dimanche 26 juillet 2015

Mt 6, 9-13

Une lecture du « Notre Père »

Lectures bibliques : Mt 5, 1-10 ; 21-26 ; 43-48 ; 6, 9-13 ; 7,13-14
Thématique : la prière du « Notre Père » à la lumière du sermon sur la Montagne
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 26/07/15
(Inspirée d’un commentaire d’Anselm Grün)

Introduction

Ce matin, je vous propose de méditer ensemble le « Notre Père » à la lumière de quelques passages du sermon sur la montagne, puisque cette prière se trouve en plein milieu du sermon de Jésus.

* Quelques remarques préliminaires : Le « Notre Père » est une prière qui nous enracine dans une confiance filiale avec l’Eternel, le Père du ciel.
Par la prière, les croyants s’adressent au Dieu invisible, considéré comme notre créateur, notre véritable Père et Mère.
La prière part de la conviction que nous sommes aimés sans condition par Lui et donc que nous pouvons lui adresser nos demandes et lui confier tous les registres de notre vie.

Dans le Notre Père, Jésus ne disjoint pas la prière, le travail et l’action. Tout cela est considéré sous l’angle de la grâce… d’une vie toute entière placée sous le regard de Dieu.

Ce Dieu sous lequel se place le croyant est un Dieu bon : Parce que Dieu est bon, le croyant peut se confier à son créateur … parce qu’il est bon, le croyant peut lui manifester son désir de l’imiter, d’adopter un comportement similaire à celui du Père céleste.
Autrement dit, par la prière, le croyant manifeste son désir d’adopter un comportement nouveau, de vivre en enfants de Dieu – dans la paix, la miséricorde, la justice – comme fils et filles, comme héritiers de ce Dieu bon et juste avec tous.

Cela doit nous éclairer sur le sens de la prière. Elle n’est pas une récitation… Elle a, en réalité, une vertu transformatrice.
La prière ne consiste pas à rester centré sur soi, mais, au contraire à se décentrer, pour demander à Dieu de nous transformer.
Par la prière, le croyant manifeste à Dieu son désir de salut, de libération, de guérison.
La prière a pour but de rétablir la communion et la réconciliation avec soi, avec Dieu et avec les autres.

Lectures bibliques : Mt 5, 1-10 ; 21-26 ; 43-48 ; 6, 9-13 ; 7,13-14

Prédication

* Notre Père qui est aux cieux
Que ton nom soit sanctifié
Que ton règne vienne…

Le Notre Père commence par l’invocation familière du Père.
Le mot « abba », papa, cher Père, dont Jésus use couramment, traduit une tendre familiarité, une relation de confiance et de proximité avec le Dieu transcendant.
Ainsi, Jésus nous incite et nous apprend à nous approcher de Dieu comme d’un Père bien aimant et miséricordieux et de lui demander ce qui correspond à notre plus profond désir.

La 1ère demande est que soit sanctifié le nom de Dieu, qui englobe sa réalité et sa sainteté. Dans le Notre Père, nous prions ainsi Dieu qui appartient à une autre sphère de réalité – puisqu’il est aux cieux – d’intervenir dans notre monde terrestre, pour rendre son action et sa bonté visibles, pour y manifester sa sainteté et sa magnificence.

Or, celle-ci apparaît dans l’être humain (et donc dans le monde) quand l’être humain réalise en lui-même l’image de Dieu, lorsqu’il est fidèle à sa vocation d’être humain, créé à l’image de Dieu.

Autrement dit, le nom de Dieu est sanctifié et glorifié quand il règne dans nos vies, dans nos cœurs et dans le monde.
Dieu est véritablement sanctifié quand nous témoignons de son règne d’amour dans notre vie.

Jésus nous invite à nous associer à l’œuvre de Dieu :
Par notre être et notre façon de vivre, nous pouvons non seulement contribuer à la sanctification et à la glorification de Dieu, mais aussi à l’advenue de son règne sur la terre. Pour cela, nous devons déjà commencer par l’accueillir dans notre cœur et notre façon de vivre.

En adoptant une nouvelle mentalité, en imitant Dieu, en agissant avec bonté et gratuité comme Lui – Lui, qui fait lever son soleil sur les bons et les méchants et pleuvoir sur les justes et les injustes (cf. Mt 5, 45) – Jésus nous appelle à être vraiment les fils et les filles de ce Dieu généreux et bienveillants, en adoptant le même comportement que notre Père céleste.

* Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel

A travers cette demande, nous prions non seulement « pour que Dieu fasse sa volonté, mais pour que nous puissions faire la volonté de Dieu »
Il faut convertir notre volonté à celle de Dieu, nous mettre à son écoute… pour que sa volonté soit réellement mise en pratique dans notre monde.

En distinguant, le « ciel » et la « terre », Matthieu nous apprend que cette volonté est déjà parfaitement accomplie « dans le ciel » - c’est-à-dire, selon François d’Assise, « dans les anges et dans les saints » - mais elle doit encore se réaliser sur la terre - c’est-à-dire dans l’histoire des hommes.

Quelle est donc cette volonté ?

Un autre passage du sermon sur la montagne peut nous éclairer : Jésus appelle clairement ses disciples à se dépréoccuper des taches provisoires et éphémères, pour se concentrer vers l’essentiel.
Pour lui, cet essentiel, c’est de chercher le règne et la justice de Dieu dans notre vie. Je cite : « cherchez d’abord le royaume et la justice de Dieu et tout le reste vous sera donné par surcroît » (Mt 6,33)
Il y a aussi une promesse de bonheur dans les béatitudes pour ceux qui empruntent cette voie du souci de la justice : « Heureux ceux qui ont faim et soif de justice, ils seront rassasiés » (Mt 5,6).

Matthieu met en lien le royaume avec la justice, au sens de l’action juste.
Selon lui, quand l’homme agit bien, de façon juste et bonne… quand il accomplit les commandements de Jésus – en premier lieu le commandement d’amour du prochain – le Royaume s’établit dans notre monde.

Ceux qui pratiquent le pardon et la réconciliation, ceux qui font œuvre de paix, sont appelés fils de Dieu (cf. Mt 5,9) dans le sens où ils agissent à la manière de Dieu, comme ses héritiers, ils font briller la lumière de l’amour divin dans notre monde.

C’est également en ce sens que Jésus affirme ailleurs que les disciples sont « lumière du monde » (cf. Mt 5,14).
Quand deux ou trois agissent selon l’amour, il émane d’eux quelque chose qui transforme positivement le monde.

Ainsi donc, la volonté de Dieu que les croyants souhaitent voir faite sur la terre comme au ciel, c’est la volonté de justice de Dieu.
Pour Jésus, cette justice divine s’inscrit dans l’amour et la miséricorde.

C’est la raison pour laquelle nous trouvons dans l’évangile des polémiques entre Jésus et les Pharisiens :
Pour Jésus, il ne s’agit pas simplement d’appliquer la loi de façon extérieure, en lui obéissant par notre comportement extérieur vis-à-vis d’autrui ou de ce que commande la religion.
Pour lui, c’est la personne toute entière, dans sa pensée et son cœur qui doit se convertir aux commandements d’amour de Dieu et du prochain.

« Celui qui s’en tient extérieurement à la Loi, mais garde un cœur plein de colère [ou d’amertume] n’est pas un juste, l’amour de Dieu n’est pas en lui. C’est pourquoi la première tâche [du croyant] est de purifier le cœur de toute colère et de tout ressentiment, ce qui n'est possible que si l’on conclut la paix avec l’adversaire que l’on porte en soi-même »[1]

En effet, quand Jésus nous invite à faire la paix avec notre adversaire tant que nous sommes encore en chemin (Mt 5, 21-26)… il parle sans doute de celui avec qui nous pouvons avoir un différent ou contre qui nous avons pu nourrir un sentiment d’animosité… et avec lequel il faut vite aller se réconcilier… Mais il s’agit également de ce qui est en nous, de l’adversaire qui est parfois intérieur.

« C’est [aussi avec ce qui relève de notre intériorité, avec l’adversaire qui peut être en nous] qu’il nous faut nous réconcilier ; sinon, il peut arriver que le juge en nous, [ce que la psychanalyse nomme] le "surmoi", nous jette dans la prison de nos propres reproches, de nos obsessions et de nos angoisses. Une fois enfermé dans cette prison intérieure, il est difficile d’en sortir ».[2]

On l’observe chez des personnes qui nourrissent une sorte de sentiment obsessionnel vis-à-vis de leur passé, qui tournent en rond dans leur sentiment de culpabilité, sans trouver d’issue.

Toutes les paroles de Jésus sont des invitations à vivre pleinement, à nous garder d’une vie réduite ou tronquée qui se détruirait elle-même.

On peut interpréter de la même façon les paroles de Jésus sur l’amour des ennemis :

D’un côté, on peut penser à un ennemi extérieur : Jésus nous invite à emprunter un nouveau chemin, une voie créative vis-à-vis du mal, afin de le surmonter par l’amour.

Nous pouvons essayer de le faire, nous pouvons aimer l’autre tel qu’il est, qu’en ayant conscience d’être nous-mêmes aimés de Dieu tels que nous sommes, accueillis par sa grâce inconditionnelle.
« Celui qui se sent aimé de Dieu sans conditions et protégé par lui sait qu’il n’a pas besoin de défendre son droit devant la justice ou de réagir à la violence par la violence »[3]
Jésus nous appelle ainsi à sortir de la réciprocité, de l’engrenage de la violence du coup pour coup.

Mais, en même temps, il faut avouer que cet ennemi n’est pas toujours extérieur… il est parfois en nous-mêmes.
Le psychanalyste « C. G Jung a interprété ce commandement comme l'invitation à aimer d'abord l'ennemi qui est en nous.
C'est seulement ensuite que nous devenons capables d'aime­r aussi celui qui est au-dehors, car nous voyons, en qui nous veut du mal, un frère ou une sœur, tout aussi dominé que nous par des pulsions destructrices ; nous découvrons en lui, en elle, le même mal que nous avons découvert en nous-mêmes.

L'animosité résulte souvent d'une projection : l'autre projette sur nous ce qu'il ne peut pas accepter en lui-même.
Qui se connaît et s'accepte prend conscience de sa projection et cesse d'être déterminé par elle ; il ne devient pas l'ennemi de celui qui projette sur lui ses propres affects hostiles, mais voit en lui le désir de vivre en paix avec soi-même et avec sa vie »[4]

En d’autres termes, il est nécessaire de discerner ce qui est ennemi et imposer à cet adversaire des limites pour le contraindre, pour restreindre ses tendances destructrices. En même temps, cette part « ennemi » a besoin d’être accueillie et aimée pour être guérie de son hostilité.

Jésus appelle ses disciples à prier pour cette part « ennemi » (Mt 6,44 b) qu’elle soit en nous ou à l’extérieur de nous. Par là, il appelle les croyants à la remettre à Dieu pour progressivement la transformer.

Par la prière, ceux qui se confient ainsi à Dieu s’ouvrent toujours plus à son Esprit d’amour, afin que son Esprit de transformation, de conversion, les pénètre sans cesse davantage et que sa volonté se fasse en eux et par eux.

* Le Notre Père se poursuit ensuite avec la demande concernant le pain quotidien et celle sur le pardon. Mais nous n’allons pas les aborder ce matin.
Je vous propose plutôt de terminer par la sixième demande : « Ne nous soumets pas à la tentation »

Cette demande pose un problème de traduction. On pourrait traduire par « ne nous mets pas à l’épreuve / ne nous conduis pas dans l’épreuve »
Mais cette traduction littérale pose une difficulté. Elle sous-entend l’idée que Dieu puisse nous induire en tentation, nous mettre à l’épreuve.[5]

Les Pères de l’Eglise ont très tôt perçu la problématique. Origène, déjà, traduisait cette ultime prière par : « Ne nous laisse pas succomber à la tentation. » Tertullien, quant à lui, traduit : « Ne permets pas que nous soyons induits en tentation ». Selon Schnackenburg, un exégète du XXe siècle, le sens de cette demande est : « Ne permets p­as que nous soyons tentés ».

Pour bien comprendre cette demande adressée à Dieu, il ne faut pas disjoindre la prière de l’action… car la prière porte sur notre vie concrète et quotidienne.
La prière ne consiste pas à demander à Dieu d’intervenir de l’extérieur par un coup de baguette magique, mais d’agir en nous, de venir nous influencer par son Souffle dans notre intériorité.
Ce qui est demandé à Dieu, c’est de nous rendre nous-mêmes capables de ne pas nous laisser tenter.

En ce sens, la nouvelle traduction proposée par l’église catholique semble cohérente. Elle transpose cette demande de la façon suivante : « ne nous laisse pas entrer en tentation ».

Mais, entrer en tentation : qu’est-ce que cela veut dire ?

Deux éléments de réponses :

- La tentation, c’est fondamentalement tomber dans un piège et douter de la présence de Dieu. Demander de ne pas entrer en tentation, c’est demander à ne pas douter de l’action de Dieu au milieu de nous. C’est en ce sens que Jésus dit à ses disciples, à Gethsémani : priez pour ne pas entrer en tentation (Mt 26, 41 ; Mc 14, 38 ; Lc 22, 40.46).

- La tentation – selon le sermon sur la montagne – c’est aussi de douter de nous-mêmes dans notre relation à Dieu, c’est suivre le chemin large et spacieux qui mène à la perdition (cf. Mt 7,13s) au lieu de choisir le chemin étroit et resserré qui mène à la vie.
Choisir la facilité, la voie du plus grand nombre, se contenter de faire comme les autres, de faire ce que tous font, c’est aller à sa perte. Car, pour se trouver, chacun doit suivre sa propre voie, sous le regard de Dieu.

La tentation, c’est de ne pas vivre ce que l’on est, mais simplement de se laisser aller dans la vie ; c’est de refuser la vie, de refuser sa vocation d’enfants de Dieu, tous ensemble « enfants », mais chacun unique aux yeux de Dieu.
C’est en allant son propre chemin que chacun peut se trouver en paix et réconcilié avec lui-même et avec Dieu.

* Délivres-nous du mal ou libère-nous du malin

Les théologiens ont aussi discutés sur la signification de ce malin (de ce mal personnalisé) ou de ce mal impersonnel dont nous demandons à Dieu de nous préserver.

La plupart des théologiens pensent aujourd’hui qu’il s’agit de tout ce qu’il y a de mauvais dans les êtres, les pensées, les souffrances, les épreuves, les instincts.
Nous demandons à Dieu de nous sauver de ces dangers, du pouvoir du mal et de nos mauvais penchants.
Qu’en nous puisse – au contraire – régner le bon penchant… Que puisse se développer en nous l’image positive que Dieu se fait de chacun de nous.

Autrement dit, « dans ­les deux dernières demandes du Notre-Père, nous confessons notre crainte de voir nos forces insuffisantes face à la tentation et au mal.
Cette crainte, nous la présentons à Dieu, à notre Père, en toute confiance, afin qu'il […] nous garde en son amour à travers les turbulences et les dangers de la vie ».[6]

* En conclusion…

Ce matin, nous avons juste effleuré quelques demandes du « Notre Père ». En réalité, c’est à la lumière de tout le sermon sur la montagne qu’il faut lire et relire le « Notre Père ».

A travers cette prière, nous demandons à Dieu de nous transformer par son souffle pour qu’il nous fasse quitter la mentalité traditionnelle du calcul, du jugement, du mérite… et qu’il nous guide sur le chemin d’un amour libre, gratuit et désintéressé. 

A travers le « Notre Père », nous nous confions à Dieu pour qu’il nous donne force et courage pour adopter une nouvelle mentalité et un nouveau comportement entièrement fondé sur l’amour :
« Aimer le prochain comme soi-même »… cela veut dire qu’il faut commencé par s’aimer soi-même.
Et comme Dieu nous aime, il aime aussi tous les autres… C’est la raison pour laquelle, nous sommes appelés à les recevoir et à les aimer comme nos frères et sœurs.

Ainsi, Jésus nous appelle à entrer dans la nouvelle mentalité du règne de Dieu : celle de la bonté, du pardon, de la gratuité.

Amen.




[1] Anselm Grün, Jésus, Le maître du salut, éd. Bayard, p.38
[2] Anselm Grün, Jésus, Le maître du salut, éd. Bayard, p.38.
[3] Anselm Grün, Jésus, Le maître du salut, éd. Bayard, p.39.
[4] Anselm Grün, Jésus, Le maître du salut, éd. Bayard, p.41.
[5] Or, selon l’épître de Jacques Dieu ne tente personne : Que nul, quand il est tenté, ne dise: « Ma tentation vient de Dieu. » Car Dieu ne peut être tenté de faire le mal et ne tente personne (Jc 1, 13).
[6] Anselm Grün, Jésus, Le maître du salut, éd. Bayard, p.48.

dimanche 5 juillet 2015

Mt 18

Lecture biblique : Mt 18
Thématique : la vie communautaire, la vigilance à l’égard des petits, le pardon
« Lecture- prédication » de Pascal LEFEBVRE / Marmande, le 05/07/15
 (largement inspirée d’un commentaire d’Alberto Mello[1])

Je ne vous propose pas ce matin la lecture d'un bref passage biblique suivie d'une prédication, mais plutôt une sorte de lecture commentée d'un chapitre entier de l’évangile selon Matthieu : le chapitre 18. Au fur et à mesure de notre lecture, nous marquerons des pauses pour essayer d’éclairer les différents aspects mis en avant par l’évangéliste.

Ce chapitre établit une sorte de cadre, de règle de vie pour la communauté. L’Eglise est par nature un collectif où se vit la joie de la fraternité, mais aussi un lieu où peuvent parfois s’exercer des tensions et des conflits. Il s’agit de trouver les moyens de surmonter ces difficultés lorsqu’elles se présentent.
Dans ce passage que nous entendons ce matin, Matthieu a organisé différents éléments dans une sorte de discours « ecclésial » caractérisé par le souci à l’égard des plus petits (Mt 18, 1-14). C’est cette préoccupation que nous fait entendre la parabole de la brebis égarée. Et par un enseignement sur le pardon (Mt 18, 15-35), qui est la loi sur laquelle l’Eglise s’édifie. C’est ce qu’explique la parabole du Seigneur miséricordieux et du serviteur sans pitié.

Commençons notre lecture :

Mt 18, 1-5

1A cette heure-là, les disciples s’approchèrent de Jésus et lui dirent : « Qui donc est le plus grand dans le Royaume des cieux ? » 2Appelant un enfant, il le plaça au milieu d’eux 3et dit : « En vérité, je vous le déclare, si vous ne changez et ne devenez comme les enfants, non, vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux. 4Celui-là donc qui se fera petit comme cet enfant, voilà le plus grand dans le Royaume des cieux. 5Qui accueille en mon nom un enfant comme celui-là, m’accueille moi-même.

* A la question de savoir qui est le plus grand dans le royaume des cieux, Jésus répond en présentant un enfant. Qu’est-ce que cela signifie ?

Cela veut dire que dans le royaume – du point de vue du monde nouveau de Dieu – nous sommes tous comme des enfants. Personne n’est plus grand qu’un autre, parce qu’il n’y a aucune différence politique et sociale entre les enfants.

En effet, à l’époque de Jésus, les enfants n’avaient aucun statut social, aucune importance politique. Jésus répond donc aux disciples de façon symbolique pour couper court aux spéculations sur le statut des croyants dans le royaume.
Par ce geste, Jésus invite les adultes à changer leur échelle de valeurs et à « devenir » comme les enfants. Or, ce qui caractérise les enfants de l’antiquité c’est l’humilité, le service, pour ne pas dire « l’humiliation » qui est le mot utilisé ici en grec (cf. tapeino, le verbe « humilier »), c’est-à-dire le manque de statut social. Cela va dans le sens de ce que Jésus dit aussi dans l’évangile de Marc : « Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous. » (Mc 9,35).

Autrement dit, grandeur dans le royaume des cieux et grandeur dans le monde sont deux mesures antithétiques. La grandeur dans le royaume est petitesse en ce monde et vice versa.

A travers le geste de placer un enfant au milieu des disciples, Jésus les invite à ne pas tenir compte du statut social des personnes, mais à changer de repère, d’échelle de valeurs, en regardant à Lui, à son exemple… en l’imitant… lui qui s’est fait serviteur, comme les enfants… jusqu’à laver les pieds de ses disciples (cf. Jn 13).

D’autre part, Jésus s’associe, s’identifie aux petits, aux enfants. Il s’assimile à ceux qui n’ont aucun statut.
Accueillir ceux-là et agir en leur faveur, c’est l’accueillir lui.
Ce qu’il dira également ailleurs, dans la parabole du jugement dernier (cf. Mt 25, 31-46) : A chaque fois que vous avez agi « pour l’un de ces plus petits, qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25,40).

Ainsi, au lieu de favoriser l’émergence de grandes personnalités, le rôle de la communauté est d’abord et avant tout d’être attentif aux petits, à ceux qui sont parfois ignorés à cause de leur discrétion ou méprisés à cause de leur manière d’être ou d’agir.

Mt 18, 6-9

6« Mais quiconque scandalise / entraîne la chute d’un seul de ces petits qui croient en moi, il est préférable pour lui qu’on lui attache au cou une grosse meule et qu’on le précipite dans l’abîme de la mer. 7Malheureux le monde qui cause tant de chutes ! Certes il est nécessaire qu’il y en ait, mais malheureux l’homme par qui la chute arrive ! 8Si ta main ou ton pied entraînent ta chute, coupe-les et jette-les loin de toi ; mieux vaut pour toi entrer dans la vie manchot ou estropié que d’être jeté avec tes deux mains ou tes deux pieds dans le feu éternel ! 9Et si ton œil entraîne ta chute, arrache-le et jette-le loin de toi ; mieux vaut pour toi entrer borgne dans la vie que d’être jeté avec tes deux yeux dans la géhenne de feu !

* De l’idée de l’enfant à imiter, on passe à celle de l’enfant à accueillir et enfin à celle du petit à ne pas scandaliser, c’est-à-dire à ne pas faire trébucher.

Qui sont ces petits qu’il ne faut pas scandaliser ? Nous ne le savons pas. Mais ce que l’évangile nous dit, c’est qu’ils ont la foi : « qui entrainera la chute – qui placera un obstacle devant – un de ces petits qui croient en moi » dit Jésus…  C’est le seul passage dans l’évangile de Matthieu qui parle d’une foi en Jésus. 

Il est possible que ces « petits » soient des pagano-chrétiens dans une communauté de judéo-chrétiens. Ces pagano-chrétiens ne respectaient pas tous les commandements de la loi de Moïse et étaient considérés par les Juifs convertis comme des pécheurs à cause de leurs manquements.
Dans cette hypothèse, il est possible que les responsables de la communauté aient certaines exigences à l’égard de ces « petits », qu’ils expriment certaines demandes, une certaine rigueur et sévérité. Ce qui pouvait décourager les nouveaux venus dans la foi.

Dans ce contexte, Matthieu exprimerait ici une mise en garde :
L’unique richesse de ces petits est leur foi en Jésus comme Messie et sauveur. Il n’est pas question que leurs aînés, les plus grands dans la foi, les découragent par leur attitude ou leur comportement.
Et il va jusqu’à affirmer qu’il faudrait mieux pour eux d’être borgne ou boiteux que de trébucher ou de faire trébucher les autres.

Autrement dit, pour Matthieu, il est préférable de perdre son intégrité physique que de perdre son identité spirituelle, qui est de se savoir enfants de Dieu, frères et sœurs de Jésus Christ.
On peut donc entendre ce passage comme un appel à la patience et la miséricorde adressé aux responsables de la communauté envers les plus petits dans la foi.

Mt 18,10-14

10« Gardez-vous de mépriser aucun de ces petits, car, je vous le dis, aux cieux leurs anges se tiennent sans cesse en présence de mon Père qui est aux cieux. [ 11] 12Quel est votre avis ? Si un homme a cent brebis et que l’une d’entre elles vienne à s’égarer, ne va-t-il pas laisser les quatre-vingt-dix-neuf autres dans la montagne pour aller à la recherche de celle qui s’est égarée ? 13Et s’il parvient à la retrouver, en vérité je vous le déclare, il en a plus de joie que des quatre-vingt-dix-neuf qui ne se sont pas égarées. 14Ainsi votre Père qui est aux cieux veut qu’aucun de ces petits ne se perde.

* De l’appel à ne pas scandaliser, à ne pas faire tomber les petits (v.6) on passe ici à l’exigence de ne pas les mépriser (kataphronéo, v.10), car, c’est la volonté de Dieu « que ne se perde pas même un [seul] de ces petits » (v.14).

Matthieu semble s’adresser ici à ceux qui ont une attitude de suffisance ou d’arrogance vis-à-vis des petits, à ceux qui se considèrent comme plus importants.
Or, il rappelle que chacun est unique aux yeux de Dieu et donc aussi important. C’est ce que signifie l’allusion, l’image des anges gardiens de chaque être humain qui regardent sans cesse le visage du Père qui est dans les cieux. Cela veut dire que quel que soit son statut social ou son statut dans la communauté, nous avons la même importance sous le regard de Dieu. Ce que Jésus illustre avec la parabole de la brebis égarée que le berger ne laisse pas tomber, mais va au contraire chercher, même lorsqu’elle est sortie du sentier, du droit chemin.

Encore une fois… Qui son donc ces plus « petits » dont Matthieu nous parle ?
Les plus petits ce sont ceux qui risquent de s’égarer comme la brebis perdue ou ceux qui ne respectent pas les commandements, comme Matthieu le préciser ailleurs : « Celui qui dissoudra un seul de ces préceptes [de la loi], même les plus petits et enseignera ainsi aux hommes, sera appelé le plus petit dans le royaume des cieux » (cf. Mt 5,19) C’est ce que Jésus affirme dans le sermon sur la montagne.

Ainsi – et justement – parce que ce sont les plus petits, les moins fidèles à l’égard des commandements de Moïse, Matthieu invite les responsables de la communauté à avoir la plus grande attention à leur égard.
Il me semble que c’est ce qu’exprime la parabole à travers l’image de la brebis égarée : C’est normal que des brebis puissent se perdre, c’est aussi normal qu’il y ait des pécheurs dans l’Eglise de Dieu. Mais leur égarement devrait être l’occasion d’une sollicitude plus grande envers eux et non d’un « mépris » ou d’une mise à l’écart.

En d’autres termes, la communauté et ses responsables doivent veiller et avoir une infinie patience envers les plus petits (18,26.29). Il s’agira même de leur pardonner d’un pardon sans limite, comme nous allons l’entendre dans la suite du chapitre.

La parabole s’achève sur la joie du berger lorsqu’il retrouve la brebis perdue. Cette quête et cette joie illustrent le dessein de Dieu, à savoir sa volonté qu’aucun ne se perde. 

Mt 18, 15-20

15« Si ton frère vient à pécher, va le trouver et fais-lui tes reproches seul à seul. S’il t’écoute, tu auras gagné ton frère. 16S’il ne t’écoute pas, prends encore avec toi une ou deux personnes pour que toute affaire soit décidée sur la parole de deux ou trois témoins. 17S’il refuse de les écouter, dis-le à l’Eglise, et s’il refuse d’écouter même l’Eglise, qu’il soit pour toi comme le païen et le collecteur d’impôts. 18En vérité, je vous le déclare : tout ce que vous lierez sur la terre sera lié au ciel, et tout ce que vous délierez sur la terre sera délié au ciel.
19« Je vous le déclare encore, si deux d’entre vous, sur la terre, se mettent d’accord pour demander quoi que ce soit, cela leur sera accordé par mon Père qui est aux cieux. 20Car, là où deux ou trois se trouvent réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux. »

* Ce passage est un petit essai de vie communautaire, inspiré par la miséricorde et la gradation. Il répond à la question suivante : comment agir à l’égard des pécheurs au sein de l’Eglise ? Matthieu répond par trois étapes :
1)    la dialogue fraternel ou la correction personnelle « entre toi et lui seul »
2)    Ensuite, si nécessaire, en présence de deux ou trois témoins
3)    Enfin, en face de toute l’Eglise, c’est-à-dire de l’assemblée locale.
L’impératif mis en avant en cas de péché public ou de dissension grave est avant tout le dialogue, en vue de rétablir les relations avec le frère.
Il y a comme une urgence à aller vers l’autre, pour ne pas laisser les choses en état. Car, du point de vue de Matthieu, comme de celui de l’Ancien Testament, chacun est responsable de son frère. Lorsqu’une rupture se produit, on ne peut pas rester indifférent ou prendre la poudre d’escampette. Le croyant est appelé à aller vers l’autre, pour essayer de surmonter les divergences et permettre le changement.

Il ne s’agit pas de tenir des propos moralisateurs, mais d’exposer son point de vue, en insistant sur l’offense ou la blessure subie… afin de permettre à l’autre de ressentir de la compassion. Jésus précise : si l’autre « t’écoute, tu auras gagné ton frère » (v.15)

Malgré les efforts, il arrive parfois que le dialogue n’aboutisse pas. Matthieu conclut « tout ce que vous lierez sur la terre sera liée au ciel et tout ce que vous dénouerez sur la terre sera dénouée au ciel » : Qu’est-ce que cela signifie ?

L’acte de pardonner, c’est l’acte de dénouer plutôt que de lier.
Il appartient à chacun d’essayer de dénouer les nœuds et les problèmes relationnels. Mais ce n’est pas toujours simple ni possible, lorsqu’un des deux interlocuteurs ne veut rien entendre. Dans ce cas, le recours proposé par Matthieu est la prière.

Dans l’évangile, l’acte de pardonner est comparé à un acte de lâcher-prise. Lorsqu’une personne commet une faute, elle devient débitrice, elle acquiert une dette.
Remettre la faute à un débiteur, c’est lui remettre sa dette, c’est accepter de l’abandonner. C’est un geste libérateur à la fois pour le débiteur et pour la victime.

Pour exprimer le pardon, Matthieu parle de dénouer ou de délier. Pardonner, c’est dénouer les nœuds et les tensions, mais c’est aussi délier, c’est-à-dire opérer une distinction, une dissociation entre une personne et son comportement fautif.
Si la personne reconnaît la souffrance que son comportement à générer et se détache de sa faute, il est possible de la délier de sa dette, dans la mesure où elle se dissocie de son ancien comportement.

Cependant, une personne victime peut aussi décider de ne pas remettre la faute, de la laisser à charge.
« Lier » signifie laisser le pécheur lié à sa faute, qui fait alors partie de lui.

Si, dans un ou plusieurs entretiens, celui qui a commis une offense n’a manifesté aucune distance face à lui-même et à son comportement, une personne ou une communauté peut en tirer des conséquences et décider de lui laisser sa faute à charge jusqu’à ce qu’il la reconnaisse comme telle…
Et si il ne la reconnaît pas comme telle sur la terre, il devra la reconnaître comme telle au ciel. Car, là, il faudra bien que la lumière soit faite, et que ce qui n’a pas encore été délié sur terre le soit plus tard au ciel.

C’est en ce sens – je crois – qu’il faut entendre ce passage de Matthieu : comme un appel à pardonner, à dénouer. C’est en tout cas ce que nous laisse entendre la parabole qui va suivre :
Tant qu’il en est encore temps, dépêche toi de délier tes affaires sur terre, car dans le cas contraire, si cela n’a pas été fait, il faudra le faire au ciel… inutile donc d’attendre. Tu peux t’y employer dès aujourd’hui !

Matthieu nous dit que la prière commune est une aide efficace pour résoudre les conflits. Parce que, lorsqu’il y a unanimité dans la prière, c’est comme si le Seigneur lui-même était présent au milieu de la communauté et priait le Père avec nous.
Ainsi, Matthieu semble avertir son Eglise qu’il ne faut pas seulement avoir tenté toutes les voies possibles avec le pécheur, avant d’arriver à des solutions extrêmes : il faut surtout avoir prié longuement et unanimement.

Je crois qu’il faut garder sans cesse en mémoire l’idée fondatrice que Matthieu se fait de la communauté (cf. Mt 18, 19-20) : pour lui, l’Esprit du Christ y est lui-même présent, elle est le lieu où il devient visible en ce monde. C’est pourquoi le rôle de l’Eglise est véritablement de faire passer l’Esprit du Christ dans la réalité : celle de la communauté et celle du monde…. en prenant soin des petits, en allant chercher la brebis égarée.

CHANT

Mt 18, 21-35

21Alors Pierre s’approcha et lui dit : « Seigneur, quand mon frère commettra une faute à mon égard, combien de fois lui pardonnerai-je ? Jusqu’à sept fois ? » 22Jésus lui dit : « Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante-dix fois sept fois.
23« Ainsi en va-t-il du Royaume des cieux comme d’un roi qui voulut régler ses comptes avec ses serviteurs. 24Pour commencer, on lui en amena un qui devait dix mille talents. 25Comme il n’avait pas de quoi rembourser, le maître donna l’ordre de le vendre ainsi que sa femme, ses enfants et tout ce qu’il avait, en remboursement de sa dette. 26Se jetant alors à ses pieds, le serviteur, prosterné, lui disait : “Prends patience envers moi, et je te rembourserai tout.” 27Pris de pitié, le maître de ce serviteur le laissa aller et lui remit sa dette. 28En sortant, ce serviteur rencontra un de ses compagnons, qui lui devait cent pièces d’argent ; il le prit à la gorge et le serrait à l’étrangler, en lui disant : “Rembourse ce que tu dois.” 29Son compagnon se jeta donc à ses pieds et il le suppliait en disant : “Prends patience envers moi, et je te rembourserai.” 30Mais l’autre refusa ; bien plus, il s’en alla le faire jeter en prison, en attendant qu’il eût remboursé ce qu’il devait. 31Voyant ce qui venait de se passer, ses compagnons furent profondément attristés et ils allèrent informer leur maître de tout ce qui était arrivé. 32Alors, le faisant venir, son maître lui dit : “Mauvais serviteur, je t’avais remis toute cette dette, parce que tu m’en avais supplié. 33Ne devais-tu pas, toi aussi, avoir pitié de ton compagnon, comme moi-même j’avais eu pitié de toi ?” 34Et, dans sa colère, son maître le livra aux tortionnaires, en attendant qu’il eût remboursé tout ce qu’il lui devait. 35C’est ainsi que mon Père céleste vous traitera, si chacun de vous ne pardonne pas à son frère du fond du cœur. »

* Je ne vais expliquer longuement cette parabole, car nous avons déjà eu l’occasion de le faire (cf. prédications précédentes sur Mt 18, 21-35). Je noterai seulement quelques points :

- 1) A Pierre qui demande combien de fois pardonner, Jésus répond 70 fois 7 fois, c’est-à-dire sans compter, de façon illimité. Jésus vient donc renverser nos logiques comptables. Il n’y a pas de mesure, pas de limite au pardon, sauf celles que nous mettons nous-mêmes, car il n’y a pas de limite au pardon de Dieu.

- 2) A l’image d’un roi saisi de compassion, Dieu est véritablement miséricordieux. La seule chose qu’il nous demande c’est d’user de la même miséricorde envers les autres, que celle que lui-même nous offre.
Autrement dit, le pardon est un paramètre sans mesure. Mais, en même temps, nous serons nous-mêmes jugés selon le paramètre que nous aurons fixé pour juger les autres (cf. Mt 7,1 : « c’est la mesure dont vous vous servez qui servira de mesure pour vous »). C’est la raison pour laquelle cette parabole nous appelle à imiter le comportement du roi prêt à pardonner sans compter, en remettant la dette d’une somme considérable.

- 3) La parabole met en lumière l’origine du pardon. C’est la compassion (v.27) qui fait que le roi pardonne à son serviteur. C’est le manque de compassion qui fait que ce serviteur refuse de remettre la dette de son compagnon.
Ainsi donc, pour développer notre capacité à pardonner, il faut développer notre sensibilité, notre capacité à éprouver de la compassion pour ceux qui nous entourent.

- 4) La parabole met en lumière le contraste entre la logique gratuite de Dieu et la logique intéressée des hommes. Elle montre que le pardon fraternel peut naître uniquement de l’expérience du pardon que chacun de nous reçoit de Dieu.
Dit autrement : c’est la miséricorde de Dieu qui fonde la possibilité du pardon fraternel. On ne peut pardonner aux autres que dans la conscience d’avoir reçu de Dieu un pardon infiniment plus grand.

Conclusion : Que peut-on conclure de la lecture de ce chapitre 18 ?

- Au début du chapitre, la question portait sur « qui est le plus grand dans le royaume des cieux » (v.1). Or, peu à peu, la question centrale devient celle du pardon.
Il semble donc que la réponse à la question « qui est le plus grand ? » soit la suivante : le plus grand est celui qui sait le plus pardonner.

Du coup, cela peut aussi donner un nouvel éclairage à une affirmation de Jésus dans l’évangile. Lorsque Jésus dit « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il renonce à lui-même… et qu’il me suive » (Mt 16,24).
Ici, « renoncer à soi-même », c’est renoncer à son bon droit, c’est accepter d’abandonner son dû, c’est renoncer au remboursement de la dette qui nous est due. C’est cela le pardon : un acte gratuit, qui s’inspire de la grâce de Dieu.  

- Dans la pratique, nous savons qu’il n’est pas toujours facile de pardonner. Comment faire ?
Je vous lis - et je terminerai par là - la réponse du théologien Anselm Grün :

« Comment accorder un pardon total venu du fond du cœur ? En laissant pénétrer en nous la miséricorde de Dieu, jusque dans les recoins de notre âme, pour qu'il n'y reste plus aucun ressentiment. Bien des gens pensent que c'est impossible ; ils voudraient bien pardonner, mais ils sentent encore en eux colère, souffrance, tristesse. Pour pardonner du fond du cœur, il faut laisser l'amour divin dissoudre précisément ces sentiments négatifs. Le pardon ne doit pas être accordé par la volonté, car le cœur n'y participerait pas, il resterait plein d'aigreur, de haine. Nous devons comprendre que le pardon de Dieu n'a pas de limites, et le laisser nous en rendre capables. Si je sais par expérience que je suis accepté sans conditions, avec ma culpabilité et mes fautes, le pardon coulera de mon cœur comme d'une source ; toutefois, il ne faut pas aller plus vite que les sentiments, on doit leur laisser le temps de se transformer pour qu'ils soient eux aussi impliqués dans le pardon »[2].




[1] Alberto Mello, Evangile selon saint Matthieu, Cerf, Lectio divina 179.
[2] Anselm Grün, Jésus, le maître du salut, Bayard, p.88s.