dimanche 25 décembre 2011

Mt 1, 1-25

Mt 1, 1-25
Lectures bibliques : Mt 1, 1-3 […] 16-25 ; 2 Co 3,17 ; Ga 4, 1-7 ; Rm 8, 14-16.
Thématique : notre identité véritable (de fils ou de fille de Dieu) est à la fois déjà là et en devenir. Elle n’est pas à conquérir, mais à recevoir… en accueillant l’Esprit… qui forme le Christ en nous.

Prédication = voir plus bas, après les lectures

Lectures

- Mt 1, 1-3 […] 16-25

1Livre des origines de Jésus Christ, fils de David, fils d'Abraham :
2Abraham engendra Isaac,
Isaac engendra Jacob,
Jacob engendra Juda et ses frères,
3Juda engendra Pharès et Zara, de Thamar,
Pharès engendra Esrom,
Esrom engendra Aram,
[…] etc.
16Jacob engendra Joseph, l'époux de Marie,
de laquelle est né Jésus, que l'on appelle Christ.
17Le nombre total des générations est donc : quatorze d'Abraham à David, quatorze de David à la déportation de Babylone, quatorze de la déportation de Babylone au Christ.

18Voici quelle fut l'origine de Jésus Christ. Marie, sa mère, était accordée en mariage à Joseph ; or, avant qu'ils aient habité ensemble, elle se trouva enceinte par le fait de l'Esprit Saint. 19Joseph, son époux, qui était un homme juste et ne voulait pas la diffamer publiquement, résolut de la répudier secrètement. 20Il avait formé ce projet, et voici que l'ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit : « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse : ce qui a été engendré en elle vient de l'Esprit Saint, 21et elle enfantera un fils auquel tu donneras le nom de Jésus, car c'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. » 22Tout cela arriva pour que s'accomplisse ce que le Seigneur avait dit par le prophète : 23Voici que la vierge concevra et enfantera un fils auquel on donnera le nom d'Emmanuel, ce qui se traduit : « Dieu avec nous ».24A son réveil, Joseph fit ce que l'ange du Seigneur lui avait prescrit : il prit chez lui son épouse, 25mais il ne la connut pas jusqu'à ce qu'elle eût enfanté un fils, auquel il donna le nom de Jésus.

- 2 Co 3, 17

Le Seigneur est l'Esprit, et là où est l'Esprit du Seigneur, là est la liberté.

- Ga 4, 1-7

1Telle est donc ma pensée : aussi longtemps que l'héritier est un enfant, il ne diffère en rien d'un esclave, lui qui est maître de tout ; 2mais il est soumis à des tuteurs et à des régisseurs jusqu'à la date fixée par son père. 3Et nous, de même, quand nous étions des enfants soumis aux éléments du monde, nous étions esclaves. 4Mais, quand est venu l'accomplissement du temps, Dieu a envoyé son Fils, né d'une femme et assujetti à la loi, 5pour payer la libération de ceux qui sont assujettis à la loi, pour qu'il nous soit donné d'être fils adoptifs. 6Fils, vous l'êtes bien : Dieu a envoyé dans nos cœurs l'Esprit de son Fils, qui crie : Abba — Père ! 7Tu n'es donc plus esclave, mais fils ; et, comme fils, tu es aussi héritier : c'est l'œuvre de Dieu.

- Rm 8, 14-16

14En effet, ceux-là sont fils de Dieu qui sont conduits par l'Esprit de Dieu : 15vous n'avez pas reçu un esprit qui vous rende esclaves et vous ramène à la peur, mais un Esprit qui fait de vous des fils adoptifs et par lequel nous crions : Abba, Père. 16Cet Esprit lui-même atteste à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu.


Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 25/12/11

Qu’est-ce que les textes bibliques que nous venons d’entendre disent de l’identité de Jésus et que disent-ils de notre identité d’homme ou de femme du 21ème siècle ?

Au delà des aspects surnaturels ou légendaires de ce récit qui peuvent sans doute nous questionner, je crois qu’il est surtout intéressant de nous interroger sur l’intention profonde de l’évangéliste Matthieu dans le 1er chapitre de son livre.

A quelles questions Matthieu veut-il répondre ?
Sans doute à plusieurs… Il me semble possible d’en formuler quelques-unes :
De qui Jésus est-il le Fils ?
D’où vient Jésus ?
Quelle est son identité ?

A toutes ces questions, l’évangéliste apporte une réponse en emboîtant différents éléments, comme pour reconstituer le puzzle qui nous livrerait l’identité de Jésus.

Ce travail d’assemblage, c’est aussi celui que nous faisons pour nous mêmes, lorsque des changements importants traversent notre vie, et nous obligent à déconstruire et à reconstruire le puzzle de notre identité, pour emboîter les morceaux autrement, pour trouver de nouvelles imbrications possibles.

Alors, voyons – à travers Jésus – quels sont pour Matthieu les éléments constitutifs de l’identité de l’homme :

- Tout d’abord, Matthieu nous dit que la venue de Jésus s’inscrit dans une histoire.
Cette histoire est celle du peuple juif. Elle est marquée par une promesse et une espérance.
  • Jésus est « fils d’Abraham » (Mt 1,1). Comme chaque juif, il est héritier des promesses de Dieu faites à ses pères.
  • Jésus est aussi « Fils de David » (Mt 1,1). C’est à la descendance de David qu’a été promis le royaume. Le titre de « Fils de David » est implicitement messianique. Il inscrit Jésus dans une lignée nourrit d’une espérance : celle de voir émerger un messie qui concrétisera le royaume de Dieu dans l’histoire des hommes. Et c’est précisément ce que Jésus fera… en manifestant le Royaume de Dieu autour de lui (Lc 17,21) … non pas à la manière des hommes… mais en s’inscrivant dans le plan de Dieu.
Qu’en est-il de nous aujourd’hui ?
Notre histoire s’inscrit-elle dans une promesse ?
Et si oui, quelle est cette promesse ? Quel est son objet ?

L’apôtre Paul répond à cette question. Il révèle aux Galates – et à nous encore aujourd’hui – que nous sommes aussi héritiers d’une promesse.
Par la foi, nous sommes fils ou fille d’Abraham (Ga 3). Puisque nous sommes croyants, nous sommes aussi au bénéfice de cette promesse.
L’objet de cette promesse : c’est L’Esprit (Ga 3, 14)… l’Esprit saint que Dieu envoie dans nos cœurs (Ga 4, 6) et que nous recevons par la foi (Ga 3, 14). C’est cet Esprit qui fait de nous des enfants de Dieu, des fils adoptifs (Ga 4, 5 ; Rm 8, 15).

- Ensuite, l’évangéliste Matthieu nous livre une longue généalogie. Cette longue liste est intéressante sur plusieurs plans. D’une part, parce qu’elle livre des noms très divers : des hommes comme Abraham, connus pour leur confiance en Dieu, et des rois descendants de Salomon, qui n’ont pas tous été des justes, et qui ont même fait souffrir leur peuple. D’autre part, parce que cette généalogie mentionne 4 femmes. Non pas les 4 mères d’Israël : Sarah, Rébecca, Léa et Rachel, mais 4 femmes : Tamar, Rahab, Ruth et Bethsabée (la femme d’Urie), qui sont loin d’avoir été irréprochables, puisque l’une ou l’autre a été prostituée ou adultère. Il y a donc là, dans cette liste d’ancêtres, une grande diversité humaine, où se côtoie le juste et l’injuste, le fidèle et l’infidèle.

Deux raisons peuvent expliquer pourquoi Matthieu mentionne ces 4 femmes :

La première, c’est qu’il veut montrer qu’aucune imperfection morale ou religieuse n’est un obstacle à la venue de la nouveauté, à la venue du Christ dans l’histoire.
Et si tel est le cas pour Jésus, c’est également vrai pour nous-mêmes.
Comme pour Jésus, l’histoire des générations qui nous ont précédées est peut-être aussi faite d’un mélange du meilleur et du pire. Mais nous ne sommes pas prisonnier de ce passé. Quelque chose de neuf peut surgir dans notre vie… quelque chose de bon peut advenir… quels que soient les tumultes de notre passé… proche ou lointain.

La seconde raison – plus probable – c’est que la mention de ces 4 femmes étrangères permet de suggérer que les non juifs, les gentils, sont partie intégrante de l’histoire d’Israël, de cette histoire qui a donné au monde un messie. Par conséquent, ce messie (ce Christ) est destiné à tous les hommes.

- Enfin, Matthieu nous parle de plusieurs éléments susceptibles de définir l’origine de Jésus. Ce sont ces différents niveaux réunis et conjoints qui constituent l’identité de Jésus, reconnu comme étant le Christ :

Le premier point est au passé (v.20) et tous les autres sont au futur (v.21-23), puisque l’objet de ce récit n’est pas de présenter la naissance de Jésus, mais de dire sa conception, son « origine ». Il s’agit de révéler – avant même la naissance de cet enfant – qui il sera, quelle est son identité véritable.

  • Le 1er point concerne l’identité fondamentale de Jésus, son identité « spirituelle ».
« Ce qui a été engendré en elle [en Marie] est d’Esprit saint » (Mt 1, 20). Matthieu veut nous livrer ici le point originel de l’identité de Jésus. En désignant « l’Esprit Saint », il nous révèle une origine imprenable, une origine inaccessible, une origine inatteignable, puisqu’elle vient du Créateur, elle s’enracine en Dieu lui-même… qui est Esprit (Jn 4, 24).
Ce que Matthieu formule ici n’est pas le résultat d’une enquête historique, mais s’apparente à une affirmation de foi.
Cette confession de foi, c’est que Jésus est le Christ, le porteur de l’Esprit, le fils de Dieu.

Cette conviction s’enracine dans celle des communautés chrétiennes de la génération précédente.
Déjà, pour l’apôtre Paul, le Seigneur c’est l’Esprit (2 Co 3, 17). Cette affirmation résulte d’une expérience de foi, d’une apparition du Ressuscité (1 Co 15, 8).
Si, pour Paul, la résurrection a révélé que Jésus était bien le fils de Dieu (Rm 1,4), c’est, selon l’évangéliste Matthieu, qu’il était déjà le porteur de l’Esprit durant son existence, son ministère, au moment de son baptême (Mt 3, 16-17 [Marc commence ici : Mc 1, 10-11]), et même dès sa naissance. Matthieu en conclut que Jésus – avant même sa naissance – a été engendré d’Esprit saint.

  • Le deuxième point révèle l’identité biologique ou génétique de Jésus. Il est un homme, le fils d’une jeune femme : Marie… la mère qui va l’enfanter, le porter, l’attendre avant même qu’il vienne, et lui donner naissance (Mt 1, 21.23).

  • Le troisième point nous livre l’identité filiale de Jésus, à travers la figure de Joseph, le personnage sur lequel débouche la longue généalogie récapitulée par Matthieu.
« Tu lui donneras le nom … » (v.21) : Il s’agit là du rôle qui est offert au père, qui évidemment n’a pas porté l’enfant, mais qui doit le recevoir, l’accepter, lui donner un nom, le reconnaître, l’adopter, l’inscrire dans une filiation, lui ouvrir son foyer, pour lui offrir son amour, sa protection, une éducation, lui transmettre des repères éthiques, psychologiques, culturels et religieux.

Souvent, dans l’Ancien Testament, le nom désigne l’identité ou le rôle attribué à un homme dans le dessein de Dieu. Par le nom de « Jésus » (v.21) : Yeshua, qui veut dire « le Seigneur sauve », Matthieu précise que cet enfant sera celui qui va libérer son peuple, pour restaurer la relation… le rapport entre l’homme et Dieu.

  • Enfin, le dernier point concerne l’identité « sociale » de Jésus, ou plutôt son identité « relationnelle » ou « communautaire ». Il s’agit de l’image qu’auront de lui ses disciples, la manière dont ils le reconnaîtront. Et puisque Matthieu est un disciple du Christ, il révèle ici, dès le début de l’évangile, l’identité que son groupe – son église et lui-même – a donné à Jésus, en l’identifiant comme l’« Emmanuel » (v.23) : qui signifie « Dieu avec nous », « Dieu parmi nous », « Dieu au milieu de nous ».
C’est là – bien sûr – ce que confesseront plus tard les premiers chrétiens, au terme de l’existence historique de Jésus : en Jésus le Christ, Dieu se manifeste… il se révèle dans l’humain à l’humanité… il habite au milieu de nous.

Par Jésus, l’homme réalise ainsi concrètement que Dieu est présent dans l’humanité en son essence. C’est la raison pour laquelle Jésus est appelé « le nouvel Adam » [Paul] ou « l’être nouveau » [Tillich], dans la mesure où il accomplit pleinement cette humanité en communion avec Dieu, cette humanité fécondée par l’Esprit, qui lui donne toute sa dimension.

Ce qui est frappant dans ce 1er chapitre de l’évangile de Matthieu, c’est cette cohérence entre l’identité « personnelle » de Jésus, son identité fondamentale, le « lieu » où il s’enracine : en Dieu qui est Esprit … et son identité « sociale », l’identité dans laquelle il est reconnu par ses disciples, comme « Emmanuel », comme manifestation de la présence de Dieu, c’est-à-dire comme le porteur de l’Esprit.

Or, nous savons que ce que Matthieu pose ici comme une conviction, comme quelque chose d’a priori… cela n’a pas du tout coulé de source… cela n’a pas du tout été une évidence pour tous ceux qui ont croisé Jésus et qui ont été bousculés par lui.
Bien sûr, les évangiles nous révèlent que Jésus a été, durant son existence, un homme en parfaite communion avec Dieu : une personnalité unique, aussi bien par l’intensité de sa foi, que par la totale cohérence entre ses paroles et ses actes, par la force de son enseignement, que par la puissance de ses guérisons. Mais cela n’a pas empêché les autorités religieuses qu’il remettait en cause d’obtenir sa condamnation à mort. Cela n’a pas empêché, non plus, certains de ceux qui le suivaient, de le renier, de l’abandonner, ou de douter de son identité après sa mort.
Comme dit l’apôtre Paul, l’homme, dans sa prétendue sagesse, n’a pas reconnu l’envoyé de Dieu, puisqu’il l’a crucifié (1 Co 1, 18-25).
Ce n’est, en réalité, qu’a posteriori, après sa résurrection, que toute l’histoire de cet homme a pu être relue, à la lumière de Pâques.

Alors, la question que l’on peut se poser, est la suivante : comment Jésus a-t-il fait pour être reconnu pour ce qu’il est véritablement ? comment a-t-il fait pour vivre une telle cohérence entre ce qu’il était et ce qu’il faisait… entre qui il était et l’image qu’il donnait de lui-même ?

Pourquoi – de notre côté – ne parvenons-nous pas à vivre la même cohérence dans notre existence ? Pourquoi ne parvenons-nous pas à faire correspondre ce que nous sommes – ou ce que nous pensons être – avec l’image que nous avons de nous-mêmes, ou avec celle que nous voulons donner aux autres ?

La question qui est posée là, en creux, c’est la question de ce qui fait notre identité, et de ce que nous donnons à voir aux autres de cette identité.

Qui suis-je véritablement ? Est-ce que je sais qui je suis ?

Cette question de l’identité est complexe, car, comme ce récit nous le montre à travers Jésus, il y a plusieurs niveaux interdépendants qui s’entremêlent dans ce qui constitue notre identité.

Même si je ne voulais retenir que 2 niveaux, pour rendre ici les choses plus claires, nous voyons bien qu’il faudrait mettre en perspective :
-   d’une part, notre identité fondamentale, imprenable : notre identité d’enfant de Dieu,
-   avec, d’autre part, l’identité que nous construisons peu à peu, tout au long de notre vie, dans la relation aux autres et à nous-mêmes.

Comment notre identité… cette identité en devenir…peut-elle se construire en cohérence avec notre identité véritable, notre identité d’enfant de Dieu ?

A chaque fois que nous traversons des évènements importants dans la vie, des joies ou des épreuves – comme, par exemple, une rencontre qui va bouleverser notre existence, la foi, notre futur(e) conjoint(e), une personne qui va compter pour nous, une réussite, ou, au contraire, un deuil, une maladie, un échec : des évènements qui viennent modifier le cours de notre vie et interroger l’image que nous avons de nous-mêmes – nous opérons un travail de déconstruction et de reconstruction de notre identité.
Il y a une élaboration… une construction de l’identité qui suppose un travail permanent… un travail sans cesse à renouveler, selon ce qui nous arrive à tel ou tel moment de notre existence.
Ce travail consiste à trouver de nouvelles imbrications possibles pour nous-mêmes, pour accepter les changements que nous choisissons ou les limites qui désormais s’imposent à nous, pour accepter que les choses se défassent, se dénouent, pour se reconstruire autrement.

Le but de ce travail que nous faisons – plus ou moins consciemment – c’est de faire correspondre le possible de soi-même, le champ des potentialités qui s’offrent à nous (avec certaines limites), avec une représentation cohérente de soi, tenant compte de la réalité nouvelle qui traverse notre vie… et qui vient soit élargir, soit restreindre, le champ des possibles.

Or, bien souvent, nous nous épuisons dans ce travail, car l’image que nous avons de nous mêmes ou celle que nous voulons donner à voir aux autres, à tel ou tel instant, ou suite à tel ou tel événement, ne correspond jamais complètement avec ce que nous sommes en dernière instance, ou ce que nous pouvons être (dans le champ de notre potentialité d’être), et parce que tout cela évolue, au fil des évènements qui se présentent à nous.
Je pense notamment à ce qui se joue dans la maladie, et à ce travail de l’identité qu’elle impose à celui qu’elle vient toucher et limiter.

La question qui se pose dans ce travail de l’identité (qui consiste à construire ou reconstruire une représentation de soi même en adéquation avec ce que nous pensons être ou ce que nous voyons de nous-mêmes), c’est précisément que nous ne pouvons pas opérer pleinement ce travail par nous-mêmes, par nos propres capacités, car un être humain ne peut jamais se réduire aux images qu’il offre lui-même aux autres, car ce que « je suis » fondamentalement est toujours en surcroît – au delà – de ce que je sais de moi-même et de ce que les autres savent de moi.

Alors, plutôt que de s’épuiser dans ce travail de l’identité qui consisterait à construire soi-même son identité, pourquoi ne pas accepter de faire comme Jésus, c’est-à-dire de recevoir son identité d’un Autre ?

Plutôt que de vouloir construire son identité, pourquoi ne pas simplement accepter de la recevoir ?… accepter que notre être véritable – cet être créé à l’image de Dieu – nous soit donné par un Autre et construit par Lui ?

En d’autres termes, lorsque je m’interroge sur ce qui fait mon identité, et l’image que j’ai de moi-même, puis-je accepter que quelque chose de moi-même m’échappe ? que « mon être », ce qui fait ce que « je suis », soit inscrit comme un inconnu, un trou, un espace, comme ce qui manque dans le champ des représentations, dans la capacité que j’ai d’imaginer les choses ou de me le représenter ?

Si tel est le cas – et si cet espace inconnu qui constitue « mon être » est ouvert à une altérité, à quelque chose que je peux recevoir d’ailleurs – est-ce que le champ des possibles qui s’offre à moi, n’est pas alors plus large, plus ouvert, plus fécond ?

Au contraire, si tel n’est pas le cas, et si je confonds mon être avec une image de moi-même, fixée, immobile, est-ce que je ne risque pas de tout perdre, lorsqu’un jour un événement viendra abîmer cette image ou la briser ?

C’est précisément parce qu’il existe un espace inconnu en nous-mêmes, un espace libre, un espace « autre », que nous pouvons toujours inventer ou réinventer des figures de nous-mêmes, tout en sachant qu’elles ne se confondent pas avec ce que nous sommes ultimement, en dernière instance.

C’est là – je crois – le cadeau qui nous est offert à Noël et que Jésus Christ vient nous révéler.
Notre identité est certes en évolution, en devenir, mais, à travers Jésus, l’Evangile nous montre que nous n’avons pas besoin de construire cette identité par nos propres forces, car fondamentalement elle nous est offerte.
Notre véritable identité, cette identité de fils ou de fille de Dieu est à recevoir, et non à conquérir.

L’image de Jésus, en tant que Christ, nous montre un homme, qui a vécu pleinement son humanité créée à l’image de Dieu… un homme parfaitement transparent à l’Esprit de Dieu dont il était le porteur….un homme qui a vécu sa vocation : son identité de fils, de Révélateur du Père.

A Noël… nous fêtons la naissance du Révélateur de Dieu, de ce Dieu qui est Esprit, qui est Amour.
La venue au monde de Jésus le Christ, le porteur de l’Esprit, signifie que Dieu a infiniment plus de prétentions sur nous que nous pouvons en avoir nous-mêmes. Il voudrait qu’à l’image de Jésus, le véritable Adam, nous devenions des hommes et des femmes, pleinement humain, et non pas seulement des mammifères intelligents et évolués, capables de montrer une belle image d’eux-mêmes en société. 

La Bonne Nouvelle de Noël est à la fois un cadeau merveilleux et dérangeant :
« Merveilleux », parce que Jésus nous montre la réalité de l’homme tel qu’il peut être, lorsqu’il vit pleinement son humanité en communion avec Dieu.
« Dérangeant », car, en nous montrant ce que nous pourrions être, Jésus vient nous bousculer… et nous appeler à vivre véritablement notre humanité, conformément à cette image de fils de Dieu (Rm 8, 29).
Autrement dit, Jésus est un cadeau « exigeant »… un cadeau qui nous appelle à une réponse… qui nous engage à le suivre, pour devenir ce que nous sommes appelés à être depuis notre origine : des enfants de Dieu.

Comme Jésus a été engendré de l’Esprit saint, nous devons nous aussi naître de l’Esprit ; nous devons nous aussi faire advenir… faire émerger ce que nous sommes fondamentalement, ce que Dieu nous demande d’être : ses enfants, animés par son Esprit d’amour.

Pour être plus concret… je vous soumets une petite comparaison :
Imaginez, par exemple, que quelqu’un vous offre un cadeau pour Noël. Dans la boite que vous recevez, vous découvrez une image avec une plante magnifique, une graine, et tout ce qui faut pour la faire pousser : un pot, de la terre, de l’eau, de l’engrais et des vitamines.
Qu’est-ce que vous allez faire de ce cadeau ? Soit vous le revendez sur Internet parce qu’il ne vous intéresse pas. Soit vous le mettez dans un placard parce que vous n’avez pas le temps de vous en occuper. Soit vous gardez l’image de cette plante avec vous, pour la mettre sous cadre et la regarder de temps en temps, car elle est vraiment magnifique. Soit vous vous décidez à planter la graine et à l’arroser régulièrement, pour faire croître la plante, en espérant qu’elle devienne aussi belle que l’image qui était avec la graine dans l’emballage.
L’Esprit saint, c’est l’eau qui accompagne le cadeau (la graine et l’image) pour nourrir votre plante et la faire grandir.
Mais, faire pousser une plante n’est pas toujours simple…. car des évènements inattendus viennent parfois l’endommager ou la tailler… et parfois sévèrement. Dans ces moments-là, c’est le découragement qui nous guette. C’est là, précisément, qu’il faut regarder et s’imprégner de l’image : de Jésus Christ… pour s’enraciner dans l’espérance.
Pour faire repartir la plante, il faut continuer à la nourrir et à l’arroser.

La présence de l’Esprit, c’est ce qui fait que l’homme créé à l’image de Dieu advient à sa ressemblance.
Pour vivre notre vocation d’enfant de Dieu, il faut « simplement » accepter cette origine imprenable qui vient engendrer notre véritable humanité… il faut « simplement » accepter de recevoir d’un Autre l’identité qui est la nôtre…et accueillir l’Esprit… cet Esprit qui fait naître et grandir en nous cette identité de fils ou de fille de Dieu… cet Esprit qui « forme le Christ en [nous] » (Ga 4, 19).

Notre identité véritable est à la fois déjà là et en devenir : elle nous est pleinement révélée en Jésus Christ. 
Elle est inscrite en nous [Dieu est présent dans l’humanité en son essence], mais il nous reste à l’accueillir [à vivre de cette présence dans le concret de l’existence].
Elle n’est pas à conquérir par nos actes et nos efforts, mais à recevoir … en nous laissant de plus en plus envahir par l’amour de Dieu, par son Esprit.

Noël nous rappelle que nous sommes au bénéfice d’un don et d’une promesse. Dieu a un projet pour nous.
Osons recevoir et accueillir en nous son Esprit… pour qu’il nous ouvre et nous libère de nos enfermements. Osons abandonner à Dieu ce que nous sommes, dans la confiance… pour faire grandir le Christ en nous, et le laisser transformer notre existence.

A l’image de Celui que nous recevons ce matin : le Christ, le porteur de l’Esprit… ouvrons-nous totalement à l’amour de Dieu… il nous libère de toutes les images que nous nous construisons nous-mêmes… pour nous offrir la seule qui soit éternelle : celle de fils ou de fille de Dieu.
Amen.
P.L.

dimanche 4 décembre 2011

Mc 10, 13-16

Mc 10, 13-16
Lectures : Mc 1, 1-8 Mc 10, 13-16 Mc 9, 35-37 Mt 25, 31-40 
Thématique : Accueillir le Royaume de Dieu comme un enfant

Prédication : voir plus bas, après les lectures 

Lectures

- Mc 1, 1-8

1Commencement de l'Evangile de Jésus Christ Fils de Dieu :
2Ainsi qu'il est écrit dans le livre du prophète Esaïe,
Voici, j'envoie mon messager en avant de toi,
pour préparer ton chemin.
3Une voix crie dans le désert :
Préparez le chemin du Seigneur,
rendez droits ses sentiers.
4Jean le Baptiste parut dans le désert, proclamant un baptême de conversion en vue du pardon des péchés. 5Tout le pays de Judée et tous les habitants de Jérusalem se rendaient auprès de lui ; ils se faisaient baptiser par lui dans le Jourdain en confessant leurs péchés. 6Jean était vêtu de poil de chameau avec une ceinture de cuir autour des reins ; il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage. 7Il proclamait : « Celui qui est plus fort que moi vient après moi, et je ne suis pas digne, en me courbant, de délier la lanière de ses sandales. 8Moi, je vous ai baptisés d'eau, mais lui vous baptisera d'Esprit Saint. »

- Mc 10, 13-16

3Des gens lui amenaient des enfants pour qu'il les touche, mais les disciples les rabrouèrent. 14En voyant cela, Jésus s'indigna et leur dit : « Laissez les enfants venir à moi, ne les empêchez pas, car le Royaume de Dieu est à ceux qui sont comme eux. 15En vérité, je vous le déclare, qui n'accueille pas le Royaume de Dieu comme un enfant n'y entrera pas. » 16Et il les embrassait et les bénissait en leur imposant les mains.

- Mc 9, 35-37

35Jésus s'assit et il appela les Douze ; il leur dit : « Si quelqu'un veut être le premier, qu'il soit le dernier de tous et le serviteur de tous. » 36Et prenant un enfant, il le plaça au milieu d'eux et, après l'avoir embrassé, il leur dit : 37« Qui accueille en mon nom un enfant comme celui-là, m'accueille moi-même ; et qui m'accueille, ce n'est pas moi qu'il accueille, mais Celui qui m'a envoyé. »

- Mt 25, 31-40

31« Quand le Fils de l'homme viendra dans sa gloire, accompagné de tous les anges, alors il siégera sur son trône de gloire. 32Devant lui seront rassemblées toutes les nations, et il séparera les hommes les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des chèvres. 33Il placera les brebis à sa droite et les chèvres à sa gauche. 34Alors le roi dira à ceux qui seront à sa droite : “Venez, les bénis de mon Père, recevez en partage le Royaume qui a été préparé pour vous depuis la fondation du monde. 35Car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger ; j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire ; j'étais un étranger et vous m'avez recueilli ; 36nu, et vous m'avez vêtu ; malade, et vous m'avez visité ; en prison, et vous êtes venus à moi.” 37Alors les justes lui répondront : “Seigneur, quand nous est-il arrivé de te voir affamé et de te nourrir, assoiffé et de te donner à boire ? 38Quand nous est-il arrivé de te voir étranger et de te recueillir, nu et de te vêtir ? 39Quand nous est-il arrivé de te voir malade ou en prison, et de venir à toi ? ” 40Et le roi leur répondra : “En vérité, je vous le déclare, chaque fois que vous l'avez fait à l'un de ces plus petits, qui sont mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait ! ” […]


Prédication de Pascal LEFEBVRE / Marmande, le 04/12/11.

Le temps de l’Avent… c’est le temps de l’attente où nous nous préparons à accueillir Celui qui vient à notre rencontre … pour nous faire connaître le Père (Jn 1,18), pour nous aider à cheminer et à vivre authentiquement notre humanité, pour ressusciter notre espérance.

Qui est-il ce Jésus Christ dont nous attendons la venue ?
Il est le « centre de l’histoire », il est le révélateur du salut de Dieu, il est « la manifestation centrale du Royaume de Dieu dans l’histoire » (P. Tillich).

Alors, attendre et accueillir le Christ, c’est accueillir le Royaume de Dieu qui vient à nous !

Si Dieu est Amour, le Royaume de Dieu, c’est la présence créatrice et agissante de l’Amour, tel que Jésus le Christ l’a rendue manifeste « au milieu de nous » dans l’histoire des hommes (Lc 17,21 ; 11,20).

Pour dire le Royaume de Dieu, Jésus n’a pas trouvé d’autres mots que des comparaisons, des paraboles. Le Royaume de Dieu est semblable à une semence qui germe, du levain qui fait lever la pâte ; à un trésor ou une perle que l’on cherche ; à un roi qui invite à un festin, à des noces ; à un chef d’entreprise qui embauche à toute heure, ou qui confie à ses serviteurs la gestion de son affaire, …
Dans toutes ces situations, il y a toujours une surprise, une part d’inattendu qui nous révèle que le Royaume de Dieu vient à contre-courant des logiques de notre monde.

Ces paraboles sont des approches qui nous invitent à un déplacement, à changer nos façons de voir, de vivre et d’agir. Jésus nous appelle ainsi à cheminer vers le Père, qui nous offre d’accueillir et d’entrer dans son Royaume, sans nous y forcer, dans la liberté qu’offre la foi, la confiance en Lui.

Alors, ce matin, un des textes que nous avons entendu peut retenir notre attention. Il nous indique, en ce temps de l’Avent, comment accueillir le Royaume : « comme un petit enfant ».

« Qui n'accueille pas le Royaume de Dieu comme un enfant n'y entrera pas » (Mc 10,15).

Accueillir le Royaume de Dieu comme un enfant pour y entrer : qu’est-ce que ça veut dire ? et qu’est-ce que cela implique ?

(A) Avant de tenter de répondre à cette question, je crois qu’il faut souligner deux malentendus courants à propos de ce texte.

Le premier consiste à opposer la foi à l’intelligence, à la raison, à la curiosité, au sens critique... Alors être semblable aux enfants, ce serait retomber en enfance, rester naïf, ne pas se poser de questions.
Ce n’est évidemment pas ce que dit Jésus ici.
Il ne s’agit pas d’accueillir le Royaume de Dieu de manière enfantine, voir infantile.
Les enfants sont d’ailleurs souvent loin de cette naïveté qu’on leur prête. Ils ont, au contraire, la capacité extraordinaire de poser des questions désarmantes, des questions qui ne viendraient pas ou plus à l’esprit formaté d’un adulte, des questions qui souvent démasquent nos contradictions, nos logiques artificielles et nos raisonnements tout faits. Il s’agirait plutôt de cultiver la même ouverture et la même vivacité d’esprit que celles des enfants.

Le second malentendu consiste à opposer la maturité et la culpabilité des adultes à l’innocence et à la pureté des enfants….
Alors être semblable aux enfants, ce serait retrouver une innocence ou une pureté originelles.
Ce n’est pas – là non plus – ce que dit Jésus.
Il ne s’agit pas de vouloir retrouver le paradis perdu de l’insouciance et de l’innocence, comme si les enfants eux-mêmes étaient innocents, et ne connaissaient ni l’angoisse, ni la peur, ni le doute. Une telle conception correspond à une vision naïve ou romantique de l’enfance. Comme l’adulte, l’enfant peut connaître l’angoisse, la jalousie, le chantage, la manipulation, et même la culpabilité. Mais, à la différence de l’adulte, il a la capacité de vite tourner la page pour passer à autre chose. Il accepte facilement d’être pardonné et de pardonner. Il est prêt à tout instant à repartir pour vivre de la grâce : une vie nouvelle tournée vers l’avenir. Il s’agirait plutôt de cultiver cette capacité de rebondir et de repartir qui caractérise l’enfant.

(B) Alors, s’il ne s’agit pas de tout cela – ni d’infantilisme, ni d’insouciance, ni d’innocence – quel est cet « esprit d’enfance » que Jésus nous invite à cultiver ? Quels sont les caractéristiques propres à l’enfance qui sont des clés d’entrée pour le Royaume ?

En faisant référence au petit enfant, je crois que Jésus veut mettre en avant une spécificité qui lui appartient : son ouverture et sa disponibilité.

On peut décliner cette aptitude de l’enfant à travers plusieurs aspects. J’en relèverai 5 qui me paraissent importants :

(1) 1er aspect : son état de dépendance et d’humilité

La première chose qui caractérise l’enfant, c’est son état d’extrême dépendance vis-à-vis de son entourage. L’enfant accueille la vie que ses parents lui organisent ; il s’adapte aux rythmes et aux contraintes de ses proches. Dans les premières années de sa vie, il dépend totalement de ceux qui ont la responsabilité et la charge de son éducation.

Dans l’antiquité – contrairement à l’enfant roi d’aujourd’hui – l’enfant est positionné tout en bas de l’échelle sociale et n’a aucun droit. Obéissant et soumis, il constitue souvent une main d’œuvre à bon marché.
En grec, c’est le même terme (pais) qui désigne l’enfant, le jeune esclave et le serviteur.
L’enfant est donc une figure du serviteur, une figure de celui qui est petit et humble.

Cette humilité, c’est une disposition fondamentale pour accueillir le Royaume : se reconnaître petit, pauvre, sans pouvoir, dans le manque ; et rester ouvert pour accueillir, pour écouter, pour recevoir et pour servir.

C’est cette qualité que Jésus nous appelle à développer dans les relations humaines avec nos frères et sœurs : « Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous » (Mc 9,35 ; voir aussi Mc 10,43-45).

(2) 2ème aspect : sa confiance

Un petit enfant ne sait pas faire autre chose qu’accueillir, dans une confiance, une foi ouverte. Dans la relation à l’autre, il absorbe tout ce qu’on lui offre : le lait et les soins, l’amour et la tendresse, la lumière et les couleurs, les sourires et les regards, les choses et les êtres. Il est dans une totale disponibilité à l’autre.

Dans la mentalité de l’époque de Jésus, les enfants sont considérés comme n’ayant aucune capacité de comprendre la Torah, c’est-à-dire la volonté de Dieu.
C’est précisément parce qu’ils sont dans l’impossibilité de comprendre seuls, par eux-mêmes, quoi que ce soit de Dieu et de la Torah qu’il leur est possible d’entrer dans le Règne de Dieu… qui est à recevoir gracieusement… et non à conquérir par l’ascèse physique, intellectuelle ou spirituelle.
Seuls ceux qui se reconnaissent enfants, c’est-à-dire dépendants – et même incapables et incompétents – sont à même d’accueillir et d’entrer dans le Règne de Dieu, car la seule attitude possible est celle de la confiance totale en Dieu.

Autrement dit, c’est la capacité relationnelle des enfants, leur faculté de s’abandonner totalement dans la relation à l’autre, dans l’amour, en toute confiance, qui leur permet de lâcher prise, pour s’en remettre à quelqu’un d’autre : à leur père, à leur mère…
C’est ce « savoir être » avec l’Autre, cette confiance totale qui caractérise l’enfant.

Cette confiance de l’enfant envers ses parents : c’est précisément l’attitude que Jésus nous invite à imiter avec Dieu, pour accueillir son Royaume….  c’est l’assurance de pouvoir appeler à l’aide n’importe quand, d’être toujours accueilli et aimé à tout moment, de pouvoir vivre dans la proximité de Celui qui nous offre son amour, d’avoir confiance en l’avenir, puisque l’enfant est toujours en relation avec son Père.

Bien évidemment, la confiance n’est pas une chose simple : elle implique d’accepter de dépendre de quelqu’un d’extérieur à soi-même, et de recevoir son identité fondamentale – son identité de fils (ou fille) de Dieu – d’un Autre que soi : de Dieu lui-même.
C’est finalement le contraire de ce que nous propose notre société dont l’injonction est l’autosuffisance : chacun doit s’assumer lui-même, se construire et se réaliser par ses propres forces, être indépendant et autosuffisant, pour ne dépendre de personne, et être soi-même le fondement de sa propre réussite.
Or, ce qui caractérise l’enfant, c’est bien sa disposition à accueillir et à recevoir… c’est son acceptation d’être au bénéfice d’un don qui lui vient d’un Autre[1]…. C’est sa faculté d’abandon qui lui permet de s’en remettre totalement à un Autre.

(3) 3ème aspect : sa curiosité

L’enfant est aussi le symbole de celui qui n’arrête pas de questionner, de vouloir découvrir et comprendre.
La confiance qui caractérise l’enfant ne fonctionne pas sans la curiosité, sans le questionnement, sans l’intelligence du cœur, la vivacité d’esprit, et la soif d’apprendre.
Cette curiosité, c’est ce qui permet à l’enfant de découvrir, de grandir, d’apprendre, de changer. C’est une dynamique qui lui permet d’avancer, de se renouveler (2 Co 4,16), de s’orienter, et de recommencer.
C’est là – je crois – une qualité à cultiver lorsque nous avons la tentation de vivre sur nos « acquis », de rester là où nous en sommes spirituellement, de ne plus chercher à progresser, à comprendre, à apprendre, à avancer.
Être semblable à un enfant, c’est vivre dans la fraîcheur du désir, et dans la joie de la découverte…. C’est rester en éveil, garder cette dynamique de questionnement et d’apprentissage.

(4) 4ème aspect : son audace

Un des aspects qui caractérisent l’enfant, c’est son goût pour l’aventure, sa hardiesse, son audace. Bien souvent, l’enfant tente d’outrepasser les limites qu’on lui impose. Il veut tester, risquer, innover. Cette audace vient du fait qu’il n’est pas encore prisonnier des carcans et des conventions qui vont progressivement brider sa créativité.
Or, il faut bien voir que c’est grâce à ses audaces successives, ses prises de risque, qu’un enfant va grandir, progresser, se dépasser.
Cette capacité des enfants doit sans doute nous interpeller – nous, adultes – et nous inciter à nous laisser déplacer, à oser bousculer nos conformismes, nos idées préconçues, nos habitudes sclérosantes, pour nous risquer à accueillir le Royaume dans la nouveauté et l’inattendu.

(5) 5ème (et dernier) aspect : sa capacité d’émerveillement

L’enfant a une capacité d’émerveillement bien supérieure à l’adulte. Il s’étonne de tout, s’émerveille de tout, même des choses les plus simples. Il sait observer, contempler, discerner la beauté des choses et des êtres. Il se réjouit facilement. Il ne craint pas l’inattendu, mais l’accueil, en y trouvant une joie.
Cette aptitude vient sans nul doute des qualités relationnelles de l’enfant : sa spontanéité, sa capacité d’entrer en relation, de recevoir, d’accueillir, d’être comblé, d’ouvrir les yeux.

Finalement, à travers ces 5 aspects, nous voyons que l’essentiel pour accueillir le Royaume de Dieu ne se situe pas dans le « faire », dans les bonnes œuvres, dans nos réalisations, mais dans « l’être », dans la relation, dans notre ouverture pour recevoir ce qui nous est offert.

Autrement dit, le royaume de Dieu ne se mérite pas, mais il se reçoit comme un cadeau.
C’est une attitude de pauvreté (Mt 5,3) qui caractérise l’enfant : sa disponibilité, sa capacité de garder les mains tendues et le cœur ouvert pour accueillir ce qui se présente à lui.
Accueillir le Royaume à la manière d’un enfant, c’est avant tout s’ouvrir au don de Dieu.

(C) Alors, me direz-vous… qu’avons-nous à faire… sinon à attendre et à recevoir dans la confiance ?
S’agit-il seulement d’attendre … d’attendre une grâce, un cadeau… sans rien faire ?

Un certain nombre de textes du Nouveau Testament… qui nous appellent à la vigilance et à la préparation (Mt 25, 13)…. nous appellent effectivement à attendre. Ils nous révèlent, toutefois, que cette attente n’est pas passive, mais active.

Le texte que nous méditons aujourd’hui nous offre, en ce sens, une autre piste, car, s’il s’agit d’accueillir le Royaume de Dieu comme un enfant, comme le ferait un enfant, on peut aussi comprendre l’invitation de Jésus en inversant la proposition : il s’agit alors d’accueillir le Royaume comme on accueillerait un enfant, un petit, un esclave, un serviteur.

Précisément, pour Jésus, accueillir le plus petit, c’est comme l’accueillir lui-même, c’est comme accueillir le Père.
Alors accueillir un enfant, c’est déjà faire place à l’advenue du Royaume « au milieu de nous ».

« Qui accueille en mon nom un enfant comme celui-là, m’accueille moi-même ; et qui m’accueille, ce n’est pas moi qu’il accueille, mais Celui qui m’a envoyé » (Mc 9, 37).

Accueillir tout ceux que Jésus appelle ici « enfant » et ailleurs « les moindres, les plus petits qui sont mes frères » (Mt 25,40) – ceux qui sont affamés, démunis, étrangers, malades, prisonniers – c’est déjà participer à l’accueil du Royaume.

Alors, bien sûr, cela demande une certaine disponibilité, car accueillir quelqu’un d’autre : un « enfant », un « petit », un « frère », c’est toujours assez dérangeant… cela demande de l’énergie, du temps, une capacité d’accueil et d’écoute.
Cela demande aussi une certaine audace : de dépasser nos peurs, de s’ouvrir à la différence, d’accueillir les personnes que nous croisons sur nos routes, bien que nous n’ayons pas choisi de les rencontrer ou de les fréquenter.
Et surtout, cela demande une grande ouverture d’esprit… car les enfants sont assez imprévisibles. Alors que ce soit au bon ou au mauvais moment, c’est ainsi qu’il faut accueillir la présence de Dieu quand elle se présente… et saisir toutes les occasions.
Cela nécessite, à la fois, d’accepter de se laisser déranger, et de s’occuper de ce petit qui est mon frère – de celui qui est dépendant, faible ou fragile – en lui laissant de la place, en portant mon regard et mon attention sur lui.

Cet accueil est évidemment gratuit, car celui qui est libre dans la foi est aussi serviteur dans l’amour. Mais il est assorti d’une promesse : une promesse de joie, une promesse de vrai bonheur.
(a) A celui qui accueille le royaume comme le ferait un enfant, il est dit : « Heureux les pauvres en esprit : le royaume des cieux est à eux » (Mt 5,3).
(b) A celui qui accueille le royaume comme on accueillerait un enfant, il est dit : « Heureux ceux qui font œuvre de paix : ils seront appelés fils de Dieu » (Mt 5,9).

Il s’agit aussi bien d’une béatitude des enfants ou de ceux qui vivent dans des conditions de pauvreté comparables aux leurs (a), que d’une béatitude de ceux qui les accueillent et font œuvre de paix (b).

Alors, cher(e)s ami(e)s, frères et sœurs, qu’il nous soit donné d’être disponible, confiant, et audacieux, comme des enfants…. des enfants de Dieu chargés de l’accueil et du service de nos frères… qu’il nous soit donné d’accueillir là où nous sommes le Royaume qui vient à nous…. avec la promesse de rencontrer Jésus Christ parmi les plus petits de nos frères et de nos sœurs.
Amen.                           
  P.L.


[1] Il s’agit là d’un des grands thèmes de la Réforme : ce que Luther appelait « la justice passive ». Ce qui rend l’être humain juste, c’est une justice qu’il reçoit gratuitement de Dieu. La seule activité de l’homme consiste à accepter de recevoir son être véritable comme donné par un Autre qui justifie l’existence (indépendamment des actes et des qualités).