dimanche 25 septembre 2011

Gn 1,1 - 2,4

Gn 1,1 – 2,4
Lectures : Pr 12,18 (texte ci-dessous) ; Gn 1,1 – 2,4
Thématique : Redécouvrir notre vocation – L’être humain créé à l’image de Dieu… pour advenir à sa ressemblance.
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 25/09/11
(inspiré d’un ouvrage d’André Wenin, D’adam à Abraham ou les errances de l’humain)

Lecture de Proverbe 12,18  (ci-dessous)

« Les paroles des bavards blessent comme des coups d’épée, tandis que le langage des sages est comme un baume qui guérit ».

Lecture de Gn 1,1 – 2,4 : dans la Bible


Prédication sur Gn 1,1 – 2,4

Comment aborder ce récit de la création, ce premier texte – bien connu – du livre de la Genèse ?

En premier lieu, je crois qu’il est important de pas confondre : un mythe, une fable et une légende.
Le récit de la création est un mythe : un mythe des origines… un poème des commencements.

Selon le théologien Paul Tillich, le mythe est le langage même de la foi. Il ne pas faut l’éliminer, ni le prendre à la lettre, mais l’interpréter en opérant une dé-littéralisation, afin de le recevoir dans sa forme symbolique, comme le symbole universel de la situation humaine, et comme l’expression symbolique d’une préoccupation ultime.

Précisément, le mythe n’est pas une fable ou une histoire légendaire. Le mythe est avant tout le langage des origines. C’est un récit des commencements destiné à dire un commencement qui n’a pas de commencement, à exprimer une origine dont on ne sait rien, qui est toujours dépassée, et à laquelle on ne peut jamais revenir.

Le mythe parle d’un événement fondateur – non pas de manière chronologique, pour dire : « il était une fois… » dans le passé – mais comme ce qui est « toujours déjà là », pour dire ce qui a été, ce qui est, et ce qui advient « depuis toujours ».
Autrement dit, le mythe tente de nous dire ce qui a depuis toujours commencé, ce qu’il en est depuis que l’homme est un être humain, un être en relation, un être de langage.

Il est important de ne pas envisager le mythe de façon chronologique, comme si nous avions perdu quelque chose, comme si nous devions revenir en arrière. Mais de lire le mythe comme ce qui décrit notre situation, comme ce qui est déjà là et qui, d’une certaine manière, précède et marque l’entrée de chaque être humain dans l’existence.

Dans le livre de la Genèse, le mythe de la création est relié au mythe de la chute, afin que nous entendions le récit des commencements, comme un mythe brisé, comme que ce qui nous fonde et nous échappe à la fois, comme ce qui nous constitue et dont nous sommes en même temps séparés.
Cette tension nous inscrit dans la réalité qui est la nôtre, comme des être humains, à la fois marqués par l’image de Dieu et par la séparation d’avec lui, des être humains marqués par l’incomplétude, le manque et le désir.

En d’autres termes, le mythe nous offre un cadre pour interpréter notre situation dans l’existence ; il nous offre de prendre du recul, pour discerner ce qui est constitutif de l’humain, ce qui appartient à sa vocation, mais aussi pour voir les dangers qui nous guettent.

Parce que le mythe nous propose de mettre en dialogue notre propre récit – notre histoire personnelle – avec le récit biblique, il nous invite à une ouverture de sens, à une réflexion, et à un déplacement.

J’en viens à présent à notre lecture d’aujourd’hui.
Je ne vais évidemment pas reprendre ici tous les éléments de ce premier récit de la création que nous avons entendu. Mais je m’arrêterai sur deux points :

- Le premier point concerne l’action créatrice de Dieu.

Il est intéressant de noter que la présence de Dieu habite ce récit de bout en bout.
Dieu est partout présent. Mais il reste en même temps en retrait, invisible et caché derrière les paroles qu’il prononce et l’action qu’il réalise.
Inconnaissable en lui-même, Dieu est reconnu à travers la bonté de sa création [Ps 19,2 ; Rm 1, 19-20], qui émerge par l’action de sa Parole : une parole performative, une parole qui fait ce qu’elle dit [Ps 33,9], une parole puissante et efficace.

Le début du récit [v.1] évoque le moment où Dieu entreprend la création de l’univers.
Cette création apparaît d’emblée comme une entrée dans le temps [« quand Dieu commença à créer les cieux et la terre »], comme un processus qui se déploie dans la durée.

Précisément, l’acte créateur de Dieu est présenté comme processus de transformation d’une « matière première » [v.2] – un chaos inhabitable et une immense masse d’eau abyssale – que Dieu va scinder et progressivement ordonner, aménager et peupler.

La création est ici décrite comme une victoire sur le chaosun acte de salut en quelque sorte.
Un acte par lequel Dieu surmonte le non-être du tohu-bohu – qui évoque l’image d’une ville dévastée, inhabitable, inhospitalière [Es 24,10], l’image d’un désert lugubre où règne la mort [Dt 32,10], pour y faire surgir la lumière et la vie.
L’agir de Dieu est ainsi compris comme « fondement » et comme « principe » créateur.
Dieu, qui est l’être-même, le fondement créateur de l’être et du temps, est la puissance d’être qui surmonte le non-être, pour mener a bien sa création [son telos créateur].

La Parole créatrice de Dieu [v.3] est présentée par le narrateur comme le prolongement de son souffle puissant [v.2] : Le vent, le souffle, l’Esprit de Dieu, qui agite les eaux abyssales de l’océan primordial plongées dans les ténèbres, se fait Parole.
Une parole créatrice qui donne son origine, sa puissance d’être, et son sens à tout être [Rm 11,36], et qui – pour créer – appelle à la vie, distingue, sépare, nomme.

Une lecture attentive du récit montre – de manière surprenante –
qu’une des actions principales attribuées à Dieu est de distinguer et de séparer :
Le Créateur sépare la lumière de la ténèbre, coupe les eaux en deux par la voûte, isole la terre des mers, distingue les végétaux en catégories, les animaux en groupes et en espèces, etc.
Le fait de distinguer, de séparer, est une caractéristique permanente de l’action créatrice de Dieu, et permet d’instaurer les choses et les êtres dans leur altérité, afin que chaque chose, chaque être distinct, ait sa place, son espace, et puisse être en relation l’un avec l’autre, dans un juste rapport avec l’ensemble, pour que le monde créé soit qualifié de « très bon » [v. 31].

Cette distinction... qui s'oppose à la confusion... qui pose et reconnaît chacun à sa place... est instituée par la parole.
Ceci montre l’importance de la parole dans ce récit – comme dans notre vie d’ailleurs – car en nommant chaque réalité dans sa différence, la parole pose des limites, et permet d’inscrire chaque être dans un réseau de relations où il trouve sa place, son utilité, sa fécondité.

Ainsi, la « voix off » du récit nous rappelle que si l’homme apparaît comme le sommet de la création, et qu’il reçoit une mission de gouvernance particulière, notamment sur les animaux [v. 26.28], l’homme n’est pas pour autant tout-puissant : il demeure une créature, à la fois distinctes et en relation avec les autres, une créature qui se reçoit d’un ailleurs, une créature qui n’est pas auto-fondée, mais dépendante de Dieu, son fondement créateur.

En d’autres termes, ce que ce récit de la création nous propose ici, c’est une interprétation théologique des paramètres invariables qui caractérisent tout être humain dans son rapport au monde : inscription dans le langage, origine insaisissable, altérité, limite et relations.

Il est aussi intéressant de voir la manière dont Dieu agit et maîtrise sa puissance dans ce premier récit de la Bible.
Lorsqu’il crée la lumière, Dieu ne supprime pas les ténèbres, mais il les inscrit dans une alternance temporelle « jour / nuit ».
De même, les eaux de l’océan primordial ne disparaissent pas non plus, mais sont contenues dans les mers, et intégrées dans l’espace que Dieu déclare « bon ».
Dans son acte créateur, en procédant à des séparations, et en ordonnant le temps et l’espace, Dieu ne détruit rien, pas même les éléments du chaos initial que l’on pourrait juger négatifs ou hostiles à la vie. Mais ces éléments chaotiques sont intégrés et surmontés par Dieu : ils se voient imposer une limite et trouvent finalement leur place dans le cadre harmonieux du monde créé.

La puissance divine apparaît donc comme une maîtrise qui s’exerce, non dans la destruction ou la violence, mais comme une puissance d’être qui surmonte le chaos indifférencié, comme une parole qui fait sortir de la confusion, distingue et appelle chaque chose et chaque créature dans sa différence et sa spécificité.

Un autre trait de la figure du Créateur nous est révélé dans ce récit.
C’est sa faculté de recul et d’émerveillement.
Comme un refrain, le texte nous dit, à la fin de chaque journée, que Dieu s’arrête, pour prendre du recul, regarder ce qu’il a fait, et le mettre à distance : « Et Dieu vit : que c’est bien ! » et même « très bien » [v.31].

Ce recul émerveillé – répété tout au long du récit – indique avec netteté que Dieu ne se contente pas de déployer sa puissance pour ordonner, transformer, donner la vie. Mais qu’il sait aussi suspendre son action pour regarder sa création et ses créatures avec bienveillance, pour permettre à sa création de prendre sa place, en la considérant d’un regard qui lui ouvre un espace où elle va pouvoir exister et s’épanouir.

Ce trait de la figure de Dieu est en quelque sorte consacré par le septième jour, qui est un jour différent, un jour mis à part, un jour « sanctifié » [Gn 2,3].
Le jour du « sabbat », Dieu ne donne pas d’ordre, il ne transforme rien, ne produit rien, mais il « achève » sa création [2,2].
Pour le narrateur, le repos sabbatique de Dieu correspond à l’achèvement de son œuvre.
Ce repos n’indique pas l’absence de Dieu, mais l’action par laquelle il se retire, pour faire place à sa création, et lui ouvrir un espace de vie, de liberté et de relations.
Autrement dit, ce récit biblique nous montre le paradoxe d’un Dieu qui, pour achever sa création, ne la fige pas dans une perfection stérile, mais prend le risque de ne pas tout remplir, et de laisser des points de suspension.

En agissant ainsi, Dieu manifeste son désir de ne pas monopoliser le contrôle de son œuvre, et prépare le terrain pour l’alliance : une alliance qui suppose des partenaires humains capables d’assumer leurs limites et leur liberté... et de s’ouvrir à la relation à l’Autre.

- J’en viens précisément au second point : l’être humain créé à l’image de Dieu

Ecoutons encore une fois un bref passage de ce récit, en portant notre attention sur trois mots : le pluriel « faisons » que Dieu utilise en s’adressant [en « nous »] aux humains, les mots « image » et « ressemblance ».

[v.26] Et Dieu dit : "Faisons humain en notre image, comme notre ressemblance, qu’ils maîtrisent le poisson de la mer et le volatile des cieux et le bétail et toute la terre, et tout rampant rampant sur la terre".

Ce verset nous montre que la parole de Dieu fait état d’un double projet : créer l’humain de sorte que le rapport entre Dieu et l’homme soit marqué à la fois par l’« image » et la « ressemblance ».

La suite du texte nous montre l’exécution du projet divin.
Mais – précisément – elle nous révèle un décalage entre le projet et son exécution :

Je cite : [v.27] Et Dieu créa l’humain en son image, en image de Dieu il le créa, mâle et femelle il les créa. [v.28] Et Dieu les bénit et Dieu leur dit : "Fructifiez et multipliez et emplissez la terre et soumettez-la et maîtrisez le poisson de la mer et le volatile des cieux et tout vivant rampant sur la terre".

Alors, quelles sont les différences entre le projet divin et sa réalisation ?

Le projet divin parlait d’« image » et de « ressemblance », mais le terme « ressemblance » n’apparaît plus dans l’exécution concrète du projet. Seul le mot « image » est repris et répété.
Où est donc passé la « ressemblance » ?

Par ailleurs, le narrateur parle de « mâle et femelle », c’est-à-dire de deux termes qui, loin de rapprocher les humains de Dieu, soulignent plutôt ce que les hommes ont en commun avec les animaux.

Enfin, un autre détail peut attirer notre attention : la création de l’humain n’est pas suivie, comme les autres, du refrain avec la formule habituelle : « Et Dieu vit : que c’est bien ! ».

Comment expliquer les particularités de ce passage ?

Les différences entre le projet et son exécution ont bien évidemment une signification. Je crois qu’elles veulent nous dire que l’œuvre créée est – à ce stade – encore inachevée.

En effet, tout se passe dans ce récit comme si l’être humain était mis dans une position médiane entre la divinité et l’animalité.
L’être humain porte en lui l’image de Dieu, mais cette image n’est pas encore ressemblante.
En même temps, l’humain est proche des animaux avec qui il partage une sexualité brute : « mâle et femelle ».

Autrement dit, l’humain est bien créé à l’image de Dieu, mais il ne lui ressemble pas encore, parce qu’il vit aussi une proximité avec l’animal.

En créant l’homme à son image [v.27] et en lui offrant sa bénédiction [v.28], Dieu réalise la part de la création qui lui revient, parce qu’il est le Créateur. Mais en s’adressant à l’homme – «  Faisons l’humain en notre image, comme notre ressemblance » – Dieu l’invite aussi à coopérer – par son « faire », par son action – à son œuvre de création, de manière à porter cette œuvre à son accomplissement, de manière à ce que cette « image » de Dieu – dont l’homme est le porteur – devienne véritablement « ressemblance », de manière à humaniser cette part de lui-même qui s’approche aussi de l’animal.

Voilà donc la vocation de l’humain : être à l’image de Dieu et à sa ressemblance.
Le premier terme de cette vocation (l’image) est donné par Dieu, mais le second terme (la ressemblance) constitue en quelque sorte la réponse que l’homme doit apporter à cet appel, à cette vocation fondamentale.

Alors, comment parvenir à cette « ressemblance » ?

Pour accomplir cette vocation d’humain, pleinement humain à la ressemblance de Dieu, le texte nous donne quelques pistes :

La 1ère piste porte sur le rapport de l’homme à la création, c’est-à-dire à la mission que Dieu assigne à l’homme.
L’être humain est chargé par Dieu de maîtriser la création qui lui est offerte.
En assignant à l’humanité cette tâche de dominer la terre et les animaux, Dieu lui demande implicitement d’agir comme lui, à son image, c’est-à-dire avec maîtrise et mesure ; et non dans la violence. Ceci afin que le règne animal puisse lui aussi fructifier et se multiplier, comme Dieu l’a ordonné [v.22].

La 2ème piste porte aussi sur la douce maîtrise de l’animalité. Mais le texte nous laisse entendre que cette animalité n’est pas seulement extérieur à l’humanité. Elle est aussi une partie intégrante de sa réalité individuelle et collective.

Dans le texte, en effet, de nombreux traits rapproche l’humanité… des animaux :
Les humains sont crées le même jour que les bêtes terrestres ; ils reçoivent la même bénédiction que les animaux du cinquième jour ; l’humanité est également sexuée [« mâle et femelle »] et multiple [« il les créa »] comme le règne animal.

Ces rapprochements ont eux aussi une signification. Je crois qu’ils nous permettent d’entendre l’injonction de Dieu – à la maîtrise pacifique du règne animal – comme une invitation à maîtriser aussi l’animalité intérieure à l’homme.

Au niveau individuel, cela signifie maîtriser et humaniser la part d’animalité liée à la sexualité et au désir. Car si elle n’est pas maîtrisée et ne consent pas à une juste limite, cette force vitale peut rapidement dégénérer en violence.
En elles-mêmes, ces forces vives sont des potentialités neutres ; elles ne sont ni bonnes, ni mauvaises, mais il s’agit de les mettre à profit, tout en en restant maître, afin qu’elles puissent déployer leur énergie pour faire « fructifier » la vie.

Au niveau collectif, la maîtrise de la part d’animalité qui est en l’homme implique de surmonter les relations de pouvoir et de domination souvent violentes que les être humains ou les peuples s’adjugent les uns sur les autres, de mettre fin au règne et à la surenchère de la violence, de dépasser les relations de concurrence fratricide, pour mettre à profit l’entraide et la solidarité entre humains, tous créés à l’image de Dieu.

Autrement dit, devenir humain (individuellement ou collectivement) – car il s'agit bien de le "devenir" – c’est apprendre à maîtriser peu à peu cette part d’animalité foisonnante et potentiellement violente intérieure à toute réalité humaine.
Faire advenir l’humanité de l’homme revient alors à devenir le « pasteur de sa propre animalité »[1], pour se conformer à l’image de Dieu, plutôt qu’à l’image de l’animal.

Enfin (pour conclure), le début du récit nous offre une 3ème piste pour accomplir notre vocation d’humain, en ressemblant à l’image du Créateur.
Il s’agit – à l’image de Dieu qui fait usage de maîtrise, en transformant son souffle de vie, son vent violent [v.2], en parole créatrice [v.3] – de faire usage – nous aussi – de notre parole, pour qu’elle soit une parole positive, une parole de vie, une parole d’ouverture et de bénédiction posée sur notre vie et sur celles des autres.

En effet, l’usage de la parole – qui est une spécificité de l’humain, créé à l’image de Dieu – n’est-elle pas le meilleur moyen pour l’homme d’apprendre à maîtriser les forces de son chaos intérieur ?
N’est-elle pas le meilleur moyen pour répondre à l’écoute, pour dépasser nos conflits intérieurs et extérieurs, et sortir de la violence, pour nourrir de véritables relations avec les autres ?

Voilà (en tout cas) le chemin que ce premier récit de la création nous propose pour achever notre humanisation, notre ressemblance à l’image de Dieu :
Faire usage de maîtrise, de responsabilité, de douceur et de paix dans notre rapport aux autres créatures et à nous-mêmes.
Faire un bon usage de notre énergie vitale, de notre dynamisme et de notre parole, pour qu’elle soit, pour nous-même, et pour les autres autour de nous, une parole créatrice, une parole humanisante, une parole de vie, qui surmonte tous nos chaos intérieurs.

C’est ce que nous rappelle aussi, à sa manière, le livre des Proverbes, dont nous avons entendu un extrait (Prov 12,18) :
« Les paroles des bavards blessent comme des coups d'épée, tandis que le langage des sages est comme un baume qui guérit ».

Chers amis, frères et sœurs, que nos paroles soient ainsi des paroles qui guérissent, qui apaisent, qui relèvent, qui fortifient, qui humanisent.
Que nos paroles et nos actes nous rendent chaque jour plus authentiquement humain, dans le respect de l’autre et de la création que le Créateur nous confie, comme un cadeau… un cadeau à accueillir, à partager et à transmettre.
Amen.                                                                                                                                     P.L.


[1] Selon une expression de P. Beauchamp (« Création et fondation de la loi », p.131).

dimanche 18 septembre 2011

Mt 25, 1-13

Mt 25, 1-13

Lectures bibliques : 1 Th 4, 13-18 (texte ci-dessous) ; [Rm 8, 24-25 (possible aussi)] ; Mt 25, 1-13
Volonté de Dieu : Mt 7, 7-12. 21. 24.
Thématique : Veiller… et s’engager. Récolter… et se laisser transformer par « l’huile »… qui nourrit et éclaire notre lampe.
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Marmande, le 18/09/11

1ère Lecture : 1 Th 4, 13-18 (texte ci-dessous) :

Je vous propose aujourd’hui deux lectures. La première se trouve dans la première épître de Paul aux Thessaloniciens, au chapitre 4, les versets 13 à 18.

Je vous rappelle, en quelques mots, le contexte de ce passage de la plus ancienne lettre de l’apôtre Paul, qui date vraisemblablement des années 50 de notre ère, soit environ 20 ans après la mort de Jésus :
Les premières communautés chrétiennes attendaient la venue imminente du Seigneur, son avènement, sa parousie, son retour, qui devait signaler la fin des temps.
Mais, au fur et à mesure de cette attente, certains commencent à s’interroger.
L’apôtre Paul écrit aux croyants de Thessalonique pour répondre au problème du retard de la venue du Seigneur et pour les réconforter dans l’espérance et la persévérance de cette attente qui dure plus longtemps que prévu.
Le passage que nous allons entendre traite de l’espérance de la résurrection et de cette venue du Seigneur, avec un langage imagé, un langage apocalyptique. On pourrait dire un langage symbolique (1Th 4, 13-18) :

« Nous ne voulons pas, frères, vous laisser dans l’ignorance au sujet des endormis [ c’est-à-dire des morts ] afin que vous ne soyez pas attristés comme les autres qui n’ont pas d’espérance.
Car si nous croyons que Jésus est mort et qu’il est ressuscité, de même aussi, ceux qui se sont endormis par Jésus, Dieu les emmènera avec lui.
Voici en effet ce que nous vous disons par une parole du Seigneur. Nous, les vivants, nous qui serons restés pour la parousie du Seigneur [ c’est-à-dire son avènement, sa venue ], nous ne devancerons pas ceux qui sont endormis.
Car le Seigneur lui-même au signal donné, à la voix de l’archange et au son de la trompette de Dieu, descendra du ciel, et les morts en Christ se relèveront d’abord [ c’est-à-dire ressusciteront ] ;
après quoi nous, les vivants, nous qui serons restés, ensemble avec eux nous serons emportés sur les nuées à la rencontre du Seigneur dans les airs. Ainsi nous serons toujours avec le Seigneur.
En conséquence, réconfortez-vous donc les uns les autres par ces paroles ».

Lecture de l’évangile (= dans la Bible) : Mt 25, 1-13.

Prédication sur Mt 25, 1-13

Étranges noces que cette parabole de l’évangile de Matthieu nous propose, pour nous inviter à veiller en attendant le retour du Seigneur :
Un mariage où l’épouse n’est pas représentée par une personne, mais symbolisée par dix jeunes filles ; un mariage où ce n’est pas l’épouse qui se fait désirer, mais l’époux qui arrive en retard, après une attente considérable, pendant laquelle toutes les jeunes filles se sont s’endormies ; un mariage sans témoin, qui advient en pleine nuit ; avec une salle de noce fermée à clef, et un marié qui refuse même l’entrée à une partie des jeunes filles de son Royaume.

Il y a là, dans ce récit étonnant, quelque chose qui peut provoquer l’incompréhension, et même la crainte ou l’effroi.
Comment comprendre le caractère irrévocable et solennel de la déclaration finale du Seigneur : « Amen, je vous le dis, je ne vous connais pas » ; « je ne veux rien avoir à faire avec vous » ?
Une telle déclaration semble assez mal cadrer avec l’ambiance festive d’un mariage de village.
À première vue, elle semble même être incompatible avec cette autre parole de Jésus qui vient clôturer son discours sur la montagne (Mt 7,8) : « Demandez, on vous donnera, cherchez, vous trouverez ; frappez, on vous ouvrira. En effet, quiconque demande reçoit, qui cherche trouve, à qui frappe on ouvrira ».
Comment parvenir à conjuguer ces deux paroles de Jésus, lorsque d’un côté, la porte demeure ouverte et de l’autre fermée ?

Une première réponse nous est donnée par le contexte, par la place de cette parabole dans l’Evangile de Matthieu. Cette parabole ne parle pas directement de notre existence présente dans laquelle il est possible de prier le Père, et même d’insister dans la prière, pour le louer ou pour solliciter son appui, lui demander son aide et son soutien, comme nous propose de le faire Jésus. Mais cette parabole fait référence – de manière symbolique – à un événement futur, à ce qui adviendra lors de la venue du Fils de l’homme, lors de son avènement final, c’est-à-dire à la fin de notre histoire.

Cependant, si Jésus parle ici d’eschatologie – c’est-à-dire des choses dernières – ce n’est pas sans raison. Ce n’est ni pour nous faire rêver, ni pour nous faire peur, mais pour nous appeler à agir dès aujourd’hui, dans le présent dans notre existence.
C’est ce que l’évangéliste Matthieu nous rappelle en conclusion de cette petite histoire : tant qu’il est encore temps, tant qu’il fait jour, « veillez » dans l’attente, soyez actif dans cette attente, et tenez-vous prêt, « car vous ne savez ni le jour, ni l’heure ».

Mais avant d’en arriver à cette conclusion, je vous propose de cheminer ensemble à travers cette parabole du Royaume à venir, qui nous réserve plus d’une surprise.

C’est à travers un ensemble de jeunes filles, constituées en deux groupes, que se dit la comparaison avec le Royaume des cieux.
Les points communs et les différences entre ces deux groupes nous permettront de discerner l’enseignement de cette parabole que l’évangéliste Matthieu est le seul à nous rapporter.

« Il en sera du Royaume des cieux comme de dix jeunes filles » : non pas 5 vierges avisées, mais bien 10 jeunes filles, comptant parmi elles aussi bien des vierges taxées d’« insensées », de « stupides », que d’autres qualifiées de « prudentes », de « sages ». Le Royaume des cieux sera donc comparable à un corps mixte, un ensemble mélangé représenté par ces 10 jeunes filles qui ont des attitudes différentes.

La première distinction apparaît dès le début de la parabole et permet précisément de qualifier les deux groupes. Ce qui les distingue : c’est l’huile que les vierges avisées emportent avec elles dans des vases, alors que les insensées, imprévoyantes, n’emportent que leurs lampes sans réserve d’huile.

Malgré cette différence d’huile, les 10 jeunes filles ont un point commun : Elles sortent toutes à la rencontre de l’époux.
Elles représentent la figure du croyant qui souhaite répondre à l’appel de Dieu, à sa proposition d’alliance. Toutes se préparent, attendent et espèrent sa présence. Par leur foi, elles font toutes parties du Royaume à venir.

L’époux : La figure de l’époux dans l’Ancien Testament (Es 54.4-5 ; 62,5 ; Jr 2,2 : Os 1-3) est associée à Dieu et l’épouse à Israël. Dans le Nouveau Testament, l’époux est une métaphore pour le Christ (2 Co 11,2 ; Ep 5, 23s ; Ap 19, 7s ; 21,2 s ; Mt 9,15). Mais ici l’épouse – qui pourrait être l’Eglise – n’est jamais mentionnée et tout laisse à penser que les 10 vierges la représentent corporativement, à moins qu’elles ne symbolisent plutôt la figure du croyant.

D’autres points communs associent les 10 jeunes filles :
Face au retard de l’époux, toutes les jeunes femmes finissent par s’assoupir et s’endormir.
L’endormissement des 10 vierges fait plutôt mauvais effet dans une parabole qui veut nous inviter à la vigilance active.
Alors, s’agit-il là d’un trait d’humour de la part de Matthieu ?
Personnellement, j’en doute. L’explication peut venir de la signification de cet endormissement durant la longue attente.
Comme dans la lettre de Paul aux Thessaloniciens, le langage de l’endormissement traduit simplement ici la mort des 10 jeunes filles.
Le fait que toutes les jeunes filles s’endorment dans la mort signifie que l’appel à vigilance s’applique au temps de la vie quotidienne, au temps présent de notre existence, qui précède la mort, l’endormissement inévitable.

En lisant, tout à l’heure, un passage de l’épître aux Thessaloniciens, je vous ai dit que les premières communautés chrétiennes vivaient dans l’espérance de la venue du Seigneur, malgré l’attente prolongée et le retard de son avènement.
À l’époque de Matthieu, peut-être quarante ans plus tard, on voit que le retard de venue du Seigneur a été intégré dans cette parabole, qui montre que l’époux tarde à arriver.

Aujourd’hui, 2000 ans plus tard, nous avons pris encore davantage de distance par rapport à ces descriptions de la venue du Seigneur, et nous savons que ce n’est pas le scénario, ni le langage apocalyptique qui comptent, mais la signification de cette espérance :
Nous vivons dans l’espérance chrétienne de la résurrection, c’est-à-dire d’une vie nouvelle qui nous offerte dès maintenant, et qui trouvera son accomplissement par-delà la mort dans la vie éternelle de Dieu.

Les 10 vierges se sont donc toutes endormies dans l’espérance de la résurrection et du retour du Seigneur.
Et voilà que la parabole, comme dans l’épître aux Thessaloniciens, nous fait entendre une voix, un grand cri. Un cri au milieu de la nuit, un cri de joie, un cri retentissant qui appelle à la fête et qui invite à la noce. Le signal appelle toutes les vierges à s’associer au banquet de noces, à devancer le marié pour enfin le voir face-à-face. Au son de la voix, toutes les jeunes filles se réveillent.
Ce réveil, c’est la Résurrection, c’est la vie malgré la mort, la vie par-delà la mort.

À ce stade de la parabole, toutes les jeunes filles – avisées ou insensées – sont associées au salut. Ce salut est universel ; il n’est pas fondé sur l’action des vierges, ni sur leurs mérites, mais il est offert par grâce, sans tenir compte des qualités permettant de distinguer les deux groupes de jeunes filles.
Ainsi, au son du cri de joie qui traverse la nuit et les réveille toutes, l’ensemble des 10 vierges ont part à la résurrection et au salut.

Mais si toutes les vierges ont part au Royaume, c’est ici que la parabole revient sur la distinction initiale entre les deux groupes de jeunes filles. Voilà qu’à leur réveil, au cœur de la nuit, les vierges sont invitées à apprêter leurs lampes. Et c’est seulement au moment de se préparer à l’arrivée de l’époux, pour fêter la noce avec lui, que les premières vierges s’aperçoivent qu’elles vont manquer d’huile pour que leur lampe puisse rester allumée, afin d’accueillir l’époux.

Réalisant leur manque de combustible, les vierges imprévoyantes en demandent aux jeunes filles avisées. Mais celles-ci essuient un refus.
Le refus des vierges prudentes peut les faire paraître antipathiques. Mais il ne faudrait pas s’arrêter ici sur l’aspect moral de leur réponse sans s’interroger sur la signification de ce refus. Celui-ci ne constitue pas une apologie de l’indifférence égoïste, mais il signifie qu’à l’heure de la fête avec le Seigneur, il n’est plus temps de chercher de l’huile. L’heure est à la noce et non au préparatif.
Au moment d’accueillir Celui qui vient, personne n’est plus en mesure de faire quoi que se soit pour les autres : chacun doit répondre de soi.

Malgré tout, la réponse des vierges avisées est étonnante : « Allez plutôt chez les marchands et achetez-en pour vous » - rétorquent-elles. Mais comment trouver des magasins ouverts en pleine nuit ?
Et quels pourraient être ces magasins d’huile ?
La parabole ne le précise pas.
Elle fait simplement apparaître la conséquence de l’imprévoyance de jeunes filles insensées.
Du fait de leur manque d’huile et de leur départ tardif pour aller en acheter, elles vont rater l’arrivée de l’époux.
Il est en réalité trop tard pour s’enquérir de l’huile à la dernière minute, lorsqu’il fait nuit.
Il faut se préparer lorsqu’il fait jour, lorsqu’il est encore temps.

Alors en nous parlant du futur, cette parabole nous renvoie nous-mêmes au présent de notre existence.
Le temps du « jour » file si vite, et nous remettons tant de choses au lendemain, sans savoir s’il sera habillé de jour ou de nuit.
N’y a-t-il pas des moments dans notre existence où nous passons « à côté » de notre vie, « à côté » de tout ce qui nous rend véritablement vivant, de ce qui est vraiment essentiel dans la vie ?
Des rencontres ratées, parce qu’on a pas osé, ni pris le temps d’aller voir untel, à qui on aurait pourtant tant de choses importantes à dire ? Des questions qui nous pèsent, des mots d’amour, de paix, de pardon ou de réconciliation qu’on remet toujours au lendemain. Les moments où l’on préfère différer le temps du dialogue, par peur de la confrontation, par facilité ou par lâcheté.
Et tous les engagements qui ont du sens, qu’on pourrait prendre en Eglise ou en milieu associatif, et qui nous permettrait d’habiter pleinement le temps présent dans la rencontre de notre prochain, mais qu’on remet toujours à une date ultérieure, faute de temps.
En courant après des préoccupations souvent provisoires, ne ratons-nous pas parfois des occasions de nous laisser transformer par nos relations et nos rencontres avec les autres ?
Ne ratons-nous pas des occasions de mettre de l’huile dans les rouages de la vie, pour que notre vie ait la saveur de la vie, et pour transmettre autour de nous le goût de la vie ?
À force de remettre à plus tard tout ce qui est important, mais qui n’est pas vraiment urgent, ne finirons-nous pas, nous aussi, comme les jeunes filles insensées, par être à sec et manquer d’huile ?

Dans la parabole, c’est précisément ce manque d’huile qui leur fait rater le moment favorable (le kairos) de l’arrivée et de la rencontre personnelle avec le Seigneur. Au moment où les jeunes filles insensées reviennent, plus tard, et sans doute sans huile, car comment en aurait-elle trouvé au beau milieu de la nuit, elles essuient à nouveau un refus, mais cette fois-ci de la part du Seigneur.

Si elles ont donc part au Royaume des cieux, la porte de la salle des noces, c’est-à-dire de l’intimité, de la communion avec le Seigneur demeure close.
Elles ne se sont pas préparées à vivre cette proximité à temps. 

Dès lors, la conclusion de la parabole prend toute sa portée : « veiller donc, car vous ne savez ni le jour, ni l’heure ».
« Veiller » : ce n’est rien d’autre ici que de se préparer à la rencontre avec le Seigneur lorsqu’il fait encore jour ; ce n’est rien d’autre que de faire des provisions d’huile pour garder sa lampe allumée lorsque adviendra le jour du Seigneur, « comme un voleur dans la nuit » (1Th 5,2)

Comme Jésus l’avait rappelé à la fin de son discours sur la montagne  (Mt 7,21-23) et comme il le rappelle à nouveau ici dans cette parabole, il ne suffit pas de dire « Seigneur, Seigneur » pour vivre cette communion avec lui, mais encore faut-il faire la volonté du Père, mettre sa Parole en pratique, c’est-à-dire finalement habiter l’attente de cette rencontre, en répondant à sa confiance, à son amour, à sa promesse de venir à notre rencontre même au cœur de la nuit.

Alors, comment s’y préparer ? Comment être prêt ?
La parabole des 10 jeunes filles ne le précise pas, mais la parabole suivante : celle des talents, que vous connaissez sans doute, nous donne la réponse :

- « Être prêt », ce n’est pas attendre passivement, mais agir, en s’engageant, en mettant à profit les « talents » que le « maître » nous a confié, afin de produire des fruits, pour faire de l’huile.
- Faire fructifier ses talents, ce n’est rien d’autre que de faire fructifier l’amour de Dieu qui nous précède, l’amour que Dieu lui-même a mis en notre cœur pour le faire rayonner autour de nous.
- « Etre prêt » ne consiste pas à garder son casier judiciaire vierge, à jouer la sécurité et ne rien faire, à l’image de celui qui n’a pas su faire fructifier son seul talent, à cause de sa peur.
- « Être prêt » consiste à oser la confiance, à s’investir dans un service actif, responsable et fidèle pour habiter pleinement le temps présent avec la force de la foi et le courage que Dieu renouvelle en nous jour après jour.
- « Être prêt », c’est vivre dans l’espérance de la rencontre avec le Seigneur, en s’inscrivant chaque jour dans la confiance qui nous rend libre : libre de devenir serviteur, libre de nous laisser construire par Dieu, libre de faire rayonner son amour jour après jour.

Alors, comment savoir si nous sommes ou non suffisamment préparés ?
Précisément, nous ne pouvons pas le savoir, et sans doute n’avons nous pas à le savoir, mais nous pouvons mettre notre confiance dans la seule grâce de Dieu, dans cette grâce inouïe, cette grâce imméritée, qui accueille et accepte l’homme tel qu’il est, bien qu’il ne soit pas parfait et qu’il soit même inacceptable. 

Par ailleurs, je crois qu’il faut aussi oser interroger l’alternative radicale et sans doute trop manichéenne que présente l’évangéliste Matthieu, dans cette parabole, comme un bon pédagogue qui veut nous rendre attentif à la nécessité de veiller. 

Dans la parabole, le Royaume des cieux est comparé aux 10 vierges, pour signifier que la frontière entre les deux types de vierges passe, en réalité, au milieu de chacun d’entre nous.
Il y a vraisemblablement, à la fois, de la sagesse et de la folie en chacun de nous.

Dans l’évangile selon Jean, Jésus déclare : « Tous ceux que le Père me donne viendront à moi, et celui qui vient à moi, je ne le rejetterai pas » (Jn 6, 37). Ce n’est donc certainement pas une personne humaine tout entière que le Seigneur met à la porte, selon cette parabole.

Dans le Royaume à venir, ce qui entrera dans l’intimité de la salle de noces, pour partager la communion avec le Seigneur, dans la mémoire éternelle de Dieu, c’est cette partie de notre personne marquée par l’huile, par la lumière que nous faisons rayonner autour de nous, lorsque nous vivons à l’image de Dieu, par ces instants d’éternité que nous partageons, lorsque nous vivons notre vocation d’enfant de Dieu.

Précisément, cette parabole nous rappelle que l’identité de l’humain, sa vocation spirituelle, c’est de faire briller la lumière ; cette lumière que nous recevons de Dieu.

Ce qui restera à la porte, c’est cette part de folie, de superficialité et d’orgueil humain qui est aussi en chacun de nous.

Alors cet « amen, je ne vous connais pas » résonne finalement comme un cri d’amour qui s’adresse à notre mauvais côté, pour l’inviter à la  conversion ; un cri d’amour qui veut aussi garder, protéger et développer notre meilleur part.

Alors, frères et sœurs, en définitive, quels enseignements pouvons-nous tirer de cette parabole ?

-       À nous qui serions parfois tenté de vouloir tout maîtriser, cette parabole nous rappelle, en premier lieu, notre condition de finitude. Nous ne sommes pas maître du calendrier qui s’impose à nous et à nos proches.

-       À nous qui voudrions entrer, par-delà le temps, dans la salle de noces, Jésus nous invite d’abord à entrer dès aujourd’hui dans l’alliance avec le Père, dans cette alliance qui féconde notre existence, afin de nous laisser transformer par l’amour de Dieu qui rend libre, et de le faire rayonner autour de nous, dans nos engagements et nos responsabilités, au quotidien.

-       À nous qui pensons parfois, dans l’illumination soudaine de la foi reçue comme un don, que tout est alors réglé dans la vie, comme par magie, Jésus nous rappelle que la foi, qui est don et accueil de la grâce de Dieu, est aussi réponse de l’homme à Dieu. La foi reçue comme un don reste à accepter, à apprendre, à accueillir et à ancrer en nous, dans la patience et la persévérance, dans la vigilance et la fidélité, dans l’écoute de la Parole et sa mise en pratique. Voilà l’huile précieuse qu’il faut goutte-à-goutte récolter, filtrer, transformer, pour qu’elle puisse à la fois nourrir notre intériorité, alimenter notre lampe, et être appliquée comme un baume salutaire qui guérit nos blessures.
Il nous est rappelé la joie de cette marche dans la foi, mais aussi son exigence : la longue durée des veilles dans nos vies, et la réalité des épreuves à traverser dans la foi, mais aussi l’endurance et l’espérance.

-       À nous, enfin, qui nous imaginons parfois qu’il n’y aurait plus rien à faire une fois les lampes de la vigilance préparées et les réserves de la persévérance remplies, Jésus nous annonce que vient parfois, de manière inattendue, le temps du choix, le temps décisif à ne pas laisser passer, le temps de l’occasion à saisir, le temps de l’engagement ou du renouvellement de l’engagement, mais aussi le temps de la fidélité et du service dans la durée.

Cette parabole, qui nous parle du futur, valorise finalement le temps présent où tout se joue. Même si l’essentiel ne se joue pas dans l’instantanéité, mais dans la qualité du temps à habiter dans la durée, dans la fidélité.

Frères et sœurs, le temps de l’attente n’est pas seulement l’attente d’un autre temps, mais la quête de ce qui est éternel et de ce qui nous est offert de vivre dès aujourd’hui, dans le temps présent.
À nous de recueillir délicatement les gouttes d’huile qui nous sont offertes, pour les transformer en instant d’éternité avec Dieu et notre prochain.

Amen.
P.L. 

dimanche 11 septembre 2011

Mt 13, 44-46

Mt 13, 44-46

Lectures bibliques : Mt 5, 3 ; Mt 7, 7-8 ; Mt 6, 19-21 ; Mt 13, 44-46  / Culte avec baptême
Thématique : être chercheur … en quête de Dieu et du royaume
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 11/09/11

« Cherchez, vous trouverez » !

Chers amis, frères et sœurs,

Sommes-nous des chercheurs ? … des chercheurs qui cherchent en profondeur le fondement, le sens, le socle de notre existence ? Sommes-nous des chercheurs à la recherche de notre propre profondeur, à la recherche du roc sur lequel fonder notre existence, à la recherche de Dieu ?

Voilà que l’évangile ce matin nous invite à être des chercheurs, des explorateurs, des quêteurs…en quête de nous-même, en quête de notre véritable humanité en relation avec Dieu, en quête de Dieu, en quête du royaume.

« Cherchez, vous trouverez » ! nous dit Jésus (Mt 7,7).

Précisément, l’évangile nous appelle à ne pas chercher uniquement des trésors sur la terre, des trésors périssables, soumis à l’épreuve du temps et aux aléas… aux mites, aux vers, à la rouille ou aux voleurs. Mais à chercher et à amasser des trésors dans le ciel, des trésors qui durent, des trésors pérennes, qui apportent profondeur et sens à notre existence, qui lui donne une orientation, une direction.

L’évangile nous appelle à orienter notre vie … notre quête… en direction de l’ultime, du vrai trésor… et non simplement vers des réalités provisoires, éphémères, secondaires ou accessoires…
« où est ton trésor, là aussi sera ton cœur » (Mt 6,21).

Sortir et dépasser ses préoccupations préliminaires… pour s’orienter et concentrer sa quête vers une préoccupation ultime… c’est ce que fait cet homme dans la parabole du trésor ou dans celle de la perle.

La parabole de la perle ne nous dit pas grand chose de l’homme en question : c’est un marchand… mais elle précise l’essentiel, à savoir que c’est un chercheur… un homme qui se met en marche en quête de perles fines.

L’autre homme qui travaille dans un champ est aussi d’une certaine manière un chercheur.
La parabole ne nous dit pas si l’homme cherchait vraiment quelque chose dans ce champ ou s’il a trouvé un trésor … un peu par hasard… à force de labourer la terre sur laquelle il travaille. Peut-être est-il un chercheur qui s’ignore, un chercheur chanceux, qui a fait une trouvaille extraordinaire.

Mais quoi qu’il en soit, il reconnaît immédiatement la valeur de sa découverte. Tout comme le marchand qui a trouvé la perle de grand prix, l’homme qui découvre le trésor en reconnaît immédiatement l’importance et la valeur, et, l’un comme l’autre mettent alors tout en vente pour l’acheter.

L’évangile nous fait sentir ici l’importance de la trouvaille, et la radicalité de l’acte qui s’ensuit :
Pas de demi-mesure, mais lorsque le trésor véritable est découvert, les deux hommes mettent tout en œuvre pour faire aboutir leur quête, pour contempler ce trésor ultime… quitte à se dépouiller de tout le reste, quitte à renoncer à toutes les autres choses.

La rupture, la vente de tout ce qui apparaît finalement accessoire, comparé au trésor authentique, à la véritable perle, l’abandon de tout le reste – de tout ce qui ne constituait en définitive qu’un intérêt provisoire – ne sont pas ressentis ici comme une perte ou un sacrifice destiné à acquérir ce plus grand bien. Mais c’est la « joie » qui domine (Mt 13, 44) : joie de la trouvaille devant la reconnaissance de la valeur inestimable de la découverte, devant le gain que représente le trésor infiniment précieux, découvert dans la grâce d’un instant béni, et immédiatement reconnu pour sa valeur sans pareille.

Dans ces paraboles, le royaume des cieux n’est donc pas comparé au trésor caché, ni à une perle de grand prix, mais à un homme qui a découvert un trésor et qui va au bout sa démarche pour l’acquérir, ou à un marchand en quête d’une perle extraordinaire et qui fait de même devant la découverte de sa précieuse trouvaille.

Autrement dit, le royaume des cieux est comparé à une quête, à une aventure humaine… à l’élan, à la dynamique du chercheur, au cheminement du marchand qui a force de quête … d’effort et de travail … de persévérance et d’espérance… a trouvé son véritable trésor… ce qui compte vraiment pour lui… ce qui est précieux à ses yeux et qui donne sens à sa vie.
Parce que cette perle ou ce trésor ultimes ne sont pas comme les autres, ils valent la peine d’être cherché et ils procurent une véritable joie quand on les trouve.

Le royaume des cieux est donc comparé à une quête. Et cette quête n’est pas la recherche d’un trésor comme les autres, de quelque chose de commun, mais de quelque chose d’incomparable, qui a une valeur infinie et ultime, quelque chose qui relativise finalement tous les autres trésor et toutes les autres perles, quelque chose qui est plus important, plus essentiel, plus vital que tout le reste, quelque chose qui transforme la vie de ceux qui la cherchent et finissent par la trouver.

L’évangile ne nous dit pas ce qu’est ce trésor, mais nous invite à le découvrir, et, avant tout, à le chercher, à participer à cette quête du royaume des cieux.

En d’autres termes, l’évangile nous appelle à être des chercheurs… des chercheurs de Dieu et de son royaume.

A ce titre, je trouve que la parabole de l’homme qui a découvert le trésor caché est pleine d’humour :
Dans cette histoire que nous raconte Jésus, il nous est dit que l’homme a trouvé un trésor caché dans un champ, que cet homme – qui n’est sans doute pas propriétaire, mais qui est un laboureur qui travaille sur une terre qui ne lui appartient pas – est obligé de le cacher à nouveau – sans doute pour ne pas éveiller l’attention du propriétaire – et de vendre tout ce qu’il a, afin de pouvoir acheter ce champ et contempler ce trésor incomparable.
Autrement dit, une fois qu’il aura acquis cette terre, l’homme va être obligé de chercher une seconde fois le trésor qu’il a découvert et qu’il a lui-même dû enfouir et cacher à nouveau. Ce qui fait de lui doublement un chercheur… qui n’a cesse de labourer son champ pour y trouver ce trésor.

On voit ici l’insistance de Jésus pour nous dire que le royaume des cieux est finalement comparé à un chercheur… un chercheur patient qui déploie constance et ténacité pour faire aboutir sa quête.

Alors, comment être un chercheur ?

Je crois que la première béatitude que nous avons entendue nous donne une réponse.

Pour être un chercheur, et être en capacité d’accueillir le royaume, il faut déjà reconnaître sa pauvreté, son manque.

« Heureux les pauvres de cœur : le royaume des cieux est à eux » (Mt 5,3).

Celui qui est plein de lui-même, plein d’autosuffisance, d’arrogance, ou qui a un égo démesuré, n’est pas en état de se comprendre comme un chercheur ; il n’y a plus de place en lui-même pour une quête de l’Autre, une quête de la relation à l’Autre, une quête du sens ultime de sa vie, une quête du royaume.

Le chercheur – au contraire – c’est celui qui reconnaît – consciemment ou inconsciemment – avoir perdu Dieu, la vérité et le sens de la vie... ou qui se trouve en un point quelconque sur le chemin de cette perte.

En effet, Dieu et la grâce de Dieu ne sont pas réservés à ceux qui l’ont trouvé, qui ressentent sa présence ou qui affirment avoir la foi. 

Dieu est autant présent sur mon chemin de chercheur, dans mon doute et mon incrédulité, que dans mes moments de lucidité et de foi.

Lorsque je désespère sur le sens de mon existence, que je suis envahi par un sentiment d’incompréhension, de colère, de révolte ou par le sentiment d’absurdité de la vie, je dois savoir que, malgré tout, en dépit de tout, Dieu est encore là, que je ne suis pas séparé de lui.
C’est ce que nous révèle le langage des psaumes ou le livre de Job.

La justification par grâce, par le moyen de la foi – qui est un pilier de la foi protestante – veut dire que les mérites et les bonnes œuvres ne justifient pas le pêcheur, mais que seule la grâce de Dieu le justifie.

La doctrine de la justification par grâce, par le moyen de la foi – que l’apôtre Paul ou que le Réformateur Luther ont soutenue – veut dire que Dieu nous accepte, nous justifie et nous sauve par grâce, tels que nous sommes, sans condition, qu’il s’agit là de l’initiative première de Dieu, et que nous recevons cette grâce par le canal de la foi, que nous acceptons d’être aimés et acceptés par Dieu même si nous sommes pécheurs et indignes, et que nous recevons et répondons à cette acceptation par le moyen de foi.

Ce n’est donc pas nos bonnes œuvres, nos actes ou nos mérites qui nous justifient, mais la seule grâce de Dieu, à laquelle nous répondons dans la foi.

Il en est de même de celui qui a trouvé Dieu et de celui qui le cherche :
Celui qui prétend avoir trouvé Dieu n’est pas plus justifié que celui qui affirme être en recherche, car dès lors, par cette prétention, il risquerait de mettre en avant son propre mérite : avoir trouvé Dieu, alors que c’est Dieu qui l’a d’abord trouvé et justifié, et que celui qui a trouvé Dieu n’a fait que répondre à l’appel de Dieu.

Ainsi, celui qui met trop en avant sa foi court le risque de ne plus être un chercheur en quête de Dieu, mais un croyant qui se satisfait de lui-même, et de sa réponse à la grâce première de Dieu.

Le chercheur n’est pas moins justifié par Dieu que celui qui lui a répondu dans la foi.
Mais le chercheur est celui qui doit encore reconnaître et accepter le trésor que sont l’amour et la grâce de Dieu ; il doit encore accepter que Dieu lui offre cet amour gratuitement, sans condition.

En réalité, je crois que la parabole de la perle – qui montre que c’est le même marchand qui cherche et qui trouve – nous révèle que nous sommes chacun, à la fois, des chercheurs et des "trouveurs", et que le véritable chercheur comme le véritable "trouveur" ont un point commun :

Pour être un "trouveur", il faut d’abord être… et il faut rester … un chercheur.

Être un chercheur, c’est être en quête de Dieu, de la réponse de Dieu à nos questions. Et Dieu ne peut me répondre et me rejoindre – en tout cas, je ne peux entendre sa réponse – que là où je pose déjà la question, là où il y a un trou, une absence, un manque, un espace vide.

Si je n’ai pas de question, et que je suis plein de moi-même, le centre de moi-même et de mon monde – autrement dit, si je suis comme dieu… si j’ai pris la place de Dieu… comme le propose le serpent à Eve, dans le récit de la Genèse (Gn 2,5)  – en quoi Dieu peut-il m’apporter une réponse, si je ne lui pose pas de question, si je ne suis pas moi-même en question, si je ne me reconnais pas moi-même comme une question adressée à Dieu.

La réponse de Dieu ne peut être perçue que dans la mesure où je reconnais ma pauvreté, mon manque, mon incomplétude, ma dépendance radicale vis-à-vis de Dieu, là où je pose la question, là où je laisse un espace vide.
C’est cet espace vide que le chercheur désigne comme un creux, un manque, et qu’il cherche en réalité non a bouché, par un dieu bouche trou, mais à creuser, pour creuser le désir de Dieu.

C’est ce que fait, d’une certaine manière, l’homme de la parabole du trésor lorsqu’il cache à nouveau le trésor qu’il a découvert dans le champ :
Il sait, dans le secret, que le trésor est là, et il est déjà dans la joie, dans le désir de devoir creuser à nouveau son champ pour le retrouver. Finalement sa situation l’oblige à vivre et à creuser son désir.

Si nous cherchons Dieu, la relation à Dieu, la relation à l’Autre, c’est que nous ressentons l’incomplétude de l’existence – une existence séparée de Dieu, une existence où nous ne parvenons pas à vivre en communion avec Dieu, une existence où nous avons du mal à vivre sereinement toutes nos relations avec les autres.

Si nous sommes des chercheurs – plus ou moins conscient de notre quête du royaume – c’est que nous vivons dans le manque, que nous sommes dans le désir de vivre pleinement et authentiquement notre humanité, que nous voulons vivre notre vocation d’enfant de Dieu.

Chercher Dieu, chercher à vivre cette vocation d’enfant de Dieu, chercher d’abord le royaume (Mt 6,33), c’est être en quête de lien avec notre fondement créateur, c’est être en quête de ce qui donne sens et profondeur à notre existence.

A nous de mettre en adéquation notre trésor et notre cœur… à nous de chercher ce qui a du prix… à nous de chercher la vraie perle fine… celle qui a plus de prix pour notre existence que toutes les autres perles.

Chers amis, frères et sœurs, la parole que nous avons entendu le jour de notre baptême… et qui nous a été redite aujourd’hui à travers le baptême d’Emily … c’est que Dieu nous a trouvé, c’est que l’amour de Dieu nous précède et nous accueille éternellement.

Dieu nous a trouvé….mais nous… le cherchons-nous ?
Sommes nous encore et toujours des chercheurs, sommes-nous en quête du royaume ?

Amen.                                                                                                                             
   P.L.

dimanche 4 septembre 2011

Mt 20, 1-16

Mt 20, 1-16

Lectures bibliques : (Ps 146, 5-10) ; Dt 24, 14-15 ; Mt 19,30 - 20,16
Thématique : La justice du Royaume est inséparable de la bonté et de l’amour. Dieu nous embauche pour être ses ouvriers.
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Marmande, le 04/09/11
(Largement inspiré d’une prédication de Jean Pierre Nizet)


« Le Royaume des cieux est semblable à un maître de maison… »

Le propre d’une parabole est de dérouter, de déconcerter. Elle organise une rencontre, elle crée un choc du langage, elle opère des retournements.

Le mot « Parabole » vient de l’hébreu mashal qui signifie : comparaison, similitude.
Ce mot a été traduit en grec par parabolè.
Dans la littérature rabbinique, la comparaison sert la trame d’un récit, dont on pourra tirer une morale.

Cette forme d’enseignement typiquement juive consiste à établir une comparaison à l’aide d’une histoire banale, d’une chronique de la vie ordinaire, empruntée à la vie des champs ou aux habitudes de la ville.

Mais voilà qu’au milieu de l’histoire, l’inattendu survient, créant la surprise : quelqu’un ne réagit pas comme on aurait pu s’y attendre ; l’histoire ne se termine pas comme elle aurait dû.

C’est précisément dans cet inattendu que se cache l’enseignement, le sel de l’histoire. Alors, chercher la surprise, c’est trouver le sens de la parabole.

Jésus hérite de cette forme de langage et comme les rabbis en Israël, il sera conteur de paraboles. On dénombre 43 paraboles différentes dans les évangiles synoptiques. Cette forme d’enseignement est un trait spécifique de la prédication de Jésus, qui est le seul à parler en parabole dans tout le Nouveau Testament.

Alors, si on s’interroge sur l’effet produit par ce type de discours, on comprend pourquoi cette forme de communication indirecte a été choisie par Jésus.
En effet, la parabole n’est pas un discours dogmatique, elle n’assène pas de vérités. Elle nous permet plutôt de cheminer : elle ouvre sur une écoute créatrice, elle invite à creuser un questionnement qu’elle suscite en nous, afin de nous proposer une nouvelle compréhension de Dieu, de nous-mêmes, de notre rapport au monde et aux autres.

En cheminant dans ce récit, soyons donc attentifs à tous les détails et ne perdons pas de vue ce maître de maison.
C’est vers lui que nous porterons particulièrement notre attention, car c’est en lui que se dit la comparaison avec le royaume des cieux.

(Verset 1) « Le royaume des cieux est comparable à un maître de maison ». Ce maître sort de bon matin, et dès cet instant, son mode d’existence consiste à être en mouvement et à mettre chacun en mouvement.
Il se lève, il sort, il envoie des ouvriers. Puis, il sort à nouveau et dit à d’autres ouvriers : « allez vous aussi dans la vigne ». Enfin, il sort encore à trois reprises et trouve d’autres ouvriers. Il leur dit encore : « vous aussi allez dans la vigne ».
Il cherche, il va, il vient, et trouve du personnel.
Le début de la parabole nous montre que le royaume n’est pas celui du repos ou de l’inertie, mais qu’il est, au contraire, une dynamique, un travail, une marche vers autrui.

(Verset 2) Précisément, si l’homme sort de la maison, ce n’est pas sans raison, mais c’est pour répondre à un projet : celui de rencontrer des ouvriers et d’embaucher du personnel.
Lorsqu’il rencontre les premiers ouvriers, il se met d’accord avec eux sur le montant du salaire journalier. Le prix n’est pas imposé, mais négocié d’un commun accord. Il correspond d’après les commentateurs à une bonne paye en ce temps-là.
Et cela mérite d’être souligné, car le pays, du temps de Jésus, traversait une grave crise économique. Le peuple des ouvriers de campagne s’était multiplié. Il s’agissait la plupart du temps d’anciens petits propriétaires ruinés, des déracinés que les malheurs de ce temps avaient jetés sur les chemins. Des hommes qu’il aurait été finalement facile d’exploiter.

(Versets  3 et 4) A la troisième heure – c’est-à-dire à 9h00 du matin –
l’homme voit d’autres ouvriers inactifs se tenant là sur la place. Le vocabulaire grec laisse entendre que ces inactifs ne sont pas oisifs à cause de leur négligence. Ce ne sont pas des mous, des nonchalants, mais des privés d’emploi [ce que dit le mot grec argous], qui se tiennent là sur la place, comme amputés par le fait de ne pas travailler.
À ceux-là, l’homme ne promet rien de précis, mais « ce qui est juste ». Ici, pas de nouvelle négociation, mais une promesse qui ouvre sur une relation de confiance.

Un petit détail peut déjà éveiller notre attention : Le maître n’envoie plus de nouveaux ouvriers dans sa vigne, mais dans la vigne. Ce léger glissement nous fait entendre que la vigne – à partir du moment où des ouvriers la travaillent – devient un bien collectif ; elle ne peut plus être le bien d’un seul. Et cela est dit dans la bouche même de celui qui possédait la vigne.

(Versets 5-7) Autour de la sixième heure – vers midi – et la neuvième heure – vers 15h00 – l’homme sort à nouveau et fait ce qu’il fait depuis l’aube : il embauche encore des ouvriers. À de telles heures de la journée, les embauches paraissent déjà inhabituelles, et même anormales. Mais voilà qu’autour de la onzième heure – vers 17h00 – il trouve d’autres ouvriers.
« Pourquoi êtes-vous restés là inactifs tout ce jour ? » demande-il. « Parce que personne ne nous a embauchés ». « Personne ne nous a demandés, ni cherchés ». Autrement dit, « Personne n’a besoin de nous ».
À ces laissés pour compte, ces hommes négligés [c’est un autre sens du mot grec argoi], l’homme répond « allez vous aussi dans la vigne ».

C’est là – je crois – la 1ère surprise de cette parabole : le maître de maison embauche encore à la fin de la journée. Il est finalement plus attentif aux ouvriers qu’à la vigne.
Quelle que soit l’heure, il n’est jamais trop tard : chacun est appelé au service.

Face à l’attente, à l’inactivité de ces laissés pour compte, le maître est dans une logique de la surabondance.
Contrairement à un bon chef d’entreprise, rationaliste et économe, il ne remet pas l’embauche au lendemain. Il dit pas, dans une optique de rentabilité : « venez demain matin, vous travaillerez toute la journée ! »
Mais, de façon surprenante, il appelle dans le présent tous ceux qu’il rencontre et il les embauche à toute heure de la journée, jusqu’à la dernière heure, quel que soit le temps qui reste à travailler dans la vigne.
Un tel maître, qui a le souci des hommes et de leur vie, ne ressemble évidemment à aucun autre : C’est au Royaume des cieux qu’il ressemble – nous dit Jésus. 

(Versets 8-9-10) Puis, le soir arrive. Moment singulier où le maître de maison devient, dans le texte, le Seigneur [kurios] de la vigne et où apparaît un autre personnage : l’intendant, chargé d’exécuter les décisions.
Le retour du Seigneur de la vigne signale le temps de l’eschaton, des choses dernières, où l’on remet le salaire [mistos] à chacun.
La parabole a ici une visée apocalyptique, au sens où les choses se dévoilent. C’est la signification du mot « apocalypse » qui veut dire « révélation ».

Le soir est venu : temps paradoxal où l’on commence à rebours, des derniers jusqu’aux premiers ; et tous reçoivent un denier.

C’est là la 2nde surprise que nous offre la parabole : Derniers ou premiers, tous sont payés de même.

(Versets 11-12) Alors, les premiers, qui avaient imaginé recevoir davantage, murmurent contre le maître de maison.
« Le geste du patron est ressenti comme une anomalie scandaleuse, un acte contraire aux usages, que rien ne laissait prévoir »[1] : c’est un geste qui brise la proportionnalité entre récompense et œuvre accomplie.

La parabole nous fait ainsi entendre que les premiers ouvriers ne reconnaissent pas en l’homme [le kurios] le Seigneur.
Ils murmurent… Ces murmures sont bien connus de l’évangile, c’est à chaque fois la protestation instinctive de l’homme privilégié, de l’homme prétendu juste (Luc 5,30), contre la grâce accordée à ceux qui n’ont rien.

Les hommes de la lignée de Caïn – épris de jalousie – sont dans l’impossibilité de se décentrer, de se réjouir pour l’autre.
Mais pourquoi le regard favorable que Dieu porte sur le frère est-il morsure pour moi ?
La grâce de Dieu n’est-elle pas assez abondante pour tous ?
Pourquoi me faut-il réagir comme le frère aîné du fils prodigue, bloqué par mon orgueil et mon mérite, sans pouvoir me réjouir du bonheur de l’autre, de la grâce accordée à mon frère ?

À bien y regarder, quel est le problème des premiers ? d’où vient leur malaise ?
Le vrai malaise des premiers ouvriers ne tient pas au montant de la rémunération, mais il est psychologique. Ce n’est pas la disproportion du salaire, mais l’égalité du traitement qui en est la cause.
Ils ne veulent pas renoncer à être les premiers ; ils n’admettent pas que les autres puissent être traités de la même manière, et devenir ainsi leurs égaux :
« Tu les as fait égaux à nous – disent-ils – nous qui avons porté le poids du jour et la chaleur » (v.12). 

Mais les autres, n’ont-ils pas porté, eux aussi, à leur manière, le poids du jour ? 
En effet, la parabole ne nous dit pas que ces derniers sont restés chez eux à ne rien faire, mais elle nous fait entendre qu’ils sont restés là, sur la place, à attendre le jour entier, sans doute figés dans la peur de ne pas être en mesure de pouvoir nourrir les leurs.

Dans la balance de notre petite justice et de nos intérêts personnels, nous avons vite fait de mettre en avant notre propre mérite, et de retirer le poids autrement porté par les autres, comme si le sort de ceux qui ont vécu dans l’attente et le désespoir était finalement plus enviable que la situation de ceux qui ont travaillé tout le jour.

Or l’enjeu de cette parabole est de nous faire regarder en direction des derniers ouvriers : ici, pas de provocation brutale, mais un renversement et une invitation à penser ce renversement.

Au moment de recevoir leur salaire, les ouvriers découvrent qu’aux yeux du Seigneur de la vigne, leur valeur ne dépend pas uniquement de ce qu’ils font, mais, avant tout, de ce qu’ils sont.
Chacun est reconnu et apprécié inconditionnellement, par grâce, bien au-delà de son seul rendement.

Alors que le comportement du Seigneur de la vigne interroge la correspondance habituelle mérite-salaire, alors qu’il remet en cause la règle du « donnant-donnant », l’idée d’une justice rétributive : trop limitée, trop comparative, trop humaine, il nous invite à changer nos représentations pour nous ouvrir à la générosité et à la bonté du maître de maison.

Ici, la justice du Seigneur doit être relue à la lumière de sa bonté : elle n’est pas une justice comptable, une justice bien méritée.
Le maître a besoin d’ouvriers pour sa récolte ; chacun est appelé au service ; et ce qui est offert à l’un, n’enlève rien à l’autre.

(Versets 13-14) « Ami – répond le maître – je n’ai pas été injuste envers toi » : je ne te fais aucun tort. « Ne t’es-tu pas accordé avec moi pour un denier ? » : n’as-tu pas reçu ton dû, comme convenu ?

L’homme répond par une question, il le fait en s’adressant à l’un deux. Il s’adresse à un individu dans une relation personnelle. C’est la liberté de chacun qui est alors en jeu.
« Ami, si tu veux rester dans ta logique, tes calculs – qui ne sont pas les miens – emporte ton denier et va ».
Contrairement à ce qu’écrivent nos traductions, il n’est pas dit dans le texte grec « va-t-en », « éloigne-toi de moi », mais « va », qui est à entendre ici comme un « lève-toi et marche ».
Le propre du maître de maison est de mettre en mouvement, de déplacer les êtres et d’ouvrir les consciences :

(Versets 15-16) Si tu te tiens dans une logique de rétribution où tu considères avoir plus de droits que d’autres… si tu te tiens dans une logique de calculs de ce qui est à moi, de ce qui est à lui… si tu réduis le monde à ta propre personne, « ne m’est-il pas permis à moi de faire ce que je veux de mes biens ? »
« Ou alors ton œil est-il mauvais parce que je suis bon ? »

Le mauvais œil est une expression biblique connue, elle apparaît souvent dans les Proverbes et le Siracide pour désigner le mouvement de colère et de jalousie de l’homme tout entier.

Si ton œil est mauvais parce que je suis bon – dit le maître – alors, ainsi, de cette façon [outos] – n’oublions pas ici l’adverbe grec :
si tel est le cas, alors, les derniers seront les premiers et les premiers les derniers.
Comprenons ici : les derniers seront les premiers à goûter à la bonté infinie du Seigneur de la vigne.

Le dialogue final s’achève donc par une question laissée en suspens… une question qui s’adresse à chacun de nous :
pourquoi ne pas vivre dans la logique du royaume, dans la logique du don et non du mérite ? Pourquoi n’acceptez-vous pas ma miséricorde gratuite qui s’offre à tous ? N’est-elle pas la seule voie d’une justice qui reconnaît chacun ?

Par cette parabole, Jésus nous rappelle qu’une justice stricte, une justice bien respectée, ne peut finalement pas conduire au bonheur de tous, à une société fraternelle, parce qu’elle délaisse ceux qui ne sont pas en état de mériter ce dont ils ont besoin.
C’est en réalité la bonté, la compassion, la miséricorde qui s’en soucient, qui se préoccupent du nécessaire dont chacun a besoin ; et qui ne raisonnent pas uniquement en fonction du mérite.

Jésus bouscule, ici comme ailleurs, les principes de justice de son époque. Pour lui, il n’y a pas de loi, pas de justice, qui ne doivent être dépassées, heurtées, par l’humanité que nous devons à ceux qui ne trouvent personne pour les faire travailler dans la vigne.

Dans notre société, qui développe une culture de la rentabilité, du mérite et de l’évaluation, cette parabole du royaume ne peut que nous interroger.

Alors, frères et sœurs, le royaume des cieux est-il injuste ? Oui, profondément injuste si on se place sous l’angle de la rétribution, de la production, du mérite et de la rentabilité, si on se place sous l’angle de l’ancienneté.
Rappelons-nous d’ailleurs que, dans l’antiquité, l’ancienneté représente ce qui a de la valeur. Faut-il entendre ici la nécessité d’accueillir le royaume dans la Nouveauté ?

Dans le royaume de ce monde, qui est le nôtre, nous vivons une vie compartimentée : nous vivons en sous-ensemble, nous pensons par fragments et relations, nous ne thésaurisons que nos biens, nous ne recensons que nos proches.
Plutôt que de développer une vision d’ensemble, plutôt que d’envisager un corps social plus large, plus vaste, on classe, on découpe, on catégorise, on rationalise, et on finit par opposer ceux qui se lèvent tôt, aux autres, les inactifs, les resquilleurs, les profiteurs, les inutiles. Dans le royaume de ce monde, on opère des renversements tout aussi étonnants, où de victimes d’une situation collective, les chômeurs se retrouvent institués en coupables.

Dans le royaume des cieux, celui qui se lève tôt est un maître de justice. Il incarne la volonté de porter secours à tous, sans oublier le peuple des déclassés, des laissés pour compte, des derniers.
Ici, plus d’avantage, plus de prérogative, mais un accueil infini.
Ici, la pratique de l’amour peut scandaliser nos principes et nos règles de justice, mais la bonté et l’amour du prochain sont le fondement de la justice.

Alors, le royaume de ce monde pourra-t-il devenir un jour le royaume des cieux ? Beaucoup en doutent.
Demeure pour nous, qui désirons suivre le Christ, une parabole, une question :
qui aidera à porter le poids du jour de celles et ceux qui désespèrent de trouver un travail digne de ce nom, de celles et ceux qu’on licencie si facilement en ces temps de violence sociale, de celles et ceux qui hantent les places de nos villes, de celles et ceux qui attendent un signe de reconnaissance, un signe qui leur fera relever la tête et qui donnera sens à leur vie, en donnant vie à un sens ?            

Frères et sœurs, …ce matin comme tous les jours… Dieu nous embauche et nous appelle à sa vigne. Nous sommes ses ouvriers.
La grâce qui nous est offerte, ne se situe pas dans une récompense à venir, puisque le Dieu juste et bon ne tient pas compte de nos petits mérites personnels pour nous offrir ses dons.
La véritable grâce est celle de l’appel et de l’embauche : c’est qu’il ne nous abandonne pas à notre solitude et notre désespoir au bord du chemin ou sur la place publique, mais qu’il nous offre un contrat, une alliance, sa confiance.
La véritable grâce est celle de pouvoir œuvrer et travailler pour lui, pour son royaume.

Alors… Qu’il nous soit donné – à notre mesure – et avec la force de l’Esprit, le souffle de Dieu qui nous anime – d’être, autour de nous, les précurseurs de ce royaume où la justice est inséparable de l’amour.

Et dans les modestes parcelles de cette vaste vigne dont nous sommes appelés à être les ouvriers, là où nous sommes… Qu’il nous soit donné, à l’image de ce maître de maison, d’avoir le souci de chacun, de prendre des initiatives, de bousculer les habitudes, de dépasser les vieux principes, pour aller chercher ceux qui font du sur-place et patinent sous le poids du jour. 

Amen.  

P.L.



[1] D. MARGUERAT, « La récompense promise », p.454. (Le jugement dans l’évangile de Mathieu, 1981)