dimanche 29 juin 2014

Lc 17, 20-21

Lc 17, 20-21
Lectures bibliques : Mt 13, 24-35 ; Lc 17, 20-21
Thématique : Accueillir le règne de Dieu en soi : une quête, source de transformation.
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 29/06/14.

* Chers amis, ce n’est pas une réflexion aboutie que j’aimerais vous faire partager ce matin, mais simplement une interrogation, afin que nous essayons ensemble d’en rechercher les causes :

Nous constatons aujourd’hui, dans le monde rural, une sorte de désaffection lente et progressive vis-à-vis des églises chrétiennes et historiques.
Les jeunes et les familles fréquentent peu ou pas les lieux de culte (qu’ils soient Protestants ou Catholiques). La place du Christianisme semble être devenue ultra-minoritaire… bien qu’en même temps, on fasse toujours appel à la figure du pasteur – ici ou là – pour des actes particuliers : au moment des obsèques, pour des demandes baptêmes ou à l’occasion de la bénédiction d’un mariage.

Le sentiment d’appartenance à une communauté – important pour les Anciens, car, nous savons bien qu’« on n’est pas Chrétien tout seul » dans son coin, qu’on a besoin des autres pour avancer et cheminer dans la foi – ne joue plus ou n’attire plus les plus jeunes.

Face à des emplois du temps toujours plus chargés, à des sollicitations toujours plus grandes, qui captent facilement les attentions et les disponibilités, mais aussi face à une sorte de montée de l’individualisme… nous voyons bien que le temps du dimanche matin est rarement consacré au désir de partager ensemble une quête de Dieu, une volonté de se placer devant lui, pour le louer, pour écouter sa Parole, nous ressourcer et nous fortifier les uns les autres, pour vivre un temps de communion avec le Seigneur et avec nos frères et sœurs.

Bref… le culte dominical ne semble plus – pour les nouvelles générations – être le lieu central de la communauté chrétienne… un lieu privilégié pour se retrouver et prier ensemble.

Ce constat peut nous interroger : Pourquoi en est-il ainsi ?

Est-ce simplement la conséquence d’une rupture dans le suivi des générations, qui daterait des années 50 ou 60 ? Est-ce une conséquence de la laïcité, qui aurait réduit la foi à un élément de la sphère privée ? Est-ce à cause de la dissémination ? des emplois du temps trop remplis ? d’un sursaut d’individualisme ? de la mode des écrans (ordinateur, télévision, tablettes, etc.) qui nous éloigneraient de la quête de vraies relations humaines ? Ou y a-t-il autre chose… d’autres raisons à cet état de fait ?

Par ailleurs… pour compléter le tableau… il faut ajouter que toutes ces personnes – bien souvent et en réalité – ne se désintéressent pas des questions spirituelles.
Beaucoup de nos contemporains sont en quête de sens, en recherche personnelle… même s’ils ne savent pas forcément dans quelle direction s’orienter.

En ce sens, on constate un regain d’intérêt pour les religions ou philosophies orientales, notamment le Bouddhisme… mais aussi pour les ateliers de « développement personnel », guidés par un coach, et un attrait pour le yoga, la relaxation, les ateliers de « bien-être », etc.

Il faut prendre en compte cette soif de spiritualité et nous demander pourquoi nos Eglises chrétiennes ne sont plus vues comme des lieux où cette attente, ce désir peut être vécu et partagé… comme des lieux de questionnement, de ressourcement, d’épanouissement, à la fois sur le plan personnel et collectif (?)

Pourquoi ne considère-t-on pas ou plus nos Eglises comme des lieux d’apprentissage et de partage de la foi ? comme des lieux où l’on peut s’interroger et essayer d’avancer ensemble ?

* Tout en posant ce diagnostic, je viens d’évoquer un certain nombre de raisons « sociologiques », mais je crois qu’il faut se demander s’il n’y a pas d’autres raisons… peut-être « théologiques », « ecclésiales » ou même « spirituelles ».
Je me demande si ce constat n’est pas lié – en premier lieu – à la « vision » que nous avons et que nous véhiculons de Dieu…  ou plutôt à l’idée que beaucoup se font au sujet des églises chrétiennes et à leur manière de penser Dieu et la foi.

Arrêtons-nous une minute sur ce mot « Dieu »…ce terme équivoque… que nous prononçons si souvent au cours d’un culte.
Ce matin, si je demandais à chacun de prendre la parole, quelques instants, pour en parler, pour essayer de dire qui il est pour nous, pour dire le rapport, la relation, qui nous lie à cette réalité… il n’est pas du tout certain que nous en aurions une définition commune. Le contraire est même probable… car chacun a tendance à se faire sa propre image mentale de ce Dieu que nous déclarons pourtant unique. Et cela est normal… c’est ainsi que nous fonctionnons. Mais, « Dieu » ne se laisse pas enfermer dans nos définitions et nos représentations. Il est au-delà… il échappe à notre connaissance et notre langage.

Pour autant, notre Eglise, qui s’appuie sur la Bible, essaie de développer une intelligence de la foi… d’avoir un discours le plus clair possible sur cette réalité que nous nommons « Dieu »…. dans l’idée que « la foi » n’est pas contraire à « la raison », mais qu’elle vient davantage lui donner de l’épaisseur, de la profondeur (cf. Tillich).

Dans le Christianisme – on peut s’en réjouir – on essaie de ne plus penser Dieu comme autrefois, à la manière du paganisme ou de la mythologie, comme « un être suprême », une sorte de dieu grec, tout-puissant et capricieux, qui régnerait du haut des cieux sur son trône, avec son sceptre et sa grande barbe blanche… mais, bien davantage, comme une réalité qui est au fondement de tout être… comme le fondement-même de l’être et de la vie (cf. Tillich) …. comme une réalité ultime, inconditionnée et dynamique.

La Bible nous dit que Dieu est l’Eternel, qu’il est Esprit, qu’il est Amour… que ce Dieu est totalement différent… et même inimaginable pour nous… qu’il est tout-Autre, en tant qu’il est « Créateur »… le Vivant à l’origine de la vie.
Mais en même temps, Jésus Christ, qui est venu nous révéler le visage du Père, nous montre que ce Dieu est « Sauveur ». Il nous rappelle, à la suite des prophètes, la possibilité de vivre dans l’alliance, de partager une relation de proximité avec Dieu.
D’ailleurs, ce Dieu qui nous aime, est tellement proche de nous que nous pouvons l’appeler « père, abba… papa ». Jésus nous dit la possibilité de vivre une relation de confiance – une relation personnelle et intime – avec Dieu… avec ce Dieu qui aime ses créatures… qui veut la vie et le bonheur pour elles, pour ses enfants.

A bien y regarder, la Bible va même plus loin dans la manière de nous présenter Dieu : elle nous parle d’un Dieu qui tellement impalpable, insaisissable, imperceptible, qu’il est comme un souffle… qu’il est Esprit… et donc qu’il peut venir habiter notre réalité, notre vie, notre esprit… qu’il peut se rendre présent au cœur de notre existence, au plus intime de notre être. 

Autrement dit, la foi chrétienne nous parle d’un Dieu « transcendant », totalement Autre, bien au-delà de ce que nous pouvons connaître ou deviner… mais également d’un Dieu « immanent », d’un Dieu qui s’incarne dans les êtres… qui peut se rendre présent à notre conscience et au plus intime de notre vie… un Dieu susceptible de venir nous habiter, nous influencer, nous transformer.

C’est sur ce dernier point que je voudrais m’arrêter avec vous quelques instants ce matin :

Je me demande si ce n’est pas ce qui nous manque à nous Chrétiens et Protestants… cette manière « immanente » et « incarnée » de penser Dieu… comme une réalité présente… une réalité capable d’agir… capable de nous transformer intérieurement… pour autant que nous l’accueillions, pour autant que nous nous ouvrions à elle.

Le Christianisme a tellement insisté sur la dimension transcendante de Dieu que je crois que nous avons tendance à oublier cet aspect « immanent », que nous négligeons de penser la dimension présente et agissante de Dieu au plus intime de nous-mêmes.
Du coup… il est tout-à-fait possible que cela contribue à déconnecter « la religion » de « la spiritualité ».[1]

* Pour s’en convaincre, il suffit d’ouvrir quelques livres de théologie.

- Prenons, par exemple, l’éminent théologien Karl Barth.
Barth a voulu affirmer avec force le fait que Dieu est inconnaissable ou plutôt incompréhensible. Aussi, dit-il, Dieu est tellement inaccessible, qu’on ne peut s’approcher de lui.
Pour le connaître, il faut que lui-même s’approche de nous. Il faut, de sa part, un acte surnaturel d’auto-communication, volontaire et intentionnel.

Pour Barth, Dieu ne peut être trouvé ni dans la nature, ni dans l’histoire, ni dans l’expérience humaine quelle qu’elle soit, mais uniquement dans la révélation qui nous est donnée par la Bible.

Dieu va vers l’homme, et non l’homme vers Dieu. Il n’existe aucun chemin de l’homme vers Dieu
Même après la révélation, l’homme ne peut connaître Dieu, car il est toujours « le Dieu inconnu »…  C’est seulement en Jésus Christ et par lui – c’est-à-dire par un acte de révélation – que l’homme peut connaître Dieu.[2]

Bien entendu, si Barth s’appuie sur le concept de révélation « surnaturelle » ou « spéciale », pour mettre en avant l’altérité et la transcendance de Dieu, seul souverain et maître dans le plan de sa révélation… d’autres théologiens ont développé d’autres manières de voir.
D’emblée… la question que soulève cette thèse, c’est de savoir si on doit tout attendre, exclusivement, de Dieu (?)

Pour qu’il y ait véritablement « révélation », l’homme ne doit-il pas en être un récepteur actif, un auditeur attentif et engagé… ne doit-il pas entrer en correspondance avec la dynamique divine, par une démarche personnelle d’ouverture et de réponse à Dieu ?

En effet, comment penser l’approfondissement de la foi sans la lier à une recherche personnelle assidue… sans penser que l’homme – même en tant que créature finie – est aussi capable d’infini, capable de Dieu… appelé à lui répondre… à s’ouvrir à lui ?

- C’est en quelque sorte, le constat qu’avaient formulé un certain nombre de théologiens bien plus tôt, notamment pendant la période du moyen-âge.

Selon certains – par exemple, Bonaventure – il existe un double mouvement : un itinéraire de l’âme ou de l’esprit vers Dieu, dans une sorte de mouvement ascendant, et un mouvement descendant de Dieu vers l’homme. C’est précisément cette conjonction, cette rencontre, qui permet au croyant, par l’ouverture et le lâcher-prise, d’accéder à la contemplation du mystère de Dieu, à la fois, à l’extérieur de lui, en lui et au-dessus de lui… pour atteindre, à certains moments exceptionnels, une sorte d’extase mystique.

Bien entendu, il ne s’agit pas forcément de vouloir atteindre un tel état. Mais, ce qui est intéressant dans cette manière de voir les choses, c’est l’idée que Dieu et l’humain sont deux partenaires de la relation de foi :
Si la connaissance de Dieu est d’abord liée à un mouvement de Dieu vers l’homme… l’humain est appelé à répondre et à prendre part à cette connaissance offerte par Dieu… et cela implique une recherche, une quête et une ouverture du côté de l’humain, pour être un récepteur actif de la révélation.

Ainsi, un certain nombre de théologiens – contrairement à Barth – soutiennent l’idée que l’homme peut essayer d’avancer et de progresser dans la connaissance de Dieu et la découverte de la foi.

* Je crois que ces deux manières de penser (il y en aurait évidemment d’autres à explorer) peuvent nous questionner :  
Précisément, n’est ce que cela qui nous manque aujourd’hui, dans le Christianisme ? Et que certains vont chercher ailleurs, dans les religions orientales ou dans le Bouddhisme, par exemple ?

Ne devons-nous pas réhabiliter cette idée que nous pouvons cheminer et, peu à peu, essayer de progresser dans notre vie spirituelle ? que nous pouvons apprendre à méditer, à prier, à nous tourner vers l’Eternel au sein même de notre intériorité, dans une dimension qui nous est personnelle et intime… en nous-mêmes ?

Plus fondamentalement, nous considérons-nous réellement comme « des chercheurs de Dieu » ?

Il ne s’agit pas, bien entendu, de nous éloigner ou de refuser – par là –  notre condition humaine, par une sorte de quête spirituelle ou mystique. Mais, au contraire, d’essayer d’habiter, toujours plus profondément et davantage, notre existence présente, notre condition de créatures en communion avec le Créateur… de nous découvrir et de nous accepter réellement fils et filles de Dieu… en laissant Dieu être « Dieu en nous »… afin de vivre dans le concret de l’existence, dans le quotidien, cette humanité en relation avec Dieu.

Je me demande si ce n’est pas cela que nous devons retrouver : cet aspect de cheminement dans la vie de foi… cette idée que nous pouvons mettre à disposition des moyens (du temps, de l’énergie, notre corps, l’expérience des mystiques, des moines ou de quelques maîtres) pour progresser dans la découverte de la spiritualité, de la méditation… dans l’objectif de cheminer vers une réalité qui nous permet d’accéder à une dimension unifiée et réconciliée de nous-mêmes… et d’avancer vers plus d’amour, de compassion et de liberté… pour nous approprier réellement le salut que Dieu nous donne et dont nous avons besoin… pour effectivement vivre libres et réconciliés avec soi-même, avec Dieu et avec les autres.

Or, chers amis, je ne sais pas si nous sommes réellement inscrits dans cette dynamique… « partie prenante » de cette quête de spiritualité.
Et c’est peut-être la raison pour laquelle certains de nos contemporains s’orientent ailleurs que dans nos Eglises pour répondre à leur soif.

Tout simplement… posons-nous la question : Nous considérons-nous (personnellement et collectivement) comme des croyants en marche, en quête… animés par le désir de nous ouvrir à Dieu… à cette réalité susceptible d’agir dans notre for intérieur… pour nous changer, nous transformer… pour nous rendre meilleurs (c’est-à-dire « plus authentiquement humains », plus proches de notre vocation d’hommes et de femmes devant Dieu) ?

* Je vous propose de conclure ce questionnement, en revenant à l’Evangile de ce jour. Précisément… n’est-ce pas là ce que Jésus nous appelle à vivre … lorsqu’il affirme que le Royaume de Dieu est parmi nous, c’est-à-dire à notre portée.

Dans le bref passage de l’évangile de Luc (cf. Lc 17, 20-21) que nous avons entendu, Jésus souligne que le règne de Dieu n’est pas une réalité objectivable ou observable, qui pourrait s’imposer à la vue de tous de manière certaine, absolue et irréfutable. Mais, en même temps, il affirme que cette réalité nous concerne, que nous pouvons y prendre part, nous y engager :
« Le règne de Dieu ne vient pas de telle sorte qu'on puisse l'observer – dit-il. On ne dira même pas : « Regardez, il est ici ! », ou : « Il est là-bas ! » En effet, le règne de Dieu est au milieu de vous »… parmi vous.

Autrement dit, le règne de Dieu est d’abord une réalité qui se découvre dans une expérience subjective, c’est-à-dire dans une expérience intérieure, existentielle, spirituelle.

[Le règne de Dieu est « au milieu de vous »… cela veut dire « à l’intérieur de vous-mêmes, dans votre cœur, au plus intime de votre être ». Le règne de Dieu est une réalité cachée, secrète, intime – une force, une puissance, une dynamique qui suscite un changement intérieur. Le véritable changement inauguré par la venue du règne de Dieu doit s’opérer en nous, au plus intime de ce qui nous constitue. Ensuite, peut-être, aura-t-il des effets, des répercussions dans le monde, qui entraîneront des changements réels, profonds et durables dans la société et dans l’histoire de l’humanité… à la manière de la graine de moutarde évoquée dans la parabole (cf. Mt 13, 31-32), qui finit par devenir un grand arbre au terme d’un lent mûrissement et d’une croissance souterraine.

Ce que Jésus souligne ici – indirectement – c’est qu’il est vain, absurde et illusoire d’imaginer que le monde puisse changer en quoi que ce soit, si d’abord mon cœur ne subit pas un profond changement, un retournement, une transformation, une conversion (un changement de mentalité et d’orientation).

Avant de rêver à changer le monde (et nous savons tous qu’il en aurait vraiment besoin), Jésus nous dit : occupe-toi de changer toi-même !
Et c’est pour cela qu’il est venu inaugurer le règne de Dieu : pour que chacun puisse rencontrer une possibilité neuve d’être soi-même, une nouvelle manière de comprendre sa propre existence, devant Dieu et avec Lui.

Dans la rencontre avec Jésus peut jaillir à tout instant une conversion du cœur, un nouveau sens à la vie, une nouvelle orientation de l’existence. Alors, et alors seulement, se manifeste le règne de Dieu.

C’est en ce sens que nous pouvons envisager la demande que nous adressons à Dieu dans le Notre Père : « Que ton règne vienne » ! (cf. Mt 6, 10). Cela veut dire que nous demandons au Père qu’il manifeste son règne d’amour en nos cœurs, de telle sorte que nos cœurs convertis par son amour, deviennent le véritable moteur de nos pensées et de nos actions…. de telle sorte que nous devenions des témoins vivants de sa grâce.

C’est seulement ainsi, qu’il nous sera donné d’êtres des disciples du Christ… de prononcer de temps en temps quelques vraies paroles d’Evangile, d’accomplir de temps à autres d’authentiques « gestes d’Evangile » dans l’existence d’un autre.
Alors, il nous sera donné d’être les ouvriers qui coopèrent avec Dieu pour que vienne et vienne encore, en ce monde déchiré, son règne d’amour. ][3]

* Je crois, chers amis, que nous devons garder cela en mémoire. Et que nous pouvons communiquer autour de nous cette façon de penser la foi… comme un cheminement de vie… comme une marche progressive, où, durant toute notre existence, nous sommes appelés à accueillir le règne de Dieu parmi nous, en nous… pour nous laisser convertir et transformer par son souffle, son Esprit.

Alors… ce faisant… peut-être que nos contemporains prendrons conscience qu’il y a là quelque chose ou plutôt quelqu’un susceptible de répondre également à leur soif, à leur quête de spiritualité.
Peut-être entendront-ils en eux-mêmes cet appel que Dieu adresse à chacun de ses enfants… et s’ouvriront-ils à sa Parole de vie.

En attendant… restons attentifs à cette Parole de Jésus : Laissons Dieu régner en nous… laissons Dieu être « Dieu en nous ». Et soyons sûrs que cela aura des conséquences.

Amen.



[1] En orientant « la foi » du côté de la 1ère (la religion) plutôt que vers la 2nde (la spiritualité).
[2] Pour Barth, Jésus-Christ est La révélation de Dieu, et seul celui qui connaît Jésus-Christ peut appréhender quelque chose de la révélation.
[3] J’emprunte cette partie de réflexion d’une méditation de Guilhen Antier.

samedi 28 juin 2014

Mt 5, 6.10

S’engager pour la justice – Mt 5, 6.10

Lectures bibliques : Jr 22, 1-5 ; Ez 33, 10-20 ; Ps 143 ; Mt 5, 1-12
[Autres textes possibles : Ez 18, 19-29 ; Ps 1]
Thématique : Choix de vie, Justice et Béatitude(s)
Prédication de Pascal LEFEBVRE
Soirée de prière – Nuit des veilleurs, avec l’ACAT – temple de Marmande, le 27/06/14.

* Nous venons d’entendre plusieurs passages bibliques : les prophètes Jérémie et Ezéchiel, le psalmiste et l’Evangile. Quel point commun peut-on trouver entre ces textes qui proviennent d’époques et de contextes si différents ? Qu’est-ce qui peut les réunir… et que nous enseignent-ils ?

Ces livres de la Bible partagent une conviction fondamentale :
Ils nous parlent d’un Dieu qui a un projet pour l’être humain… qui veut faire alliance… qui souhaite le bonheur de l’homme.
Ils nous parlent d’un Dieu qui donne… qui aime l’homme, qui lui offre sa grâce. Mais aussi d’un Dieu qui désire, qui appelle… d’un Dieu qui attend une chose de l’humain : qu’il pratique la justice.

C’est cet appel que Jésus nous laisse entendre au cœur du sermon sur la montagne : « Cherchez d’abord le règne de Dieu et sa justice et tout le reste vous sera donné par surcroît » (cf. Mt 6,33).

* Les textes que nous avons entendus ne nous décrivent pas un monde idéal… utopique. Ils partent, au contraire, de notre existence concrète… du monde tel qu’il est.
Sans concession, ils brossent le portrait d’un monde inaccompli où règne encore l’injustice… un monde dominé par le pouvoir que certains exercent sur d’autres… un monde, bien souvent, soumis à la loi du plus fort, à la violence, à la convoitise… et finalement à la souffrance et à la mort qui en résultent.

L’idée fondamentale qui domine dans ces passages, c’est que nos intentions et nos actes ne sont pas indifférents et ne sont pas sans conséquences.
Pour Ezéchiel, Jérémie et le Psalmiste, la justice du Juste conduit à la vie. Et l’injustice du méchant conduit inévitablement à la mort.

C’est cette conviction qu’on retrouve dans le Psaume 1 au tout début du recueil des Psaumes : L’homme juste qui se plaît à la loi du Seigneur est comparé à un arbre planté près des ruisseaux, qui donne du fruit en son temps. En revanche, les méchants n’ont aucune consistance, ils sont comme la paille que le vent emporte.
« Le Seigneur connaît la voie des justes, mais la voie des méchants se perd » (cf. Ps 1,6).

En regardant le monde autour de nous, nous pouvons nous interroger sur cette affirmation du psalmiste. Est-ce si évident ?
Notre expérience concrète et le spectacle des actualités que nous livre le journal télévisé, semblent démentir cette conviction.
Comme le souligne régulièrement le journal de l’ACAT, bien des hommes et des femmes justes, croupissent en prison ou sont soumis à une torture inhumaine. Bien des innocents souffrent injustement, tandis que bien des crapules semblent prospérer impunément.

* Mais pourtant ce que nous laissent entendre les Prophètes, c’est que cela ne saurait durer. C’est que cela ne peut rester en l’état.
Pourquoi ?

- D’une part, il n’est pas du tout évident que les méchants aient envie de le rester. Quand bien même ils exerceraient une forme de pouvoir, de domination… quand bien même ils en tireraient profit… il n’est pas du tout certain que ceux qui commettent l’injustice, soient réellement heureux de le faire. C’est même le contraire qu’il faut penser :
L’homme méchant est souvent devenu ainsi à cause du malheur, à cause d’une histoire – son histoire – faite de ruptures ou d’abandons, d’errances ou de traumatismes… à cause d’expériences ou de rencontres qui ont dévoyé sa vocation d’homme, qui ont enfoui et bloqué son humanité en deçà d’elle-même, dans la peur, la violence ou la vengeance.

Il faut croire que le méchant est d’abord malheureux… quand bien même il  montrerait un visage contraire… qu’il ne peut pas être en paix avec lui-même…  qu’il n’est pas devenu méchant par hasard, mais du fait de son parcours de vie (ou plutôt de mort)… du fait de blessures secrètes.

Bien sûr, le fait d’en avoir conscience, n’enlève rien à la force de la méchanceté, à l’atrocité ou la barbarie des actes. Mais cela nous rappelle que le méchant demeure un être humain, une personne… un homme ou une femme aimé(e) de Dieu… malgré tout.

Il y a une prière du prêtre Guy Gilbert qui exprime cela à sa façon :
« Bienheureux celui qui ne hait ni le voleur, ni le violeur, ni l’assassin, Car il sait que personne ne l’est comme ça, de naissance ».[1]

- D’autre part, ces passages de la Bible nous parlent de nos choix et de leurs portées. Ils nous laissent entendre qu’à plus ou moins long terme, nous subissons forcément les conséquences de nos décisions et de nos actes :
Celui qui choisit le chemin de l’injustice… un jour ou l’autre… finira par en payer le prix. Et « le salaire du péché, c’est la mort » – dit l’apôtre Paul (cf. Rm 6, 23 ; voir aussi Ez 18,4.20) – c’est-à-dire que cela nous restreint, nous diminue, nous enferme, nous rend esclave.
A contrario, celui qui choisit le chemin des Justes en récoltera aussi les fruits : la vie en plénitude, la vie éternelle – selon l’apôtre.

En réalité, c’est face à cette alternative que nous sommes constamment amenés à nous positionner dans l’existence… surtout à l’heure où nous avons des choix importants à faire :
Choisir la vie en écoutant la volonté bienveillante de Dieu à notre égard, ou s’enliser dans des choix mortifères… avancer, évoluer, relever la tête, ou, par nos mauvais choix, restreindre le champ de notre liberté et finir par nous punir nous-mêmes.

C’est tout simplement la situation devant laquelle nous place le livre du Deutéronome (cf. Dt 30, 15-20) :
« Vois : je mets aujourd’hui devant toi la vie et le bonheur, la mort et le malheur, moi qui te commande aujourd’hui d’aimer le Seigneur ton Dieu, de suivre ses chemins, de garder ses commandements […] Choisis la vie ! »

- Enfin, le prophète Ezéchiel nous parle aussi de conversion (cf. Ez 18, 32 ; 33, 11.19). Il nous rappelle que pour Dieu, il n’est jamais trop tard…. Rien n’est jamais perdu.
L’homme méchant peut toujours revenir… changer de mentalité et de comportement.

C’est cette conviction que nous livre Ezéchiel :
« Dis-leur : Par ma vie, — déclaration du Seigneur DIEU — ce que je désire, ce n'est pas que le méchant meure, c'est qu'il revienne de sa voie méchante et qu'il vive ! Revenez, revenez de vos voies mauvaises. Pourquoi devriez-vous mourir, maison d'Israël ? » (cf. Ez 33,11 ; voir aussi Ez 18,23)

De manière explicite, le prophète nous rapporte la volonté de Dieu : Le désir de Dieu est que l’homme se convertisse, qu’il retrouve le chemin des Justes. Car la justice produit la vie en partage. Et Dieu ne veut pas punir ; il veut la vie pour ses enfants. Sa volonté, c’est qu’aucun ne se perde (cf. Mt 18,14).

* Par ailleurs, à côté des Prophètes qui laissent la voie ouverte à la possibilité d’un changement, d’une conversion du méchant, nous avons également entendu les « Béatitudes » dans le Nouveau Testament :

Dans son sermon sur la montagne, Jésus déploie la perspective d’un chemin de vie… de justice… qui conduit au vrai bonheur.
Il s’agit, bien sûr, d’un bonheur paradoxal, car cette voie… ce chemin de vie… est semé d’embuches et d’obstacles.
Mais, quand bien même notre marche croiserait le visage de l’injustice, de l’épreuve et de la souffrance, il demeure, pour Jésus, une certitude et une espérance :

- La certitude, c’est que Dieu est Juste et qu’il est présent aux côtés de la victime, de l’innocent.
Les Psaumes comme l’Evangile affirment avec force que Dieu soutient celui qui tombe… celui qui est mis à mal… celui qui souffre injustement.
Il est du côté du Crucifié, du côté de tous les crucifiés de la terre, surtout quand ils le sont à cause de la justice.

- Et puis, il y a une espérance, c’est que comme Dieu est Juste, il restaurera, il rétablira celui qui a été meurtri, écrasé par l’injustice.

Celui qui a soif de justice (cf. Ps 143,6 ; Mt 5, 6) aura la Vie… la vie en plénitude. Il sera rassasié par l’amour et la justice de Dieu.

On trouve cette promesse dans les Béatitudes (cf. Mt 5, 6.11-12) qui témoignent avec force de cette conviction de foi dans la justice divine:
Nous pouvons faire confiance à Dieu, l’Eternel, le Juste, car il saura faire droit au malheureux. Son amour accomplira toute justice.

Puisque « rien ne peut nous séparer de l’amour de Dieu » (cf. Rm 8,39) – comme le souligne l’apôtre Paul – nous sommes assurés qu’une main est tendue à tout être humain qui crie vers Dieu, son Créateur et son Sauveur.
Celui qui a subi l’iniquité, celui qui a été brisé par l’injustice, sera relevé, tel le crucifié ressuscité.

C’est en raison de cette assurance que Jésus – comme par anticipation – déclare dores et déjà « bienheureux » les assoiffés de justice (cf. Mt 5, 6) et les persécutés pour la justice (cf. Mt 5, 11s).
En dépit du malheur actuel…  les justes souffrants sont, dès à présent, dès maintenant, déclarés « bienheureux ».

C’est bien sûr paradoxal. Mais cela signifie que Jésus ne s’arrête pas à la réalité avant-dernière du mal, de l’injustice, de la souffrance.

Le regard du Christ porte plus loin… et prend son origine bien en amont. Il est orienté par la volonté de Dieu.
Le moteur de son action, c’est le dessein de Dieu et ce dessein, c’est la justice.

C’est la raison pour laquelle ceux qui marchent sur ce chemin sont déclarés « bienheureux » : Ils sont assurés d’être sur le bon sentier – comme dit le psalmiste – sur le seul… le vrai chemin voulu par Dieu : celui des Justes… celui qui mène à la Vie.

* Il n’en demeure pas moins une question qui doit nous préoccuper ce soir.
Il y a, en effet, un point crucial que nos passages bibliques laissent ouvert… comme en suspend :
C’est de savoir qui est Juste et qui ne l’est pas ?
De quel côté sommes-nous réellement ?

Nous le savons, notre monde – notre réalité quotidienne – demeure ambigu. Nos désirs et nos actes ne sont pas limpides. La réalité du mal nous traverse tous.

De temps à autres … et peut-être même plus souvent qu’on ne le pense… par notre indifférence, notre inconscience, notre inconséquence… nous faisons, nous aussi, partie des injustes… parfois, bien malgré nous (cf. Rm 7).

Ne sommes-nous pas à compter parmi la moitié de l’humanité la plus riche… en tout cas, celle qui a le niveau de vie le plus élevé… le plus de confort ? Pour autant, agissons-nous toujours comme des frères vis-à-vis des plus pauvres, des plus petits, des plus faibles ?

Nous pouvons le reconnaître, notre manière de vivre ne transforme pas toujours positivement ce monde.
A n’en pas douter, nous sommes, nous aussi, à compter parmi les pécheurs et les malades… ceux pour qui Jésus est venu (cf. Mt 9, 12-13)… pour nous appeler à la conversion… pour nous apporter le salut.

C’est d’ailleurs ce que relève le psalmiste en se plaçant devant Dieu :
« N’entre pas en jugement avec ton serviteur – dit-il au Seigneur – car nul vivant n’est juste devant toi » (cf. Ps 143, 2).

* Un tel constat – celui de notre injustice présente – ne doit pas nous enfermer dans la culpabilité, mais, au contraire, nous inciter à agir… à nous laisser transformer par Dieu, par son Esprit d’amour.

Le monde qui est le nôtre est certes inaccompli et semé d’injustices… mais il appartient à Dieu.
Aussi, notre Père céleste nous appelle, nous attend et nous envoie…
Il nous invite à devenir ses ouvriers… à entrer dans la logique du Royaume, ici et maintenant… de façon à l’introduire, à l’instiller, à l’impulser dans notre monde.

Dieu attend que nous soyons sa voix, ses bras et ses mains, pour accomplir la justice (cf. Jr 22,3 ; Es 1, 17 ; 58, 6-8). Il attend que nous soyons des acteurs engagés… que nous prenions le parti de l’Evangile… celui de l’amour fraternel.

Il nous appelle à être solidaire avec les faibles, les laissés-pour-compte, les sans-voix, les affamés, les malades, les prisonniers (cf. Mt 25).

Comme Dieu se tient du côté de la victime, de son enfant qui souffre, il nous appelle à faire de même… à être ses enfants de lumière (cf. Ep 5, 1.8-9).
Il demande nos cœurs et nos mains, pour qu’avec nous, enfin, justice soit faite !

Et faire la justice, cela ne veut pas dire écraser ou éliminer le bourreau – vouloir lui rendre le mal commis et subi – mais, au contraire, prier pour celui qui persécute (cf. Rm 12,14 ; Mt 5, 44), prier qu’il se convertisse… qu’il revienne à son humanité devant Dieu… prier pour sa libération, comme on prie pour que celui qui souffre injustement soit délivré et réhabilité.

Alors, frères et sœurs, par nos prières, nos paroles et nos actes, rejetons l’indifférence et le « chacun pour soi », vivons dans la compassion et soyons des artisans de paix et de justice… et ainsi nous pourrons vraiment être appelés fils de Dieu (cf. Mt 5, 9.45)… ainsi, nous serons, à la suite du Christ, ses envoyés et ses disciples… ceux qu’il appelle à être « sel de la terre » et « lumière pour le monde » (cf. Mt 5, 13-16).[2]

Amen.


[1] cf. « l’Aventurier de l’amour ».
[2] Et dans ce service… soyons sûrs qu’il s’agit là d’un chemin de bonheur… du bonheur, tel que Dieu l’entend et le veut.
Là où notre société contemporaine nous promet et nous vend un bonheur solitaire et individualiste – un pseudo-bonheur – confondu avec une quête de possessions et de satisfactions matérielles… Jésus nous invite à ne pas nous contenter d’un petit bonheur au rabais, mais d’avoir une soif plus grande et plus profonde.
Le seul vrai bonheur – celui dont l’Evangile nous parle – n’est pas solitaire, mais solidaire. Ce n’est pas un bonheur égoïste et egocentrique, mais un bonheur partagé, diffusé, contagieux, ouvert.
Ce bonheur-là se conjugue au pluriel. Il se vit avec l’autre… avec tous les autres… à commencer par les plus petits parmi nos frères (cf. Mt 25)… Et ce bonheur-là – soyons en certains – ne peut advenir qu’avec la recherche de la justice (cf. Mt 6,33).

dimanche 15 juin 2014

Mt 6, 12.14-15

Mt 6, 12.14-15
Lectures bibliques : Mt 6, 12.14-15 ; Mt 18, 21-35
Thématique : le Notre Père : « Pardonne-nous nos offenses… »
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Marmande, le 15/06/14.

Ce matin, je vous propose de méditer sur une des demandes du « Notre Père » : « Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi » et sur l’affirmation, quelque peu troublante, qui suit cette prière : « En effet, si vous pardonnez aux hommes leurs fautes, votre Père céleste vous pardonnera à vous aussi ; mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père non plus ne vous pardonnera pas vos fautes » (cf. Mt 6, 14-15).

En écoutant les versets qui concluent le Notre Père et qui nous appellent au pardon… nous pouvons être saisis de crainte :
Le pardon de Dieu serait-il conditionnel ? Dépendrait-il de notre attitude, de notre propre capacité à pardonner nos frères ?
Est-il une conséquence de nos actes… ou, au contraire, nous est-il donné au préalable, par pure grâce, sans condition ?

Il faut avouer que – malgré l’Evangile, malgré le message que Jésus Christ est venu semer dans le cœur des disciples – l’idée d’un Dieu qui rétribue, d’un Dieu capable de punir, de châtier, trainent encore, ici ou là… dans certaines religions… certaines théologies… certaines têtes.
Et pourtant, dans notre Credo chrétien – dans le symbole des Apôtres – nous disons clairement : je crois à « la rémission des péchés ».

Alors, comment y voir plus clair ? Comment comprendre ces versets qui suivent le « Notre Père » ?

* Pour ce faire – ce sera le premier point – nous pouvons nous appuyer sur la parabole du débiteur impitoyable (cf. Mt 18,23-35).
Ici, Jésus nous offre une histoire, une image.
Il compare Dieu à un roi… un roi qui se laisse émouvoir par son serviteur endetté.
A travers ce personnage, Jésus nous montre que le pardon de Dieu est premier.
L’Eternel, notre Père céleste, agit à l’image de ce créancier surprenant, qui remet purement et simplement la dette – le péché – de son serviteur, sans demander d’explication, sans exiger ni contrepartie, ni compensation.

C’est cela la Bonne Nouvelle de l’Evangile : nous croyons en un Dieu d’amour, un Dieu qui fait grâce, qui pardonne nos fausses routes, nos errances, nos torts, sans condition, sans mérite de notre part.

Il faut donc chasser de notre esprit toute image d’un dieu vengeur ou punissant… qui imposerait un châtiment aux misérables pécheurs. Car ce n’est pas le Dieu que Jésus-Christ est venu nous révéler.

Dieu ne nous attend pas au tournant. Il n’est pas là pour peser le poids de notre péché.
[Le pardon des péchés n’a rien à voir avec une solution d’épicier :
Dieu ne tient pas compte de nos fautes et ne se livre pas à de sadiques exercices de balance commerciale de nos mérites et de nos manques, de nos créances et de nos dettes.
Il pardonne gratuitement à celui qui se confie à lui.][1]

Bien entendu, cette gratuité a de quoi nous étonner. Elle n’appartient pas à notre registre habituel… à nos mentalités et nos fonctionnements traditionnels.
Dans notre société, rien n’est vraiment donné... Tout doit se mériter. « On n’a rien sans rien ».
C’est le monde de la réciprocité, le monde marchant du « donnant-donnant ». Certains diraient « le monde de la dette », pour l’opposer au « royaume de la grâce ».

[Cette gratuité du pardon de Dieu demeure donc inexplicable – et même incompréhensible – à celui qui continue à penser la justice comme une distribution rétributive et symétrique de récompenses et de punitions.
Elle contraint celui qui se met à l’écoute de l’Evangile à découvrir un autre visage de Dieu, une autre image de sa bonté… de sa miséricorde… qui est incommensurable… sans limite.][2]

Ainsi donc, Jésus Christ – à travers cette parabole, comme à travers toute sa vie et son enseignement – annonce un Dieu qui remet la dette – le péché – sans condition… un Dieu qui restaure la relation rompue avec son serviteur, de façon unilatérale, par un acte de grâce et de libération.
Alors, qu’il serait en droit de réclamer le paiement de sa dette, alors qu’il pourrait exiger le remboursement de son dû, il est celui qui – par amour, par générosité – accepte de « lâcher-prise »… pour permettre à l’humain de passer à autre chose… pour qu’il puisse renaître à la vie… à une vie nouvelle, libérée du poids de son passé.

Cela veut dire que croire et annoncer « la rémission des péchés », c’est vraiment proclamer une bonne nouvelle transformatrice :
C’est déclarer que l’être humain n’est pas prisonnier de son histoire (de ce qu’il a commis ou subi… de ses culpabilités, de ses blessures)… qu’il n’est pas condamné à perpétuité à vivre dans l’angoisse et à payer pour des actes passés… que Dieu ne veut pas l’enfermer dans ses fautes et ses erreurs, mais lui permettre d’en sortir, pour vivre autre chose, pour entrer dans une nouvelle dynamique.

* En même temps – et c’est le deuxième point – nous entendons à travers cette parabole que Dieu attend quelque chose de celui qui reçoit son pardon.

La seule chose qu’il attend de son serviteur gracié, c’est qu’il adopte la même attitude, c’est qu’il agisse avec autrui dans le prolongement de sa grâce, en se comportant à la hauteur du geste libérateur dont il a lui-même bénéficié.
Sa volonté, c’est que celui qui a reçu son pardon gratuit, puisse vraiment se l’approprier, pour qu’à son tour, il puisse le vivre intérieurement et extérieurement… l’intégrer, l’offrir, le propager… Pour que ce geste – à la fois de compassion et de miséricorde – prenne toute sa dimension dans le cœur et l’existence de celui qui l’a reçu… jusqu’à le manifester autour de lui… jusqu’à le diffuser à tous ses proches.

C’est ainsi qu’il faut comprendre le pardon entre frères :
Le pardon accordé au prochain, n’est pas une obligation morale, un devoir astreignant, mais simplement – si j’ose dire – le prolongement du pardon que Dieu nous offre. Il est le fruit, la conséquence du pardon de Dieu… d’un pardon capable de nous transformer.

Pour autant, cela ne veut pas dire que ce soit « simple » ni même « naturel » de pardonner.
C’est sans doute quand on a vraiment pris conscience de l’immensité, de la démesure du pardon de Dieu, qu’on peut, à son tour, accepter de lâcher-prise et de pardonner autrui.

Cela signifie que si nous avons parfois du mal à « lâcher prise », à abandonner la dette, l’offense, le mal qu’autrui a pu nous faire… si nous avons des difficultés pour remettre les torts de notre prochain… il faut essayer de mieux réaliser … de vraiment prendre conscience… d’expérimenter même… le pardon de Dieu dans notre existence.
Car c’est quand nous réalisons pleinement la gratuité et la force de l’amour de Dieu à notre égard, que nous pouvons vivre le même amour envers nous – en nous aimant nous-mêmes –…  et envers nos frères – en les aimant comme nous-mêmes… comme Dieu nous aime et comme il les aime.

* J’en viens à un troisième et dernier point, avec à la fin de la parabole : Comment comprendre ce qui est dit à celui qui refuse le pardon à son frère ? Qu’est-ce que Jésus veut dire quand il donne l’image d’un homme finalement livré aux tortionnaires, en attendant qu’il eût remboursé tout ce qu’il devait ? (cf. Mt 18, 34-35).

Il faut, bien sûr, lire cela comme une image. Si nous croyons en un Dieu d’amour et de grâce, ce n’est évidemment pas Dieu qui va nous punir ou nous emprisonner.

Dieu ne punit pas !… il ne veut pas le mal… encore moins la souffrance ou la torture. Non ! Ce que cela veut dire, c’est qu’en choisissant de « ne pas pardonner »… en restant dans la logique de la dette (en tenant le péché d’autrui)… en renonçant donc à la logique de la grâce… nous risquons, en réalité, de nous punir nous-mêmes.
Nous risquons – pour nous-mêmes, en nous-mêmes – de continuer à entretenir les conséquences de l’offense subie… nous risquons de nous enfermer… si nous ne voulons pas lâcher-prise, si nous ne parvenons pas à dépasser le ressentiment, le désir de paiement, de remboursement, de vengeance.

Pour limiter le mal subi, pour pouvoir le dépasser, le surmonter… il n’y a qu’une seule solution, c’est de l’abandonner, de le laisser tomber… pour ne pas en rester prisonnier… pour pouvoir passer à autre chose… pour ouvrir la porte – l’avenir – à quelque chose de nouveau.

A travers l’image forte d’un maître qui livre son serviteur aux bourreaux ou aux tortionnaires (cf. Mt 18,34), Jésus veut nous dire – de façon percutante – que « le pardon » est une nécessité vitale… une nécessité pour l’autre, mais aussi pour soi… pour que celui qui a été victime d’une offense, puisse retrouver la paix… en pardonnant.

Cela veut dire que nous ne devons pas recevoir l’exigence du pardon, comme une nouvelle loi… un devoir moral… mais, bien davantage, comme un conseil de vie… une logique de vie – celle de la grâce – qui nous est offerte, pour vivre la vraie liberté.

Pour vivre pleinement le salut que Dieu nous offre, nous sommes invités, d’une part, à accepter de le recevoir dans notre cœur, à nous savoir aimés de Dieu et aimables, malgré notre péché… mais le Seigneur nous appelle également – et d’autre part – à nous approprier ce salut, en lâchant le mal subi à cause des torts d’autrui, en le laissant aller… pour nous en libérer.

En ce sens, on peut dire que le pardon est une forme de « résistance » au mal reçu… au mal susceptible de nous tenir, de nous ronger, si nous ne parvenons pas à le lâcher.

Jésus nous apprend que « Pardonner » relève d’un double mouvement de libération… de gratuité :
C’est délivrer l’autre du poids de sa dette, mais c’est aussi se libérer soi-même de son rôle de créancier, de victime offensée, pour pouvoir s’ouvrir à autre chose, pour se trouver réconcilier avec soi-même et avec Dieu… pour vivre une vie nouvelle, sous le regard bienveillant et bien-aimant de notre Père céleste.

* Pour conclure, je voudrais simplement citer deux brefs passages des évangiles :

"En voyant le Seigneur, les disciples furent tout à la joie. Alors, à nouveau, Jésus leur dit : « La paix soit avec vous. Comme le Père m’a envoyé, à mon tour je vous envoie. » Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et leur dit : « Recevez l’Esprit Saint ; ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. Ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus. »" (cf. Jn 20, 20-23).

Ailleurs, Jésus dit également à ses disciples :
« En vérité, je vous le déclare : tout ce que vous lierez sur la terre sera lié au ciel, et tout ce que vous délierez sur la terre sera délié au ciel » (cf. Mt 18,18).

A travers ces paroles, nous voyons la délégation que le Christ confie à ses disciples, à ceux qu’il va envoyer dans le monde pour propager la Bonne Nouvelle :
La mission des Chrétiens est de transmettre le pardon de Dieu aux hommes… d’annoncer, en paroles et en actes, la libération que Dieu nous offre, par son amour et sa grâce.

Nous sommes appelés à recevoir cette Bonne Nouvelle dans notre vie, à la laisser nous transformer et à la propager autour de nous… dans l’assurance que le pardon nous libère.

Amen.




[1] Cf. Denis Müller, Réincarnation et foi chrétienne, Labor et Fides, p.109.
[2] Ibid.