Une lecture du « Notre Père »
Lectures bibliques : Mt 5, 1-10 ; 21-26 ; 43-48 ; 6, 9-13 ; 7,13-14
Thématique :
la prière du « Notre Père » à la lumière du sermon sur la Montagne
Prédication de
Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 26/07/15
(Inspirée d’un
commentaire d’Anselm Grün)
Introduction
Ce matin, je
vous propose de méditer ensemble le « Notre Père » à la lumière de
quelques passages du sermon sur la montagne, puisque cette prière se trouve en
plein milieu du sermon de Jésus.
* Quelques remarques préliminaires : Le « Notre
Père » est une prière qui nous enracine dans une confiance filiale avec l’Eternel,
le Père du ciel.
Par la prière,
les croyants s’adressent au Dieu invisible, considéré comme notre créateur,
notre véritable Père et Mère.
La prière part
de la conviction que nous sommes aimés sans condition par Lui et donc que nous
pouvons lui adresser nos demandes et lui confier tous les registres de notre
vie.
Dans le Notre
Père, Jésus ne disjoint pas la prière, le travail et l’action. Tout cela est
considéré sous l’angle de la grâce… d’une vie toute entière placée sous le
regard de Dieu.
Ce Dieu sous
lequel se place le croyant est un Dieu bon : Parce que Dieu est bon, le
croyant peut se confier à son créateur … parce qu’il est bon, le croyant peut
lui manifester son désir de l’imiter, d’adopter un comportement similaire à
celui du Père céleste.
Autrement dit,
par la prière, le croyant manifeste son désir d’adopter un comportement nouveau,
de vivre en enfants de Dieu – dans la paix, la miséricorde, la justice – comme
fils et filles, comme héritiers de ce Dieu bon et juste avec tous.
Cela doit nous
éclairer sur le sens de la prière. Elle n’est pas une récitation… Elle a, en
réalité, une vertu transformatrice.
La prière ne
consiste pas à rester centré sur soi, mais, au contraire à se décentrer, pour
demander à Dieu de nous transformer.
Par la prière,
le croyant manifeste à Dieu son désir de salut, de libération, de guérison.
La prière a pour
but de rétablir la communion et la réconciliation avec soi, avec Dieu et avec
les autres.
Lectures bibliques : Mt 5,
1-10 ; 21-26 ; 43-48 ; 6, 9-13 ; 7,13-14
Prédication
* Notre Père qui est aux cieux
Que ton nom soit sanctifié
Que ton règne vienne…
Le Notre Père
commence par l’invocation familière du Père.
Le mot « abba », papa, cher Père, dont Jésus
use couramment, traduit une tendre familiarité, une relation de confiance et de
proximité avec le Dieu transcendant.
Ainsi, Jésus
nous incite et nous apprend à nous approcher de Dieu comme d’un Père bien
aimant et miséricordieux et de lui demander ce qui correspond à notre plus
profond désir.
La 1ère
demande est que soit sanctifié le nom de Dieu, qui englobe sa réalité et sa
sainteté. Dans le Notre Père, nous prions ainsi Dieu qui appartient à une autre
sphère de réalité – puisqu’il est aux cieux – d’intervenir dans notre monde
terrestre, pour rendre son action et sa bonté visibles, pour y manifester sa
sainteté et sa magnificence.
Or, celle-ci
apparaît dans l’être humain (et donc dans le monde) quand l’être humain réalise
en lui-même l’image de Dieu, lorsqu’il est fidèle à sa vocation d’être humain,
créé à l’image de Dieu.
Autrement dit,
le nom de Dieu est sanctifié et glorifié quand il règne dans nos vies, dans nos
cœurs et dans le monde.
Dieu est
véritablement sanctifié quand nous témoignons de son règne d’amour dans notre
vie.
Jésus nous
invite à nous associer à l’œuvre de Dieu :
Par notre être
et notre façon de vivre, nous pouvons non seulement contribuer à la
sanctification et à la glorification de Dieu, mais aussi à l’advenue de son
règne sur la terre. Pour cela, nous devons déjà commencer par l’accueillir dans
notre cœur et notre façon de vivre.
En adoptant une nouvelle
mentalité, en imitant Dieu, en agissant avec bonté et gratuité comme Lui – Lui, qui fait lever son soleil sur les bons
et les méchants et pleuvoir sur les justes et les injustes (cf. Mt 5, 45) –
Jésus nous appelle à être vraiment les fils et les filles de ce Dieu généreux
et bienveillants, en adoptant le même comportement que notre Père céleste.
* Que ta volonté soit faite sur la terre
comme au ciel
A travers cette
demande, nous prions non seulement « pour que Dieu fasse sa volonté, mais
pour que nous puissions faire la volonté de Dieu »
Il faut
convertir notre volonté à celle de Dieu, nous mettre à son écoute… pour que sa
volonté soit réellement mise en pratique dans notre monde.
En distinguant,
le « ciel » et la « terre », Matthieu nous apprend que
cette volonté est déjà parfaitement accomplie « dans le ciel » - c’est-à-dire,
selon François d’Assise, « dans les anges et dans les saints » - mais
elle doit encore se réaliser sur la terre - c’est-à-dire dans l’histoire des
hommes.
Quelle est donc
cette volonté ?
Un autre passage
du sermon sur la montagne peut nous éclairer : Jésus appelle clairement
ses disciples à se dépréoccuper des taches provisoires et éphémères, pour se concentrer
vers l’essentiel.
Pour lui, cet
essentiel, c’est de chercher le règne et la justice de Dieu dans notre vie. Je
cite : « cherchez d’abord le
royaume et la justice de Dieu et tout le reste vous sera donné par
surcroît » (Mt 6,33)
Il y a aussi une
promesse de bonheur dans les béatitudes pour ceux qui empruntent cette voie du
souci de la justice : « Heureux
ceux qui ont faim et soif de justice, ils seront rassasiés » (Mt 5,6).
Matthieu met en
lien le royaume avec la justice, au sens de l’action juste.
Selon lui, quand
l’homme agit bien, de façon juste et bonne… quand il accomplit les
commandements de Jésus – en premier lieu le commandement d’amour du prochain – le
Royaume s’établit dans notre monde.
Ceux qui
pratiquent le pardon et la réconciliation, ceux qui font œuvre de paix, sont
appelés fils de Dieu (cf. Mt 5,9) dans le sens où ils agissent à la manière de
Dieu, comme ses héritiers, ils font briller la lumière de l’amour divin dans
notre monde.
C’est également en
ce sens que Jésus affirme ailleurs que les disciples sont « lumière du
monde » (cf. Mt 5,14).
Quand deux ou
trois agissent selon l’amour, il émane d’eux quelque chose qui transforme
positivement le monde.
Ainsi donc, la
volonté de Dieu que les croyants souhaitent voir faite sur la terre comme au
ciel, c’est la volonté de justice de Dieu.
Pour Jésus,
cette justice divine s’inscrit dans l’amour et la miséricorde.
C’est la raison
pour laquelle nous trouvons dans l’évangile des polémiques entre Jésus et les
Pharisiens :
Pour Jésus, il
ne s’agit pas simplement d’appliquer la loi de façon extérieure, en lui
obéissant par notre comportement extérieur vis-à-vis d’autrui ou de ce que
commande la religion.
Pour lui, c’est
la personne toute entière, dans sa pensée et son cœur qui doit se convertir aux
commandements d’amour de Dieu et du prochain.
« Celui qui
s’en tient extérieurement à la Loi, mais garde un cœur plein de colère [ou
d’amertume] n’est pas un juste, l’amour de Dieu n’est pas en lui. C’est
pourquoi la première tâche [du croyant] est de purifier le cœur de toute colère
et de tout ressentiment, ce qui n'est possible que si l’on conclut la paix avec
l’adversaire que l’on porte en soi-même »[1]
En effet, quand
Jésus nous invite à faire la paix avec notre adversaire tant que nous sommes
encore en chemin (Mt 5, 21-26)… il parle sans doute de celui avec qui nous pouvons
avoir un différent ou contre qui nous avons pu nourrir un sentiment d’animosité…
et avec lequel il faut vite aller se réconcilier… Mais il s’agit également de
ce qui est en nous, de l’adversaire qui est parfois intérieur.
« C’est [aussi
avec ce qui relève de notre intériorité, avec l’adversaire qui peut être en
nous] qu’il nous faut nous réconcilier ; sinon, il peut arriver que le juge en
nous, [ce que la psychanalyse nomme] le "surmoi", nous jette
dans la prison de nos propres reproches, de nos obsessions et de nos angoisses.
Une fois enfermé dans cette prison intérieure, il est difficile d’en
sortir ».[2]
On l’observe chez
des personnes qui nourrissent une sorte de sentiment obsessionnel vis-à-vis de
leur passé, qui tournent en rond dans leur sentiment de culpabilité, sans
trouver d’issue.
Toutes les paroles
de Jésus sont des invitations à vivre pleinement, à nous garder d’une vie réduite
ou tronquée qui se détruirait elle-même.
On peut
interpréter de la même façon les paroles de Jésus sur l’amour des
ennemis :
D’un côté, on peut
penser à un ennemi extérieur : Jésus nous invite à emprunter un nouveau
chemin, une voie créative vis-à-vis du mal, afin de le surmonter par l’amour.
Nous pouvons
essayer de le faire, nous pouvons aimer l’autre tel qu’il est, qu’en ayant
conscience d’être nous-mêmes aimés de Dieu tels que nous sommes, accueillis par
sa grâce inconditionnelle.
« Celui qui
se sent aimé de Dieu sans conditions et protégé par lui sait qu’il n’a pas
besoin de défendre son droit devant la justice ou de réagir à la violence par
la violence »[3]
Jésus nous
appelle ainsi à sortir de la réciprocité, de l’engrenage de la violence du coup
pour coup.
Mais, en même
temps, il faut avouer que cet ennemi n’est pas toujours extérieur… il est
parfois en nous-mêmes.
Le psychanalyste
« C. G Jung a interprété ce commandement comme l'invitation à aimer
d'abord l'ennemi qui est en nous.
C'est seulement
ensuite que nous devenons capables d'aimer aussi celui qui est au-dehors, car
nous voyons, en qui nous veut du mal, un frère ou une sœur, tout aussi dominé
que nous par des pulsions destructrices ; nous découvrons en lui, en elle, le
même mal que nous avons découvert en nous-mêmes.
L'animosité
résulte souvent d'une projection : l'autre projette sur nous ce qu'il ne peut
pas accepter en lui-même.
Qui se connaît
et s'accepte prend conscience de sa projection et cesse d'être déterminé par
elle ; il ne devient pas l'ennemi de celui qui projette sur lui ses propres
affects hostiles, mais voit en lui le désir de vivre en paix avec soi-même et
avec sa vie »[4]
En d’autres
termes, il est nécessaire de discerner ce qui est ennemi et imposer à cet
adversaire des limites pour le contraindre, pour restreindre ses tendances
destructrices. En même temps, cette part « ennemi » a besoin d’être
accueillie et aimée pour être guérie de son hostilité.
Jésus appelle
ses disciples à prier pour cette part « ennemi » (Mt 6,44 b) qu’elle
soit en nous ou à l’extérieur de nous. Par là, il appelle les croyants à la
remettre à Dieu pour progressivement la transformer.
Par la prière,
ceux qui se confient ainsi à Dieu s’ouvrent toujours plus à son Esprit d’amour,
afin que son Esprit de transformation, de conversion, les pénètre sans cesse
davantage et que sa volonté se fasse en eux et par eux.
* Le Notre Père
se poursuit ensuite avec la demande concernant le pain quotidien et celle sur
le pardon. Mais nous n’allons pas les aborder ce matin.
Je vous propose
plutôt de terminer par la sixième demande : « Ne nous soumets pas
à la tentation »
Cette demande pose
un problème de traduction. On pourrait traduire par « ne nous mets pas à l’épreuve / ne nous conduis pas dans
l’épreuve »
Mais cette
traduction littérale pose une difficulté. Elle sous-entend l’idée que Dieu
puisse nous induire en tentation, nous mettre à l’épreuve.[5]
Les Pères de l’Eglise
ont très tôt perçu la problématique. Origène, déjà, traduisait cette ultime
prière par : « Ne nous laisse pas
succomber à la tentation. » Tertullien, quant à lui, traduit : « Ne permets pas que nous soyons
induits en tentation ». Selon Schnackenburg, un exégète du XXe siècle, le
sens de cette demande est : « Ne permets
pas que nous soyons tentés ».
Pour bien
comprendre cette demande adressée à Dieu, il ne faut pas disjoindre la prière
de l’action… car la prière porte sur notre vie concrète et quotidienne.
La prière ne
consiste pas à demander à Dieu d’intervenir de l’extérieur par un coup de
baguette magique, mais d’agir en nous, de venir nous influencer par son Souffle
dans notre intériorité.
Ce qui est
demandé à Dieu, c’est de nous rendre nous-mêmes capables de ne pas nous laisser
tenter.
En ce sens, la nouvelle traduction proposée par l’église catholique semble cohérente. Elle transpose cette demande de la façon suivante : « ne nous laisse pas entrer en tentation ».
En ce sens, la nouvelle traduction proposée par l’église catholique semble cohérente. Elle transpose cette demande de la façon suivante : « ne nous laisse pas entrer en tentation ».
Mais, entrer en
tentation : qu’est-ce que cela veut dire ?
Deux éléments de
réponses :
- La tentation,
c’est fondamentalement tomber dans un piège et douter de la présence de Dieu. Demander
de ne pas entrer en tentation, c’est demander à ne pas douter de l’action de
Dieu au milieu de nous. C’est en ce sens que Jésus dit à ses disciples, à
Gethsémani : priez pour ne pas entrer en tentation (Mt 26,
41 ; Mc 14, 38 ; Lc 22, 40.46).
- La tentation –
selon le sermon sur la montagne – c’est aussi de douter de nous-mêmes dans
notre relation à Dieu, c’est suivre le chemin large et spacieux qui mène à la
perdition (cf. Mt 7,13s) au lieu de choisir le chemin étroit et resserré qui
mène à la vie.
Choisir la
facilité, la voie du plus grand nombre, se contenter de faire comme les autres,
de faire ce que tous font, c’est aller à sa perte. Car, pour se trouver, chacun
doit suivre sa propre voie, sous le regard de Dieu.
La tentation, c’est
de ne pas vivre ce que l’on est, mais simplement de se laisser aller dans la
vie ; c’est de refuser la vie, de refuser sa vocation d’enfants de Dieu,
tous ensemble « enfants », mais chacun unique aux yeux de Dieu.
C’est en allant
son propre chemin que chacun peut se trouver en paix et réconcilié avec
lui-même et avec Dieu.
* Délivres-nous du mal ou libère-nous du malin
Les théologiens
ont aussi discutés sur la signification de ce malin (de ce mal personnalisé) ou
de ce mal impersonnel dont nous demandons à Dieu de nous préserver.
La plupart des
théologiens pensent aujourd’hui qu’il s’agit de tout ce qu’il y a de mauvais
dans les êtres, les pensées, les souffrances, les épreuves, les instincts.
Nous demandons à
Dieu de nous sauver de ces dangers, du pouvoir du mal et de nos mauvais
penchants.
Qu’en nous
puisse – au contraire – régner le bon penchant… Que puisse se développer en
nous l’image positive que Dieu se fait de chacun de nous.
Autrement dit, « dans
les deux dernières demandes du Notre-Père, nous confessons notre crainte de
voir nos forces insuffisantes face à la tentation et au mal.
Cette crainte,
nous la présentons à Dieu, à notre Père, en toute confiance, afin qu'il […]
nous garde en son amour à travers les turbulences et les dangers de la
vie ».[6]
* En conclusion…
Ce matin, nous
avons juste effleuré quelques demandes du « Notre Père ». En réalité,
c’est à la lumière de tout le sermon sur la montagne qu’il faut lire et relire
le « Notre Père ».
A travers cette
prière, nous demandons à Dieu de nous transformer par son souffle pour qu’il
nous fasse quitter la mentalité traditionnelle du calcul, du jugement, du
mérite… et qu’il nous guide sur le chemin d’un amour libre, gratuit et
désintéressé.
A travers le « Notre
Père », nous nous confions à Dieu pour qu’il nous donne force et courage
pour adopter une nouvelle mentalité et un nouveau comportement entièrement
fondé sur l’amour :
« Aimer le prochain comme soi-même »… cela veut dire qu’il faut commencé par
s’aimer soi-même.
Et comme Dieu
nous aime, il aime aussi tous les autres… C’est la raison pour laquelle, nous
sommes appelés à les recevoir et à les aimer comme nos frères et sœurs.
Ainsi, Jésus
nous appelle à entrer dans la nouvelle mentalité du règne de Dieu : celle
de la bonté, du pardon, de la gratuité.
Amen.
[2] Anselm Grün, Jésus, Le maître du salut, éd. Bayard,
p.38.
[3] Anselm Grün, Jésus, Le maître du salut, éd. Bayard,
p.39.
[4] Anselm Grün, Jésus, Le maître du salut, éd. Bayard,
p.41.
[5] Or, selon l’épître de Jacques Dieu ne tente personne : Que nul,
quand il est tenté, ne dise: « Ma tentation vient de Dieu. » Car Dieu ne peut
être tenté de faire le mal et ne tente personne (Jc 1, 13).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire