dimanche 26 février 2017

Mc 7,1-23 31-37

Lectures bibliques : Mc 7,1-23. 31-37
Thématique : Ephphatha ! Ouvre-toi !
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 26/02/17

* L’épisode biblique de ce jour nous présente un Jésus voyageur, qui discute aussi bien avec les Pharisiens et les scribes de Jérusalem – ses coreligionnaires – qu’avec des païens du territoire de la Décapole, qu’il traverse de son retour de Tyr et de Sidon.

L’évangéliste Marc dresse ainsi le portrait d’un Maître itinérant qui traverse les frontières et qui remet en question toutes les frontières dressées par les humains ou par la religion : notamment, la frontière du pur et de l’impur que Jésus propose à ses contemporains de revoir.

Il nous invite, de ce fait, à sortir de nos catégorisations, de nos étiquettes, de nos jugements décidément trop humains et souvent source d’exclusion de l’autre, de celui qui est différent, qui pense différemment, qui vit ou croit autrement.

Dans le deuxième extrait que nous avons entendu, Jésus se trouve en territoire païen. Le sourd, presque muet, qu’on lui amène est un païen. Et Jésus ose sortir des limites de la religion, pour guérir une personne qui ne croit peut-être pas au même Credo, au Dieu d’Israël… pour simplement tourner son regard vers un homme (ou un groupe d’hommes) qui croit en lui, qui croit que Dieu agit en Jésus et par lui… que ce maître a dû recevoir un pouvoir particulier de la part de Dieu, une autorité réelle, pour guérir.

Ce dont il est question ici, c’est de confiance – confiance en Jésus – pas de croyance. Et c’est cela la foi : une confiance, pas une croyance.

* Arrêtons-nous ce matin – pour commencer – sur deux aspects de cette rencontre de Jésus avec cet homme sourd-presque muet ou sourd-bègue.

- En présentant cet épisode de la vie du Christ, Marc précise ce que Jésus fait :
« Jésus sortit de nouveau des limites, des frontières (du territoire) »… pour se déplacer ailleurs (v.31).
Il me semble que c’est exactement ce que Jésus nous invite à vivre : il nous appelle, nous aussi, à sortir des limites, à dépasser, outrepasser ou même à transgresser ces limites : des limites imposées par les traditions humaines, qui sont souvent devenues « nos propres limites », dans la mesure où nous les adoptons… dans la mesure où ne pensons pas que nous sommes infiniment plus – en tant qu’enfants de Dieu – que ce que les autres ou la société ambiante voudraient nous faire croire, que le rôle social auquel on nous restreint.

Ce que Marc veut ici signifier, c’est que Jésus nous libère de ces limites que notre modèle social, religieux ou maintenant économique nous impose insidieusement par notre éducation, par la loi ou la tradition.

Nous ne nous rendons pas toujours compte à quel point nous sommes conditionnés par la manière de penser de notre société qui nous façonne. Et il est très difficile de penser autrement et de parler une autre langue, un autre langage que celui dont nous héritons.

- Pourtant, c’est à cette libération que le Christ nous appelle – et c’est le deuxième aspect : c’est ce que Jésus réalise avec l’homme sourd-bègue. Je cite l’évangéliste Marc : « sa langue se délia / littéralement : la chaîne de sa langue fut déliée » (v.35).

C’est comme si cet homme avait une langue verrouillée, enchaînée. En grec, c’est la même racine qui forme le mot « prison ». Et Jésus fait sauter les verrous de la parole : il délie la parole.

Précisément de quoi Jésus nous libère-t-il ?
De la loi, des traditions des hommes… donc du devoir, du prêt-à-penser, des carcans et des modèles humains.

* Mais le premier passage que nous avons entendu – le dialogue avec les disciples – précise que Jésus nous libère aussi des mauvais désirs : Jésus parle notamment de la convoitise et de l’envie, de la soif de s’emparer de ce qui est à autrui, d’avoir et de vouloir toujours plus.

Jésus fait aussi référence à l’orgueil, au regard envieux, à la soif de possession – qu’on traduit souvent par les mots « avidité » ou « cupidité » (v.22).

Derrière les différents termes résumés par Marc, Jésus parle de tout ce qui peut faire violence à autrui : intentions malveillantes, inconduites, vols, cupidité, etc. … C’est-à-dire ce qui lèse le prochain.

Pour Jésus, ce qui rend l’homme « impur » – c’est-à-dire non conforme à sa vocation d’enfant de Dieu – c’est le fait de se concentrer exclusivement sur la soif d’avoir et de pouvoir, plutôt que sur le désir d’être et de vivre de belles relations humaines.

Ce qu’il qualifie de « mauvais » – on pourrait dire de « non conforme », pour éviter tout jugement moral, puisqu’il n’est pas question ici de critères moraux, mais de conformité à notre vocation – c’est de ne vivre qu’avec ce type de préoccupation : une soif d’avoir (avoir plus) ou une forme de domination, plutôt que le désir d’être en relation (le désir d’être plus avec les autres et d’être tourné vers eux).

On le sait, en effet, Jésus appelle ses disciples à être dans l’altruisme, à vivre dans la compassion, comme il le rappelle à travers la prescription de Moïse d’honorer ses parents (v.10), plutôt que d’offrir des sacrifices à Dieu.

En même temps que Jésus désacralise le dieu Mammon, le dieu argent, il désacralise aussi l’idée d’une relation exclusive à Dieu :
Il n’y a pas de relation authentique à Dieu qui pourrait en même temps nier l’amour du prochain.
« Celui qui dit " J’aime Dieu" et qui haït son frère est un menteur » – affirmera encore la 1ère lettre de Jean (1 Jn 4,20).  

* Nous devons comprendre combien tout cela est d’actualité dans notre monde hyper matérialiste, où les valeurs de l’avoir sont souvent prépondérantes :

-       Ne sommes-nous pas dans un monde où les grandes entreprises délocalisent pour produire à bas coût, quitte à exploiter des populations plus ou moins misérables à l’autre bout du monde, et à négliger l’environnement, pour dégager plus de marges, gagner en rentabilité et engranger plus de profits, tout en répondant aux désirs des consommateurs des pays « riches » de payer des produits moins chers et de connaître une certaine « croissance » économique ?

-       Ne sommes-nous pas dans un monde où les financiers ne rechignent pas à spéculer sur les cours des matières premières, pour empocher des bénéfices lors de leurs transactions, sans se préoccuper des petits producteurs locaux, qui (à des milliers de kilomètres de là) peuvent avoir du mal à nourrir leur famille et à vivre, tout simplement, du seul fait que leur production est achetée à bas prix et parfois à perte ?

Qui se préoccupe d’autrui dans ces relations commerciales ? Elles ne sont portées que par l’intérêt particulier d’une classe de privilégiés-dominants, qui ont fait de la loi du marché un nouvel esclavage, leur donnant les moyens de s’enrichir toujours davantage.

Je lisais le mois dernier un article du journal « le Monde », paru il y a plus de 3 ans, qui disait qu’au cœur de la crise, en 2013, les 500 plus riches de France se sont enrichis de 25% en une seule année.

-       On pourrait multiplier les exemples…

Si le passage de l’Évangile que nous entendu aujourd’hui est toujours d’actualité, c’est que – malheureusement – l’homme manque toujours autant de compassion pour son prochain.
Car comment continuer à faire ce qu’on fait si on réalise que cela cause de la souffrance à autrui (à moins d’être complétement insensible) ?
Lorsqu’on en a réellement conscience et qu’on a un cœur, on ne peut pas poursuivre dans la même voie.

Le problème de l’homme est donc avant tout un problème d’aveuglement ou de surdité. L’homme vit dans l’ignorance des causes de la souffrance : l’attachement à son avoir ou la soif de domination… et cela l’empêche d’élever son niveau de conscience, vers la prise en compte de l’intérêt commun, de l’intérêt général.

* Dans le passage que nous avons entendu, d’une part, Jésus dénonce une forme d’hypocrisie liée aux traditions humaines, c’est-à-dire au système social mis en place par l’homme, qui ne répond pas forcément à sa vocation divine.

Rappelons que le mot « hypocrite » n’avait pas le même sens il y a 2000 ans.
L’hypocrite – à l’époque de Jésus – c’est celui qui porte un masque, comme les comédiens ou les tragédiens de l’Antiquité.
Ce qui compte pour les hypocrites, c’est ce qui se voit, ce qu’ils paraissent à l’extérieur, plutôt que ce qu’ils sont en réalité à l’intérieur.

D’autre part, Jésus nous appelle à une forme de libération, comme le signifie la guérison du sourd-bègue : il vient libérer la parole, la guérir, la rendre, pour que l’homme devienne à nouveau un être de communication : un être qui se recentre sur la relation à autrui, plutôt que sur la soif de possession ou sur des comportements dictés par la tradition, fut-elle religieuse.

En effet, quel est le point commun entre celui qui est centré par l’avoir et celui qui est préoccupé par la tradition religieuse ?
Il y a, paradoxalement, un point commun entre eux. C’est la conception d’un salut individualiste :
Il faut que j’ai plus, que je possède plus, pour être sauvé / ou il faut que je plaise à Dieu par mes bonnes œuvres, par des actes religieux, pour être sauvé.
C’est l’idée équivalente d’un salut « chacun pour soi », un salut individuel, lié aux mérites personnels… que ce salut soit matérialiste ou transcendant.

Or, c’est cela que Jésus récuse :
En remettant, au centre de son Évangile, l’amour du prochain, comme le respect des parents, Jésus affirme que nous sommes dans l’erreur si nous pensons à un type de salut « chacun pour soi ».

Pour le Christ, il n’y a pas de salut des uns sans les autres.
Le chacun pour soi, c’est la vision primitive des hommes.

La réalité invisible et cachée, c’est que nous sommes tous unis : nous sommes tous un. Et ce que Jésus souhaite, c’est que nous prenions conscience de cette réalité.

Nous pouvons l’entendre dans la prière qu’il adresse pour nous à Dieu, son Père, dans le chapitre 17 de l’évangile selon Jean. Je cite :
« Que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi, qu’ils soient en nous eux aussi, afin que le monde croie que tu m’as envoyé. […] qu’ils soient un comme nous sommes un, moi en eux comme toi en moi, pour qu’ils parviennent à l’unité parfaite et qu’ainsi le monde puisse connaître que c’est toi qui m’as envoyé et que tu les as aimés comme tu m’as aimé » (Jn 17, 21-23)

De multiples manières, Jésus rappelle dans l’Evangile que le salut est une grâce de Dieu offerte à tous les humains, sans condition (cf. Mt Mt 5,45 ; Lc 15 ; etc.)
L’homme n’a que deux choses à faire pour y répondre :
-       faire confiance à Dieu pour son salut ;
-       se mettre à l’écoute de Dieu, en vivant sa vocation d’enfant de Dieu, en aimant son prochain.

En d’autres termes, le mot de Jésus pour le sourd-bègue est aussi pour nous : « Ephphatha ! » : ouvre-toi ! ; libère-toi !

Jésus nous appelle à ouvrir notre cœur à autrui, à la compassion et à la bienveillance. Pour le maître itinérant, ce que Dieu attend de nous, c’est que nous soyons des êtres humains accomplis et libres dans nos relations fraternelles, que nous respections les autres pour ce qu’ils sont et non pour ce qu’ils font ou ce qu’ils ont.
Pour ce faire, nous sommes appelés à vivre pleinement notre vocation, à savoir exprimer la plus belle version de qui nous sommes vraiment, en offrant au monde et aux autres le meilleur de nous-mêmes.

* Encore un mot, pour conclure…

Je disais en introduisant cette méditation que la foi, c’est une confiance, pas une croyance.
Je crois – à travers cet épisode – que Jésus nous appelle fondamentalement à revoir toutes nos croyances fondées, soit sur une religion de la loi ou de la tradition, soit sur un modèle social consumériste ou une vision utilitariste et marchande de l’autre.

L’Évangile – la Bonne nouvelle du salut de Dieu pour tous – est infiniment plus généreux, plus large, plus ouvert que tous nos systèmes, fondés sur le mérite ou le « donnant-donnant ».
Il repose sur l’amour de Dieu et la dignité inconditionnelle de chaque être humain.

Vivre la foi, c’est donc dépasser tout système de croyance, pour faire confiance à Jésus et reconnaître que c’est lui qui a raison :

Pour sauver notre monde de sa surdité et de sa mutité, nous sommes appelés à nous remettre en question et à changer nos représentations mentales, nos mentalités et nos comportements.
Jésus nous libère et nous dit « Ephphatha » !

La foi n’est rien d’autre que cela : reconnaître Jésus comme libérateur et comme sauveur du monde, et s’engager derrière lui. C’est lui offrir notre confiance, pour nous montrer où Dieu veut vraiment en venir.

« Le jour où Jésus a dit (Mc 2,­7): L'être humain n'a pas été fait pour le sabbat, mais le sabbat pour l'être humain, il a bien montré que ce qui préoccupe vraiment Dieu, ce n'est pas la religion et ses lois, mais bien le sort des hommes et des femmes de ce monde.
Aujourd'hui, à propos du pur et de l'impur, on retrouve la même façon de voir. Ce qui importe vraiment à Dieu, ce ne sont pas les rites de purification ou les prescriptions alimentaires, ou des liturgies ou les dogmes. C'est ce qui advient aux hommes et aux femmes de ce monde »[1].

La guérison accomplie par Jésus – qui fait entendre les sourds et parler les muets – doit être pour nous un signe du message salutaire que Jésus apporte au monde… et encore aujourd’hui… à chacun d’entre nous.
A nous d’en être les témoins, en paroles et en actes !

Amen.



[1] Cit. Jean-Marc Babut

dimanche 19 février 2017

Mc 6, 14-16

Mc 6, 14-16
Lectures bibliques : Ml 3, 20-24 ;  Mc 1, 14-15 ; Mc 10, 42-44 ; Mc 6, 14-29
Thématique : Mais qui est donc Jésus ?
Marmande, le 19/02/17
Prédication reprise en grande partie d’une méditation de Jean-Marc Babut

Au temps d'Hérode, un temps sans journaux, sans radio, sans télévision ni Internet, il n'y avait personne pour choisir à votre place quelle était la véritable actualité du jour, encore moins pour vous dire ce qu'il fallait en penser.
La véritable actualité, les gens la découvraient eux-mêmes, la diffusaient eux-mêmes et la commentaient entre eux. Et voilà donc qu'un jour, en Galilée, ce qui faisait l'actualité, c'était un certain Jésus de Nazareth.
Même le roi Hérode – sans doute par les biais de ses agents des Renseignements Généraux ou par quelques rumeurs – entendit parler de Jésus.

Une petite précision utile avant d'aller plus loin : cet Hérode n'est pas celui qui régnait au moment de la naissance de Jésus, mais un de ses fils. Pour simplifier Marc le gratifie du titre de roi, mais c'est là un titre auquel cet Hérode-là n'avait pas droit. Les Romains, dont il dépendait, lui avaient concédé le titre de « tétrarque », c'est-à-dire de « quart de roi », puisqu'il régnait seulement sur le quart du royaume de son père, à savoir la Galilée et un morceau de la Transjordanie.

Alors, pourquoi Jésus faisait-il ainsi l'objet des conversations ?
Chose étrange, ce n'est sans doute pas tant à cause de ce qu'il disait - et qui tranchait pourtant singulièrement avec ce que les gens avaient l'habitude d'entendre - mais à cause de ce qu'il faisait, à cause des actes de guérisons, à cause de la foule que le suivait.

Ce qui frappait les gens et les intriguait, c'est ce qu'ils appelaient ses « miracles ». On le voit bien dans les évangiles, en effet, Jésus ne se borne pas à annoncer et à expliquer le monde nouveau dans lequel il appelle ses auditeurs à entrer. Il fait quelque chose : il fait passer son message libérateur – son message de salut et de vie nouvelle – dans la vie de tous les jours. C’est ainsi que se produisent sur son passage toutes sortes de guérisons et de libérations. Comme tout cela sort plutôt de l'ordinaire, les gens, qui raffolent de ce qui est puissant, parlent de « miracles » ou de « signes ». En fait, ce sont des traces de l'irruption du Règne de Dieu sur notre terre. C’est le signe que l’Esprit de Dieu agit par Jésus et en lui. Et tout cela est assez nouveau pour que les gens soient intrigués et cherchent à en apprendre davantage.

Regardons d’un peu plus près ce que les gens disaient de Jésus :
Ses paroles et ses actes interrogent. Tous se trouvent face à un message et à un personnage absolument nouveaux. Et, comme tout ce qui est changement, inconnu, nouveauté, cela inquiète forcément : « Qui est cet homme ? » ; « Où veut-il nous entraîner ? »
C'est pour conjurer cette inquiétude que chacun essaie de faire entrer le « phénomène Jésus » dans une catégorie déjà connue. On neutralise ainsi plus ou moins la surprise et le dérangement qu'il suscite.

On ne fait d'ailleurs pas autre chose aujourd'hui quand on range Jésus sous l'étiquette « Religion ». C'est une manière aussi subtile que répandue de le neutraliser : la religion, on sait ce que sait !... même si, aujourd’hui, on ne veut plus vraiment le savoir ! Mais, l’Évangile de transformation proclamé par Jésus, il n’est pas sûr que nos contemporains le connaissent réellement.

« Pour essayer de classer Jésus dans une catégorie connue, les contemporains du roi Hérode proposent trois solutions. Jésus serait soit Jean-Baptiste ressuscité des morts, soit Élie revenu à la vie, soit enfin un prophète comme ceux d'autrefois. Passons rapidement en revue ces trois réponses.

Tout d'abord Jean-Baptiste ressuscité des morts. On l'a vu, ce qui frappe les gens, ce sont les guérisons que Jésus opère.
Or, ces traces du monde nouveau de Dieu, que Jésus laisse sur son passage, sortent tellement de l'ordinaire que les gens n'arrivent à les situer qu'en faisant appel au surnaturel. Le pouvoir de faire de telles choses, pense-t-on, ne peut venir que d'un autre monde.

Or, comme Jésus a certainement fait partie quelque temps de l'entourage du Baptiste, c'est à ce dernier – supposé ressuscité – qu'on pense aussitôt : Jésus serait une sorte de revenant de Jean-Baptiste ! Voilà pourquoi, disait-on, le pouvoir de faire des miracles agit en lui (v. 14). […]

[Cette hypothèse peut nous sembler, pour le moins, aberrante. Elle n’a pas grand chose avoir, en tout cas, avec le message proclamé par Jésus, qui annonçait la proximité du règne de Dieu – du monde nouveau de Dieu – ici et maintenant (cf. Mc 1,15).
Mais, fondamentalement, n’est-ce pas aussi souvent notre manière de raisonner ou cela ne correspond-il pas, en partie, au message traditionnel de la Religion ? : nous parler du salut, pour après, pour plus tard.

Cela peut nous interroger personnellement sur l’idée que nous nous faisons du salut. N'est-il pas vrai que nous avons tendance à le situer au-delà de notre vie présente (comme la Religion nous y incite) ? Mais « plus tard » et « au-delà » ne dépendent pas de nous. Plus tard et au-delà sont à Dieu et à lui seul.
Jésus vient nous apprendre que le salut de notre humanité – et donc le nôtre – n'est pas à remettre à plus tard ou à attendre dans quelque au-delà, mais qu'il nous est déjà offert ici, dans notre condition humaine. Ici et maintenant ! Et il nécessite notre confiance en Dieu ; il nous appelle à entrer dans une nouvelle mentalité, dans un nouveau mode de relations à Dieu et aux autres.]

Deuxième essai de définir Jésus : il serait Élie revenu à la vie. Élie est l'un des trois personnages du Premier Testament dont la fin de vie reste entourée de my­stère. Le livre des Rois raconte en effet que, sous les yeux d'Elisée, qui allait devenir son successeur, Elie a été enlevé sur un char de feu. En somme, il n'était pas mort comme tout le monde. C'est pourquoi, dep­uis la prophétie de Malachie (3,23-24), Israël attend le retour d'Elie comme précurseur des derniers temps.

Ceux qui voient en Jésus Élie revenu à la vie ont bien senti qu'il avait quelque chose à voir avec l'avènement d'un monde nouveau. Pourtant ils sont en retard : car selon Jésus, c'est plutôt Jean-Baptiste qui a rempli le rôle précurseur d'Élie, Jésus lui-même étant celui qui marque la fin de l'ancien monde et de début du nouveau.

Enfin, troisième sorte d'étiquette apposée à Jésus : C'est un prophète comme ceux d'autrefois. Dans la Bible, contrairement à ce que la plupart des gens s'imaginent, un prophète n'est pas quelqu'un qui prédit l'avenir, c'est un porte-parole de Dieu.
C'est quelqu'un qui communique à ses contemporains, selon les cas, le message d'avertissement ou de consolation que Dieu veut leur faire parvenir d'urgence.

Or, au temps de Jésus, on était persuadé que le temps des prophètes était définitivement révolu depuis la disparition du dernier d'entre eux, Malachie.
Depuis lors, la Parole de Dieu n'était plus regardée comme quelque chose de vivant et d'imprévisible, parfois de désagréable à entendre et souvent de dérangeant. La Parole de Dieu s'était figée en une loi. Le temps n'était plus à écouter, mais à interpréter. Au temps des prophètes avait succédé le te­­mps des maîtres de la Loi.

Il est donc significatif que, pour ses contemporains, Jésus apparaisse comme un prophète, comme le porteur d'une parole vivante du Dieu vivant. Car si Jésus est prophète, cela veut dire que le régime de la loi, le régime de la relation indirecte avec Dieu, fait à nouveau place au régime d'une Parole à écouter. Jésus prophète, voilà, semble-t-il, une bonne intuition.

Malheureusement les gens ajoutent comme l'un des prophètes (sous-entendu classiques). Ainsi les contemporains de Jésus ne reconnaissent pas – ou ne veulent pas reconnaître – que Jésus apporte à notre monde quelque chose de vraiment nouveau.
Ils oublient que, déjà, le message de Jérémie n'était pas celui d'Ésaïe, ni celui d'Ézéchiel le même que celui de Jérémie. Ils ne voient pas que Jésus ne se coule pas dans un moule traditionnel, mais qu'il apporte la seule nouveauté radicale capable de sauver le monde [ : l’Evangile de la non-domination ; l’Evangile de l’amour du prochain, qui appelle au service et au partage.]

Jean-Baptiste ressuscité - Élie revenu à la vie - un prophète comme ceux d'autrefois ? Jésus est infiniment plus que cela. Il est l'ambassadeur du Règne de Dieu, ce monde nouveau que Dieu aimerait tant voir subvertir le vieux monde où nous vivons.
Mais l'avènement de ce monde nouveau remet en question tant de choses auxquelles les humains tiennent mordicus, tant de convictions et de prétendues sécurités auxquelles ils ne veulent surtout pas renoncer, que la plupart préfèrent neutraliser Jésus et son message en l'enfermant dans une de ces catégories bien connues, donc devenues totalement inoffensives.

Pour finir, nous revenons à Hérode.
Face à ces diverses opinions sur Jésus, Hérode choisit lui aussi l'image de Jésus qui lui convient le mieux.
Comme d'autres il s'arrête à l'idée que Jésus doit être une sorte de réincarnation de Jean-Baptiste. Mais pour lui cela prend un tout autre sens.

Entre Jean-Baptiste et lui, en effet, il y a une relation assez spéciale : Jean est une de ses victimes ; Hérode l'a fait exécuter. En quelque sorte il est son bourreau.

Dès les premières lignes de son évangile, Marc avait présenté Jean-Baptiste comme une voix mandatée par Dieu pour préparer le chemin du Seigneur (Mc 1,2-3). Librement et courageusement cette voix avait retenti pour avertir même le tyran qu'il transgressait la volonté de Dieu. Et le tyran avait usé de son pouvoir pour faire taire la voix gênante.

Quiconque a eu l'occasion de lire des documents publiés par Amnesty International [ou par l’ACAT] a pu constater combien la parole libre est chose redoutée par les tyrans de ce monde, et découvrir tous les moyens auxquels ceux-ci recourent, jusqu'à l'exécution extrajudiciaire, pour faire taire cette parole libre.

Hérode avait cru lui aussi se débarrasser définitivement de cette voix insupportable [celle qui venait de Dieu ; celle de sa conscience], il pensait en avoir vraiment fini avec elle. Mais ce qu'il entend raconter de Jésus lui fait découvrir que cette voix redoutée n'est pas morte avec Jean-Baptiste. Il est impossible de la faire taire.
Comme le remarque un commentateur de notre évangile, « le véritable vaincu n'est pas Jean-Baptiste ».

La liquidation de Jean-Baptiste annonce déjà celle de Jésus. Mais la remarque désabusée d'Hérode (Ce Jean que j'ai fait décapiter, c'est lui qui est ressuscité) résonne maintenant à nos oreilles comme une bonne nouvelle, celle qui annonce la victoire finale de Jésus et de son Évangile, la victoire du monde nouveau de Dieu ».[1]

Cet Évangile nous rappelle ainsi que le salut n’est pas à chercher dans plus d’avoir et de pouvoir, comme la société et les grands de ce monde voudraient nous le laisser croire. C’est précisément ce qu’Hérode aurait dû entendre, s’il avait vraiment écouté Jésus.
Pour Jésus, le salut se découvre dans l’accès à une nouvelle manière d’être, dans un monde où les relations humaines ne sont pas fondées sur la rivalité, la concurrence ou la domination.
L’Évangile nous appelle donc à sortir de ce mode primitif du « chacun pour soi », pour agir de façon gratuite et unilatérale dans l’amour du prochain.

Croire en Jésus, ce n’est pas seulement croire qu’il est un prophète – comme certains de ses contemporains l’ont compris – c’est d’abord tenir pour vrai ce qu’il dit, reconnaître que c'est lui qui a raison quand il annonce que le monde nouveau de Dieu est devenu tout proche et qu'il nous appelle à changer de mentalité (cf. Mc 1, 15).

Croire, c'est faire confiance à Jésus et avoir compris avec lui que le salut que Dieu nous apporte n'est pas seulement pour plus tard, mais pour ici et maintenant… précisément pour cette vie présente qu'il nous appelle à vivre d'une manière nouvelle, de la seule manière que Dieu considère comme vraiment humaine, celle dont les maîtres mots sont servir et partager.

Amen.




[1] Cf. Jean Marc BABUT, Actualité de Marc, Cerf, p.116-121.

lundi 13 février 2017

Mc 4, 10-12. 21-25

Mc 4, 10-12. 21-25
Lectures bibliques : 2 Co 1, 19-22 ; Mc 4, 1-12. 21-25
Thématique : Évangile ou énigme ? Un appel : écouter !
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 12/02/17
(Largement inspirée de deux méditations de Jean-Marc Babut)

* Dans le premier passage que nous venons de lire… en écoutant la traduction habituelle de ce texte dans la version courante… nous entendons les versets suivants : « À vous le mystère du règne de Dieu est donné, mais pour ceux du dehors tout devient énigme, pour que, tout en regardant, ils ne voient pas  et que, tout en entendant, ils comprennent pas, de peur qu’ils ne se convertissent et qu’il leur soit pardonné ».
On rencontre là une idée assez insupportable et même indéfendable :
quel est donc ce Dieu qui choisirait et sélectionnerait quelques privilégiés, capables de comprendre les paraboles de Jésus et son message de salut, pour mieux perdre les autres : ceux qui n’y entendent rien ?… comme si l’objectif de Jésus – en racontant des paraboles – serait de rendre incompréhensible son message à un certain nombre de ses auditeurs… en vue de les perdre.

Tout cela ne tient pas debout : disons le clairement ! Comment imaginer que le langage de Jésus, en paraboles, réponde à une double mission : d’une part, faire découvrir à certains le royaume, le monde nouveau de Dieu, qu’il est venu apporter sur la terre. Et, d’autre part, dans le même temps, rendre un peu plus opaque à tous les autres le mystère de ce royaume, afin de les maintenir dehors ?
Cette manière de comprendre ce passage ne colle absolument pas avec le message et l’attitude de Jésus partout ailleurs.

On voit, en effet, dans l’évangile de Marc, un Jésus qui proclame la proximité du règne de Dieu, dans lequel il invite tous ses auditeurs à entrer, en changeant de mentalité.
On voit un Jésus qui parle de Dieu comme un père bien-aimant, miséricordieux et plein de compassion : il nous présente un Dieu qui cherche le salut et le bien-être des humains, ses enfants… alors, comment pourrait-il vouloir exclure une partie de ses auditeurs par quelques langages énigmatiques ?

Cela ne colle ni avec ce que Jésus dit et fait dans l’Évangile, ni avec ce que l’apôtre Paul dit aussi au sujet de Jésus Christ. Je cite : « le Christ Jésus n'est pas venu pour être « oui » et « non ». Au contraire, il est le « oui » de Dieu, … il est le « oui » qui confirme toutes les promesses de Dieu » (2 Co 1, 19-20).

L’explication est simple : nous devons revoir la traduction habituelle de ce passage dans nos Bibles, pour y découvrir un autre sens et une autre interprétation.
Il y a, en effet, une petite particule grecque, que nos versions traduisent par « pour que » ou « afin que ». Or, cette particule peut aussi avoir la valeur d’un « de sorte que » : ce qui change complétement le sens du verset.
On peut lire alors : « … pour ceux du dehors tout devient énigme, de sorte que, tout en regardant, ils ne voient pas, et que, tout en entendant, ils ne comprennent pas. Ainsi, ils ne se tournent pas vers Dieu et ne trouvent pas le pardon ».

On comprend mieux, dès lors, que ce n’est pas l’intention de Jésus de cacher, de rendre opaque ou mystérieux son message : Jésus est celui qui prononce le « oui » de Dieu. Mais, c’est en fait une possibilité qui peut venir des récepteurs de son message. Le « non » ne peut venir que des auditeurs.

Autrement dit, c’est un constat que Jésus dresse : Autour de lui, il y a des hommes et des femmes qui ont accueilli le message du monde nouveau de Dieu, le message d’un Dieu gratuit, bien-aimant et accessible, qui appelle les humains à un changement de mentalité, à la confiance, à la gratuité, au pardon, à l’amour inconditionnel. Il y a des personnes qui ont accepté son message de salut offert à tous, aux bons comme aux méchants, aux purs comme aux impurs, aux fidèles comme aux infidèles : tous sont appelés à entrer dans le règne de Dieu. Mais, il y en au d’autres – ceux du dehors, comme les appelle Jésus – qui refusent d’entrer dans cette nouvelle mentalité : qui n’acceptent pas que Dieu puissent aimer et accepter aussi bien les bons croyants que ceux qui seraient pécheurs, indignes ou inacceptables… Il y en a qui refusent de sortir des systèmes de récompense, de mérite, de salut promis uniquement aux croyants pieux et aux religieux fidèles.

Alors quand Jésus appellent ses auditeurs à accomplir des actes bons, à aimer leurs prochains plutôt qu’à respecter le jour du sabbat et les règles de la religion instituée… quand il explique, par des paraboles que les premiers risquent d’être les derniers… cela ne plait pas à tout le monde.
Des gens se trouvent soudain placés devant une logique nouvelle, totalement déconcertante : la logique de l’amour et de la gratuité du monde nouveau de Dieu n’est pas celle du mérite, instituée par la religion des règles, de la loi et des rites.
« Pour ceux du dehors » qui ne sont pas encore entrés dans cette nouvelle mentalité du royaume, tout devient énigme. Et la triste conséquence, c’est que ces gens laissent apparaître au grand jour leur incompréhension, leur surdité, leur aveuglement ou leur refus.
C’est eux-mêmes qui, refusant le message de salut annoncé par Jésus, se trouve hors du lieu où ils trouveraient un vrai pardon et une vie nouvelle, avec plus de liberté et de confiance : une confiance en Dieu, plutôt que dans la loi ou la religion.

Tout change avec cette autre manière de traduire ces versets : on comprend que rien n’est accordé à certains et refusé à d’autres : Le message du salut adressé par Jésus est offert à tous.
Mais, Jésus constate avec la parabole du semeur que dans 3 cas sur 4, c’est un échec. Les humains n’entendent pas, oublient ou n’adhérent pas à son Évangile.
Seule, 1 fois sur 4, la semence tombe dans la bonne terre, et là, c’est un miracle : les fruits produits sont nombreux et abondants.

Malgré ces 75 % d’échecs, Jésus continue d’espérer et de semer. Il appellent ses disciples (ailleurs dans l’Évangile) à continuer semer à sa suite, même si tous les interlocuteurs n’accueillent pas le monde nouveau de Dieu.
Y entrer, en effet, implique un tel changement de mentalité et de logique, un style de vie si différent de nos habitudes – un nouveau mode de relations aux autres, fondées sur la gratuité plutôt que sur l’échange ou le donnant-donnant – que peu osent réellement adopter le nouveau comportement promu par Jésus.
Très nombreux sont ceux qui préfèrent rester dans les modes de penser ou les comportements pratiqués par tout le monde depuis toujours, fondés sur un salut de type « individualiste », « chacun pour soi », lié au mérite ou à la domination sur autrui.

Ce n’est pas pour rien que Jésus parle de « mystère du monde nouveau de Dieu ». Cela ne signifie pas que ce soit un secret réservé à quelques privilégiés. Mais, la vie qu'on y mène tranche tellement avec les convictions ancestrales et les comportements habituels de l'humanité qu'aucun de nous n'est naturellement prêt à rompre avec ce qui nous apparaît comme bien connu et sûr, pour risquer de s’aventurer dans ce qui ressemble à quelque chose de totalement nouveau, dont on n’ignore encore le résultat… ou dont on a peur, parce que cela nécessiterait de remettre en cause toutes nos habitudes, nos manières de penser et d’agir.

C’est précisément pour nous faire percevoir cette nouveauté du règne de Dieu – ce monde nouveau de Dieu – que Jésus emploie des paraboles, des images, des comparaisons, des analogies. Il veut nous appeler à regarder notre réalité, notre monde et nos relations aux autres de façon différente et nouvelle. Il nous invite à une transformation.
Pour Jésus, ce monde nouveau est offert. Il est à notre portée. C’est un cadeau et une promesse : là où ce cadeau est reçu, là où un simple grain tombe dans la bonne terre, le monde nouveau de Dieu prend pied dans l’humanité, le salut qu’il apporte se met à l'œuvre et fait éclater toutes les prévisions. Jésus parle d’une fécondité et d’une croissance extraordinaires.

* Ensuite, dans le deuxième passage que nous avons entendu ce matin, Jésus nous donne des pistes pour accéder à ce règne de Dieu. Le mot d’ordre, c’est « écouter ».

« Si quelqu'un a des oreilles pour entendre, qu'il entende! » Et Marc appuie cette première recommandation de Jésus par une seconde : « Faites attention à ce que vous entendez »

Nous voilà donc prévenus : il y a là, dans ce que dit Jésus, quelque chose qui vaut la peine d'être entendu, quelque chose qui vaut la peine « d' écouter ».

Si l’Évangile insiste tant sur ce point, c’est pour une raison simple : c’est difficile pour nous d’écouter.
« En général, nous n'aimons pas écouter. Voyez ce qui se passe lors d'une discussion, ou même lors d'une interview de journaliste : on se coupe constamment la parole. Chacun veut placer - et faire prévaloir - son point de vue, sa vérité. On ne laisse­ pas l'autre s'exprimer, on le contredit avant qu'il ait terminé. Chacun se refuse d'entendre - et même de laisser entendre - ce que l'autre veut dire. En somme nous n'aimons pas ce qui ne vient pas de nous-mêmes, nous n'aimons pas et ne savons pas écouter, faire taire nos propres voix pour essayer aussi de saisir celle de l'autre.

Si les humains sont si peu capables de s'écouter les uns les autres, on est en droit de se demander comment ils vont pouvoir écouter une voix autrement étrangère, je veux parler de celle de Dieu, que Jésus est venu essayer de nous faire entendre.
Celui qui n'écoute pas se condamne lui-même à tourner [en rond], comme un lion dans sa cage, [à sombrer dans la répétition et finalement dans une forme d’immobilisme] : on n'en sort pas, on se retrouve toujours seul avec soi-même, on est pe­rdu.

L’Évangile, le message proclamé par Jésus, c'est justement une autre voix qui cherche à se faire entendre de nous ; une voix qui vient d'ailleurs que de nous-mêmes, qui nous apporte quelque chose d'autre, quelque chose de différent, quelque chose de neuf : une voix qui apporte aux humains le salut. […]

Dans notre monde, envahi par ce qu'on appelle les médias, on nous sollicite à longueur de publicité pour que nous achetions ceci ou que nous votions pour celui-là [surtout en ce moment, en période électorale]. Mille voix cherchent à se faire entendre, employant les techniques les plus astucieuses pour forcer notre attention par toutes sortes d'images séduisantes [de manipulations] ou de slogans accrocheurs.

En nous disant « Faites attention à ce que vous entendez », Jésus nous […] [appelle au milieu de ce brouhaha] à prêter attention à la seule voix qui nous donne une chance de sortir de nous-mêmes et de découvrir enfin autre chose, une autre vie, un autre avenir. Il nous invite à saisir le salut [que Dieu nous offre]. […]

Marc enchaîne aussitôt avec une autre parole de Jésus : « La mesure dont vous vous servez servira de mesure pour vous ». Ce qui signifie alors : « Tout ce que, en écoutant Jésus, vous saisissez du mystère du monde nouveau de Dieu, tout cela, Dieu vous le donne, pas moins. » Et Jésus ajoute cette promesse : « Et Dieu y ajoutera encore ».
Ainsi plus nous écoutons et mieux nous faisons passer dans notre vie ce que Jésus nous dit du monde nouveau de Dieu, mieux et davantage ce monde nouveau prend pied chez nous et y fait entrer sa rayonnante nouveauté.

Enfin cet appel pressant à écouter et cette promesse à ceux qui écoutent, Marc les couronne par une dernière sentence de Jésus : « A celui qui a, il sera beaucoup donné ; et à celui qui n'a pas, même ce qu'il a lui sera retiré ».

[On peut trouver cette dernière sentence un peu « dure » ou même « injuste ». Mais, Jésus la formule de manière assez générale et impersonnelle, comme une sorte de règle de fait ou de loi universelle.] Elle a toutes les apparences d'un dicton populaire comme on en trouve dans presque toutes les langues. Il existe, par exemple, un dicton arabe qui dit à peu près : « Qui possède du lait reçoit du lait ; qui possède de l'eau reçoit de l'eau. » Ce qui pourrait vouloir dire : on n’obtient jamais que ce qu'on possède déjà. En français vous connaissez le « On ne prête qu'aux riches ». La parole de Jésus a le même aspect de sagesse populaire : « À celui qui a il sera donné ; et à celui qui n'a pas, même ce qu'il a lui sera retiré. » […]

[Dans le contexte de l’évangile selon Marc, Jésus utilise cette sentence pour conclure son appel à écouter. Et du coup, elle pourrait sonner comme une bonne nouvelle :] « À celui qui a il sera donné ». Autrement dit, celui ou celle qui aura accueilli le monde nouveau de Dieu en écoutant Jésus, recevra plus encore qu'il ne pouvait l'espérer ; il sera comblé au-delà de toute attente [un peu comme le grain de blé qui tombe dans la bonne terre et produit beaucoup de fruits]. […]

Bien entendu, si Marc a rassemblé ici quatre déclarations de Jésus originairement éparses pour renforcer son appel à écouter, c'est qu'il y a quelque chose de particulièrement vital à saisir [à ses yeux.] […]

[Nous ne pouvons pas examiner plus en détail ce matin tout ce que Jésus dit et fait. Mais, pour nous aider à réaliser qu’il s’agit d’une nouvelle mentalité dans laquelle le maître nous invite à entrer, on pourrait se limiter à un seul exemple :
Pour Jésus, ce monde nouveau de Dieu, on y accède en] renonçant à toute domination (cf. Mc 10, 42-45) : que ce soit de certains humains sur d'autres, ou des hommes sur les femmes, ou des forts sur les faibles, ou des riches sur les pauvres, ou des adultes sur les enfants, ou des pasteurs sur les laïcs, ou d'une prétendue race sur une autre, ou des savants sur les ignorants... La liste pourrait être longue. Partout où de telles dominations subsistent, le monde nouveau de Dieu n'est sûrement pas là.

Cette nouvelle mentalité ne nous est pas plus naturelle qu'aux autres humains. Nous vivons dans un monde, en effet, où l'ambition la plus fréquente est de conquérir ou de conserver un pouvoir sur les autres, que ce soit dans les familles, dans les entreprises, à l'école, dans le monde politique ou les relations internationales. On sait bien où cela mène : c'est la source de tous les conflits.

Comment en sortir ?
Le monde nouveau de D­ieu n'est-il pas une utopie, un rêve trop beau pour être vrai ?
A cette inquiétude Jésus répond par avance en deux phrases. Il évoque d'abord l'image de « la lampe » : la lampe allumée n'est pas destinée à être placée sous un seau ou sous un lit, mais sur un porte-lampe, car elle est faite pour éclairer.

La seconde phrase est encore sous forme de dicton : « Il n'y a rien de secret qui ne doive être mis au jour ». L'image de la lampe et le dicton se renforcent mutuellement, et le sens est clair : le message de salut proclamé par Jésus est une lampe allumée.
De même que la lampe est faite pour éclairer, de même la lumière du monde nouveau de Dieu doit chasser la nuit dans laquelle notre vieux monde meurt et se perd.

Le rayonnement du monde nouveau de Dieu est encore quelque chose de caché à la plupart, de confidentiel, de non évident. Mais [nous aurions] tort de vous faire du souci : la vérité finit toujours par éclater.

C'est sur cette certitude sereine de Jésus que j'aimerais vous laisser [et conclure] : [l’Évangile], c'est une bonne nouvelle de salut pour notre monde.
Elle a commencé à se répandre, la lumière a commencé à briller.

Elle est trop nouvelle, c'est-à-dire trop étrangère à nos mentalités naturelles pour être acceptée sans plus par la plupart des humains. Elle n'a été encore écoutée et reçue que par un petit nombre. Elle est donc encore pratiquement secrète, ­cachée, confidentielle, non évidente.

Mais la lumière de [l’Évangile] est faite pour éclairer. Et elle éclairera. […] [Dès maintenant nous pouvons nous en réjouir. Nous pouvons remercier Dieu pour cela.
Une seule chose nous est demandé : nous mettre à l’écoute de l’Évangile, en plaçant toute notre confiance en Dieu.] »[1]

Amen.


[1] Extr. Jean-Marc Babut, Actualité de Marc, p. 74-78.