s’il croyait en la miséricorde de Dieu, c’était pour son peuple, pour ses fidèles, il ne pouvait pas concevoir une miséricorde universelle, aussi vaste, y compris pour un peuple étranger et païen… voir ennemi (ou terroriste). 
Jonas ne pouvait pas imaginer que les habitants de Ninive - qui sont des non-Juifs et des belliqueux - puissent être destinataires de l’attention et de la compassion divines. 
Il découvre que l’amour de Dieu est le même pour tous les humains… et pas seulement pour son peuple, pour les siens… et cette découverte le met en rogne. 

Jonas est tellement furieux qu’il demande une nouvelle fois la mort. Cette demande est à nouveau une fuite, mais cette fois : une fuite devant la nécessité absolue de revoir de fond en comble sa « théologie » (c’est-à-dire l’idée qu’il se fait de Dieu). 

* La réponse de Dieu révèle une merveille de patience. Devant l’aveuglement de Jonas, qui refuse de voir clair en lui-même, Dieu va l’y aider en lui faisant faire une expérience personnelle :
Il fait pousser un ricin (c’est-à-dire une plante, un arbrisseau) pour protéger Jonas du soleil. Ce qui le réjouit. Le lendemain, il laisse le ricin mourir, piqué par un ver qui s’en nourrit. Ce qui désespère Jonas et le met à nouveau en rogne. 

Dieu profite ainsi de cette expérience pour le faire réfléchir : 
Tu t’es pris d’affection ou d’attachement pour quelque chose qui n’est qu’une simple plante - dit-il, en substance - … une plante dont tu ne peux même pas prétendre que tu l’as voulu, ni fait pousser, ni soignée. Sa disparition te désole et te met en rogne. Mais c’est à cause du confort qu’elle t’apportait face au soleil ou du réconfort qu’elle t’apportait face à ta contrariété. 
Si toi tu te désoles ainsi pour une simple plante, à combien plus forte raison ne devrais-je pas me désoler pour Ninive et tenter de la sauver… à combien plus forte raison ne devrais-je pas être affecté par le sort de ces milliers d’être humains incapables de « distinguer leur droite de leur gauche »… c’est-à-dire incapables de conduire leur vie et d’orienter leur décision… un peuple se laissant aller à ses tendances naturelles, faute de directives pour orienter leur existence.

Certes, ce n’est plus le cas des Ninivites depuis que Dieu leur a fait parvenir l’avertissement que l’on sait. Mais c’était leur cas avant que Jonas, bien malgré lui, ne leur apporte un message de salut, destiné à un changement de vie. 

* En conclusion, on voit que le livre de Jonas est un récit polémique, qui remet en question une certaine théologie : il remet en cause les préjugés dominants, dont Jonas est le représentant : à savoir l’idée d’un Dieu tribal, qui ne se préoccuperait que de son peuple élu : Israël, et qui mépriserait ou punirait les autres peuples. 

A la fin de l’aventure de Jonas, le lecteur est déplacé dans ses représentations : il en vient à se dire qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans la manière de voir de Jonas : qui éprouve finalement plus de compassion pour un arbre que pour les habitants de Ninive. 

Dieu - Adonaï - n’est donc pas du tout ce qu’imaginait son prophète Jonas. Il est donc grand temps de mettre à jour notre théologie.

Ce récit montre aussi - sous forme humoristique - que les prophètes - dont Jonas est un représentant - étaient aussi enracinés dans leurs propres présupposés, leurs préjugés, et dans l’idolâtrie, au même titre que n’importe quel être humain. Mais cela n’empêche pas la Parole de Dieu de se frayer un chemin. 

Ainsi, sous la forme d’un petit conte merveilleux, ce livre est en réalité une véritable théologie, un enseignement fondamental sur Dieu : il laisse transparaitre l’image d’un Dieu compatissant et miséricordieux, qui se soucie de toutes ses créatures, aussi bien les bons croyants que les païens, aussi bien justes que les injustes. 
Il appelle seulement ceux qui sont violents à changer de comportement, pour éviter le désastre et la ruine, pour éviter que le monde ne se déchire… autrement dit, pour que le monde soit enfin plus humain et plus vivable. 
C’est un Dieu qui appelle à la fraternité. Ce que Jonas a lui-même du mal à vivre… dans la mesure où il est loin de considérer les Ninivites comme ses frères. 

Le récit opère donc un retournement : 
- A la fin de l’aventure, les Ninivites païens se sont mis à l’écoute du message divin et souscrivent à un changement de mentalité et de comportement. Ils se sont montrés plus ouverts que le prophète de Dieu. 
- Jonas, de son côté, a encore besoin de conversion. Il doit accepter d’abandonner ses fausses images de Dieu, pour s’ouvrir à un Dieu qui aime et qui sauve tous les humains, sans distinction. 

Enfin, ce récit nous interroge sur la notion de salut :
L’idée du salut est ici rapportée à une Parole extérieure - une Parole de Dieu - qui nous appelle à un changement de comportement, un retournement, une conversion. 
Ce n’est pas l’idée que Dieu apporte le salut, avec une baguette magique, du haut du ciel, mais qu’il nous appelle à entrer dans le salut, dans notre existence… un salut qui passe par l’adoption d’une nouvelle mentalité. 
Le salut est lié à l’idée de transformation. 

Adonaï ne veut donc pas que les humains fassent n’importe quoi, et qu’ils se détruisent les uns les autres, jusqu’à détruire leur humanité et l’humanité toute entière. 
Le salut qu’il propose n’est pas à attendre dans un au-delà, mais à trouver ici-bas, ici et maintenant, au creux de notre humanité (C’est là qu’on peut trouver Dieu.). 
C’est urgent : il reste quarante jours… c’est-à-dire symboliquement, il est temps de rentrer dans ce temps de changement… avant que la situation n’empire !

Ecoutons cette Parole qui, aujourd’hui encore, nous appelle à nous interroger sur notre vie, sur notre relation à Dieu et aux autres !  
Amen. 

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