Lectures bibliques : Mc 7,1-23.
31-37
Thématique :
Ephphatha ! Ouvre-toi !
Prédication de
Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 26/02/17
* L’épisode
biblique de ce jour nous présente un Jésus voyageur, qui discute aussi bien
avec les Pharisiens et les scribes de Jérusalem – ses coreligionnaires –
qu’avec des païens du territoire de la Décapole, qu’il traverse de son retour
de Tyr et de Sidon.
L’évangéliste
Marc dresse ainsi le portrait d’un Maître itinérant qui traverse les frontières
et qui remet en question toutes les frontières dressées par les humains ou par
la religion : notamment, la frontière du pur et de l’impur que Jésus
propose à ses contemporains de revoir.
Il nous invite,
de ce fait, à sortir de nos catégorisations, de nos étiquettes, de nos
jugements décidément trop humains et souvent source d’exclusion de l’autre, de
celui qui est différent, qui pense différemment, qui vit ou croit autrement.
Dans le deuxième
extrait que nous avons entendu, Jésus se trouve en territoire païen. Le sourd,
presque muet, qu’on lui amène est un païen. Et Jésus ose sortir des limites de
la religion, pour guérir une personne qui ne croit peut-être pas au même Credo, au Dieu d’Israël… pour simplement
tourner son regard vers un homme (ou un groupe d’hommes) qui croit en lui, qui
croit que Dieu agit en Jésus et par lui… que ce maître a dû recevoir un pouvoir
particulier de la part de Dieu, une autorité réelle, pour guérir.
Ce dont il est
question ici, c’est de confiance – confiance en Jésus – pas de croyance. Et
c’est cela la foi : une confiance, pas une croyance.
* Arrêtons-nous
ce matin – pour commencer – sur deux aspects de cette rencontre de Jésus avec
cet homme sourd-presque muet ou sourd-bègue.
- En présentant
cet épisode de la vie du Christ, Marc précise ce que Jésus fait :
« Jésus sortit de nouveau des limites, des
frontières (du territoire) »… pour se déplacer ailleurs (v.31).
Il me semble que
c’est exactement ce que Jésus nous invite à vivre : il nous appelle, nous
aussi, à sortir des limites, à dépasser, outrepasser ou même à transgresser ces
limites : des limites imposées par les traditions humaines, qui sont
souvent devenues « nos propres limites », dans la mesure où nous les
adoptons… dans la mesure où ne pensons pas que nous sommes infiniment plus – en
tant qu’enfants de Dieu – que ce que les autres ou la société ambiante
voudraient nous faire croire, que le rôle social auquel on nous restreint.
Ce que Marc veut
ici signifier, c’est que Jésus nous libère de ces limites que notre modèle
social, religieux ou maintenant économique nous impose insidieusement par notre
éducation, par la loi ou la tradition.
Nous ne nous
rendons pas toujours compte à quel point nous sommes conditionnés par la
manière de penser de notre société qui nous façonne. Et il est très difficile
de penser autrement et de parler une autre langue, un autre langage que celui
dont nous héritons.
- Pourtant,
c’est à cette libération que le Christ nous appelle – et c’est le deuxième
aspect : c’est ce que Jésus réalise avec l’homme sourd-bègue. Je cite
l’évangéliste Marc : « sa
langue se délia / littéralement : la chaîne de sa langue fut déliée »
(v.35).
C’est comme si
cet homme avait une langue verrouillée, enchaînée. En grec, c’est la même
racine qui forme le mot « prison ». Et Jésus fait sauter les verrous
de la parole : il délie la parole.
Précisément de quoi Jésus nous
libère-t-il ?
De la loi, des
traditions des hommes… donc du devoir, du prêt-à-penser, des carcans et des
modèles humains.
* Mais le
premier passage que nous avons entendu – le dialogue avec les disciples –
précise que Jésus nous libère aussi des mauvais désirs : Jésus parle
notamment de la convoitise et de l’envie, de la soif de s’emparer de ce qui est
à autrui, d’avoir et de vouloir toujours plus.
Jésus fait aussi
référence à l’orgueil, au regard envieux, à la soif de possession – qu’on
traduit souvent par les mots « avidité » ou « cupidité »
(v.22).
Derrière les
différents termes résumés par Marc, Jésus parle de tout ce qui peut faire
violence à autrui : intentions malveillantes, inconduites, vols, cupidité,
etc. … C’est-à-dire ce qui lèse le prochain.
Pour Jésus, ce
qui rend l’homme « impur » – c’est-à-dire non conforme à sa vocation
d’enfant de Dieu – c’est le fait de se concentrer exclusivement sur la soif d’avoir
et de pouvoir, plutôt que sur le désir d’être et de vivre de belles relations
humaines.
Ce qu’il
qualifie de « mauvais » – on pourrait dire de « non
conforme », pour éviter tout jugement moral, puisqu’il n’est pas question
ici de critères moraux, mais de conformité à notre vocation – c’est de ne vivre
qu’avec ce type de préoccupation : une soif d’avoir (avoir plus) ou une
forme de domination, plutôt que le désir d’être en relation (le désir d’être
plus avec les autres et d’être tourné vers eux).
On le sait, en
effet, Jésus appelle ses disciples à être dans l’altruisme, à vivre dans la
compassion, comme il le rappelle à travers la prescription de Moïse d’honorer
ses parents (v.10), plutôt que d’offrir des sacrifices à Dieu.
En même temps
que Jésus désacralise le dieu Mammon, le dieu argent, il désacralise aussi
l’idée d’une relation exclusive à Dieu :
Il n’y a pas de relation
authentique à Dieu qui pourrait en même temps nier l’amour du prochain.
« Celui qui dit " J’aime
Dieu" et qui haït son frère est un menteur » – affirmera encore la 1ère
lettre de Jean (1 Jn 4,20).
* Nous devons
comprendre combien tout cela est d’actualité dans notre monde hyper
matérialiste, où les valeurs de l’avoir sont souvent prépondérantes :
-
Ne
sommes-nous pas dans un monde où les grandes entreprises délocalisent pour
produire à bas coût, quitte à exploiter des populations plus ou moins
misérables à l’autre bout du monde, et à négliger l’environnement, pour dégager
plus de marges, gagner en rentabilité et engranger plus de profits, tout en
répondant aux désirs des consommateurs des pays « riches » de payer des
produits moins chers et de connaître une certaine « croissance »
économique ?
-
Ne
sommes-nous pas dans un monde où les financiers ne rechignent pas à spéculer
sur les cours des matières premières, pour empocher des bénéfices lors de leurs
transactions, sans se préoccuper des petits producteurs locaux, qui (à des
milliers de kilomètres de là) peuvent avoir du mal à nourrir leur famille et à
vivre, tout simplement, du seul fait que leur production est achetée à bas prix
et parfois à perte ?
Qui
se préoccupe d’autrui dans ces relations commerciales ? Elles ne sont
portées que par l’intérêt particulier d’une classe de privilégiés-dominants,
qui ont fait de la loi du marché un nouvel esclavage, leur donnant les moyens
de s’enrichir toujours davantage.
Je lisais le mois
dernier un article du journal « le Monde », paru il y a plus de 3 ans,
qui disait qu’au cœur de la crise, en 2013, les 500 plus riches de France se
sont enrichis de 25% en une seule année.
-
On
pourrait multiplier les exemples…
Si le passage de
l’Évangile que nous entendu aujourd’hui est toujours d’actualité, c’est que –
malheureusement – l’homme manque toujours autant de compassion pour son
prochain.
Car comment
continuer à faire ce qu’on fait si on réalise que cela cause de la souffrance à
autrui (à moins d’être complétement insensible) ?
Lorsqu’on en a
réellement conscience et qu’on a un cœur, on ne peut pas poursuivre dans la
même voie.
Le problème de
l’homme est donc avant tout un problème d’aveuglement ou de surdité. L’homme
vit dans l’ignorance des causes de la souffrance : l’attachement à son
avoir ou la soif de domination… et cela l’empêche d’élever son niveau de
conscience, vers la prise en compte de l’intérêt commun, de l’intérêt général.
* Dans le
passage que nous avons entendu, d’une part, Jésus dénonce une forme
d’hypocrisie liée aux traditions humaines, c’est-à-dire au système social mis
en place par l’homme, qui ne répond pas forcément à sa vocation divine.
Rappelons que le
mot « hypocrite » n’avait pas le même sens il y a 2000 ans.
L’hypocrite – à
l’époque de Jésus – c’est celui qui porte un masque, comme les comédiens ou les
tragédiens de l’Antiquité.
Ce qui compte
pour les hypocrites, c’est ce qui se voit, ce qu’ils paraissent à l’extérieur,
plutôt que ce qu’ils sont en réalité à l’intérieur.
D’autre part,
Jésus nous appelle à une forme de libération, comme le signifie la guérison du
sourd-bègue : il vient libérer la parole, la guérir, la rendre, pour que
l’homme devienne à nouveau un être de communication : un être qui se
recentre sur la relation à autrui, plutôt que sur la soif de possession ou sur
des comportements dictés par la tradition, fut-elle religieuse.
En effet, quel est
le point commun entre celui qui est centré par l’avoir et celui qui est
préoccupé par la tradition religieuse ?
Il y a,
paradoxalement, un point commun entre eux. C’est la conception d’un salut
individualiste :
Il faut que j’ai
plus, que je possède plus, pour être sauvé / ou il faut que je plaise à Dieu
par mes bonnes œuvres, par des actes religieux, pour être sauvé.
C’est l’idée équivalente
d’un salut « chacun pour soi », un salut individuel, lié aux mérites
personnels… que ce salut soit matérialiste ou transcendant.
Or, c’est cela
que Jésus récuse :
En remettant, au
centre de son Évangile, l’amour du prochain, comme le respect des parents,
Jésus affirme que nous sommes dans l’erreur si nous pensons à un type de salut
« chacun pour soi ».
Pour le Christ,
il n’y a pas de salut des uns sans les autres.
Le chacun pour
soi, c’est la vision primitive des hommes.
La réalité
invisible et cachée, c’est que nous sommes tous unis : nous sommes tous un. Et ce que Jésus
souhaite, c’est que nous prenions conscience de cette réalité.
Nous pouvons
l’entendre dans la prière qu’il adresse pour nous à Dieu, son Père, dans le
chapitre 17 de l’évangile selon Jean. Je cite :
« Que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et que je
suis en toi, qu’ils soient en nous eux aussi, afin que le monde croie que tu
m’as envoyé. […] qu’ils soient un comme nous sommes un,
moi en eux comme toi en moi, pour qu’ils parviennent à l’unité
parfaite et qu’ainsi le monde puisse connaître que c’est toi qui m’as envoyé et
que tu les as aimés comme tu m’as aimé » (Jn 17, 21-23)
De multiples
manières, Jésus rappelle dans l’Evangile que le salut est une grâce de Dieu
offerte à tous les humains, sans condition (cf. Mt Mt 5,45 ; Lc 15 ;
etc.)
L’homme n’a que
deux choses à faire pour y répondre :
-
faire
confiance à Dieu pour son salut ;
-
se
mettre à l’écoute de Dieu, en vivant sa vocation d’enfant de Dieu, en aimant
son prochain.
En d’autres
termes, le mot de Jésus pour le sourd-bègue est aussi pour nous : « Ephphatha ! » :
ouvre-toi ! ; libère-toi !
Jésus nous
appelle à ouvrir notre cœur à autrui, à la compassion et à la bienveillance.
Pour le maître itinérant, ce que Dieu attend de nous, c’est que nous soyons des
êtres humains accomplis et libres dans nos relations fraternelles, que nous
respections les autres pour ce qu’ils sont et non pour ce qu’ils font ou ce
qu’ils ont.
Pour ce faire,
nous sommes appelés à vivre pleinement notre vocation, à savoir exprimer la
plus belle version de qui nous sommes
vraiment, en offrant au monde et aux autres le meilleur de nous-mêmes.
* Encore un mot,
pour conclure…
Je disais en
introduisant cette méditation que la foi, c’est une confiance, pas une
croyance.
Je crois – à
travers cet épisode – que Jésus nous appelle fondamentalement à revoir toutes nos
croyances fondées, soit sur une religion de la loi ou de la tradition, soit sur
un modèle social consumériste ou une vision utilitariste et marchande de
l’autre.
L’Évangile – la
Bonne nouvelle du salut de Dieu pour tous – est infiniment plus généreux, plus
large, plus ouvert que tous nos systèmes, fondés sur le mérite ou le
« donnant-donnant ».
Il repose sur
l’amour de Dieu et la dignité inconditionnelle de chaque être humain.
Vivre la foi,
c’est donc dépasser tout système de croyance, pour faire confiance à Jésus et
reconnaître que c’est lui qui a raison :
Pour sauver
notre monde de sa surdité et de sa mutité, nous sommes appelés à nous remettre
en question et à changer nos représentations mentales, nos mentalités et nos
comportements.
Jésus nous
libère et nous dit « Ephphatha » !
La foi n’est
rien d’autre que cela : reconnaître Jésus comme libérateur et comme
sauveur du monde, et s’engager derrière lui. C’est lui offrir notre confiance,
pour nous montrer où Dieu veut vraiment en venir.
« Le jour où Jésus a dit (Mc 2,7): L'être humain n'a pas été fait pour le sabbat, mais le sabbat pour
l'être humain, il a bien montré que ce qui préoccupe vraiment Dieu, ce
n'est pas la religion et ses lois, mais bien le sort des hommes et des femmes
de ce monde.
Aujourd'hui,
à propos du pur et de l'impur, on retrouve la même façon de voir. Ce qui
importe vraiment à Dieu, ce ne sont pas les rites de purification ou les
prescriptions alimentaires, ou des liturgies ou les dogmes. C'est ce qui
advient aux hommes et aux femmes de ce monde »[1].
La guérison
accomplie par Jésus – qui fait entendre les sourds et parler les muets – doit
être pour nous un signe du message salutaire que Jésus apporte au monde… et
encore aujourd’hui… à chacun d’entre nous.
A nous d’en être les témoins, en paroles
et en actes !
Amen.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire