dimanche 18 février 2018

Mc 10, 17-31

Lectures bibliques : Mc 10, 17-31 ; Mc 3, 31-35
Thématique : la voie du lâcher-prise et du détachement, pour suivre le Christ
Prédication de pascal Lefebvre / Largement inspirée d’une méditation d’Anselm Grün - 
Marmande, le 18/02/18

* L’histoire de la rencontre entre Jésus et un homme riche suscite souvent l’interrogation des lecteurs de la Bible…. Car ce récit semble exiger de nous que nous vendions tous nos biens, tout notre avoir, pour suivre Jésus : ce qui semble difficile, pour ne pas dire impossible. 

Mais est-ce bien de cette façon qu’il faut entendre ce que dit l’évangéliste Marc ? 

Il y a deux mille ans, cet épisode avait déjà suscité l’inquiétude des disciples qui se demandaient : qui peut bien être sauvé, s’il est si difficile à un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu ?

Leur stupéfaction et leur inquiétude venaient vraisemblablement des propos de Jésus… constatant l’impossibilité de ce riche d’accepter de se détacher, de se départir de ses biens. 
En effet, à cette époque, la richesse était plutôt vue positivement, comme le signe d’une bénédiction de Dieu. Les disciples sont donc consternés de voir que Jésus la considère autrement. C’est un retournement de leur conception, de leur manière de penser. 

Pour envisager avec discernement ce passage de la Bible… la signification qu’il avait à l’époque de Jésus… et ce qu’il peut nous dire aujourd’hui, il nous faut d’abord nous souvenir que le Chrétien - comme le dirait l’apôtre Paul - ne vit pas « sous la Loi », mais « sous la Grâce ». 
Il ne faut donc pas prendre à lettre ce qui est dit ici et le projeter sur nous sans discernement. 

En racontant cet épisode, Marc ne veut pas édicter une norme ou une loi fixant ce que nous aurions le droit de posséder ou ce que nous serions tenus de vendre. 
L’évangéliste vise plutôt à nous montrer, par cette rencontre personnelle d’un jeune homme riche avec Jésus, ce à quoi nous sommes appelés : à la liberté. 

Il nous montre que celui qui prétend vouloir suivre le Christ doit accepter de se libérer en esprit de certains de ses attachements. Car celui qui vit en étant trop lié, trop préoccupé par certaines choses (ses biens, ses soucis, ses projets, etc.) ne peut avoir ni la disponibilité d’esprit, ni le temps, ni l’engagement nécessaire, pour emprunter le chemin que Jésus propose : pour se mettre en quête du règne de Dieu. 

Dans l’entretien avec Jésus, on voit que l'homme en question a tout d’un homme bien : il a beaucoup d’atouts : Il mène une vie correcte, il obéit à tous les commandements depuis sa jeunesse. Jésus le sait et le sent. Il le regarde et se prend d’affection pour lui. 
Mais en l’observant, il devine aussi que cet homme pourrait faire mieux… quelque chose de plus grand… de plus beau, de plus extraordinaire que de suivre simplement les commandements de Dieu à la lettre. 

Jésus reconnaît que cet homme est appelé à faire autre chose de sa vie… Dieu l’appelle ailleurs… et il en a les capacités. 
« Il te manque une chose - lui dit Jésus - va ; ce que tu as, vends-le, donne-le aux pauvres et tu auras un trésor dans le ciel ; puis viens, suis-moi ». 

Jésus sent que cet homme a un potentiel : il pourrait devenir un disciple du Royaume de Dieu : il discerne qu’il y a autre chose au fond de lui. 
En le provoquant, en lui demandant un lâcher-prise radical, il cherche à faire sortir, à faire émerger ce qu’il y a en lui. Il veut toucher son âme. 

Le Christ veut l’inciter à s’engager sur le chemin où ce jeune homme pourra réaliser ses vraies aptitudes et toutes ses potentialités. 
Il lui révèle - il met le doigt sur ce qui lui manque - car il a déjà tout le reste… il lui manque juste l’audace, le courage, la liberté nécessaire… pour s’engager dans un chemin nouveau. 

Ce riche-là serait vraiment libre, s’il vendait son avoir.

Bien sûr, on ne peut pas en faire un cas général… bien que beaucoup de personnes - à commencer par nous-mêmes, peut-être - soient un peu comme ce jeune homme : plus ou moins dépendant ou esclave de ses possessions.

Vendre tout ce que l’on possède n’est pas une norme imposée à tous ceux qui veulent suivre Jésus… mais c’est quelque chose qui correspond, pour Jésus, à cet homme en particulier.

La question qui se se pose à chacun de nous, c’est de savoir de quoi nous aurions besoin de nous détacher, personnellement, dans la situation qui est la nôtre, pour pouvoir suivre le Christ… pour pouvoir devenir des disciples du royaume de Dieu.

* Chacun a des attachements particuliers et des besoins particuliers et différents. 

Pour certains qui veulent suivre Jésus, il n’est pas nécessaire de se séparer de leur avoir… car il n’y sont pas spécifiquement attachés… mais ils devront plutôt accepter de se détacher, de se séparer, de leurs succès, de leur orgueil, de leur réussite, de leur auto-satisfaction, ou, au contraire, du fait qu’ils se jugent constamment eux-mêmes ou qu’ils se sous-estiment ou se sentent incompétents ou insignifiants. 
Pour d’autres, il s’agirait de modifier l’image qu’ils ont d’eux-mêmes ou de Dieu… ou encore de l’idée qu’ils se font de la vie, de leurs habitudes, de leurs relations. 

Ce passage de l’Evangile nous invite ainsi à nous présenter devant Dieu… à nous placer devant lui… avec tout ce que nous sommes et tout ce que nous avons… à lui tendre notre coeur et à prendre le temps du discernement. 
Nous devinerons alors ce qui, dans notre vie actuelle, peut encore nous empêcher de vivre pleinement, d’avancer ou de progresser. 

De quoi ne pouvons-nous pas nous déprendre ? 
Quels sont nos attachements (ceux qui sont susceptibles de réduire notre vie) 
De quoi sommes-nous encore esclaves ou dépendants ? 
Que faudrait-il accepter de lâcher ou de changer ?

Il s’agit parfois d’une habitude de vie, d’une routine, d’un schéma existentiel, de certains comportements, qui, certes, nous causent du tort, mais auquel nous nous accrochons quand même, par habitude ou parce qu’au moins nous savons où nous allons. 
Alors que si nous y renoncions, nous risquerions de ne plus le savoir… nous serions obligés de changer quelque chose… de faire autrement. 

Nous avons tous des choses, des modes de penser ou des comportements qui nous limitent ou nous sclérosent. Et l’idée de changer les choses peut nous faire peur. L’inconnu nous fait peur. La peur nous inhibe et nous empêche d’être libre.

Chez ce jeune homme, la peur était finalement plus forte que l’aspiration à la vie éternelle - la vie en plénitude - il s’en va donc tristement, nous raconte Marc. 

Cette histoire nous invite évidement à réagir autrement. Elle nous engage à ne pas faire comme ce jeune homme, qui finalement renonce à lâcher-prise, renonce au changement. 
Elle nous appelle, au contraire, à oser nous dégager de ce qui nous lie, de ce qui nous contraint, nous empoisonne ou nous emprisonne. 
Alors, nous ferons, en suivant Jésus, l’expérience d’une immense liberté. 

* Bien que possédant peu de biens, les disciples de Jésus semblent consternés par ce que le maître dit du danger des richesses. 
Jésus répond à leur accablement en accentuant encore la provocation : 
« Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu ».

Par cette parole destinée à choquer, Jésus n’entend pas condamner la richesse en elle-même, car elle n’est pas intrinsèquement mauvaise. Elle est plutôt un don de la vie, un don de Dieu, qui nous fait participer aux richesses de la Création. 

Mais, en même temps, la richesse est dangereuse, car nous risquons de nous identifier à elle, de nous dissimuler derrière elle, comme derrière un masque épais :
Elle peut alors nous empêcher d’accéder à notre vérité, notre vrai Soi. Elle peut réduire le sens de notre existence, lorsque nous en faisons une course ou une obsession, lorsque nous passons notre temps à vouloir accumuler sans fin des possessions. 

Si nous passons notre temps et notre énergie à en vouloir « toujours plus », notre Soi est alors bloqué dans son développement. En réalité, nous n’avançons plus, nous nous pétrifions intérieurement. 

Il me semble que c’est le danger que pointe ici Jésus : la richesse peut nous scléroser dans notre progression. Elle peut nous rendre « orgueilleux » ou « idolâtres », car elle peut devenir un but ultime, une finalité, au lieu de rester un moyen. 
Ainsi, les possessions peuvent nous « posséder » à notre insu… elles peuvent faire de nous des « possédés ». Nous sommes alors déterminés par une avidité insatiable. 

Pour Jésus, celui qui est ainsi sous l’empire de la richesse ou de la soif de « toujours plus » est incapable d’accéder au Royaume de Dieu - à sa présence - car, en réalité, il refuse de se laisser conduire et déterminer par Dieu : il sert, sans s’en rendre compte, un autre maître : Mammon. 

* Comme les disciples sont effrayés par cette radicalité des paroles de Jésus, le maître leur indique une autre éventualité de salut : « Aux hommes - dit-il - c’est impossible, mais pas à Dieu, car tout est possible à Dieu ». 

En d’autres termes, Dieu peut encore toucher le coeur des riches, et l’ouvrir au Royaume… à son règne d’amour, de justice et de paix. 

Même celui qui reste attaché à ses biens, peut un jour en être libéré, par une prise de conscience, par une expérience bouleversante. 

Il comprend alors qu’il y a d’autres valeurs plus essentielles dans l’existence … que le but de la vie n’est pas la richesse… mais l’accès à une forme de paix intérieure et de transcendance… l’accès au royaume de Dieu. 

Chacun peut comprendre que la vraie richesse se découvre dans l’ouverture à Dieu et aux autres… chacun peut découvrir la joie profonde de la confiance en Dieu… d’accepter de se laisser conduire, déterminer et façonner par Dieu, qui est Esprit et Amour. 

Chacun peut aussi découvrir la joie de partager des relations humaines épanouies avec les autres… et faire l’expérience d’une vie relationnelle riche et juste… ce qui est autrement plus satisfaisant pour son développement humain que de collectionner des possessions. 

* A ces paroles de Jésus sur la richesse, Pierre donne une réponse grandiloquente : « Eh bien! Dit-il, nous, nous avons tout laissé pour te suivre ».
A ceux qui ont ainsi tout quitté, tout abandonné, pour suivre Jésus et proclamer partout l’Evangile, la Bonne Nouvelle de l’amour de Dieu, Jésus promet que, dès ici-bas, ils le recouvreront au centuple… mais - précise-t-il - avec des persécutions. 

Cette précision semble indiquer que celui qui défend d’autres valeurs - les valeurs du règne de Dieu - face aux valeurs matérialistes de ce monde… celui qui défend plus de partage, de solidarité, de justice, risque de ne pas toujours être bien accueillis, dans le monde du « chacun pour soi ». Il risque même d’être la proie des moqueries, des quolibets, des citriques et même des persécutions. Car il devient une pierre d’achoppement dans le monde matérialiste : il devient le témoin « gêneur » et « lumineux » d’un autre sens de l’existence.  

Mais, en même temps, Jésus promet que celui qui a osé abandonner ses biens ou sa famille retrouvera tout cela au centuple… à commencer par une nouvelle famille : des frères, des soeurs, des mères, des enfants au sein de la communauté de ceux qui sont « chercheurs du Royaume de Dieu »… au sein de la communauté chrétienne. 

Ailleurs, dans l’évangile - nous l’avons aussi entendu (cf. Mc 3) - Jésus définit cette nouvelle famille qui nous est offerte comme étant la famille des enfants de Dieu : celles et ceux qui font la volonté de Dieu : ceux-là sont mes frères et mes soeurs - disait Jésus. 

* Pour conclure, que peut-on retenir de cette méditation ?

En premier lieu… l’Evangile vient nous interroger sur nos valeurs et nos attachements : Dans un monde marqué par l’économie, l’argent, la recherche du profit… c’est une parole dérangeante. 
A l’encontre des discours qui nous appellent à un bonheur par plus de consommation, d’avoir ou de pouvoir… Jésus nous invite à oser le détachement et la sobriété… Il nous assure que le détachement est source de liberté et de bonheur (le bonheur de se découvrir en vérité et en communion avec Dieu). 

Jésus associe ce lâcher-prise à une forme de confiance et de liberté… à la quête de Dieu, du règne de Dieu, de sa présence et de sa justice… et à l’accès à la vie véritable, la vie en plénitude, qu’il appelle la vie éternelle. 

Deuxièmement, il me semble que Jésus - en nous indiquant la possibilité de prendre du recul par rapport aux richesses - nous ouvre un chemin à la fois de reconnaissance et d’authenticité. 

Pour goûter avec reconnaissance ce que Dieu nous offre dans cette vie, il nous faut parfois prendre du recul par rapport à nos soucis et aux richesses. Celui qui est crispé sur ses soucis ou ses possessions n’est plus à même de jouir de la vie et de partager la joie de vivre avec d’autres. 

Par ailleurs, celui qui place sa valeur personnelle dans ses possessions trouvent qu’il n’en a jamais assez. Jamais il ne sera satisfait… jamais il ne sera reconnu comme il aurait besoin de l’être. 
Au contraire, celui qui mène sa vie professionnelle et familiale sans s’attacher à ses biens matériels verra souvent qu’il en a bien assez pour être heureux et que sans cesse de nouvelles joies lui sont dispensées. 

C’est en ce sens que Jésus nous enseigne à laisser derrière nous tout ce qui nous empêche de le suivre : que ce soit notre richesse (comme le jeune homme riche) ou notre réussite, mais aussi nos échecs, nos erreurs, notre culpabilité, notre passé… ou bien autre chose : tout ce qui peut nous limiter, réduire notre vie ou son potentiel. 

Le Christ nous invite ainsi à faire l’expérience d’une liberté intérieure par le détachement. 

Il faut avoir fait l’expérience de cette liberté intérieure, pour comprendre où il veut nous conduire, vers le Royaume de Dieu, un espace où l’être humain découvre sa véritable nature, son vrai Soi en communion avec Dieu … un espace où Dieu lui-même lui donne sa forme et l’emplit d’une paix profonde. 

Ce chemin du détachement, est un chemin vers Soi, vers Dieu et vers les autres. 

Osons faire confiance au Christ… osons le lâcher-prise… pour nous ouvrir à la présence de Dieu et à l’amour du prochain. 


Amen. 

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