Ac 2, 1-13
Lectures
bibliques : Jn 20, 19-23 ; Ac 2, 1-13
Thématique :
Pentecôte… quand l’Esprit vient nous ouvrir, nous déplacer, et nous tourner vers les autres…
Prédication de
Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 08/06/14 – culte de Pentecôte
« Qu’est-ce que
cela veut dire ? » (v.12)
Que
s’est-il passé le jour de la Pentecôte ?
« Ils furent tous
remplis d’Esprit saint et se mirent à parler d’autres langues, selon ce que
l’Esprit leur donnait de déclarer »… Chacun, dans sa propre langue, les
entendait parler des merveilles de Dieu (cf. v.6 & 11).
Après
la mort de Jésus et les récits d’apparitions du Ressuscité, Luc nous raconte un
événement fondateur de la communauté croyante : la venue de l’Esprit saint. Et
nous voyons d’emblée ce que provoque cet Esprit : une ouverture, un
événement de communication, permettant de dépasser les frontières, de transcender
les limites du langage et la diversité des cultures.
Bien
entendu… si nous avions assisté à cet événement… à la scène telle que Luc la
présente – pour autant qu’elle se soit passée exactement ainsi – nous aurions, sans
doute, été surpris et stupéfaits… nous serions, nous aussi, restés déconcertés
et perplexes.
Alors,
ce matin, essayons d’y voir plus clair… essayons de décrypter ce qui est en jeu
dans ce passage du livre des Actes :
*
D’abord, quel est cet Esprit que reçoivent les disciples ?
Le
souffle qui vient se poser et habiter chacun des apôtres, c’est évidemment
l’Esprit saint, le souffle de Dieu… c’est le même Esprit que Jésus avait reçu
lors de son baptême… qui a guidé toute sa vie, au service de Dieu et des
hommes.
Désormais,
cet Esprit est marqué du sceau de Jésus, de sa personne et de sa vie. Le
Ressuscité – qui vit maintenant auprès du Père, dans la Vie éternelle de Dieu –
va répandre son souffle sur ses disciples, pour les envoyer poursuivre sa
mission : proclamer l’Evangile, annoncer la Bonne Nouvelle de l’amour de
Dieu partout dans le monde.
C’est
cet événement que nous racontent les évangélistes Luc (cf. Ac 2, 1-13) et Jean (cf.
Jn 20, 19-23 ; voir aussi Jn 16, 13-15) :
Les
premiers chrétiens ont lié le départ de Jésus au don de l’Esprit (cf. Jn 14,15.26 ;
15,26 ; 16,7 ; 20, 21-22) :
Jésus
n’est plus là, physiquement présent, aux côtés des disciples, mais il ne les a
pas laissé orphelin (cf. Jn 14,18), il ne les abandonne pas. Il leur donne son
souffle, son Esprit, pour les éclairer, les consoler, les défendre, les envoyer[1].
Cet
Esprit est à l’origine de la foi (cf. 1 Co 12,3 ; 1 Jn 3,24). Il est aussi
à l’origine de la proclamation apostolique (cf. Ac 2, 14-36).
C’est
parce que les apôtres reçoivent cette « puissance » d’en haut – ce
vent spirituel, se souffle divin qui vient les habiter – qu’ils vont trouver en
eux le désir, la force et le courage de prendre la parole et de proclamer les
merveilles de Dieu… Ceci, malgré tous les obstacles : malgré les moqueries,
malgré le refus des autorités juives et romaines, malgré les dangers et les menaces
de persécution.
*
Bien sûr, au 21e siècle, on peut s’interroger sur l’événement que
raconte le livre des Actes. Le côté extraordinaire de la chose peut nous
questionner : S’agit-il d’une sorte d’« extase », à la fois,
individuelle et collective (v.2-4) ? S’agit-il d’un événement surnaturel qui
indiquerait que les apôtres ont soudain acquis la capacité de parler des
langues étrangères… en tout cas, de se faire comprendre par d’autres
peuples ? Ou la confusion de la foule vient-elle du fait que dans le bruit
généralisé, malgré le vent et le brouhaha de la foule, « chacun
individuellement les entendait parler son propre langage » (v.6b), sa
langue maternelle (v.8)… c’est-à-dire, que chacun pouvait entendre ce qui était
annoncé de façon personnelle et intime… pour lui-même ?
Cela
reste un mystère ! Mais plutôt que de rester focalisé ou coincé sur l’aspect
miraculeux – qui peut nous sembler « incroyable »… pour ne pas dire « irrationnel »
– je crois qu’on peut se demander pourquoi Luc nous fait part de cet événement
(?)
Pour
ce faire, nous pouvons nous arrêter sur l’étymologie du mot
« extase ». Le mot veut dire « se tenir hors de soi-même »[2]. Il
désigne un mouvement, un élan, un transport.
Si
nous pensons que les disciples ont vécu une expérience spirituelle, « une
expérience extatique », cela ne veut pas dire qu’ils ont perdu les pédales,
qu’ils ont perdu la boussole – comme on dit familièrement – mais, bien
davantage, que quelque chose a modifié leur état de conscience, pour l’élever,
le transcender. Leur raison a été déplacée au-delà d’elle-même, dans un nouvel
état d’esprit qui les fait passer de la peur à la confiance, de l’enferment au
témoignage.
Ce
que Luc souligne à travers cet évènement, c’est un bouleversement, un double
déplacement des disciples – intérieur et extérieur :
-
D’une part, l’Esprit qui est venu
souffler sur les disciples et s’emparer d’eux, les a saisi, les a pris et les a
déplacé intérieurement, mentalement, spirituellement.
-
D’autre part – du point de vue de l’extériorité – le récit nous laisse également
entendre un déplacement géographique : on passe de l’intériorité de la
maison à l’extériorité de la ville.
C’est
une manière de signifier que l’Esprit saint nous fait sortir de nous-mêmes,
sortir de nos peurs, de nos enfermements, de nos paralysies, de nos langages
habituels et parfois trop usés, pour nous ouvrir, nous déplacer, nous tourner
vers les autres.
Autrement
dit, ce que l’événement de Pentecôte nous laisse entendre, c’est que l’Esprit
saint, offert et répandu par le Ressuscité, est venu ouvrir et élargir l’esprit
des disciples. Il les a ouvert à une nouvelle dimension de connaissance et à
une joie profonde… une joie contagieuse… qui leur fait proclamer les merveilles
de Dieu.
*
Pour mieux le comprendre, il faut situer cette expérience dans le contexte immédiat
qui suit la mort de Jésus :
Suite
à la Crucifixion, à la mort de leur maître, les apôtres se retrouvent cloitrés
et profondément attristés, apeurés peut-être, désespérés sans doute… puis ils
vivent des expériences spirituelles – des apparitions du Ressuscité – nous
disent Jean, Luc et Paul (cf. Jn 20 & 21 ; Lc 24 ; Ac 1,3 ; 1
Co 15, 1-8) – qui leur donnent l’assurance que la mort n’a pas eu le dernier
mot… que Jésus a été relevé et justifié par Dieu… des expériences spirituelles
qui leur redonnent courage et confiance.
Enfin,
leurs cœurs s’ouvrent au souffle de Dieu… et grâce à l’Esprit de Jésus[3], ils
comprennent qu’ils sont au bénéfice de la Bonne Nouvelle de l’amour de Dieu…
d’un amour qui surmonte notre volonté d’indépendance, notre volonté de vivre
seul sans Dieu, de nous faire, nous-mêmes, notre propre dieu. Car, c’est bien
ce qu’ont fait les hommes en tuant Jésus : ils ont rejeté celui qui les
appelait à vivre en communion avec l’Eternel – le Dieu Esprit, le Dieu Amour.
Ainsi,
en recevant l’Esprit saint, les disciples reçoivent une
« puissance », qui les fait entrer dans une nouvelle
« dynamique » –pour reprendre le mot grec (cf. Ac 1,8). Celle-ci va
leur permettre de devenir des témoins, de prendre la parole et de se faire
comprendre, pour transmettre l’Evangile
de Jésus Christ.
Le
miracle de la Pentecôte, est avant tout un évènement de communication :
L’Esprit qu’ils reçoivent – comme des langues de feu – vient réchauffer les
cœurs et délier les langues[4].
Dès
lors, les apôtres (chacun selon sa personnalité, ses dons et ses charismes) se
mettent à annoncer les merveilles de Dieu (v.11) et chacun – quel que soit son
langage d’origine – peut entendre les disciples louer la grandeur et la
magnificence de œuvres de Dieu. C’est une explosion de joie, de gratitude et de
louange que chacun peut comprendre.
Evidemment…
en tant que lecteurs de ce récit… nous sommes un peu frustrés d’avoir
connaissance de ce fait, sans avoir part au contenu exact de la louange des
disciples. Nous aimerions bien savoir ce que les apôtres ont pu proclamer de
façon précise (?)
Mais,
peut-être, suffit-il de poursuivre la lecture du livre des Actes pour le
découvrir.
L’épisode
de la Pentecôte se poursuit avec un discours inspiré de l’apôtre Pierre – que
nous n’avons pas lu ce matin – au cours duquel celui-ci explique l’œuvre de
Dieu en Jésus Christ.
Le
discours finit par ces mots :
« Ce Jésus, Dieu
l’a ressuscité, nous tous en sommes témoins. Exalté par la droite de Dieu, il a
donc reçu du Père l’Esprit Saint promis et il l’a répandu, comme vous le voyez
et l’entendez. […] Que toute la maison d’Israël le sache donc avec
certitude : Dieu l’a fait et Seigneur et Christ, ce Jésus que vous, vous
aviez crucifié. » (cf. Ac 2, 32-33.36).
Si
nous rapprochons ce discours du surgissement de l’Esprit qui le précède, nous
pouvons en déduire que la louange des apôtres concernait les « hauts faits »
de Dieu quant à la résurrection de Jésus Christ.
Pour
Pierre, la venue de l’Eprit « prouve » la résurrection de Jésus.
C’est parce que Jésus a été ressuscité, parce qu’il a accédé au monde divin – qu’il
a été élevé et glorifié auprès du Père – qu’il a pu envoyer l’Esprit saint –
son Esprit d’amour – sur la communauté des disciples.[5]
*
Malgré tout, Luc nous laisse entendre l’étonnement (v.12) – mais aussi, le ricanement
(v.13) – des auditeurs, qui se questionnent sur le sens de l’événement dont ils
sont témoins.
L’attitude
de la foule – entre perplexité et dérision – doit nous interroger :
Nous
le savons « entendre » ou « croire » ce n’est pas la même
chose. Ce n’est pas parce que nous entendons une Bonne Nouvelle que nous y
croyons vraiment et pleinement… que nous acceptons d’y adhérer, de nous
l’approprier et d’en vivre.
Nous
savons combien l’Evangile peut susciter en nous de résistances… tant il vient
nous interpeler, nous déstabiliser (v. 7a), modifier nos représentations et nos
orientations les plus profondes.
Alors…
ce matin, à travers ce récit… nous sommes appelés à nous poser la question,
pour nous-mêmes : De quel côté acceptons-nous de nous positionner ?
-
Sommes-nous du côté des auditeurs perplexes qui, malgré ce qu’ils entendent,
restent à distance du message de l’Evangile (v.13) ?
-
Ou acceptons-nous de lâcher-prise, de nous abandonner à Dieu dans la confiance,
de nous laisser saisir par son souffle, comme les apôtres… acceptons-nous de
recevoir l’Esprit saint, le souffle du Ressuscité, en nous laissant déplacer
par lui ?
En
d’autres termes… croyons-nous, nous aussi, à cette Bonne Nouvelle de la
résurrection... celle de Jésus… mais aussi à la nôtre. Croyons-nous vraiment
que Dieu – pour autant que nous acceptons de le recevoir, de lui faire confiance
et de lui laisser de la place dans notre vie – a vraiment le pouvoir de venir
habiter en nous, d’agir dans notre for intérieur, pour nous influencer, pour
changer les choses… transformer notre existence, la relever… pour faire toute
chose nouvelle dans notre vie ?
C’est
là l’enjeu de ce récit : Acceptons-nous de nous laisser inspirer, éclairer,
déplacer par le souffle de Dieu, pour mener une existence nouvelle, conforme à
sa volonté… à sa bonté, son pardon, sa bienveillance et son désir de vie pour tous
les humains ?
C’est,
en quelque sorte, le testament que Jésus laisse à ses disciples dans son
discours d’adieu, dans l’évangile de Jean. Je cite :
« Ce qui glorifie
mon Père, c’est que vous portiez du fruit en abondance et que vous soyez pour
moi des disciples. Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés ;
demeurez dans mon amour. Si vous observez mes commandements, vous demeurerez
dans mon amour, comme, en observant les commandements de mon Père, je demeure
dans son amour.
Je vous ai dit cela pour
que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite. Voici mon
commandement : aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés »
(cf. Jn 15, 8-12).
C’est
désormais à nous qu’il appartient d’annoncer l’amour de Dieu pour les humains…
un amour qui nous appelle à la liberté et qui nous conduit à nous déplacer hors
de nous-mêmes… à nous décentrer pour laisser Dieu au centre… pour aimer notre
prochain comme nous-mêmes, comme Dieu nous aime.[6]
Conclusion :
Je
crois, chers amis, que c’est ce que nous pouvons retenir de l’évènement de
Pentecôte :
Le
surgissement de l’Esprit dans la vie des disciples vient nous rappeler que l’Esprit
divin peut agir dans l’esprit de l’homme, de façon personnelle et intime… de
façon unique, car chacun est unique.
Toutefois,
nous voyons bien que nous sommes limités par notre langage pour exprimer cela[7] :
En
effet, dire que l’Esprit de Dieu (l’Eternel, l’infini, l’inconditionné) peut
survenir « dans » l’esprit humain (dans des créatures finies et
limitées), cela ne signifie pas que Dieu réside physiquement en nous. L’Esprit
saint n’est pas une sorte substance mystérieuse qui rentrerait en nous.
Davantage,
on parle de l’Esprit comme du « souffle » de Dieu, pour décrire
quelque chose – ou plutôt quelqu’un – d’insaisissable, d’impalpable, qui peut
traverser notre esprit.
« L’expression
Esprit de Dieu veut dire : Dieu présent dans notre esprit »[8]. C’est
une façon de dire que le souffle de Dieu pousse l’esprit humain à sortir de
soi… qu’il nous conduit à l’auto-transcendance, à une ouverture, un dépassement,
un « au-delà » de nous-mêmes.[9]
Ce
déplacement à l’intérieur de soi et vers les autres, est ce qui conduit les disciples
de la peur à la foi, de l’inquiétude à la paix, du repliement à la
communication et au don de soi, du petit nombre à la proclamation universelle
de la Bonne Nouvelle, à destination de l’humanité entière, dans toute sa
diversité.
Ainsi
donc… c’est un élan, un souffle nouveau... que reçoivent les disciples, en
recevant l’Esprit. Ils sont envoyés en mission… appelés à transmettre
l’Evangile qu’ils ont reçu et vécu, comme disciples de Jésus et témoins du
Ressuscité.
Aujourd’hui,
vingt siècles plus tard, cette Bonne Nouvelle continue de se propager partout
dans le monde, bien que nous ayons parfois l’impression qu’elle n’est plus
tellement entendue dans nos sociétés occidentales.
Alors,
osons demander à Dieu de nous rendre davantage conscient de sa « Présence
spirituelle » : qu’il nous aide à nous ouvrir à son souffle, à son Esprit,
pour qu’à notre tour, nous soyons des témoins fidèles et des ambassadeurs du
Dieu d’amour, auprès de ceux que nous rencontrons sur notre route.
N’ayons
pas peur de nous ouvrir au « vent » de Dieu, à son influence libératrice
et bienveillante ! Laissons-le régner en nous et sur nous, dans notre cœur
et notre vie ! … afin qu’il nous conduise sur des chemins nouveaux.
Amen.
[1] Cf. Jn 14,15.26 ;
15.26 ; 16,7 : On se souviendra du terme « paraclet » (un
autre paraclet) souvent traduit par : avocat, défenseur, consolateur.
[2] Du grec ἐκ, « en
dehors », et ἵστημι , « se tenir » : « être en dehors
de soi-même »
[3] En tant que Christ.
[4] Il faut noter ici la
polysémie (et même le jeu sémantique entretenu par Luc) autour du terme glossa, versets 3, 4, 11, qui désigne à
la fois la langue de feu et le langage.
[5] En ce sens, on peut
dire que « Pentecôte est un effet de Pâques ». « L’effusion de
la Pentecôte est un effet de la résurrection » (cf. D. Marguerat).
[6] En parlant ainsi le
langage du cœur, il n’y a pas de doute qu’à l’image des apôtres, nous
parviendrons à dépasser les frontières et les séparations, pour rejoindre tous
ceux que nous croiserons dans leurs préoccupations et leurs particularités.
[7] Luc lui-même souligne
deux fois le statut métaphorique de la description : le fracas est comme d’un souffle violent, les langues comme de feu. L’expérience de Dieu reste
indicible. Evidemment, le bruit, le feu, la voix… tout cela peut nous faire
penser à Ex 19, 16-19 ou 1 R 19, 11-12.
[8] Cf. Paul Tillich,
« La Présence spirituelle », in : L’Eternel maintenant, p.97.
[9] « Le
« dans » de l’Esprit divin est un « dehors » pour l’esprit
humain » (Paul Tillich, TS IV, p.124)
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