Mc 6, 14-16
Lectures
bibliques : Ml 3, 20-24 ; Mc
1, 14-15 ; Mc 10, 42-44 ; Mc 6, 14-29
Thématique : Mais qui
est donc Jésus ?
Marmande,
le 19/02/17
Prédication
reprise en grande partie d’une méditation de Jean-Marc Babut
Au
temps d'Hérode, un temps sans journaux, sans radio, sans télévision ni
Internet, il n'y avait personne pour choisir à votre place quelle était la
véritable actualité du jour, encore moins pour vous dire ce qu'il fallait en
penser.
La
véritable actualité, les gens la découvraient eux-mêmes, la diffusaient
eux-mêmes et la commentaient entre eux. Et voilà donc qu'un jour, en Galilée,
ce qui faisait l'actualité, c'était un certain Jésus de Nazareth.
Même
le roi Hérode – sans doute par les biais de ses agents des Renseignements
Généraux ou par quelques rumeurs – entendit parler de Jésus.
Une
petite précision utile avant d'aller plus loin : cet Hérode n'est pas celui qui
régnait au moment de la naissance de Jésus, mais un de ses fils. Pour
simplifier Marc le gratifie du titre de roi, mais c'est là un titre auquel cet
Hérode-là n'avait pas droit. Les Romains, dont il dépendait, lui avaient
concédé le titre de « tétrarque », c'est-à-dire de « quart de roi »,
puisqu'il régnait seulement sur le quart du royaume de son père, à savoir la
Galilée et un morceau de la Transjordanie.
Alors,
pourquoi Jésus faisait-il ainsi l'objet des conversations ?
Chose
étrange, ce n'est sans doute pas tant à cause de ce qu'il disait - et qui
tranchait pourtant singulièrement avec ce que les gens avaient l'habitude
d'entendre - mais à cause de ce qu'il faisait, à cause des actes de guérisons,
à cause de la foule que le suivait.
Ce
qui frappait les gens et les intriguait, c'est ce qu'ils appelaient ses « miracles
». On le voit bien dans les évangiles, en effet, Jésus ne se borne pas à
annoncer et à expliquer le monde nouveau dans lequel il appelle ses auditeurs à
entrer. Il fait quelque chose : il fait passer son message libérateur – son
message de salut et de vie nouvelle – dans la vie de tous les jours. C’est ainsi
que se produisent sur son passage toutes sortes de guérisons et de libérations.
Comme tout cela sort plutôt de l'ordinaire, les gens, qui raffolent de ce qui
est puissant, parlent de « miracles » ou de « signes ». En fait, ce
sont des traces de l'irruption du Règne de Dieu sur notre terre. C’est le signe
que l’Esprit de Dieu agit par Jésus et en lui. Et tout cela est assez nouveau
pour que les gens soient intrigués et cherchent à en apprendre davantage.
Regardons
d’un peu plus près ce que les gens disaient de Jésus :
Ses
paroles et ses actes interrogent. Tous se trouvent face à un message et à un
personnage absolument nouveaux. Et, comme tout ce qui est changement, inconnu,
nouveauté, cela inquiète forcément : « Qui
est cet homme ? » ; « Où veut-il nous entraîner ? »
C'est
pour conjurer cette inquiétude que chacun essaie de faire entrer le
« phénomène Jésus » dans une catégorie déjà connue. On neutralise
ainsi plus ou moins la surprise et le dérangement qu'il suscite.
On
ne fait d'ailleurs pas autre chose aujourd'hui quand on range Jésus sous
l'étiquette « Religion ». C'est une manière aussi subtile que répandue de
le neutraliser : la religion, on sait ce que sait !... même si,
aujourd’hui, on ne veut plus vraiment le savoir ! Mais, l’Évangile de
transformation proclamé par Jésus, il n’est pas sûr que nos contemporains le
connaissent réellement.
« Pour
essayer de classer Jésus dans une catégorie connue, les contemporains du roi
Hérode proposent trois solutions. Jésus serait soit Jean-Baptiste ressuscité
des morts, soit Élie revenu à la vie, soit enfin un prophète comme ceux
d'autrefois. Passons rapidement en revue ces trois réponses.
Tout
d'abord Jean-Baptiste ressuscité des
morts. On l'a vu, ce qui frappe les gens, ce sont les guérisons que Jésus
opère.
Or,
ces traces du monde nouveau de Dieu, que Jésus laisse sur son passage, sortent
tellement de l'ordinaire que les gens n'arrivent à les situer qu'en faisant
appel au surnaturel. Le pouvoir de faire de telles choses, pense-t-on, ne peut
venir que d'un autre monde.
Or,
comme Jésus a certainement fait partie quelque temps de l'entourage du
Baptiste, c'est à ce dernier – supposé ressuscité – qu'on pense aussitôt :
Jésus serait une sorte de revenant de Jean-Baptiste ! Voilà pourquoi,
disait-on, le pouvoir de faire des
miracles agit en lui (v. 14). […]
[Cette
hypothèse peut nous sembler, pour le moins, aberrante. Elle n’a pas grand chose
avoir, en tout cas, avec le message proclamé par Jésus, qui annonçait la
proximité du règne de Dieu – du monde nouveau de Dieu – ici et maintenant (cf.
Mc 1,15).
Mais,
fondamentalement, n’est-ce pas aussi souvent notre manière de raisonner ou cela
ne correspond-il pas, en partie, au message traditionnel de la
Religion ? : nous parler du salut, pour après, pour plus tard.
Cela
peut nous interroger personnellement sur l’idée que nous nous faisons du salut.
N'est-il pas vrai que nous avons tendance à le situer au-delà de notre vie
présente (comme la Religion nous y incite) ? Mais « plus tard » et «
au-delà » ne dépendent pas de nous. Plus tard et au-delà sont à Dieu et à lui
seul.
Jésus
vient nous apprendre que le salut de notre humanité – et donc le nôtre – n'est
pas à remettre à plus tard ou à attendre dans quelque au-delà, mais qu'il nous
est déjà offert ici, dans notre condition humaine. Ici et maintenant ! Et
il nécessite notre confiance en Dieu ; il nous appelle à entrer dans une
nouvelle mentalité, dans un nouveau mode de relations à Dieu et aux autres.]
Deuxième
essai de définir Jésus : il serait Élie
revenu à la vie. Élie est l'un des trois personnages du Premier Testament dont
la fin de vie reste entourée de mystère. Le livre des Rois raconte en effet
que, sous les yeux d'Elisée, qui allait devenir son successeur, Elie a été
enlevé sur un char de feu. En somme, il n'était pas mort comme tout le monde.
C'est pourquoi, depuis la prophétie de Malachie (3,23-24), Israël attend le
retour d'Elie comme précurseur des derniers temps.
Ceux
qui voient en Jésus Élie revenu à la vie ont bien senti qu'il avait quelque
chose à voir avec l'avènement d'un monde nouveau. Pourtant ils sont en retard :
car selon Jésus, c'est plutôt Jean-Baptiste qui a rempli le rôle précurseur
d'Élie, Jésus lui-même étant celui qui marque la fin de l'ancien monde et de
début du nouveau.
Enfin,
troisième sorte d'étiquette apposée à Jésus : C'est un prophète comme ceux d'autrefois. Dans la Bible,
contrairement à ce que la plupart des gens s'imaginent, un prophète n'est pas
quelqu'un qui prédit l'avenir, c'est un porte-parole de Dieu.
C'est
quelqu'un qui communique à ses contemporains, selon les cas, le message
d'avertissement ou de consolation que Dieu veut leur faire parvenir d'urgence.
Or,
au temps de Jésus, on était persuadé que le temps des prophètes était
définitivement révolu depuis la disparition du dernier d'entre eux, Malachie.
Depuis
lors, la Parole de Dieu n'était plus regardée comme quelque chose de vivant et
d'imprévisible, parfois de désagréable à entendre et souvent de dérangeant. La
Parole de Dieu s'était figée en une loi. Le temps n'était plus à écouter, mais
à interpréter. Au temps des prophètes avait succédé le temps des maîtres de
la Loi.
Il
est donc significatif que, pour ses contemporains, Jésus apparaisse comme un
prophète, comme le porteur d'une parole vivante du Dieu vivant. Car si Jésus
est prophète, cela veut dire que le régime de la loi, le régime de la relation
indirecte avec Dieu, fait à nouveau place au régime d'une Parole à écouter.
Jésus prophète, voilà, semble-t-il, une bonne intuition.
Malheureusement
les gens ajoutent comme l'un des
prophètes (sous-entendu classiques). Ainsi les contemporains de Jésus ne
reconnaissent pas – ou ne veulent pas reconnaître – que Jésus apporte à notre
monde quelque chose de vraiment nouveau.
Ils
oublient que, déjà, le message de Jérémie n'était pas celui d'Ésaïe, ni celui
d'Ézéchiel le même que celui de Jérémie. Ils ne voient pas que Jésus ne se
coule pas dans un moule traditionnel, mais qu'il apporte la seule nouveauté
radicale capable de sauver le monde [ : l’Evangile de la non-domination ;
l’Evangile de l’amour du prochain, qui appelle au service et au partage.]
Jean-Baptiste ressuscité -
Élie revenu à la vie - un prophète comme ceux d'autrefois ? Jésus est infiniment plus
que cela. Il est l'ambassadeur du Règne de Dieu, ce monde nouveau que Dieu
aimerait tant voir subvertir le vieux monde où nous vivons.
Mais
l'avènement de ce monde nouveau remet en question tant de choses auxquelles les
humains tiennent mordicus, tant de
convictions et de prétendues sécurités auxquelles ils ne veulent surtout pas
renoncer, que la plupart préfèrent neutraliser Jésus et son message en
l'enfermant dans une de ces catégories bien connues, donc devenues totalement
inoffensives.
Pour
finir, nous revenons à Hérode.
Face
à ces diverses opinions sur Jésus, Hérode choisit lui aussi l'image de Jésus
qui lui convient le mieux.
Comme
d'autres il s'arrête à l'idée que Jésus doit être une sorte de réincarnation de
Jean-Baptiste. Mais pour lui cela prend un tout autre sens.
Entre
Jean-Baptiste et lui, en effet, il y a une relation assez spéciale : Jean est
une de ses victimes ; Hérode l'a fait exécuter. En quelque sorte il est son
bourreau.
Dès
les premières lignes de son évangile, Marc avait présenté Jean-Baptiste comme
une voix mandatée par Dieu pour préparer
le chemin du Seigneur (Mc 1,2-3). Librement et courageusement cette voix
avait retenti pour avertir même le tyran qu'il transgressait la volonté de
Dieu. Et le tyran avait usé de son pouvoir pour faire taire la voix gênante.
Quiconque
a eu l'occasion de lire des documents publiés par Amnesty International [ou par
l’ACAT] a pu constater combien la parole libre est chose redoutée par les
tyrans de ce monde, et découvrir tous les moyens auxquels ceux-ci recourent,
jusqu'à l'exécution extrajudiciaire, pour faire taire cette parole libre.
Hérode
avait cru lui aussi se débarrasser définitivement de cette voix insupportable
[celle qui venait de Dieu ; celle de sa conscience], il pensait en avoir
vraiment fini avec elle. Mais ce qu'il entend raconter de Jésus lui fait
découvrir que cette voix redoutée n'est pas morte avec Jean-Baptiste. Il est
impossible de la faire taire.
Comme
le remarque un commentateur de notre évangile, « le véritable vaincu n'est
pas Jean-Baptiste ».
La
liquidation de Jean-Baptiste annonce déjà celle de Jésus. Mais la remarque
désabusée d'Hérode (Ce Jean que j'ai fait
décapiter, c'est lui qui est ressuscité) résonne maintenant à nos oreilles
comme une bonne nouvelle, celle qui annonce la victoire finale de Jésus et de
son Évangile, la victoire du monde nouveau de Dieu ».[1]
Cet
Évangile nous rappelle ainsi que le salut n’est pas à chercher dans plus
d’avoir et de pouvoir, comme la société et les grands de ce monde voudraient nous
le laisser croire. C’est précisément ce qu’Hérode aurait dû entendre, s’il avait
vraiment écouté Jésus.
Pour
Jésus, le salut se découvre dans l’accès à une nouvelle manière d’être, dans un
monde où les relations humaines ne sont pas fondées sur la rivalité, la
concurrence ou la domination.
L’Évangile
nous appelle donc à sortir de ce mode primitif du « chacun pour soi »,
pour agir de façon gratuite et unilatérale dans l’amour du prochain.
Croire
en Jésus, ce n’est pas seulement croire qu’il est un prophète – comme certains
de ses contemporains l’ont compris – c’est d’abord tenir pour vrai ce qu’il
dit, reconnaître que c'est lui qui a raison quand il annonce que le monde nouveau de Dieu est devenu tout
proche et qu'il nous appelle à
changer de mentalité (cf. Mc 1, 15).
Croire,
c'est faire confiance à Jésus et avoir compris avec lui que le salut que Dieu
nous apporte n'est pas seulement pour plus tard, mais pour ici et maintenant… précisément
pour cette vie présente qu'il nous appelle à vivre d'une manière nouvelle, de
la seule manière que Dieu considère comme vraiment humaine, celle dont les
maîtres mots sont servir et partager.
Amen.
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