dimanche 17 avril 2022

Sortir de la peur, Ressusciter la confiance

 Lectures bibliques : Mt 16, 21-25 ; Mt 28, 1-20 (voir en bas de cette page)

Thématique : Sortir de la peur, Ressusciter la confiance : Le Christ nous précède. 

Prédication de Pascal LEFEBVRE, temple du Hâ, Bordeaux - Pâques 2022 – 17/04/22

 


Notre monde va mal : c’est malheureusement le constat que l’on peut faire en écoutant quotidiennement le journal télévisé. Et c’est d’ailleurs sans doute une des raisons pour laquelle de moins en moins de Français regarde la télévision. 

 

On nous y montre la plupart du temps la laideur du monde : maladies, pandémies, intempéries, catastrophes, dérèglement climatique, violences, guerres, conflits, risques de pénuries… sans cesse les médias suscitent la peur… Et, bien souvent, nous y sombrons : peur du lendemain, peur de la covid et de ses variants, peur que le conflit en Ukraine se transforme en guerre mondiale, peur que la hausse des prix de l’énergie et des denrées de base (huile, blé, etc.) ne précarise un peu plus notre situation économique, peur de la dette et de l’inflation, peur du résultat des élections présidentielles (que Macron reste à nouveau au pouvoir ou que Marine Le Pen y accède) …. 

Bref, d’après les médias, on aurait toutes les bonnes raisons d’avoir peur, de sombrer dans la paralysie, l’immobilisme ou la déprime. 

 

Mais le message de Pâques nous dit le contraire : 

Celui qui est Vivant nous précède en Galilée !

 

Les disciples aussi ont peur le jour de Pâques : selon les récits évangéliques, on peut discerner de multiples peurs : peur devant la découverte du tombeau vide, peur qu’on ait enlevé le corps du maître, peur des autorités qui pourraient arrêter les proches disciples de Jésus, peur devant l’inouï, la nouveauté de Pâques, peur aussi du côté des autorités que cette nouvelle incroyable se répande, peur des disciples qui n’arrivent pas à comprendre et qui ont des doutes…

Bref, la bonne nouvelle du matin de Pâques est d’abord occultée par la peur. 

 

Face à cela, tous les partenaires de Dieu essaient de rassurer les êtres humains : 

-      L’ange du Seigneur, le messager habillé d’un vêtement d’une blancheur éclatante, dit aux femmes « Soyez sans crainte ». Malgré tout l’évangéliste précise que les femmes quittent le tombeau à la fois avec crainte et grande joie.

-      Quand le Ressuscité apparait, sa première parole est « Soyez sans crainte » 

-      Quand les grands prêtres apprennent la nouvelle, ils ont peur, eux aussi : ils tiennent conseil avec les Anciens, et – face à la crainte que la nouvelle se propage – ils complotent. Car, comme disent à juste titre « les complotistes » (les lanceurs d’alerte) : « s’il y a des complotistes, c’est qu’il y a des comploteurs ». Ce fut bien le cas, là aussi, semble-t-il. On y retrouve tous les ingrédients du complot : mensonge, corruption, médiatisation d’une « fake news », « infox » ou fausse nouvelle. Et si les soldats corrompus venaient à être découvert, ils reçoivent la promesse d’une dissimulation de leur méfait, pour qu’ils ne soient pas inquiétés par le gouverneur. Ainsi, la vérité est achetée à prix d’argent, pour laisser place au mensonge et à la manipulation. 

-      Enfin quand la nouvelle de Pâques arrive jusqu’au disciples, et même que le Christ ressuscité leur apparait, certains ont encore des doutes. 

 

Il me semble qu’on tient là, chers amis, dans ce contexte, la première Bonne Nouvelle de Pâques !

 

Cette première bonne nouvelle est un appel adressé à l’humanité tout entière. Il se résume facilement : que les humains arrêtent enfin d’avoir peur !qu’ils fassent confiance à Dieu pour aujourd’hui et pour demain, puisque Dieu a cru bon de ressusciter Jésus – son fils, son envoyé - pour manifester son amour. 

 

Face à la peur, le cri répété de Pâques, c’est d’abord : ayez confiance ! soyez sans crainte !

 

Écoutons donc cette parole et mettons-là en pratique : arrêtons d’avoir peur, car Dieu est là, le Christ est ressuscité : il nous promet la vie, la vie en plénitude, pour aujourd’hui et pour demain. Car c’est bien là le message et le projet de Jésus.

 

Voici son programme tel qu’il l’annonce dans l’évangile selon Jean (Jn 10, 10) : « Je suis venu pour que les hommes aient la vie, et qu’il l’ait en abondance, en plénitude ! »(Sans doute un des plus beaux versets de l’Évangile)

 

Arrêtons donc d’avoir peur… quels que soit les évènements, les difficultés, les épreuves, le résultat du conflit ukrainien, le résultat des élections présidentielles… Arrêtons d’écouter ceux qui nous manipulent par la peur... Soyons sans crainte : 

Car Dieu est plus grand que nos soucis ou nos problèmes... il est plus fort que nos difficultés ou nos épreuves. Faisons lui confiance !

 

Et l’évangile va plus loin… et nous dit pourquoi ne pas avoir peur / pourquoi entrer dans cette confiance. 

La raison est simple : il nous précède en Galilée !

 

En Jésus Christ, Dieu nous précède : il est toujours à nos côtés… non seulement à nos côtés, mais il nous prépare la route… il est au-devant de nous, pour nous ouvrir le bon chemin. 

 

S’il nous précède, s’il nous guide tel le bon berger (cf. Ps 23), il vient également au-devant de nous, à notre rencontre, tel le Père du fils prodigue, qui prend son enfant de retour dans ses bras pour l’accueillir et le couvrir de baisers…. Et c’est d’ailleurs à cet instant que le Père affirme que son enfant, qui était comme mort, est revenu à la vie (cf. Lc 15). 

 

C’est donc Pâques aussi pour Dieu quand ses enfants reviennent à lui !

 

Alors – j’insiste – pourquoi avoir peur, si Dieu nous montre le chemin, nous accueille et nous protège ainsi ?

 

Mais, encore faut-il (me direz-vous) nous mettre à son écoute…. Et c’est là le Deuxième appel de Pâques (ou la deuxième bonne nouvelle) : n’ayez pas peur… écoutez-moi ! dit le Seigneur : je vous précède sur vos chemins. 

Mettez-vous donc à mon écoute ! Devenez mes disciples !

 

C’est ainsi qu’on peut entendre la conclusion de l’Évangile selon Matthieu : gardez tout ce que je vous ai prescrit (dit le Christ) ; je suis avec vous tous les jours.  

 

Les auditeurs de l’Evangile (que nous sommes) sont ainsi invités à se remémorer les enseignements de Jésus … et à reprendre les commandements du maître, pour les faire vivre quotidiennement, dans notre vie personnelle et relationnelle : aimer son prochain comme soi-même, même ceux qui vous traitent en ennemi ; ne pas jugez, mais pardonner ; adopter un nouveau style de vie fondé sur la gratuité et le don de soi (pour dépasser la réciprocité) ; donner et agir sans compter ; vivre dans la bienveillance ; risquer sa vie pour ne pas la perdre ; donner pour recevoir ; croire en l’autre pour susciter le changement ; etc. 

 

Enfin, la troisième bonne nouvelle de Pâques – à côté de la confiance / de l’appel à l’écoute / c’est, bien entendu, la victoire sur la mort. 

 

Dans l’évangile selon Matthieu, elle est figurée par la découverte du tombeau vide : le crucifié n’est pas ici, il est ressuscité ! il a été relevé de la mort, il est debout, il vous attend déjà pour un ailleurs et un autrement !

 

Si le tombeau est vide, c’est que la mort n’a pas pu enfermer le Christ, c’est que Dieu a eu et aura toujours le dernier mot : celui de la vie ! 

 

C’est cela la bonne nouvelle de Pâques. : croire en un Dieu qui est le Dieu des vivants… le Dieu de la vie, plus forte que la mort. 

 

Et c’est, bien sûr, aussi la raison pour laquelle, il n’y a plus de raison d’avoir peur. Car « si Dieu est pour nous, qui sera contre nous »dit l’apôtre Paul (cf. Rm 8,31). 

 

Si Dieu a le dernier mot, il ne nous reste qu’à lui faire confiance… et tout le reste a finalement beaucoup moins d’importance.

 

La bonne nouvelle de Pâque est donc là : simplement dans la confiance en un Dieu vivant, un Dieu de Vie, dynamisme créateur, au fondement de l’être.

 

Bonne nouvelle d’un Dieu qui surmonte la mort… toutes les petites morts du quotidien : les échecs, les erreurs, les bêtises, les manques d’amour, les mesquineries… et même les fautes plus graves : les complots, les mensonges, la corruption, les manipulations des puissants… tout ce qui peut faire souffrir autrui par avidité d’avoir ou de pouvoir. 

 

Le Dieu de vie est miséricordieux : il surmonte notre avidité, notre égoïsme, notre ignorance, notre mépris. 

 

Voilà l’incroyable nouvelle de Pâques, celle d’un Dieu tellement bon qu’il croit en nous (malgré tout) au point qu’il surmonte l’injustice et la méchanceté humaine… au point de nous adopter, de nous prendre pour ses enfant, pour nous faire entrer dans le sillage de sa vie éternelle … au point de nous appeler à devenir des enfants de lumière, à l’image du Christ ressuscité. 

 

L’espérance que Pâques nous donne, c’est celle-là : celle d’un Dieu qui surmonte toute chose par amour : le péché et la mort… et qui nous appelle à demeurer en lui, et à faire vivre sa Parole en nous et autour de nous…pour nous laisser transformer et pour transformer le monde à la lumière de l’Évangile. 

 

* Pour conclure, je vous propose d’écouter une autre voix… et d’entendre les mots du théologien Anselm Grün qui revient sur le récit de Pâques dans l’évangile de Matthieu :

 

« Le messager du Seigneur descendait du ciel. Il s’approcha, fit rouler la pierre et s’y assis. […] 

Tous les mots que Matthieu emploie pour décrire son action n’exprime pas seulement le mystère de la Résurrection de Jésus, mais aussi celui de la nôtre, après notre mort, mais déjà ici et maintenant. 

Si un messager entre dans ma vie et roule la pierre qui me bloque et m’empêche de vivre, alors quelque chose en moi se met en mouvement, et je peux ressusciter.

 

C’est alors que Matthieu revient sur les gardiens du sépulcre, qui tremblent de peur et tombent à la renverse. 

La résurrection n’est pas décrite directement, mais à travers cette réaction des gardiens qui la reflète et que les femmes peuvent constater. 

 

De tels gardiens, il n’y en avait pas seulement devant le tombeau de Jésus, il y en a aussi dans notre âme ; ils veillent à ce que tout reste en l’état, que nous ne devenions pas tout à fait humains, que notre Soi, notre vraie nature, reste enfoui dans le tombeau de la peur et de la tristesse. 

 

Matthieu donne à voir deux gestes qui reflètent la résurrection : la descente de l’ange qui, dans le fracas du tremblement de terre, roule la pierre, et la chute des gardiens. 

 

Quand le Christ ressuscite en nous et nous remet debout, [il nous redonne courage et confiance, et] cela devient visible dans notre façon de vivre, dans une liberté et une vivacité nouvelle. Nous osons marcher sans béquilles, nous rejetons la tutelle des gardiens de la mort.

 

C’est alors que l’ange devient aussi porteur d’un message. Il s’adresse aux femmes : « Ne craignez rien ! […] »

 

[Ensuite Matthieu montre Jésus leur apparaissant] […] Il leur parle presque dans les mêmes termes que l’ange : « ne craignez rien. Partez. Dites à mes frères de se rendre en Galilée, car là, ils me verront ». […]

 

Matthieu interprète les faits dans une vision d’avenir ; notre foi en la résurrection agit aujourd’hui encore sur notre vie, elle nous met en mouvement, afin que nous ne restions pas tournés vers le passé. […] La mission du Ressuscité n’est pas terminée : notre foi doit se manifester dans notre vie […]. 

 

Pour Matthieu, il n’est pas de foi sans dimension éthique. Il ne suffit pas de faire l’expérience de Dieu, de sentir sa proche présence salvatrice, d’être en lui ; la foi demande que nous suivions tous les commandements que Jésus nous a donnés. […] Il nous enjoint de changer notre comportement pour le rendre conforme à la Parole de Jésus, et à témoigner ainsi de son message, qui prête à l’homme des possibilités nouvelles. […] 

 

[le dépassement de la réciprocité, l’amour inconditionnel, le pardon sans limite, la bienveillance, la compassion, la réconciliation, l’engagement, le don de soi, le service du prochain…] […]

 

[Le message de Pâques n’est pas naïf.] Il ne nous donne pas à croire que rien de mauvais ne saurait nous arriver. Nous pouvons, tout comme Jésus, tomber dans l’abandon, la solitude, la peur et l’impuissance devant la mort, mais [il nous ouvre à la possibilité de la confiance : ] même là, nous sommes dans la main protectrice de Dieu.

 

C’est pourquoi l’évangile de Matthieu nous livre un important conseil : Vis de la confiance et non de la peur ! 

 

Tu n’es pas seul sur ton chemin, près de toi, il y a le Christ, Emmanuel, il vient au-devant de toi, quand tu es, comme Pierre, pris dans les vagues de la vie et en danger de sombrer ; il t’accompagne quand ta charge est trop lourde, quand tu es crucifié et ne sais comment t’en sortir. 

 

La croix, telle que l’entend Matthieu, ne signifie pas que nous devons chercher les difficultés dans la vie, mais plutôt qu’il faut apprendre la confiance la plus profonde dont l’être humain est capable : nous laisser aller, en mourant, [en nous abandonnant] dans les bras du Père qui nous aime. 

 

La croix, c’est la clé de la vie. Porter la sienne, c’est accepter que se brise cet egoqui se crispe sur lui-même. 

 

Pour les mystiques de toutes les religions, ce renoncement à l’égoest la clé de l’expérience de Dieu la plus profonde que l’être humain soit capable de faire : celle qui permet de saisir Dieu comme toujours omniprésent, et d’être tout entier dans l’instant. 

Matthieu appelle cette expérience la "vigilance". »[1]

 

Goûter la proximité et la présence de Dieu. 

 

C’est la présence de Dieu qui nous donne de ressusciter… Dieu, l’Éternel présent, nous redonne souffle et courage… il relève notre âme et nous rend à la Vie. 

 

Christ est ressuscité… Il nous appelle à ressusciter avec lui, en Dieu !

 

Amen. 

 

 

Lectures bibliques 

 

Mt 16, 21-25

21A partir de ce moment, Jésus Christ commença à montrer à ses disciples qu’il lui fallait s’en aller à Jérusalem, souffrir beaucoup de la part des anciens, des grands prêtres et des scribes, être mis à mort et, le troisième jour, ressusciter. 

22Pierre, le tirant à part, se mit à le réprimander, en disant : « Dieu t’en préserve, Seigneur ! Non, cela ne t’arrivera pas ! » 

23Mais lui, se retournant, dit à Pierre : « Retire-toi ! Derrière moi, Satan ! Tu es pour moi occasion de chute, car tes vues ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. »

 

Mt 28, 1-20

1Après le sabbat, au commencement du premier jour de la semaine, Marie de Magdala et l’autre Marie vinrent voir le sépulcre. 

2Et voilà qu’il se fit un grand tremblement de terre : l’ange du Seigneur descendit du ciel, vint rouler la pierre et s’assit dessus. 

3Il avait l’aspect de l’éclair et son vêtement était blanc comme neige. 

4Dans la crainte qu’ils en eurent, les gardes furent bouleversés et devinrent comme morts. 

5Mais l’ange prit la parole et dit aux femmes : « Soyez sans crainte, vous. Je sais que vous cherchez Jésus, le crucifié. 

6Il n’est pas ici, car il est ressuscité comme il l’avait dit ; venez voir l’endroit où il gisait. 

7Puis, vite, allez dire à ses disciples : “Il est ressuscité des morts, et voici qu’il vous précède en Galilée ; c’est là que vous le verrez.” Voilà, je vous l’ai dit. » 

8Quittant vite le tombeau, avec crainte et grande joie, elles coururent porter la nouvelle à ses disciples. 

9Et voici que Jésus vint à leur rencontre et leur dit : « Je vous salue. » Elles s’approchèrent de lui et lui saisirent les pieds en se prosternant devant lui. 

10Alors Jésus leur dit : « Soyez sans crainte. Allez annoncer à mes frères qu’ils doivent se rendre en Galilée : c’est là qu’ils me verront. » 

11Comme elles étaient en chemin, voici que quelques hommes de la garde vinrent à la ville informer les grands prêtres de tout ce qui était arrivé. 

12Ceux-ci, après s’être assemblés avec les anciens et avoir tenu conseil, donnèrent aux soldats une bonne somme d’argent, 

13avec cette consigne : « Vous direz ceci : “Ses disciples sont venus de nuit et l’ont dérobé pendant que nous dormions.” 

14Et si l’affaire vient aux oreilles du gouverneur, c’est nous qui l’apaiserons, et nous ferons en sorte que vous ne soyez pas inquiétés. » 

15Ils prirent l’argent et se conformèrent à la leçon qu’on leur avait apprise. Ce récit s’est propagé chez les Juifs jusqu’à ce jour.

16Quant aux onze disciples, ils se rendirent en Galilée, à la montagne où Jésus leur avait ordonné de se rendre. 

17Quand ils le virent, ils se prosternèrent, mais ils eurent des doutes. 

18Jésus s’approcha d’eux et leur adressa ces paroles : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. 

19Allez donc : de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, 

20leur apprenant à garder tout ce que je vous ai prescrit. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps. »

 



[1]Extr. Anselm GRÜN, Jésus, le Maître du Salut – Évangile de Matthieu, ed. Bayard, 2003, p.135-146. 

dimanche 10 avril 2022

Un nouveau messie pour une nouvelle mentalité

 Lecture biblique : Mc 11,1-11 ; 22-25 (voir textes en bas de cette page)

Thématique : un nouveau messie qui nous ouvre à une nouvelle mentalité 

Prédication de Pascal LEFEBVRE / Bordeaux le 10/04/22 – culte des Rameaux 

(Inspiré d'une prédication de Jean-Marc Babut, dans : Actualité de Marc)


Il est difficile de savoir si le dimanche des Rameaux doit être considéré comme un jour de fête, plutôt joyeux – celui où Jésus est honoré comme le Messie, lors de son entrée triomphale à Jérusalem – ou si, finalement, ce n’est pas la mémoire d’un jour triste, d’une part, parce qu’en entrant à Jérusalem, Jésus se dirige en fait vers la mort sur la croix, et, d’autre part, parce que cet évènement révèle en fait un énorme malentendu, entre l’identité Jésus (envoyé de Dieu et promoteur de son monde nouveau, de son Royaume) et les attentes des Juifs de Jérusalem. 

 

La question est donc de savoir, d’un côté, qui est Jésus ? quel type de Messie est acclamé ce jour-là ? quel salut vient-il apporter, au nom de Dieu ? … et, d’un autre côté, qu’est-ce que les hommes attendent, en réalité, ce jour-là… et peut-être aujourd’hui encore ?

 

En effet, comme le premier tour des élections présidentielles tombe aujourd’hui, en ce jour de fête des Rameaux, on peut imaginer qu’il y a des attentes et des espoirs. 

 

De la même manière que les Juifs de l’époque de Jésus, qui vivaient sous l’occupant romain, attendait un homme providentiel – un Messie-Roi envoyé par Dieu – pour les sauver – je veux dire les libérer physiquement (politiquement et religieusement) de l’occupant romain, afin de délivrer Israël de toutes les violences et les humiliations subies du fait de cette occupation brutale du pays… les sauver certainement aussi de la crise et de la misère - … de même, il est possible que des français attendent aussi, en jour d’élection, l’homme providentiel, qui pourra sauver la France de ses difficultés sociales, économiques, sanitaires, environnementales ou énergétiques. 

 

Il est aussi possible que certains n’attendent plus rien du tout … ni de la venue d’un homme politique providentiel… et n’iront pas voter… ni même de Jésus Christ… et se disent que tout ça… c’est de l’histoire ancienne. 

 

Bien sûr, on ne peut pas comparer les attentes en matière politique et celles en matière spirituelle… mais justement, il est fort probable que cette fête des Rameaux illustre la méprise, la confusion que Jésus a lui-même expérimentée ce jour-là : 

-      d’un côté, une foule qui acclame un Messie triomphant venu chasser l’ennemi romain qui occupait le pays et procéder au grand nettoyage auquel tous aspiraient, en éliminant du peuple d’Israël les éléments religieusement trop tièdes ou carrément douteux, 

-      et, d’un autre côté, un humble Messie monté sur un âne, une monture rustique, simple et pacifique… un messie qui appelle inlassablement à un changement de mentalité, à une conversion du cœur et de l’esprit.

 

Il y a donc comme un malentendu : d’un côté, un salut qui viendrait de l’extérieur – par l’arrivée miraculeuse d’un homme providentiel, envoyé par Dieu… un salut qui se manifesterait par du plus : plus de force, plus de pouvoir, pour reprendre le dessus – d’un autre côté, un salut qui arriverait par l’intérieur, à travers une Parole – celle de Jésus qui appelle à changer quelque chose, à se laisser transformer intérieurement par Dieu… un salut offert par du moins : moins de préoccupation, moins de matérialisme, moins d’attachement, moins d’égoïsme, pour accueillir la bonne nouvelle d’un Dieu qui s’offre gratuitement et qui appelle à l’amour du prochain, sans condition. 

 

Une fois de plus la lecture de l’Évangile nous ouvre sur un constat plutôt fâcheux, à savoir que l’être humain est toujours à côté de la plaque, à côté de ce que propose Jésus. 

 

Et cela s’explique par la mentalité générale qui est la nôtre (celle du « toujours plus »). Nous avons du mal à imaginer que le salut (la libération, la guérison et la réconciliation du monde) passe par le chemin de l’humilité, de la simplicité, par le don et la gratuité. 

Nous pensons toujours que le salut vient par du plus : plus de force, plus d’avoir et de pouvoir. (Et d’ailleurs, cela se vérifie aussi au niveau politique. Nos gouvernants européens – sous influence américaine - prétendent résoudre le conflit en Ukraine en apportant plus d’armes au pays contre l’adversaire Russe...au lieu de s’attacher au dialogue).

Et au niveau religieux, nous calquons aussi ce modèle de salut – modèle qui est toujours d’actualité dans notre société – dans notre relation à Jésus et à Dieu. 

 

Cela montre combien l’être humain a besoin (encore et toujours) de conversion, de changer de manière de voir les choses, pour entendre réellement le message du Christ. 

 

Jésus enseignait un salut simple et direct : la possibilité de vivre une relation personnelle et intime avec un Dieu immédiatement accessible. Il invitait à une relation de confiance avec son Père : un Dieu gratuit, juste et non-violent qu’il nous invite à imiter (cf. Lc 6, 36 ; Mt 5, 44s)… un Dieu compatissant et miséricordieux qui doit nous inspirer dans nos relations avec autrui. 

 

Ce Dieu qui nous libère, qui nous guérit et nous dynamise… chacun peut le rencontrer dans son intériorité : 

Pour autant que nous méditions et prions, Dieu se révèlera à chacun dans l’intimité de son cœur et l’orientera du fond de sa conscience, comme l’affirmait déjà les prophètes (cf. Jr 31,33-34 ; Es 48,17 ; Jl 3, 1-2). 

 

Mais les hommes préfèrent penser et attendre que Dieu intervienne de l’extérieur et fasse le boulot à notre place. 

Il est toujours plus facile d’attendre que le salut tombe tout prêt (tout cuit) du haut du ciel…  ou d’imaginer qu’un Messie triomphant envoyé par Dieu va tout arranger…  Car évidemment, penser que Dieu va agir à coups de baguette magique, ne nécessite aucun engagement de notre part. 

 

Mais, pour être honnête, il faut dire que ce n’est pas du tout ce qu’annonce Jésus. Au contraire, Jésus appelle inlassablement ses disciples à passer à l’action, à prendre l’initiative du bien (et même, si besoin, à porter sa croix (cf. Mc 8, 34-35))… Car si on veut que le monde et les choses changent, il faut commencer par soi-même : « tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes d’abord pour eux » disait le Christ (cf. la règle d’or, Mt 7, 12). 

 

D’ailleurs, en lisant l’Évangile, on s’aperçoit que Jésus appelait toujours celles et ceux qui l’entendaient à s’impliquer eux-mêmes et à participer activement : « changez de mentalité, croyez à la Bonne Nouvelle » proclamait-il (Mc 1,15). 

Quand il guérit le paralysé de Capharnaüm, il lui dit « Lève-toi »(2,11), quand il se trouve avec les disciples devant la foule qui n’a rien à manger, il dit aux siens : « donnez-leur vous-mêmes à manger »  (6,37). Jamais Jésus n’apporte un salut en quelque sorte parachuté. Il propose toujours à son vis-à-vis de s’impliquer personnellement dans le salut qui va lui advenir.  

 

S’il en est ainsi, l’attente fiévreuse qui s’est emparée des pèlerins qui montent à Jérusalem pour la fête, risque fort d’être profondément déçue. 

 

Pour s’en rendre compte, revenons, quelques instants, au récit de l’évangile, au temps de Jésus : 

 

L’Entrée de Jésus à Jérusalem a tous les traits de celle d’un messie ou d’un roi : Jésus est assis sur sa monture, des gens étendent leurs vêtements par terre, tapis d’honneur qui rappelle le geste des officiers de Jéhu – dans l’Ancien Testament – en signe de reconnaissance à son intronisation royale (cf. 2R 9,13). Des vivatsretentissent sous la forme de « Hosanna »adressés à Dieu à cause de Jésus, en qui la foule perçoit la venue du règne de David. (Hosanna, en araméen « viens en aide ». L’utilisation de cette acclamation est ici en lien avec la bénédiction offerte par Dieu (voir aussi Ps 118, 25-26).) 

La qualité royale et messianique de Jésus est ici reconnue. Pour les disciples, Jésus inaugure le royaume messianique qu’attendent les Juifs. 

 

Il y a pourtant un détail qui doit retenir l’attention, c’est le fait que Jésus ne possède rien. Il doit même emprunter un ânon avant de le rendre à son maître. Or, ici l’allusion à la prophétie du prophète Zacharie (Za 9,9) est claire[1]. Les contemporains de Jésus connaissaient forcément ce passage où le prophète imagine par avance l’arrivée du Messie (je cite) : 

« Éclate de joie, Jérusalem, crie de bonheur, population de Sion. C'est ton roi qui vient à toi, juste et victorieux, humble et monté sur un âne, sur un ânon, le petit d'une ânesse. En Éphraïm il supprimera les chars de combat et à Jérusalem les chevaux [de guerre], il brisera les arcs, il établira la paix parmi les nations... »

 

En empruntant un ânon pour son entrée dans la ville, Jésus fait de cette montée à Jérusalem « un symbole ». Il indique clairement à tous ce qu’il est en train d’accomplir : il est humble et pacifique, comme l’indique sa modeste monture. 

 

Mais le drame, c’est que personne ne veut le voir. 

Chacun s’empresse de comprendre ce signal de la manière qui l’arrange, à la lumière de ses propres attentes et espérances. 

 

Ce que les gens attendent justement, c’est un Messie, un roi qui bénéficie de la puissance de Dieu, pour balayer l’occupant ennemi et pour rétablir l’hégémonie que l’ancêtre David avait établie sur les peuples voisins… donc, pour rendre au peuple d’Israël, à la fois, son indépendance et sa supériorité… C’est donc un salut par plus de puissance, fondé sur un esprit de rivalité. 

 

Seulement, pour ne pas se tromper de Messie, les contemporains de Jésus aurait dû lire d’un peu plus près la prophétie de Zacharie : 

le roi sauveur qu’il décrit est présenté comme « juste », c’est-à-dire fidèle à Dieu. 

Il est annoncé aussi comme « victorieux », c’est-à-dire bénéficiaire et porteur du salut de Dieu. 

Zacharie ajoute encore qu’il est « humble » - ce qui n’était sûrement pas le cas du Messie que les contemporains de Jésus attendaient. 

Et il termine en le montrant « monté sur un âne », monture pacifique, par opposition au cheval, animal réservé à la guerre. 

 

Zacharie confirme cette mission pacifique du vrai Messie en précisant que celui-ci « supprimera les chars de combat, qu’il brisera les armes de guerre et qu’il établira la paix parmi les nations ».

 

On comprend bien que Jésus ait intentionnellement choisi ce symbole pour faire connaître au plus grand nombre la vraie nature de sa mission : celle d’apporter la paix… celle d’accueillir les exclus, de pardonner les péchés, de guérir, de donner confiance, courage et espérance… en un mot celle de porter la paix de Dieu partout autour de lui. 

 

S’il y a bien une divergence de vue entre lui et les témoins de son entrée à Jérusalem, c’est une fois de plus parce que nous, les humains, nous sommes souvent persuadés que notre vision des choses et de la vie est la seule juste… nous attendons toujours un salut par une forme de victoire sur l’adversaire… par davantage d’avoir et de pouvoir… et malgré nous, nous ne parvenons pas à entendre l’Évangile… à comprendre que Jésus apporte un autre salut – le seul possible, selon lui : un salut qui passe par le détachement, le partage, le don, le don de soi… accepter de lâcher prise, et même de perdre (cf. Mc 8, 35 ; Lc 12, 33s), au lieu d’accaparer et de défendre ses seuls intérêts. 

 

Inlassablement, l’évangile nous appelle donc à un changement de mentalité auquel nous avons bien du mal à consentir.

 

Après l’épisode de la montée à Jérusalem, l’évangéliste raconte ce qui arrive dans le temple dont Jésus chasse les marchands et ce récit trouve sa conclusion avec quelques paroles du Christ prononcées devant un figuier desséché… paroles que nous avons entendues aussi ce matin. 

Elles me semblent importantes dans la mesure où elles nous appellent à une transformation. (L’Évangile tout entier nous appelle à une transformation intérieure)

 

Ces paroles décrivent la spiritualité que le Christ nous propose et attend de ceux qui le suivent. 

 

Je vous livre ici l’analyse du théologien Anselm Grün sur ces paroles[2] :

 

« La première [parole de Jésus avec l’image de la montagne qui se jette dans la mer (v.22-23)]porte sur la foi. Elle ne consiste pas en des actes extérieurs, mais en une confiance totale, inconditionnelle en la bonté du Père céleste. 

Qui a cette foi peut ordonner à la montagne de se soulever et de se jeter dans la mer, et elle le fera (11,23). 

Par cette image, Jésus ne veut assurément pas dire que les disciples doivent accomplir des tours de magie grâce à leur foi. Cette montagne qui se jette dans la mer figure plutôt la montagne de problèmes et de peurs qui nous empêche souvent de voir la réalité telle qu’elle est. 

 

Face à la Passion [à la mort annoncée de Jésus], voici la foi que Jésus attend de nou­s : même si à force de souffrance, tu ne penses apercevoir aucun signe de Dieu, même si tous les plans que tu bâtissais pour ta vie sont contrariés, même si ta vie tout entière menace d’être un échec, pourvu que tu aies cette confiance absolue que Jésus conserve jusque dans sa Passion, alors la montagne qui te masque la vue s’écroulera et se jettera dans la mer. 

 

La mer est une image de l’inconscient ; les peurs y reflueront comme elles en sont issues, et la vision s’éclaircira. 

Le véritable service divin consiste en cette confiance inconditionnelle en ce Dieu qui transforme en victoire jusqu’à la mort [de son enfant] sur la croix.

 

La deuxième de ces paroles dit la confiance absolue dont doit être empreinte notre prière : « Tout ce que vous demanderez dans la prière vous sera donné si vous croyez déjà l'avoir reçu » (11,24).

Cette parole semble en contradiction avec notre expérience ; elle ne signifie pas que tous nos souhaits les plus déraisonnables seront exaucés parce que nous prions Dieu de nous les accorder, mais seulement que notre prière doit être pénétrée de confiance et de foi en Dieu. 

 

S’il en est ainsi, nous ne formulerons aucune prière qui contredirait sa volonté ; en priant, nous reconnaîtrons ce qui est vraiment bon pour nous, et que Dieu est déjà près de nous et nous protège. 

 

Ce savoir et cette confiance en un Dieu qui dans toute situation, même à la croix, est là, c’est déjà la réalisation de tous nos vœux, dont le plus profond est précisément cette présence aimante et salvatrice. 

 

Si telle est notre foi, nous n'avons plus rien de particulier à demander. […] 

Qui fait en priant l'expérience de sa proximité et de son assistance n’a plus besoin de rien d’autre, ni de prier pour que soient exaucés des souhaits sans nombre.

 

La troisième parole par laquelle Jésus définit la prière… concerne notre rapport aux autres (11,25). Si nous les en excluons, nous ne prions pas en chrétiens. 

 

La prière authentique implique le pardon ; nous ne pouvons vraiment nous présenter devant Dieu que si nous pardonnons à tous ceux à qui nous avons quelque chose à reprocher. 

Si nous n’y sommes pas prêts, nous risquons, en priant, de nous placer au-dessus des autres ou d’instrumentaliser Dieu. Notre relation avec lui exige que nous apurions nos relations humaines. »

 

Ainsi, le mot d’ordre de l’évangile est la pleine confiance et le pardon : Jésus nous donne son Esprit – un esprit d’humilité – pour nous faire entrer dans cette nouvelle mentalité du règne de Dieu : 

 

Mettre fin à l’esprit de rivalité, de concurrence, de toujours plus...

Pour se rendre disponible à la paix qui vient de Dieu et s’ouvrir à la compassion, à la gratuité, à la générosité, au don de soi et au service. 

 

C’est à nous qu’il revient d’incarner cette nouvelle mentalité dans le monde pour faire advenir, ici et maintenant, le monde nouveau de Dieu que Jésus est venu instiller.  Amen.

 

 

Textes bibliques 

Mc 11, 1-11. 22-25

1Lorsqu’ils approchent de Jérusalem, près de Bethphagé et de Béthanie, vers le mont des Oliviers, Jésus envoie deux de ses disciples 

2et leur dit : « Allez au village qui est devant vous : dès que vous y entrerez, vous trouverez un ânon attaché que personne n’a encore monté. Détachez-le et amenez-le. 

3Et si quelqu’un vous dit : “Pourquoi faites-vous cela ?” répondez : “Le Seigneur en a besoin et il le renvoie ici tout de suite.” » 

4Ils sont partis et ont trouvé un ânon attaché dehors près d’une porte, dans la rue. Ils le détachent. 

5Quelques-uns de ceux qui se trouvaient là leur dirent : « Qu’avez-vous à détacher cet ânon ? » 

6Eux leur répondirent comme Jésus l’avait dit et on les laissa faire. 

7Ils amènent l’ânon à Jésus ; ils mettent sur lui leurs vêtements et Jésus s’assit dessus. 

8Beaucoup de gens étendirent leurs vêtements sur la route et d’autres des feuillages qu’ils coupaient dans la campagne. 

9Ceux qui marchaient devant et ceux qui suivaient criaient : « Hosanna ! Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient ! 

10Béni soit le règne qui vient, le règne de David notre père ! Hosanna au plus haut des cieux ! » 

11Et il entra à Jérusalem dans le temple. Après avoir tout regardé autour de lui, comme c’était déjà le soir, il sortit pour se rendre à Béthanie avec les Douze.

[…]

22Jésus leur dit : « Ayez foi en Dieu. 

23En vérité, je vous le déclare, si quelqu’un dit à cette montagne : “Ote-toi de là et jette-toi dans la mer”, et s’il ne doute pas en son cœur, mais croit que ce qu’il dit arrivera, cela lui sera accordé. 

24C’est pourquoi je vous déclare : Tout ce que vous demandez en priant, croyez que vous l’avez reçu, et cela vous sera accordé. 

25Et quand vous êtes debout en prière, si vous avez quelque chose contre quelqu’un, pardonnez, pour que votre Père qui est aux cieux vous pardonne aussi vos fautes. »

 

 



[1]Elle est même explicite dans les évangiles de Matthieu et Jean : cf. Mt 21,5 ; Jn 12,15.

[2]Cf. Anselm Grün, Jésus, Le chemin de la liberté, Evangile de Marc,éd. Bayard, 2003, p.110-112.