Lectures bibliques : Mc 9, 42-50 ; Mc 10, 17-31
Thématique : le détachement comme voie de salut
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Bordeaux-ville (temple du Hâ), le 30/09/18.
* « Si ta main entraîne ta chute, coupe-la ; il vaut mieux que tu entres manchot dans la vie que d’aller avec tes deux mains dans la géhenne, dans le feu qui ne s’éteint pas » (Mc 9,43)
« Si ton œil entraîne ta chute, arrache-le ; il vaut mieux que tu entres borgne dans le Royaume de Dieu que d’être jeté avec tes deux yeux dans la géhenne, où le ver ne meurt pas et où le feu ne s’éteint pas » (Mc 9, 47-48).
Il est difficile, pour nous, d’essayer d’appréhender ces paroles de Jésus, à 2000 ans de distance.
Que voulait-il dire exactement ?
En quoi ces paroles nous concernent-elles encore aujourd’hui ?
Et qui aurait envie de se mutiler - de s’arracher un membre - pour sauver le reste ? La perspective ne semble pas très réjouissante !
Regardons précisément de quoi il est question :
Il s’agit - pour Jésus - « d’entrer dans la vie »… ou « d’entrer dans le royaume de Dieu »… sans doute les deux termes sont-ils synonymes.
« Entrer dans la vie » c’est avoir part au salut, à la vie éternelle, la vie en plénitude.
A cela, Jésus oppose la géhenne de feu : La géhenne désignait, à cette époque, un lieu… une vallée devenue une décharge publique, où étaient entretenus des feux, destinés à bruler les déchets et les ordures : c’était, en quelque sorte, un incinérateur à ciel ouvert.
Jésus établit donc, dans ses propos, une sorte de dichotomie entre ce qui est appelé à être sauvé, à vivre, à durer, à se développer et à croitre … et ce qui est appelé à périr, ce qui est voué à la destruction.
Il est question de discerner ce qui, en nous, peut faire barrage à la vie en plénitude.
Le maître émet l’idée qu’il vaut mieux se séparer de ce qui peut constituer - en nous - un obstacle à la vie… et, ainsi, sauver son âme… plutôt que de tout perdre et de rater l’objectif, qu’il appelle « entrer dans la vie » ou « entrer dans le règne de Dieu ».
Face à ce qui peut faire obstacle à la vie, au coeur même de notre existence actuelle, Jésus préconise un remède radical : le détachement volontaire (voire le renoncement).
Pour accéder à la vie éternelle - la vie en plénitude - il faut accepter - nous dit-il - de vivre dans le détachement.
Ainsi, « couper sa main » symbolise le fait de rompre avec ses passions ou ses attachements… d’accepter de se séparer de ses entraves… de se libérer de ce qui nous retient captif ou « esclave »… de ce qui nous emprisonne et nous empêche d’avancer et d’évoluer.
Il y a certainement, en nous, des choses qui méritent d’être jetées - des attachements ou des comportements mortifères - ou peut-être des habitudes, des routines, voire même des choses qui nous obsèdent.
Il vaudrait mieux, pour nous, les abandonner… perdre ces attachements mondains ou personnels… plutôt que d’y laisser la vie et de perdre son âme.
* Le deuxième passage biblique que nous avons entendu - la rencontre de Jésus avec un homme riche - est un exemple, qui illustre parfaitement les propos précédents du maître.
Pour la plupart, nous connaissons certainement bien ce passage.
La problématique - la question - est la même : comment recevoir la vie - la vie éternelle - en partage ?
Cette rencontre montre la situation d’une personne dont l’attachement aux biens, aux possessions, risquent de l’empêcher d’atteindre sa cible :
- D’une part, son attachement à ses richesses risque de l’empêcher de vivre des relations épanouies et libres avec ses semblables.
Si Jésus propose à cet homme d’entrer dans la logique du don radical… de l’abandon - en donnant ses biens aux pauvres - c’est pour déclencher une prise de conscience… pour lui permettre d’entrer dans le lâcher prise, en acceptant de partager avec les autres.
Jésus veut lui faire percevoir une nouvelle manière de voir la vie. Il veut lui permettre de considérer que la relation à autrui - en tant que telle - est plus importante que la possession d’argent et de richesses.
Bien sûr, cela, nous le savons tous, en théorie.
Mais ce n’est pas pour autant que nous parvenons réellement à le vivre, en pratique.
Dès que quelqu’un veut toucher à notre porte-monnaie, à notre pouvoir d’achat - sous prétexte de partage - les réactions des uns ou des autres sont très différentes.
Et cela est vrai, quel que soit notre niveau de richesse.
(On voit, par exemple, au niveau fiscal, toutes les craintes suscitées par la mise en oeuvre du prélèvement à la source. Chacun a peur d’y perdre.)
Fondamentalement, on sait très bien que si les 20% des nations les plus riches du monde (dont nous faisons partie) décidaient d’entrer dans le détachement - dont parle Jésus - ne serait-ce que partiellement - et de partager davantage avec les 80% des pays les plus pauvres… le monde connaitrait certainement un plus grand bonheur… la vie serait certainement meilleure pour une majorité des gens.
Et bien sûr, ce qui est valable au niveau collectif - l’idée que le partage et le don sont capables de susciter l’abondance - l’est aussi à un niveau individuel.
Chacun de nous est concerné par cette question, à titre personnel : par la question de notre relation à l’argent et aux autres… par la question de nos choix et de nos priorités.
- D’autre part - je reviens sur le jeune homme riche - l’attachement de cet homme à ses possessions risque de l’empêcher d’entrer dans - ce que Jésus appelle - le Royaume de Dieu, le monde nouveau de Dieu.
De quoi s’agit-il ?
En quelques mots, on pourrait dire que c’est l’entrée dans une nouvelle mentalité, une nouvelle manière d’être, marquée par l’Esprit de Dieu.
Et comme Dieu est Vie, Don et Amour, « entrer dans le règne de Dieu » c’est entrer dans l’amour inconditionnel, entrer dans le don de soi.
Il y aurait donc des attachements qui nous lient et nous rendent esclaves… qui pourraient nous empêcher d’entrer dans l’amour inconditionnel.
L’évangéliste Marc - à travers le récit de cette rencontre avec Jésus - nous donne l’exemple de la richesse, de l’argent… l’argent qui peut devenir une fin en soi ou un instrument de pouvoir, de puissance… au lieu d’être au service de l’échange et du don.
* En relisant ce texte, plus en détail, on peut voir qu’il y a un décalage de vocabulaire entre la question posée par l’homme riche « comment recevoir la vie éternelle en partage ? » et la réponse de Jésus qui se poursuit dans un dialogue avec les disciples, où il s’agit « d’entrer dans le Royaume de Dieu ».
La Vie éternelle et le Royaume de Dieu, c’est certainement la même chose pour les contemporains de Jésus - c’est le règne de la vie, de l’amour, de la lumière - mais cette distinction est intéressante, dans la mesure où l’on pense souvent que l’expression « vie éternelle » désigne essentiellement l’espérance d’une vie post-mortem.
La vie éternelle, ce serait - en quelque sorte - la vie pour après la mort… la vie dans le « paradis ».
Or, si Jésus parle d’entrer dans le règne de Dieu - dans la mentalité du monde nouveau de Dieu - c’est pour ici et maintenant. Il n’est pas question d’attendre le trépas sans rien faire.
Jésus nous invite à une transformation de notre manière de voir, de penser, et d’agir, ici et maintenant.
Pour lui, c’est, dès à présent, qu’on peut entrer dans le règne de l’amour qui vient de Dieu.
* A travers ces passages que Marc nous a transmis, il me semble que Jésus nous livre un enseignement et nous rappelle que cela passe d’abord par une analyse personnelle, un retour sur nous-mêmes :
Qu’est-ce qui nous retient encore captif et esclave dans notre existence ?
De quoi avons-nous encore besoin d’être libérés ou guéris ?
Souvenons-nous que « être sauvés », veut dire être libérés, délivrés, être guéris. (En latin « Salvus » signifie « être guéri »)
Pour Jésus, l’entrée dans le règne de l’amour inconditionnel - qui est le règne de la vie - passe par le détachement et le lâcher prise. Cela passe par le don et le don de soi.
Souvenons-nous de ces paroles : « Qui veut sauver sa vie - et la garder pour soi - la perdra… mais qui acceptera de la perdre - de la risquer - à cause de moi et de la bonne nouvelle, la sauvera » (cf. Mc 8,35)
Voici donc le remède prescrit par Jésus :
Le don et le don de soi permettent de faire circuler la vie, alors que nos attachements la bloquent et la retiennent.
Et quand la vie ne circule plus, c’est le signe que quelque chose est malade et a besoin de salut.
* Encore une fois, il peut être instructif de regarder notre monde, avec un peu de hauteur et de distance - non pas pour nous culpabiliser (ça ne serait pas très productif), mais pour faire évoluer notre niveau de conscience - pour nous permettre de progresser vers plus de vie et de liberté.
Quand on observe notre société, on se rend compte à quel point nos attachements mondains nous empêchent d’aller vers plus de fraternité, de paix, de solidarité, de partage … d’amour… Il suffit d’ouvrir les yeux.
Nous vivons dans le monde que nous avons nous-mêmes construits et forgés … un monde toujours en mutation. On pourrait s’arrêter sur bien des domaines et des exemples de la vie en société, pour constater nos multiples attachements. Ce matin, je me limiterai à un exemple concret :
Dans notre monde, nous constatons paradoxalement une mondialisation des échanges concernant les biens, mais pas forcément concernant les personnes. On laisse circuler librement les marchandises et les biens entre les pays et les continents - puisqu’on peut facilement acheter sur Internet ou au supermarché des produits fabriqués à l’autre bout de la planète -, mais on empêche les personnes de circuler, sous prétexte de sécurité, parce qu’elle n’auraient pas le bon visa ou le bon drapeau sur leur carte d’identité.
Cet état de fait pose des questions et génère bien des difficultés… en premier lieu, pour tous les réfugiés et les migrants, qui fuient soit l’oppression ou la guerre, soit la misère économique.
De notre coté, nous agissons ainsi - nous et nos dirigeants - (en restreignant l’accueil des personnes), parce qu’en réalité nous vivons, en grande partie, dans la peur… la peur de l’autre, la peur de perdre ou de manquer.
Nous avons fait ces choix (comme beaucoup de pays), parce que nous tenons à sauvegarder et à défendre notre pré carré, nos biens, notre pouvoir d’achat, notre modèle de vie, notre confort et notre culture.
Oui… nous, pays occidentaux… pays riches… nous refusons d’accueillir beaucoup de nos frères et soeurs en humanité… qui en auraient besoin… en raison de nos attachements.
Hors de toute polémique, c’est un constat qui nous appelle à une certaine lucidité… à la fois, collectivement… mais aussi, individuellement, car nous sommes tous contraints par nos attachements personnels.
Cette semaine, au Foyer Fraternel (Centre social du quartier des Chartrons), ce qui s’est passé a rejoint cette question et cette actualité.
Depuis début septembre, c’est la période des inscriptions pour l’organisme de formation, pour les cours de français langue étrangère : Alphabétisation et FLE (Français Langue Etrangère).
Jeudi, nous avons eu une réunion d’une centaine de personnes qui viennent des quatre coins du monde. Il y a au moins une quarantaine de nationalités représentées.
Alors, en accueillant toutes ces personnes, je me suis dit que nous étions bien à notre place - en tant qu’association d’ancrage Protestant - marquée par les valeurs de l’Evangile.
C’est une chance d’accueillir toutes ces personnes qui viennent d’horizons différents - avec leur histoire (parfois compliquée) et leur culture. (Je pense particulièrement aux Colombiens, aux Moldaves, aux Géorgiens, qui sont plus nombreux cette année.)
La plupart de ces personnes vient apprendre le français, dans le but de construire une nouvelle histoire et des projets en France. Nous pouvons leur apporter des choses, mais elles aussi, ont beaucoup à nous donner.
Alors, oui… nous pouvons parfois avoir des peurs… quand on écoute certains discours politiques sur les étrangers et l’émigration… on sait aussi qu’il y a des problèmes réels, liés à des phénomènes de ghettoïsation des personnes d’origine étrangère dans certaines cités ou quartiers dits « prioritaires » -… on sait que le multiculturalisme est tout autant une richesse qu’une difficulté… - tout ça est concret et ne doit pas être nié -. Mais, nous pouvons aussi écouter l’Evangile, pour sortir de nos peurs et de notre « quant à soi ».
Nous pouvons nous interroger sur cette question - et sur bien d’autres (car ce n’est qu’un exemple) - et tenter d’analyser la manière dont nos attachements - divers et variés - nous empêchent parfois d’être libres et généreux.
* C’est donc une remise en cause de nos modes de vie que Jésus nous propose.
Il nous invite à réfléchir à ce qui fonde nos attachements, nos comportements possessifs ou compulsifs (parfois irrationnels)… pour remarquer que ceux-ci sont souvent liés à des peurs primitives (comme le repli sur soi, ou le protectionisme, qui sont liés à un instinct de survie : l’instinct primitif de la tribu qui cherche à se protéger de potentiels ennemis).
C’est la peur de perdre, de manquer, ou la peur de l’inconnu, de devoir changer et sortir de sa zone de confort, qui sont en jeu.
Or, le détachement dont parle le Christ, c’est tout le contraire de la peur.
Le détachement est une marque de confiance.
Accepter de se détacher, de lâcher prise, cela signifie ne plus compter seulement sur soi-même ou sur ses biens. C’est accepter de faire enfin confiance à un Autre, à la vie, à Dieu.
Le détachement - comme le don et la générosité - sont tout simplement une marque de foi, de confiance en la vie et en Dieu. Ils nous ouvrent à l’amour.
Ils sont aussi une manière d’affirmer cette conviction, selon laquelle rien n’est plus important que notre relation à Dieu et aux autres.
Partout dans l’évangile, Jésus ne cesse d’affirmer cette conviction qu’aucun bien, aucun attachement matériel, ne peut valoir le prix de la vie, ni le sacrifice de la relation à Dieu et aux prochains (cf. Par ex. Lc 12, 16-21).
Autrement dit, le détachement, le lâcher prise, nous font entrer dans le règne de l’amour inconditionnel, que Jésus appelle le règne de Dieu.
* Deux point, pour conclure :
- Nous le savons tous, le détachement, c’est le contraire de la convoitise, de la concupiscence, de l’avidité… qui consiste à ramener toute chose à soi-même.
L’un permet le don et le partage… l’autre - nous recentre sur l’ego - et fait obstacle à la relation et à la vie.
Voilà pourquoi Jésus a des paroles dures (jusqu’à couper sa main ou arracher son oeil) : il nous appelle - purement et simplement - à nous séparer de ce qui nous empêche d’accueillir la vie en plénitude en nous et autour de nous… d’entrer dans la nouvelle mentalité du règne de Dieu.
- Pour entrer dans la vie nouvelle, marquée par l’amour de Dieu… Jésus nous invite au dépouillement, et même à une forme de vulnérabilité :
C’est quand on ne peut plus se réfugier derrière nos possessions, nos biens, nos attachements, nos savoirs, nos doctrines ou nos dogmes (quels qu’ils soient)… qu’enfin on découvre la liberté des enfants de Dieu… et qu’on entre dans la foi, la confiance.
Alors, bien loin des discours de ce monde, qui nous propose essentiellement un salut individualiste « chacun pour soi »… un salut qu’on atteindrait par un « toujours plus »… toujours plus de possessions, de biens, de confort, de pouvoir ou de puissance, etc. … laissons résonner écoutons en nous le message de Jésus qui nous invite au lâcher prise, au détachement et au dépouillement … pour enfin - et en vérité - aller à la rencontre de Dieu et de notre prochain.
Amen.
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