lundi 24 décembre 2018

Une lecture symbolique des récits de Noël

Lectures bibliques : Luc 2, 4-14 ; Matthieu 2, 9-15

Veillée de Noël  - 24/12/2018 - temple du Hâ - Bordeaux-ville

Prédication de Pascal LEFEBVRE


Vous le savez comme moi, nous avons tous besoin de rites et de symboles pour éclairer notre quotidien, pour lui donner du sens. Et si vous êtes là ce soir, à cette veillée, ce n’est pas par hasard ! 


Le temps de Noël est auréolé de symboles : le plus connu de tous, peut-être, qu’on soit croyant ou non-croyant, est le sapin de Noël qu’on place  sur les places publiques des centres villes, comme dans les séjours des maisons : Le sapin - un arbre qui ne perd pas son feuillage, qui reste vert toute l’année - est le symbole de la vie, de la constance, de l’espérance. 


Au milieu du solstice d’hiver, lorsque la nuit est la plus longue de l’année dans l’hémisphère nord et les jours les plus courts… lorsqu’il fait froid au milieu de la solitude de l’hiver…  le sapin de Noël, toujours vert, signifie que la vie est là, malgré tout… que l’espérance peut toujours poindre et renaître… Le sapin - parfois décoré de lumières et de guirlandes - est signe d’espérance et de vitalité, au milieu de la nuit, du froid et de l’hiver. 


Aujourd’hui encore, autour de nous, se cachent de nombreux objets symboliques… Et, il y a 2000 ans, les hommes n’étaient pas différents : ils aimaient aussi placer des signes, des symboles, ici ou là, au milieu du quotidien, comme dans les récits, les mythes et les légendes. 


D’ailleurs, l’Evangile lui-même regorge de symboles qui étaient signifiants pour les premiers chrétiens… des symboles, dont il faut parfois retrouver le sens, 2000 ans plus tard… car nous avons pu en perdre les codes. 


Ainsi, lorsqu’on ouvre la Bible… au-delà des faits racontés… il est bon de se demander ce que les rédacteurs ont voulu dire et transmettre de leur foi, de leur manière de comprendre la vie et leurs relations à Dieu. 


Tout cela est vrai aussi pour les récits bien connus autour de la nativité. 


Beaucoup de nos contemporains - surtout en dehors des Eglises - s’interrogent sur les récits de Noël… ils se demandent comment on peut encore croire - au 21e siècle : à la vierge Marie, aux mages, à l’étoile, etc.


Ils ont raison de se poser toutes ces questions. Car on vit dans un monde très matérialiste et rationnel. Mais, peut-être, devraient-ils également accepter d’avoir une autre lecture de l’Evangile : une lecture moins terre-à-terre, moins littéraliste. 


Les théologiens le savent tous : les récits de conception, de naissance et d’enfance de Jésus sont des récits tardifs, qui ont été écrits plusieurs décennies après la mort de Jésus et peut-être même un siècle après sa naissance. 

Il ne racontent pas une histoire - au sens historique du mot - telle que nous pouvons l’entendre aujourd’hui. Ce ne sont pas les rapports fidèles d’une enquête policière ou journalistique, qui décriraient comment les faits se sont déroulés précisément. Mais, ce sont des récits, des témoignages de foi, qui disent la confiance des premiers chrétiens, qui étaient Jésus pour eux… Ces récits sont chargés de signes et de symboles. 


Nous sommes donc autorisés à ne pas les entendre comme des faits historiques objectifs (si tant est que cela existe, car un fait est toujours observé depuis notre expérience, notre subjectivité), mais à les recevoir comme des récits subjectifs et interprétatifs, qui prennent appui sur des Ecritures qui se verraient accomplies en Jésus Christ, et qui nous ouvrent à une lecture symbolique. 


Oui… Au 21e siècle, dans notre monde où l’approche scientifique des choses est souvent prépondérante… on peut croire en Dieu, croire au message de Noël… sans croire forcément à la virginité de Marie, ni aux mages d’orient venus offrir leurs cadeaux… Mais encore faut-il savoir ce que tout cela peut vouloir dire. 


Pour ma part, j’aurais tendance à dire que, dans les récits de Noël, tout est symbole, tout revêt un sens second, au-delà des détails immédiats. 


Je vous propose - ce soir - de nous arrêter rapidement sur quelques uns de ces aspects, sur quelques détails de ces récits qu’on trouve dans les évangiles de Matthieu et Luc :


* Premièrement - commençons par l’aspect le plus fondamental - le nom de « Jésus ». Jésus veut dire « Dieu sauve ». Le nom même de Jésus signifie que Dieu s’approche de nous les humains, à travers un enfant, qui deviendra un homme, qui sera le porteur de l’Esprit de Dieu. 


En Jésus, Dieu sauve : cela veut dire que - pour les premiers chrétiens - Jésus - est venu apporter la libération, la délivrance, la guérison, la paix qui viennent de Dieu… C’est un message de transformation… qui nous appelle au changement, à une vie nouvelle, dont Jésus est à la fois le modèle (le paradigme) et le révélateur. 


* Ensuite, l’histoire de la virginité de Marie est aussi le symbole d’une conception, d’une naissance extraordinaire. C’est une manière de signifier - à travers une sorte de conception surnaturelle, pour ne pas miraculeuse - que Dieu est déjà là, à l’oeuvre dans le coeur de cette jeune femme qu’est Marie. 


Avant même la conception et la venue de Jésus, c’est l’Esprit saint qui agit… L’Esprit de Dieu est là … et Jésus sera le porteur de cet Esprit saint… puisque cette présence de Dieu, son Souffle, lui a été donné dès avant sa naissance, selon les évangélistes Matthieu et Luc. 


Pour Marc, le point de vue est un peu différent. Tout commence au moment du baptême de Jésus. C’est là qu’il reçoit le Souffle de Dieu. Jésus est, en quelque sorte, choisi et adopté par Dieu à ce moment là. 


* Dans son récit, l’évangéliste Luc met en avant le nom de « Fils du très haut » ou « Fils de Dieu » (cf. Lc 1, 30-35). C’est un terme capital, qui veut signifier une présence : Dans une famille, le Fils est l’héritier, celui qui est amené à posséder tous les biens du Père. 

Jésus est ainsi présenté comme le « fils spirituel » de Dieu… celui qui va incarner sa présence. 

L’expression « Fils » a un sens de représentation : le fils est celui qui représente son père : il est son lieu-tenant…  un peu à la manière d’un diplomate qui est envoyé dans un pays étranger, pour représenter son pays d’origine… On dit de lui qu’il est le fils du roi, le représentant du roi… Ainsi Jésus, en tant que fils de Dieu -  non pas selon la chair, mais selon l’Esprit (cf. Rm 1,3-4) - est l’envoyé de Dieu : c’est-à-dire que pour les hommes, il présente Dieu, il nous le fait connaître… et il le représente : ils nous dit l’amour de Dieu. Il incarne sa volonté. 


[Dans l’évangile de Matthieu, ce Jésus est d’emblée présenté comme « l’Emmanuel » : ce qui signifie « Dieu avec nous » : cette signification était parlante pour tous les contemporains du 1er siècle. 

Pour eux, non seulement Jésus présentait Dieu, mais manifestait sa présence et son salut. Pour eux, Jésus manifestait l’offre de Dieu… la proposition de solidarité, de communion de Dieu offerte à l’humanité.]


* Les détails du récit, les conditions extérieures de la naissance de Jésus, sont aussi révélateur du dessein de Dieu : Jésus ne naît pas dans la salle d’hôtes, à l’hôtel, comme les autres enfants, mais dans une grotte, plus précisément dans une mangeoire. 

Ce détail a une signification théologique. En déposant son bébé dans un tel objet, Marie prophétise la mission de Jésus : être la nourriture des hommes. 

La fonction de tout aliment est de nourrir, de fortifier, de vitaliser, pour permettre d’avancer, pour animer, faire grandir, permettre de croitre et d’évoluer. 


Ce détail du récit - la mangeoire - peut être considéré comme une préfiguration symbolique de la sainte scène : Jésus et son enseignement seront une nourriture pour les Croyants. 

D’ailleurs, la ville même de la naissance, Beth-Lehem en hébreu se traduit littéralement : « Maison-du pain » !


* Et puis, il y a les témoins : les bergers. Les bergers qui viennent saluer la naissance de Jésus symbolisent quant à eux les hommes simples - ceux qui sont capables de se mettre en route, pour écouter le message de Jésus. Ce ne sont pas les riches ni les puissants, qui ont les mains pleines… qui ont trop peu de temps… trop de préoccupations et de soucis… pour pouvoir se mettre en quête du message de Dieu. 


Les bergers représentent ceux qui acceptent de se reconnaître pauvres, qui se rendent disponibles, pour accueillir la Bonne Nouvelle de la Révélation de Dieu, en l’homme Jésus. 

« Heureux les pauvres de coeurs, le Royaume des cieux est à eux » (Mt 5) dira Jésus. 


Ce sont des gens simples qui se mettront en mouvement, en chemin, pour accueillir le message du maître. Et d’ailleurs, Jésus, dans son ministère, parlera aux humbles, aux pauvres, aux exclus, aux estropiés, aux lépreux, à tous ceux que la société avait mis de côté ou marginalisé. 


* Ensuite, il y a encore les mages : la visite des mages qui sont des étrangers - des païens - qui viennent d’Orient, pour rendre hommage au nouveau Roi des Juifs - présenté comme le Messie, celui que Dieu a choisi - est aussi un symbole fort : 


C’est le signe que le message de Jésus - son Evangile du Royaume, de la présence de Dieu offerte à tous - dépassera les frontières de la religion juive, pour s’ouvrir aux nations, aux païens. 


Jésus attirera à lui des hommes de toute la terre. Mais, encore faut-il se rendre attentif aux signes de Dieu… s’ouvrir à la contemplation… accueillir les signes des temps… pour recevoir - avec confiance - la présence de Dieu au creux de notre humanité. 


* l’Etoile qui luit dans le ciel, pour accueillir la naissance d’un nouveau roi est aussi symbolique de l’identité de Jésus. Pour les premiers chrétiens, le Messie sera comme un guide, un astre, comme une lumière destinée à orienter les croyants, à nous diriger, nous éclairer… une lumière destinée à donner sens à nos pas… pour nous permettre de voir clair dans la nuit. Jésus et son Evangile sont ainsi le symbole d’une réalité lumineuse… une lampe sur nos sentiers… pour éviter de se perdre (cf. Jn 8,12). 


* Enfin - dernier aspect : la violence qui entoure les premiers jours de la naissance de Jésus et qui oblige Marie à fuir en Egypte - avec sa petite famille -. Cette thématique est le symbole - la préfiguration - de la violence qui entourera la fin de la vie de Jésus. 


Le message de l’Evangile ne sera pas reçu par les grands de ce monde, dont les intérêts, le pouvoir et les privilèges vont se trouver menacés par un prophète qui remettra en cause les règles sociétales et religieuses… qui annoncera l’amour inconditionnel de Dieu, le don de soi, le partage, la volonté de justice et d’amour du prochain voulue par Dieu.  


Aux antipodes d’un pouvoir jaloux - fondé sur l’égo, la domination, les règles, le contrôle, la violence… un pouvoir qui écrase et qui tue… Jésus sera l’apôtre de la non-violence… pour témoigner d’un Dieu gratuit et offert à tous, qui appelle à l’amour sans condition… un Dieu au delà des privilèges et de la religion…  puisque son pardon n’est plus à marchander, mais s’offre gratuitement… 


Jésus sera celui qui vient remettre en cause le marchandage des prêtres et des sacrifices… et qui présente Dieu, comme un Père bienveillant, plein de tendresse et de compassion… un Dieu qui appelle seulement à la conversion des coeurs, à l’adoption d’une nouvelle mentalité, fondée sur le don de soi. 


Voilà donc un sens possible des récits de Noël : Contre toutes les apparences… et nos lectures souvent littéralistes… la nativité n’est pas une histoire gentille et merveilleuse … un conte fantastique pour les enfants … mais c’est une relecture de l’identité et du parcours du maître. 


[Ce parcours est d’ailleurs inscrit dans une histoire : pour ce faire, Matthieu et Luc s’appuient sur les Ecritures à leur disposition : le prophète Esaïe, le thème de Moïse et de l’Egypte, ou l’espérance de l’advenue d’un successeur au roi David, inscrit dans la généalogie de Jésus, pour enraciner la naissance de Jésus dans la réalisation d’une Promesse.]


La nativité est ainsi un récit symbolique et composite, qui annonce et anticipe ce que sera la vie de Jésus, le Révélateur de Dieu : c’est un récit composé après la Croix et la Résurrection : une histoire écrite de façon rétrospective… comme une proto-histoire… qui dit la merveilleuse présence de Dieu, dans la vie de chacun… à commencer par ce Jésus, reconnu comme « Christ de Dieu », non seulement depuis son baptême (comme le raconte l’évangéliste Marc), mais depuis avant sa naissance. 


Au fond, c’est un récit qui raconte ce que des hommes, des femmes, des croyants, ont découvert après la crucifixion : Jésus était bien l’envoyé de Dieu, son fils, le porteur du Souffle de Dieu, de l’Esprit saint. 


Pour les Croyants du premier siècle, qui ont transmis et élaborés ces récits,  la chose était claire : Dieu nous a donné Jésus - à travers Lui, Dieu nous a révélé son amour - et Jésus a donné sa vie, par amour. 

C’est, à la fois, une nouvelle extraordinaire et un message de transformation, qui nous appelle, à notre tour, à marcher à la suite de Jésus - à devenir ses disciples - c’est-à-dire à incarner l’amour de Dieu. 


C’est cela le sens du mot « incarnation » : l’incarnation, est un concept théologique qui veut dire « entrer dans la chair ». 

Cela ne veut pas dire pas qu’un jour, un Dieu là haut au ciel - du genre Zeus (sur son trône de gloire) - s’est transformé en humain - par un coup de baguette magique … Mais « l’incarnation » signifie que l’amour de Dieu, son Souffle, s’est incarné et manifesté dans un humain. 


Et, de même que ce Souffle a agi en Jésus, de façon centrale,… il peut aussi se manifester en nous et par nous, pour autant que nous acceptions de lui ouvrir notre coeur, de nous laisser saisir et transformer par Lui. 


Le message de Noël est donc un message d’ouverture, un appel à naître de nouveau, avec Jésus : il nous rappelle qu’il est temps de lâcher prise de nos préoccupations quotidiennes, de nos soucis, de l’esprit primitif de tensions, de rivalité ou de violence, qui est en chacun de nous et dans notre monde… pour oser nous ouvrir à la présence libératrice de Dieu, en nous, dans notre intériorité. 


C’est un changement de mentalité : nous ne sommes pas sur terre pour vivre comme des concurrents, des rivaux… pour gagner, pour réussir, pour être les plus forts, … mais pour se recevoir comme des frères, des soeurs, des enfants de Dieu. 

La vie ne devrait pas être une lutte, mais un jeu, plein de fraternité, de liberté et de joie. 


Noël nous redit que nous avons un exemple : nous avons Jésus pour nous guider et nous éclairer, et pour, à notre tour, laisser Dieu être Dieu en Soi. 


Nous sommes ainsi appelés à être des petits « Christ » de Dieu, à porter, dans nos vies et autour de nous, l’amour, la paix et la lumière qui viennent de Dieu. 


[En cette veillée de Noël, laissons nous guider par Dieu, par son amour… pour devenir des véritables « enfants de Dieu », et faisons rayonner cet amour de Dieu autour de nous… 

Alors ce sera vraiment Noël dans nos coeurs et sur toute la terre ! ]  


Amen. 


Lectures bibliques 


Luc 2, 4-14


[C’était le temps du recensement décrété par César  Auguste.]

Joseph monta de la ville de Nazareth en Galilée à la ville de David qui s’appelle Bethléem en Judée, parce qu’il était de la famille et de la descendance de David, 5 pour se faire recenser avec Marie son épouse, qui était enceinte.


6 Or, pendant qu’ils étaient là, le jour où elle devait accoucher arriva ; 7 elle accoucha de son fils premier-né, l’emmaillota et le déposa dans une mangeoire, parce qu’il n’y avait pas de place pour eux dans la salle d’hôtes. 8 Il y avait dans le même pays des bergers qui vivaient aux champs et montaient la garde pendant la nuit auprès de leur troupeau. 9 Un ange du Seigneur se présenta devant eux, la gloire du Seigneur les enveloppa de lumière et ils furent saisis d’une grande crainte. 10 L’ange leur dit : « Soyez sans crainte, car voici, je viens vous annoncer une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple : 11 Il vous est né aujourd’hui, dans la ville de David, un Sauveur qui est le Christ Seigneur ; 12 et voici le signe qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire. » 13 Tout à coup il y eut avec l’ange l’armée céleste en masse qui chantait les louanges de Dieu et disait : 14 « Gloire à Dieu au plus haut des cieux

et sur la terre paix pour ses bien-aimés. »


Matthieu 2, 9-15


[Des mages venus d’Orient] se mirent en route ; et voici que l’astre, qu’ils avaient vu à l’Orient, avançait devant eux jusqu’à ce qu’il vînt s’arrêter au-dessus de l’endroit où était l’enfant. 10 A la vue de l’astre, ils éprouvèrent une très grande joie. 11 Entrant dans la maison, ils virent l’enfant avec Marie, sa mère, et, se prosternant, ils lui rendirent hommage ; ouvrant leurs coffrets, ils lui offrirent en présent de l’or, de l’encens et de la myrrhe. 12 Puis, divinement avertis en songe de ne pas retourner auprès d’Hérode, ils se retirèrent dans leur pays par un autre chemin.


13 Après leur départ, voici que l’ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph et lui dit : « Lève-toi, prends avec toi l’enfant et sa mère, et fuis en Egypte ; restes-y jusqu’à nouvel ordre, car Hérode va rechercher l’enfant pour le faire périr. » 14 Joseph se leva, prit avec lui l’enfant et sa mère, de nuit, et se retira en Egypte. 15 Il y resta jusqu’à la mort d’Hérode, pour que s’accomplisse ce qu’avait dit le Seigneur par le prophète : D’Egypte, j’ai appelé mon fils.

dimanche 30 septembre 2018

Mc 9, 42-50

Lectures bibliques : Mc 9, 42-50 ; Mc 10, 17-31

Thématique : le détachement comme voie de salut

Prédication de Pascal LEFEBVRE / Bordeaux-ville (temple du Hâ), le 30/09/18.



* « Si ta main entraîne ta chute, coupe-la ; il vaut mieux que tu entres manchot dans la vie que d’aller avec tes deux mains dans la géhenne, dans le feu qui ne s’éteint pas » (Mc 9,43)


« Si ton œil entraîne ta chute, arrache-le ; il vaut mieux que tu entres borgne dans le Royaume de Dieu que d’être jeté avec tes deux yeux dans la géhenne, où le ver ne meurt pas et où le feu ne s’éteint pas » (Mc 9, 47-48).


Il est difficile, pour nous, d’essayer d’appréhender ces paroles de Jésus, à 2000 ans de distance. 


Que voulait-il dire exactement ? 

En quoi ces paroles nous concernent-elles encore aujourd’hui ? 

Et qui aurait envie de se mutiler - de s’arracher un membre - pour sauver le reste ? La perspective ne semble pas très réjouissante !


Regardons précisément de quoi il est question : 

Il s’agit - pour Jésus - « d’entrer dans la vie »… ou « d’entrer dans le royaume de Dieu »… sans doute les deux termes sont-ils synonymes. 


« Entrer dans la vie » c’est avoir part au salut, à la vie éternelle, la vie en plénitude. 


A cela, Jésus oppose la géhenne de feu : La géhenne désignait, à cette époque, un lieu… une vallée devenue une décharge publique, où étaient entretenus des feux, destinés à bruler les déchets et les ordures : c’était, en quelque sorte, un incinérateur à ciel ouvert. 


Jésus établit donc, dans ses propos, une sorte de dichotomie entre ce qui est appelé à être sauvé, à vivre, à durer, à se développer et à croitre  … et ce qui est appelé à périr, ce qui est voué à la destruction. 


Il est question de discerner ce qui, en nous, peut faire barrage à la vie en plénitude. 


Le maître émet l’idée qu’il vaut mieux se séparer de ce qui peut constituer - en nous - un obstacle à la vie… et, ainsi, sauver son âme… plutôt que de tout perdre et de rater l’objectif, qu’il appelle « entrer dans la vie » ou « entrer dans le règne de Dieu ». 


Face à ce qui peut faire obstacle à la vie, au coeur même de notre existence actuelle, Jésus préconise un remède radical : le détachement volontaire (voire le renoncement). 


Pour accéder à la vie éternelle - la vie en plénitude - il faut accepter - nous dit-il - de vivre dans le détachement. 


Ainsi, « couper sa main » symbolise le fait de rompre avec ses passions ou ses attachements… d’accepter de se séparer de ses entraves… de se libérer de ce qui nous retient captif ou « esclave »… de ce qui nous emprisonne et nous empêche d’avancer et d’évoluer. 


Il y a certainement, en nous, des choses qui méritent d’être jetées - des attachements ou des comportements mortifères - ou peut-être des habitudes, des routines, voire même des choses qui nous obsèdent. 

Il vaudrait mieux, pour nous, les abandonner… perdre ces attachements mondains ou personnels… plutôt que d’y laisser la vie et de perdre son âme. 


* Le deuxième passage biblique que nous avons entendu - la rencontre de Jésus avec un homme riche - est un exemple, qui illustre parfaitement les propos précédents du maître. 


Pour la plupart, nous connaissons certainement bien ce passage. 


La problématique - la question - est la même : comment recevoir la vie - la vie éternelle - en partage ? 


Cette rencontre montre la situation d’une personne dont l’attachement aux biens, aux possessions, risquent de l’empêcher d’atteindre sa cible : 


- D’une part, son attachement à ses richesses risque de l’empêcher de vivre des relations épanouies et libres avec ses semblables. 


Si Jésus propose à cet homme d’entrer dans la logique du don radical… de l’abandon - en donnant ses biens aux pauvres - c’est pour déclencher une prise de conscience… pour lui permettre d’entrer dans le lâcher prise, en acceptant de partager avec les autres. 


Jésus veut lui faire percevoir une nouvelle manière de voir la vie. Il veut lui permettre de considérer que la relation à autrui - en tant que telle - est plus importante que la possession d’argent et de richesses. 


Bien sûr, cela, nous le savons tous, en théorie. 

Mais ce n’est pas pour autant que nous parvenons réellement à le vivre, en pratique. 


Dès que quelqu’un veut toucher à notre porte-monnaie, à notre pouvoir d’achat - sous prétexte de partage - les réactions des uns ou des autres sont très différentes. 

Et cela est vrai, quel que soit notre niveau de richesse. 

(On voit, par exemple, au niveau fiscal, toutes les craintes suscitées par la mise en oeuvre du prélèvement à la source. Chacun a peur d’y perdre.)


Fondamentalement, on sait très bien que si les 20% des nations les plus riches du monde (dont nous faisons partie) décidaient d’entrer dans le détachement - dont parle Jésus - ne serait-ce que partiellement - et de partager davantage avec les 80% des pays les plus pauvres… le monde connaitrait certainement un plus grand bonheur… la vie serait certainement meilleure pour une majorité des gens. 


Et bien sûr, ce qui est valable au niveau collectif - l’idée que le partage et le don sont capables de susciter l’abondance - l’est aussi à un niveau individuel.

Chacun de nous est concerné par cette question, à titre personnel : par la question de notre relation à l’argent et aux autres… par la question de nos choix et de nos priorités. 


- D’autre part - je reviens sur le jeune homme riche - l’attachement de cet homme à ses possessions risque de l’empêcher d’entrer dans - ce que Jésus appelle - le Royaume de Dieu, le monde nouveau de Dieu.


De quoi s’agit-il ? 


En quelques mots, on pourrait dire que c’est l’entrée dans une nouvelle mentalité, une nouvelle manière d’être, marquée par l’Esprit de Dieu. 


Et comme Dieu est Vie, Don et Amour, « entrer dans le règne de Dieu » c’est entrer dans l’amour inconditionnel, entrer dans le don de soi. 


Il y aurait donc des attachements qui nous lient et nous rendent esclaves… qui pourraient nous empêcher d’entrer dans l’amour inconditionnel. 

L’évangéliste Marc - à travers le récit de cette rencontre avec Jésus - nous donne l’exemple de la richesse, de l’argent… l’argent qui peut devenir une fin en soi ou un instrument de pouvoir, de puissance… au lieu d’être au service de l’échange et du don. 


* En relisant ce texte, plus en détail, on peut voir qu’il y a un décalage de vocabulaire entre la question posée par l’homme riche « comment recevoir la vie éternelle en partage ? » et la réponse de Jésus qui se poursuit dans un dialogue avec les disciples, où il s’agit « d’entrer dans le Royaume de Dieu ». 


La Vie éternelle et le Royaume de Dieu, c’est certainement la même chose pour les contemporains de Jésus - c’est le règne de la vie, de l’amour, de la lumière - mais cette distinction est intéressante, dans la mesure où l’on pense souvent que l’expression « vie éternelle » désigne essentiellement l’espérance d’une vie post-mortem. 

La vie éternelle, ce serait - en quelque sorte - la vie pour après la mort… la vie dans le « paradis ». 


Or, si Jésus parle d’entrer dans le règne de Dieu - dans la mentalité du monde nouveau de Dieu - c’est pour ici et maintenant. Il n’est pas question d’attendre le trépas sans rien faire. 

Jésus nous invite à une transformation de notre manière de voir, de penser, et d’agir, ici et maintenant. 

Pour lui, c’est, dès à présent, qu’on peut entrer dans le règne de l’amour qui vient de Dieu. 


* A travers ces passages que Marc nous a transmis, il me semble que Jésus nous livre un enseignement et nous rappelle que cela passe d’abord par une analyse personnelle, un retour sur nous-mêmes :


Qu’est-ce qui nous retient encore captif et esclave dans notre existence ? 

De quoi avons-nous encore besoin d’être libérés ou guéris ? 


Souvenons-nous que « être sauvés », veut dire être libérés, délivrés, être guéris. (En latin « Salvus » signifie « être guéri »)


Pour Jésus, l’entrée dans le règne de l’amour inconditionnel - qui est le règne de la vie - passe par le détachement et le lâcher prise. Cela passe par le don et le don de soi. 


Souvenons-nous de ces paroles : « Qui veut sauver sa vie - et la garder pour soi - la perdra… mais qui acceptera de la perdre - de la risquer - à cause de moi et de la bonne nouvelle, la sauvera » (cf. Mc 8,35)


Voici donc le remède prescrit par Jésus : 

Le don et le don de soi permettent de faire circuler la vie, alors que nos attachements la bloquent et la retiennent. 

Et quand la vie ne circule plus, c’est le signe que quelque chose est malade et a besoin de salut. 


* Encore une fois, il peut être instructif de regarder notre monde, avec un peu de hauteur et de distance - non pas pour nous culpabiliser (ça ne serait pas très productif), mais pour faire évoluer notre niveau de conscience - pour nous permettre de progresser vers plus de vie et de liberté. 


Quand on observe notre société, on se rend compte à quel point nos attachements mondains nous empêchent d’aller vers plus de fraternité, de paix, de solidarité, de partage … d’amour… Il suffit d’ouvrir les yeux. 


Nous vivons dans le monde que nous avons nous-mêmes construits et forgés … un monde toujours en mutation. On pourrait s’arrêter sur bien des domaines et des exemples de la vie en société, pour constater nos multiples attachements. Ce matin, je me limiterai à un exemple concret : 


Dans notre monde, nous constatons paradoxalement une mondialisation des échanges concernant les biens, mais pas forcément concernant les personnes. On laisse circuler librement les marchandises et les biens entre les pays et les continents - puisqu’on peut facilement acheter sur Internet ou au supermarché des produits fabriqués à l’autre bout de la planète -, mais on empêche les personnes de circuler, sous prétexte de sécurité, parce qu’elle n’auraient pas le bon visa ou le bon drapeau sur leur carte d’identité. 


Cet état de fait pose des questions et génère bien des difficultés… en premier lieu, pour tous les réfugiés et les migrants, qui fuient soit l’oppression ou la guerre, soit la misère économique. 


De notre coté, nous agissons ainsi - nous et nos dirigeants - (en restreignant l’accueil des personnes), parce qu’en réalité nous vivons, en grande partie, dans la peur… la peur de l’autre, la peur de perdre ou de manquer. 

Nous avons fait ces choix (comme beaucoup de pays), parce que nous tenons à sauvegarder et à défendre notre pré carré, nos biens, notre pouvoir d’achat, notre modèle de vie, notre confort et notre culture. 


Oui… nous, pays occidentaux… pays riches… nous refusons d’accueillir beaucoup de nos frères et soeurs en humanité…  qui en auraient besoin… en raison de nos attachements. 


Hors de toute polémique, c’est un constat qui nous appelle à une certaine lucidité… à la fois, collectivement… mais aussi, individuellement, car nous sommes tous contraints par nos attachements personnels. 


Cette semaine, au Foyer Fraternel (Centre social du quartier des Chartrons), ce qui s’est passé a rejoint cette question et cette actualité. 


Depuis début septembre, c’est la période des inscriptions pour l’organisme de formation, pour les cours de français langue étrangère : Alphabétisation et FLE (Français Langue Etrangère). 

Jeudi, nous avons eu une réunion d’une centaine de personnes qui viennent des quatre coins du monde. Il y a au moins une quarantaine de nationalités représentées. 

Alors, en accueillant toutes ces personnes, je me suis dit que nous étions bien à notre place - en tant qu’association d’ancrage Protestant - marquée par les valeurs de l’Evangile. 


C’est une chance d’accueillir toutes ces personnes qui viennent d’horizons différents - avec leur histoire (parfois compliquée) et leur culture. (Je pense particulièrement aux Colombiens, aux Moldaves, aux Géorgiens, qui sont plus nombreux cette année.) 

La plupart de ces personnes vient apprendre le français, dans le but de construire une nouvelle histoire et des projets en France. Nous pouvons leur apporter des choses, mais elles aussi, ont beaucoup à nous donner. 


Alors, oui… nous pouvons parfois avoir des peurs… quand on écoute certains discours politiques sur les étrangers et l’émigration… on sait aussi qu’il y a des problèmes réels, liés à des phénomènes de ghettoïsation des personnes d’origine étrangère dans certaines cités ou quartiers dits « prioritaires » -… on sait que le multiculturalisme est tout autant une richesse qu’une difficulté… - tout ça est concret et ne doit pas être nié -. Mais, nous pouvons aussi écouter l’Evangile, pour sortir de nos peurs et de notre « quant à soi ». 


Nous pouvons nous interroger sur cette question - et sur bien d’autres (car ce n’est qu’un exemple) - et tenter d’analyser la manière dont nos attachements - divers et variés - nous empêchent parfois d’être libres et généreux. 


* C’est donc une remise en cause de nos modes de vie que Jésus nous propose. 

Il nous invite à réfléchir à ce qui fonde nos attachements, nos comportements possessifs ou compulsifs (parfois irrationnels)… pour remarquer que ceux-ci sont souvent liés à des peurs primitives (comme le repli sur soi, ou le protectionisme, qui sont liés à un instinct de survie : l’instinct primitif de la tribu qui cherche à se protéger de potentiels ennemis). 

C’est la peur de perdre, de manquer, ou la peur de l’inconnu, de devoir changer et sortir de sa zone de confort, qui sont en jeu. 


Or, le détachement dont parle le Christ, c’est tout le contraire de la peur. 

Le détachement est une marque de confiance. 


Accepter de se détacher, de lâcher prise, cela signifie ne plus compter seulement sur soi-même ou sur ses biens. C’est accepter de faire enfin confiance à un Autre, à la vie, à Dieu. 


Le détachement - comme le don et la générosité - sont tout simplement une marque de foi, de confiance en la vie et en Dieu. Ils nous ouvrent à l’amour. 

Ils sont aussi une manière d’affirmer cette conviction, selon laquelle rien n’est plus important que notre relation à Dieu et aux autres. 


Partout dans l’évangile, Jésus ne cesse d’affirmer cette conviction qu’aucun bien, aucun attachement matériel, ne peut valoir le prix de la vie, ni le sacrifice de la relation à Dieu et aux prochains (cf. Par ex. Lc 12, 16-21). 


Autrement dit, le détachement, le lâcher prise, nous font entrer dans le règne de l’amour inconditionnel, que Jésus appelle le règne de Dieu. 


* Deux point, pour conclure : 


- Nous le savons tous, le détachement, c’est le contraire de la convoitise, de la concupiscence, de l’avidité… qui consiste à ramener toute chose à soi-même. 

L’un permet le don et le partage… l’autre - nous recentre sur l’ego - et fait obstacle à la relation et à la vie. 


Voilà pourquoi Jésus a des paroles dures (jusqu’à couper sa main ou arracher son oeil) : il nous appelle - purement et simplement - à nous séparer de ce qui nous empêche d’accueillir la vie en plénitude en nous et autour de nous… d’entrer dans la nouvelle mentalité du règne de Dieu. 


- Pour entrer dans la vie nouvelle, marquée par l’amour de Dieu… Jésus nous invite au dépouillement, et même à une forme de vulnérabilité :


C’est quand on ne peut plus se réfugier derrière nos possessions, nos biens, nos attachements, nos savoirs, nos doctrines ou nos dogmes (quels qu’ils soient)… qu’enfin on découvre la liberté des enfants de Dieu… et qu’on entre dans la foi, la confiance. 


Alors, bien loin des discours de ce monde, qui nous propose essentiellement un salut individualiste « chacun pour soi »… un salut qu’on atteindrait par un « toujours plus »… toujours plus de possessions, de biens, de confort, de pouvoir ou de puissance, etc. …  laissons résonner écoutons en nous le message de Jésus qui nous invite au lâcher prise, au détachement et au dépouillement … pour enfin - et en vérité - aller à la rencontre de Dieu et de notre prochain. 


Amen.