dimanche 14 septembre 2014

Ec 2 - 3

Le bonheur selon l’Ecclésiaste

« Culte autrement » sur le thème du « Bonheur » proposé par Pascal LEFEBVRE

Lectures bibliques :
-       Culte 1 : Ec 2, 4-26 ; 3, 9-15 ; 8, 15 ; Rm 4, 7-9. 23-25 ; 5,1
-       Culte 2 : Mt 5, 1-12

2 prédications :
-       L’Ecclésiaste (Ec 2, 4-26 ; 3, 9-15 ; 8,15) : le 14/09/14 = voir plus bas, ci-dessous
-       Les Béatitudes (Mt 5, 1-12) : le 12/10/14 = voir ici

Introduction au thème du « culte autrement » :

Qui ne cherche pas à vivre heureux ? Qui n’est pas intéressé par la quête du bonheur ? D’une manière ou d’une autre, nous aspirons tous à ce désir. Nous sommes tous concernés par l’idée ou l’idéal du bonheur.

Pour introduire notre thème de ce matin – celui du bonheur – je commencerai par mettre en perspective deux idées. Il y en aurait évidemment d’autres à formuler :

-       Pour certains, le bonheur est une quête. Pour être heureux, je dois construire mon bonheur. Je dois le chercher à tout prix. Le bonheur est un absolu à atteindre, un idéal. Si les Anciens et les philosophes ont d’abord lié le bonheur à la recherche de la sagesse, de la vérité, de la beauté ou du bien, cette quête s’est peu à peu transformée en course au plaisir, en désir d’épanouissement personnel. « Etre heureux », c’est être proche du « Paradis sur terre », pouvoir assouvir au maximum ses désirs et profiter de la vie.[1] C’est avoir « tout », faire « le plein », pouvoir « jouir » de ce que je veux, sans contrainte, ni limitation. C’est, d’une certaine manière, être « comme des dieux »… pouvoir jouir de tous les arbres de la création, sans frein, sans frustration, sans insatisfaction. C’est le bonheur du confort, de la richesse, de l’opulence… de l’argent qui permet tout, qui peut tout acheter.
Mais ce bonheur existe-t-il ? Est-il un vrai bonheur ? Et qu’aurais-je encore à désirer si mon désir est sans cesse comblé, assouvi dans l’immédiateté ?
A contrario, puis-je être heureux en acceptant les limites inhérentes à la condition humaine ?… sans les refuser, comme Adam et Eve.
Si le bonheur est cet idéal, quelle place reste-t-il à ceux qui ne répondent pas à ces critères : aux pauvres, à ceux qui souffrent, aux malades, à ceux qui ont vécu un échec… l’accès au bonheur leur est-il fermé à tout jamais ?
La quête d’un tel bonheur n’est-elle pas fondamentalement égoïste ? N’est-elle pas éloignée de tout agir solidaire et responsable ?

-       Pour d’autres, le bonheur n’est pas une quête (une quête désespérée), ni un but (un but impossible à atteindre), mais « un chemin ». Ce n’est pas seulement ce qu’on cherche, c’est aussi – ou plutôt – ce qui vient à notre rencontre, c’est la bonne surprise, l’inattendu du présent… c’est ce qu’on peut accueillir, quand ça passe, à l’occasion favorable.
Pour accueillir ce bonheur de passage, il faut savoir le remarquer, se laisser étonner et vivre dans la disponibilité et la reconnaissance de ce qui est offert.
Mais est-ce si simple ? Que faire lorsque des événements malheureux prennent trop de place ? Peut-on encore accueillir ce bonheur transitoire lorsque des épreuves surgissent, lorsque des nuages viennent boucher l’horizon… lorsqu’il pleut averse sur une route détrempée ?

Alors, le bonheur est-il à construire ou à accueillir ? Est-il une quête ou un chemin ?

Quelques questions pour entrer dans le thème / participation de chacun :

Avant de tenter d’y répondre, je vais distribuer des post-it. Nous entrerons dans le thème de la façon suivante :

1)    Post-it : 3 mots ou 1 phrase que j’associe au terme « bonheur »[2], en réfléchissant à qu’est-ce qui me rend heureux dans la vie ? Et qu’est-ce qui peut faire barrage ou obstacle au bonheur ?[3]
2)    Discuter avec son voisin ou ensemble :
-       Selon moi, le bonheur dépend-il de conditions extérieures et/ou intérieures ? des évènements, des autres / ou de moi ?
-       Le bonheur est-il à construire / ou à accueillir ?
-       Est-il une quête / ou un chemin ? [4]

Deux passages bibliques pour méditer (sur 2 dimanches) :

J’ai choisi deux textes pour notre méditation : L’Ecclésiaste et les Béatitudes, dans l’évangile selon Matthieu. Pourquoi ces textes ? Quel point commun entre les deux ?

Une dialectique du bonheur et du malheur… le constat que les jours fastes ne vont jamais sans jours néfastes. L’expérience concrète nous révèle qu’il n’y a pas de bonheur pur, de bonheur absolu… pas de bonheurs exempts de traces de difficultés, de contretemps ou de luttes (cf. Ec 9, 11-12).

Dans nos deux passages, l’idée d’« un bonheur nu » est mise à l’épreuve du réel. Qu’il se comprenne comme un moment favorable à accueillir ou comme une attitude permettant un dépassement – le dépassement d’un malheur passé – le bonheur est toujours un bonheur « malgré »… un bonheur possible « en dépit de » quelque chose… en dépit des limites inhérentes à la condition humaine… en dépit de l’injustice encore présente et qui appelle à protester.

- Pour l’Ecclésiaste, il y a un bonheur à accueillir dans la vie présente… il y a de quoi se réjouir, malgré le non-sens de bien des aspects de l’existence (Ec 2,24-26 ; 3, 12.22 ; 5, 17-19 ; 8,15).
- Pour Jésus, il y a un bonheur promis, un bonheur en marche (Mt 5, 3-13)… un bonheur auquel nous pouvons participer – prendre part – dans la mesure où nous nous considérons pauvres, en défaut, en manque… un bonheur qui se découvre avec l’autre, dans la recherche du Royaume et de la justice de Dieu (Mt 6,33)… dans la justesse de la relation à Dieu et aux prochains (Mt 22, 34-40).

Aujourd’hui, nous lirons un extrait du livre de l’Ecclésiaste et un court passage d’une lettre de Paul. Lors d’un prochain culte, nous méditerons sur les Béatitudes.

Lectures bibliques : Ec 2, 4-26 ; 3, 9-15 ; 8, 15 ; Rm 4, 7-9. 23-25 ; 5,1

Prédication (Tonneins, le 14/09/14)

* Le maître de sagesse s’interroge et nous questionne : quelle réponse réaliste l’homme peut-il apporter devant le côté transitoire de la vie et devant l’avenir incertain ?

Le plaisir humain qui procure du bonheur, est une de ces réponses-là.
Pour l’Ecclésiaste, se réjouir de la vie est cette issue favorable – la part – dont l’homme dispose en propre, malgré l’environnent de vanité, de fragilité qu’il constate autour de lui… malgré la mort qui plane à l’horizon.

En premier lieu, l’Ecclésiaste tire un bilan décevant de l’effort humain (Ec 2,11-23) : Face au caractère éphémère de la vie humaine… que restera-t-il du travail que nous accomplissons « sous le soleil » ? A quoi cela sert-il de se fatiguer et de travailler, puisqu’il risque de ne pas subsister grand-chose de nos efforts ? C’est le découragement qui semble prévaloir face à la vanité de nos activités et de nos œuvres, qui sont condamnées à disparaître et à sombrer dans l’oubli, tôt ou tard, avec nous.

Ce constat désabusé débouche sur une découverte (Ec 2, 24-26) : le bonheur ne se trouve pas au bout d’efforts surhumains. Il ne se construit pas – ou du moins, pas seulement – par nos propres forces. Il se cueille dans le présent, comme le fruit tangible d’un don de Dieu à recevoir.
Le vrai bonheur, selon l’Ecclésiaste, se laisse entrevoir au cœur de la vie humaine, même la plus affectée par les difficultés ou la souffrance.

Cette souffrance peut être liée, en premier lieu, à notre condition humaine, que nous avons bien du mal à accepter : notre finitude, notre faiblesse, notre non-maîtrise, nos limites… celles de notre corps… celle de la durée de notre vie – comme celle de ceux que nous aimons – qui se voit limitée… aussi bien que les limites de notre connaissance.

Pour autant, ces limites ne doivent pas nous enfermer, mais, au contraire, nous ouvrir à ce que la vie nous offre :
Même s’il est incapable de connaître l’ampleur de l’œuvre de Dieu (Ec 3, 9-11), et même s’il ignore l’avenir, l’homme peut – malgré tout – « se réjouir et faire le bien durant sa vie » (Ec 3, 12).
« Tout homme – dit-il – qui mange, boit et au goûte au bonheur en toute peine [en tout son travail], cela est un don de Dieu » (Ec 3, 13).
Se réjouir est un don de Dieu que l’homme est en mesure de recevoir.

Pour le maître de sagesse, il semble que le bonheur dépende en bonne partie de l’attitude de l’homme – d’une disposition intérieure, d’un état d’esprit – face à la vie et à son caractère fragile et transitoire :
Bien qu’il ne maîtrise rien en terme de temps et de durée, bien que le plan éternel de Dieu lui échappe complètement, l’homme peut avoir « part » au bonheur. Cette « part » (Ec 3,22 ; 5,17.18 ; 9,9), il y accède en acceptant ses limites : son non-savoir et sa non-maîtrise du temps et des événements. Cette « part », c’est sa capacité d’apprécier les bons côtés de la vie (Ec 3, 12-13), en jouissant des bonnes choses que lui procure son travail (Ec 2,24 ; 3, 13.22 ; 5,17 ; 9,7-10) dans le présent… indépendamment de ce qui adviendra dans l’avenir.

Devant l’immensité de l’œuvre de Dieu dont il ignore tout, l’Ecclésiaste insiste sur cette voie de sagesse qui consiste à prendre acte des moindres instants de plaisir et à s’en réjouir.

Pour lui, c’est ainsi que nous pouvons goûter au bonheur : en accueillant la gratuité de la vie… en sachant saisir l’instant présent dans toute sa qualité… en goûtant toutes les joies concrètes de l’existence quand l’occasion se présente (manger, boire, se réjouir)… même au milieu de nos efforts ou de nos peines.

C’est presque un bonheur opportuniste auquel il convie ses lecteurs :
Il y a lieu de savoir se réjouir aujourd’hui, à travers ce que nous pouvons vivre, en accueillant les fruits de notre travail, comme « un don de Dieu » (cf. Ec 2,24 ; 3,13 ; 5,18 ; 9,1)… grâce à ce que nous possédons (Ec 5,17-18 ; 9,7) et ce que nous pouvons partager (Ec 11,2)… Car un jour ou l’autre tout peut disparaître (Ec 5, 12-16 ; 9,10 ; 11,2).
Alors, accueillir tout cela avec gratitude, comme ce que Dieu nous offre (Ec 8,15 ; 9,9), c’est savoir goûter le bonheur qui se présente ici et maintenant (cf. Ec 9, 7-10)… c’est savoir reconnaître et profiter des bienfaits de Dieu (Ec 7,14).

Cette conception du bonheur peut nous interroger : Dans le monde qui est le nôtre où nous vivons toujours à 300 kilomètres /heure, où nous sommes toujours pressés, en train de courir partout, d’enchainer les activités… prenons-nous le temps d’être heureux ?... ne faudrait-il pas « ralentir » pour accéder à cette « part » de bonheur ?

Plus fondamentalement… Sommes-nous réellement disponibles… à même d’accueillir et de vivre ces instants simples de bonheur lorsqu’ils se présentent…  lorsqu’ils sont à portée de main ?
Sommes-nous prêts à nous laisser étonner et surprendre, à marquer des pauses, pour accueillir petits et grands bonheurs ?... bonheur du partage, bonheur de la rencontre.

Pour l’Ecclésiaste, c’est cette ouverture et cette attention à la grâce qui passe, qui donne du goût à la vie !
Le bonheur peut se découvrir dans le quotidien, dans une confiance gratuite et offerte… une confiance… une ouverture à la transcendance, qui n’empêche pas une grande lucidité : le constat de la vanité de toute chose.

En bref… Qohéleth nous rappelle que le bonheur ne consiste pas à « cultiver son jardin » en fuyant le monde… mais qu’il se découvre en investissant le monde, en y œuvrant (cf. Ec 9,10)… malgré les misères et les difficultés qu’on peut rencontrer :
Pour lui, le bonheur est d’abord une attitude, un art de vivre au jour le jour dans la disponibilité et la reconnaissance, en accueillant la vie comme elle vient, comme un don de Dieu, tout en gardant les pieds sur terre.

* A côté de cette réflexion, qui resitue le bonheur dans le présent – dans une sorte de « carpe diem » (cf. Ec 3, 10-13), nous pouvons recevoir un autre éclairage dans le Nouveau Testament, à travers l’extrait de la lettre de Paul que nous avons entendu :

Pour sa part, l’apôtre nous invite à placer notre existence sous le signe de la confiance et de l’espérance : la confiance pour aujourd’hui ; l’espérance pour demain.
Il nous rappelle qu’il n’y a pas de bonheur possible sans confiance, sans foi à la promesse de vie offerte par Dieu. C’est là la Bonne Nouvelle de l’Evangile :

Se savoir « aimés de Dieu », nous délivre de la préoccupation de nous-mêmes, de devoir justifier notre existence ou de mériter notre salut. La vie nous est donnée comme un don, comme un cadeau, par amour du Créateur… un point c’est tout !
Cette confiance en l’amour de Dieu, nous libère. Elle nous délivre de ce qui pourrait faire obstacle au bonheur : je parle de l’inquiétude, de la peur, de l’angoisse, de la culpabilité.

Se sachant « enfant de Dieu », le croyant est délivré du souci de lui-même, de toute crainte devant l’incertitude de la vie, de toute angoisse devant l’inconnue de la mort. Où qu’il soit, quelle que soit sa situation, celui qui place sa confiance en Dieu, se sait « aimé », en relation, sous sa grâce.

Dès lors, il a sa place en ce monde, il est même partout à sa place, partout chez lui… parce que partout chez Dieu. Il ne lui reste plus qu’à poursuivre son bonhomme de chemin en essayant d’accueillir ce/ceux qu’il croise sur sa route, avec bonheur, amour et bienveillance.

Amen.




[1] En ce sens, John Locke – Essai sur l’entendement humain (II, 21, 42) – présente une conception hédoniste du bonheur : « le bonheur donc, dans toute son étendue, est le plaisir maximal dont nous soyons capables ». Cependant, il affirmera que cette conception subjective du bonheur exige une norme extérieure, une loi religieuse, pour éviter la démesure liée à la quête individuelle du plaisir.
[2] Par exemple, joie, béatitude, plénitude, félicité, quiétude, communion, salut, bien-être, satisfaction, épanouissement, plaisir, chance, etc.
[3] Par exemple, la peur, l’angoisse, l’inquiétude, la culpabilité, les problèmes de santé, la maladie, etc.
[4] Autres questions possibles (non-posées) :
-       Y a t-il des moyens, des conditions au bonheur ?
-       Pour goûter au bonheur, faut-il viser toujours plus haut, plus grand – et y mettre les moyens nécessaires, pour y parvenir – ou savoir se contenter de ce qu’on a et prendre le parti d’en jouir pleinement ?
-       Puis-je être heureux, malgré nombre d’insatisfactions ?
-       Le bonheur, se constate-t-il dans le présent ou plus tard, de façon rétroactive ?
-       Le bonheur, peut-il être durable ou est-il forcément éphémère ? Peut-on le retenir ?
-       Le bonheur est-il seulement un idéal ou peut-il être un état de fait ?
-       M’arrive-t-il de confier mes moments de bonheur / ou de malheur/ à Dieu ? de crier vers lui, pour lui dire ma joie et ma gratitude / ou mon incompréhension et lui demander son aide ?

dimanche 7 septembre 2014

Ec 11, 1-6

Lectures bibliques : Mt 5, 40-48 (volonté de Dieu)Ec 11, 1-6
Thématique : « Lance ton pain à la surface des eaux » / S’inscrire dans la gratuité de la vie.
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Verteuil d’Agenais, le 07/09/14, culte en pleine nature, sous la tonnelle - Fête de la paroisse de Marmande.
Médiation partiellement inspirée d’une réflexion d’Alain Houziaux. Voir […]

* Ce matin, nous sommes réunis dans ce temple de la nature, ce jardin magnifique offert par la création.
Cette verdure qui pousse toute seule et abondamment est, d’une certaine manière, une image du Royaume (cf. Mc 4, 26-29), qui évoque le monde de la vie, du don, de la grâce.
Elle nous dévoile une autre logique que celle de notre société occidentale qui nous apprend le plus souvent à calculer, à mesurer… dans le but d’obtenir un retour sur investissement… à penser en termes de chiffres, d’utilité, d’efficacité, de rentabilité… dans la logique marchande de la réciprocité, du donnant-donnant…dans l’espoir de récupérer, à terme, le fruit de notre labeur et de nos efforts.

Or, en écoutant l’Ecclésiaste, ce matin, nous sommes plutôt placés dans une autre dimension : l’ignorance, d’abord, le courage et la confiance, ensuite.

* 1er point significatif de notre passage : le motif de l’ignorance.
C’est le constat posé par l’Ecclésiaste … un constat, il est vrai un peu dérangeant dans notre modèle de société qui s’attache à vouloir tout maîtriser, tout contrôler ou tout garantir :
- Malgré tes projets ou ta science, tu ne connais pas l’avenir – dit l’Ecclésiaste –  « Tu ne sais pas quel mal peut arriver sur la terre » (v.2)
- Malgré tes observations et tes prévisions, les circonstances t’échappent, aussi bien en ce qui concerne les phénomènes naturels – la route du vent (v.5a) – que la condition humaine – le développement du fœtus dans le ventre de la femme enceinte (v.5b). Tout cela l’homme l’ignore, au même titre que l’œuvre de Dieu (v.5c).
- Tu ne sais même pas – dit-il – « ce qui réussira » (v.6), ni même, en faisant ceci ou cela, ce qui est bon, ce qui aurait été le mieux.

Plongé dans cette ignorance profonde quand au sens et au résultat de toute chose, l’auteur témoigne malgré tout d’une conviction forte : « tu ne connais pas l’œuvre de Dieu qui fait tout » (v.5b).
C’est là une de ses idées maîtresses : En dépit de notre ignorance, malgré notre non-savoir radical, Dieu agit, il mène tout à son accomplissement du début jusqu’à la fin (Qo 3,10-15 ; 7,13-14 ; 8,17 ; 11,5c). C’est la raison pour laquelle, nous pouvons lui faire confiance.

Ainsi donc, face au constat de notre non-savoir quant à l’effet, à l’aboutissement et à la réussite de toute chose, nous pourrions être portés au découragement ou à la résignation, et crier « A quoi bon ! »... à quoi bon agir, travailler, semer, tenter de faire au mieux, essayer d’être juste ?... puisque, de toute façon, nous ne savons pas à quoi tout cela conduira, puisque nous en ignorons le résultat… puisque tout est transitoire et éphémère fragilité, « vanité des vanités », « buée des buées » (Qo 1,2).

Mais, précisément, le maître de sagesse nous invite à ne pas en rester là… à ne pas nous arrêter à ce « tu ne connais pas », « tu ne sais pas »… pour nous attacher à une autre partie de son enseignement : « tu le retrouveras » (v.2)… cela aura des conséquences… même si tu ne sais pas « où », « quand » et « comment », même si tu ne peux pas les mesurer.

* Tout en faisant preuve de lucidité et d’humilité, l’Ecclésiaste invite ses lecteurs à l’action : « lance ton pain », « donne une part », « sème ta semence »… dans la certitude que l’agir humain n’est jamais totalement perdu, sans conséquence… dans l’assurance que Dieu mènera toute chose à son accomplissement.

Autrement dit, le fait que l’homme ne sache pas de quoi demain sera fait… le fait que la vie soit une aventure, semée d’inconnues et de surprises… – même si parfois, rien ne semble surgir de nouveau « sous le soleil » – … tout cela… ne doit pas nous dispenser d’agir, de prendre des initiatives. Bien au contraire !

« Qui observe le vent ne sème pas, qui regarde les nuages ne moissonne pas » dit-il (v.4).
Si nous devons toujours attendre les conditions optimales pour agir, si nous devons toujours tout prévoir et tout savoir à l’avance avant de lever le petit doigt, alors nous ne ferons jamais rien.

Face à l’incertitude inhérente à la vie, l’Ecclésiaste nous appelle au risque de la foi et au courage de l’action. Par là-même, il nous invite à rester disponible aux événements qui peuvent se présenter, et, plus encore, à agir à la manière de Dieu, dans la générosité et la gratuité.
C’est le 2ème point qu’on peut relever dans notre passage.

« Lance ton pain à la surface de l’eau, car après bien des jours, tu le retrouveras.
Donne une part à sept ou même à huit, car tu ne sais pas quel mal peut arriver sur la terre. […]
Dès le matin, sème ta semence, et jusqu’au soir ne laisse pas ta main en repos, car tu ne connais pas ce qui réussira, ceci ou cela, ou si les deux sont également bons » (v. 1.2 & 6).

En d’autres termes, agis sans compter, travaille dans la gratuité, sans savoir ce qui en sortira… agis à la manière de Dieu qui fait lever son soleil sur les bons et les méchants et pleuvoir sur les justes et les injustes (cf. Mt 5, 43-48)… accepte de te donner à la vie, de t’investir avec générosité dans l’action humaine, sans réserve ni retenue… en abandonnant toute mentalité comptable… en acceptant de ne pouvoir savoir ni mesurer… en te dé-préoccupant du résultat… Vis et agis gratuitement… car la vie, ça marche comme ça ! Elle est faite pour être lancée, dépensée, donnée, comme une offrande, comme un geste gratuit !

* La nature – celle qui nous entoure aujourd’hui, celle du jour ou celle de la nuit – est une « métaphore » de la grâce de Dieu.
En la contemplant dans son foisonnement, on est forcément invité à quitter la mentalité habituelle à la quelle notre société technicisée a tendance à nous pousser … en nous inscrivant dans une culture de l’évaluation et du résultat… comme si tout devait être utile, calculable, quantifiable et rentable.
Au contraire, la surabondance de la création nous enseigne qu’en réalité, tout est grâce.

Si vous n’arrivez pas à vous en convaincre, observer le ciel, le soleil et les étoiles… et même au-delà, grâce aux télescopes, aux sondes spatiales et à quelques documentaires sur le cosmos, regardez les planètes, notre « voie lactée » et les milliards de galaxies en expansion dans l’univers.
Il a peut-être fallu tout cela pour que, sur une petite planète bleue, la vie et l’humanité apparaissent… il a peut-être fallu tout ce mûrissement et ce travail de la création, pour que – quelque part et pour rien – l’humanité – fruit d’une lente évolution – émerge peu à peu, pour advenir – dit-on – à l’image de Dieu.

Et pourquoi, tout cela ? Pour rien ! Par amour du Créateur. Pour répondre au projet de Celui que nous nommons Dieu, le Vivant…. un projet qui porte la vie, bien que nous en ignorerions l’origine et le dessein. 

[Oui, chers amis, regardez… regardons les astres et les soleils. Ils sont comme des émaux et des rubis jetés à la face de la nuit. Ils sont semés pour rien, lancés pour rien par Celui qui est Amour et Grâce.

L’étoile du berger, demande-t-elle, pourquoi elle se lève au crépuscule ? Et Vénus, demande-t-elle pourquoi elle resplendit encore à l’aube ? Certes non. Elles sont là, offertes par grâce.
De même, plus proche de nous… les animaux, dans ce bois, juste à côté… les chevreuils et les renards, cherchent-ils une justification pour leur vie ? Non, bien sûr !
Alors… pourquoi aurions-nous plus de prétention ?... pourquoi n’aurions-nous pas la possibilité et la sagesse de jouir simplement de la vie et de travailler avec la force et les moyens qui sont les nôtres, sans avoir besoin de trouver une justification ou une raison de vivre, sans avoir à être reconnu d’utilité publique, pour que notre vie acquiert reconnaissance et valeur ?

A la suite de l’Ecclésiaste, de Jésus et de Paul, c’est sans doute ce que le Réformateur Luther a voulu dire en affirmant que notre vie est justifiée « par la grâce seule »… elle est justifiée parce qu’elle nous est donnée gratuitement, par amour, sans raison… même si nous pouvons parfois la trouver injustifiable, indigne ou inutile.

* Ce matin, il semble bien que la Bible nous invite à replacer notre existence dans une perspective élargie :
En faisant référence à « l’œuvre de Dieu qui fait tout »…ou en nous parlant de « notre Père céleste qui fait lever gratuitement soleil et pluie »… l’Ecclésiaste aussi bien que Jésus, nous rappellent que l’univers tout entier, le monde et les étoiles… et notre existence aussi… sont du pain de vie et de lumière jeté à la face des eaux, du temps et du mystère.
Ils nous redisent qu’au-dessus de toutes choses et de toutes vies, au-dessus des astres et des merveilles… et de chacun d’entre nous… il y a le ciel d’une générosité gratuite jetée à la volée. Il y a le ciel – le Père céleste – qui lance le pain de la vie à la face des eaux du monde.][1]

Ainsi, parce que tout est offert sans raison, nous pouvons vivre dans le même élan… nous pouvons, nous inscrire dans cette gratuité de la vie :
Non seulement, nous pouvons lancer notre pain à la surface des eaux, dans l’espoir de le retrouver un jour et autrement, d’une manière ou d’une autre…  dans l’idée que rien ne se perd totalement, que tout cela arrivera à maturité en son temps, ou sera transformé d’une façon ou d’une autre, et peut-être même profitable au bonheur de quelqu’un… mais au-delà… nous pouvons même lâcher-prise sur toute idée de retour et lancer notre pain, pour les autres, et même pour rien… pour entrer dans une autre logique : celle de la grâce du règne de Dieu.

C’est dans cette dynamique-là que Jésus nous appelle à nous inscrire, quand il nous invite à donner notre manteau à celui veut prendre notre tunique, à faire deux mille pas à celui qui nous force à en faire mille, à aimer même ceux qui ne sont pas aimables (cf. Mt 5, 38-48), à inviter, prêter ou donner à ceux qui ne pourrons peut-être jamais nous rendre (cf. Lc 14, 12-14)… il s’agit finalement d’entrer dans le mouvement-même de la vie : celui du don.

* En conclusion, chers amis… c’est un appel à accueillir la vie comme un don… un appel à la foi et à la gratuité que nous recevons :

Dès lors… osons lâcher-prise… dépassons nos mentalités habituelles – nos idées de profits, nos critères de mérites, nos besoins de récompenses, notre vision utilitariste de la vie et du travail – car nous ne savons rien… nous ne savons pas de quoi demain sera fait.

Avec courage et confiance, acceptons le risque de l’incertitude… lançons notre pain, semons notre semence, ne retenons pas notre main…  et même partageons en sept ou en huit… partageons ce que nous avons reçu de la vie !
C’est ainsi que nous rejoignons l’éternité, la grâce et la lumière… qui sont l’œuvre de la bonté du Père céleste.

Amen.




[1] Ce paragraphe reprend en partie une réflexion d’Alain Houziaux.