dimanche 28 août 2011

Mt 13, 31-35

Mt 13, 31-35

Lectures bibliques : Mt 6, 5-15 Mt 13, 31-35
Thématique : s’inscrire dans la relation à Dieu
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 28/08/11

Le Royaume de Dieu : c’est la figure de ce à quoi nous sommes appelés à tendre, le but, la finalité (le telos) de notre histoire.

En Jésus le Christ, le Royaume de Dieu s’est approché ; il s’est manifesté de façon centrale dans notre histoire.

Alors, lorsque Jésus parle en parabole du Royaume des cieux… de ce qui est déjà là, à travers lui, et de ce vers quoi nous cheminons, de ce à quoi nous devons tendre, de ce que nous espérons… il nous adresse une parole essentielle pour notre existence présente.

La première parabole que nous avons entendu est celle du grain de moutarde.

Le Royaume des cieux n’est pas comparé à un grain de moutarde en lui-même, mais à un grain de moutarde qu’un être humain sème dans son champ, un grain de moutarde devenu un arbre au stade final de son développement.

A lui seul, ce petit grain de moutarde n’est rien.
Comme l’évangéliste Matthieu le précise, il s’agit – à sa connaissance – de la plus petite de toutes les semences.

Il en est de même des dons que Dieu nous offrent : la foi et la Parole de Dieu ne sont rien.
Elles contiennent certes toute la potentialité de vie d’une graine – le miracle de la vie en puissance – mais elles ne restent qu’au stade latent de la graine si elles ne sont pas enfouies en nous, si elles ne sont pas accueillies et ancrées dans le cœur de l’homme.

Il en va autrement lorsque ce grain minuscule est semé dans de la bonne terre – au creux de l’humain – et régulièrement arrosé par une terre bien irriguée. Il croît et prospère alors, pour devenir la plus grande des plantes potagères, pour devenir un arbre dans lequel les oiseaux viennent faire leur nid, un arbre qui offre accueil, protection et refuge à son entourage.

Cette parabole nous révèle plusieurs aspects du travail de la foi : en mettant en contraste la petitesse de la graine et la grandeur de la plante, elle nous parle d’un processus de croissance, d’une dynamique de développement et d’élévation.

Elle est l’occasion de nous interroger sur ce qui fait pousser cette graine, sur ce qui nous fait véritablement grandir :
- D’abord, il ne s’agit pas de déposer cette graine reçue sur un endroit pierreux ou de la laisser en périphérie de notre existence, au bord du chemin, mais de la planter, de l’ensemencer, au creux de nous-même, au plus profond, dans la bonne terre. C’est là seulement qu’elle pourra croître.
- Ensuite, il faut l’arroser régulièrement, lui donner à boire pour qu’elle se développe.

En cette période de l’année, alors que le temps des vacances s’achève, nous commençons à songer à la rentrée.
C’est le temps de s’organiser, de réfléchir à notre emploi du temps, aux activités que nous voulons faire, et à celles que nous pouvons faire.
Cette parabole peut nous interpeller : allons-nous en ce début d’année scolaire reprendre simplement nos activités et nos habitudes ? Allons-nous nous inscrire dans la répétition, dans le confort routinier de nos habitudes ?

Si tel n’est pas notre souhait… Comment faire place à la nouveauté ? Comment donner un peu d’eau et de terreau à notre plante cette année pour nourrir ses racines et pour qu’elle puisse continuer à se développer ?

En d’autres termes, dans la perspective de cette nouvelle année scolaire, qu’est-ce que je peux faire pour changer mon quotidien, pour vivre les choses autrement, pour m’inscrire dans la rencontre avec Dieu et avec les autres ? Quels sont les choix qui s’offrent à moi ? Quelles sont les possibilités ? Quelles sont et seront mes priorités ?

Cette parabole nous invite en premier lieu à cultiver notre jardin.
Cultiver son jardin, cela ne veut pas dire développer son ego – être égoïste et égocentrique – se replier sur soi et se regarder le nombril.
Cultiver son jardin, c’est d’abord prendre… se donner… et garder du temps pour ce qui nourrit véritablement notre existence : notre relation à Dieu et aux autres.

Réfléchir à ce qui me nourrit vraiment dans la vie, c’est m’interroger sur ce qui me constitue et me construit en tant qu’être humain.

Précisément, ce que je suis, ce qui constitue ma personne, ce qui construit jour après jour mon identité, je ne le dois pas d’abord à moi-même, à mes propres mérites, mais à la grâce et à l’amour de Dieu qui me reconnaît sans condition, ainsi qu’à l’historique de mes relations avec les autres.

Contrairement à ce voudrait nous faire croire le discours ambiant, celui d’une société qui valorise de manière radicale l’indépendance et l’individualisme, je ne me construis pas tout seul, moi-même par moi-même.
Je ne suis pas un être indépendant, mais je vis en inter-dépendance avec les autres, avec mon prochain, avec mon environnement.

Ce qui fait de moi ce que je suis…ce qui contribue à forger peu à peu ma personnalité… je le dois avant tout à ma vie relationnelle… aux relations avec les autres : celles qui ont marqué mon passé, mon histoire… et celles d’aujourd’hui, de ma vie de tous les jours, qui continuent à me construire, à me nourrir, à me faire réagir et évoluer, à me transformer.

Si tel est bien le cas, cela signifie que mon désir de faire grandir cette graine qui m’a été donnée, correspond en fait à un désir de vie, un désir de relation aux autres et à Dieu, un désir de croître dans ma vie relationnelle, dans ce qui me nourrit vraiment au quotidien.

Alors, en cette nouvelle année scolaire qui s’ouvre à nous, comment se donner les moyens d’avancer dans cette relation à Dieu, aux autres, et à moi-même ?

La seconde parabole que nous avons entendue – celle du levain – nous donne une bonne piste : 

Il suffit de prendre du levain et de le cacher dans la farine, afin de faire lever le tout.

Le levain, c’est évidemment ce qui fait fermenter et lever toute la pâte, mais c’est quelque chose que seul celui qui fait le pain peut voir... c’est le secret du boulanger ou de la boulangère que nous sommes.
Il ne se devine pas, il ne se voit pas, mais il change tout, en permettant au pain de lever, et en lui donnant son goût savoureux et croustillant.

Autrement dit, le levain, c’est un peu comme notre relation à Dieu : c’est quelque chose qui ne se voit pas, mais qui change la saveur de la vie, le goût de la vie et de nos relations avec notre prochain.
Lorsque le levain est là, il permet au reste de prendre sens et ampleur, de se déployer.

Si le levain se cultive dans le secret, il a également une autre caractéristique : Il est long à préparer.

Préparer du levain exige de la patience : faire le bon mélange d’eau et de farine, le laisser respirer, ne jamais l’enfermer hermétiquement, s’y reprendre à plusieurs fois, jour après jour.
Et surtout, il est difficile à réussir dès la première fois.

Ici encore, le levain est à l’image de notre relation à Dieu... qui exige patience, persévérance et fidélité.
Si on rate, on peut recommencer.
Il ne faut pas l’enfermer, mais la laisser respirer.

Mettre du levain, l’enfouir dans la farine, pour que toute la masse lève : voilà la Parole que Jésus le Christ nous adresse ce matin.

Cette Parole de vie nous invite à mettre Dieu et notre relation à Dieu au centre de nos préoccupations afin que notre vie prenne de l’épaisseur, de la profondeur, qu’elle ait véritablement le goût de la vie.
Pour Jésus, la relation à Dieu ne peut être dissociée de la relation avec nos frères et sœurs. Non seulement, la relation au Père vécue dans le secret est le lieu du repos, de la paix, du ressourcement véritable, mais la relation à Dieu vécue dans l’intimité de la prière vient en réalité agir et illuminer notre vie quotidienne en nourrissant la qualité de nos relations aux autres. Elle est réellement le levain qui fait lever la pâte de la vie.

En ce temps de rentrée qui s’annonce, voilà que l’Evangile nous dévoile le secret qui fera lever notre pain, voilà que Jésus nous invite à faire de la place à Dieu dans notre quotidien.

En nous appelant à nous confier à Dieu dans la prière, Jésus nous invite à vivre une relation authentique et simple avec le Père.
Pas besoin de crier ou de rabâcher, Dieu nous accueille dans la simplicité d’une relation entre un Père et son enfant.
Tel un Père bien aimant, il sait ce dont son enfant a besoin.

Alors... frères et soeurs... à nous de répondre à l’appel que Jésus nous adresse... en osant prier... en osant nous en remettre à Dieu... nous confier à Lui comme à un "Père". 
A nous de prendre le temps d’apprendre à vivre peu à peu cette relation filiale avec "notre Père céleste".

La foi reçue comme un don est à accueillir, à découvrir, à approfondir jour après jour.
Prendre le temps… se donner du temps… garder du temps pour entretenir cette relation à Dieu, voilà une manière de cultiver son jardin en puisant directement à la source de la vie éternelle.



Amen. 

dimanche 21 août 2011

Mt 14, 22-33

Mt 14, 22-33

Lectures bibliques :  Rm 6, 1-4 ; Mt 14, 22-33 
Thématique : la confiance
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Marmande, le 21/08/11, Culte avec baptême de Roman. 


Chers amis, frères et soeurs

Puisque ce matin nous accueillons et nous accompagnons Roman, qui a reçu le baptême à la demande de ses parents, je vous propose de méditer ensemble sur un thème primordial pour la vie chrétienne : celui de la foi, plus précisément de la « confiance ».

Je voudrais commencer cette méditation par une question importante que tout le monde peut se poser à la lecture de ce passage de l’Evangile, une question un peu audacieuse pour nous protestant qui nous appuyons sur l’autorité souveraine des Ecritures :

Faut-il faire confiance à ce que l’évangéliste Matthieu nous raconte dans ce récit extraordinaire ?
En bon représentant du monde occidental, de la pensée rationaliste du 21ème siècle, ne sommes-nous pas un peu gêné par cette histoire qui nous fait part d’un événement surnaturel ?
Aussi, faut-il croire aux miracles pour pouvoir être touché par ce récit biblique ?
Est-il nécessaire de penser que Jésus a vraiment marché sur les eaux pour nous sentir concerné par ce texte de la Bible ?
Faut-il prendre tout ce que nous dit ce texte comme parole d’Evangile ?

Je dirai : … Oui… si Parole d’Evangile veut dire que s’y cache, pour nous, une Bonne Nouvelle, une Parole de vie.
Et …Non… si parole d’Evangile signifie qu’il faut tout prendre au pied de la lettre, et avoir une lecture littéraliste ou fondamentaliste de ce texte.

Comme de nombreux récits de miracles, le texte biblique que nous avons entendu est le récit d’une histoire interprétée par un témoin de la foi : l’évangéliste Matthieu.
Ce récit contient différents types d’éléments : des éléments historiques – des faits réels – , des éléments légendaires – le côté merveilleux du récit – , et des éléments symboliques – qui livrent le sens profond du récit. Il n’est toutefois pas possible de les distinguer complètement.

Alors, ce matin, je vous propose de dépasser le côté historique et légendaire de cette histoire, pour tenter de nous plonger dans une lecture symbolique du texte.

Précisément, qu’est-ce que cette histoire veut nous dire ? et que peut-elle nous dire à nous aujourd’hui, dans notre existence présente ?

Pour trouver des réponses, il faut d’abord s’interroger sur la signification des différents éléments du récit :

Cette histoire se déroule sur la mer ou sur l’entendu d’un lac. Pour les juifs du temps de Jésus et les premiers Chrétiens, la mer n’a pas la même signification que pour nous aujourd’hui.
Si la mer nous fait plutôt penser aux vacances et à la baignade, à un lieu de plaisir et de détente, dans le Judaïsme, et notamment pour des pécheurs, elle représente quelque chose de dangereux, de risqué, d’incertain. La mer symbolise un lieu potentiel de mort, un lieu menaçant pour la vie, un lieu où la vie peut basculer, peut chavirer dans les ténèbres et la profondeur des eaux glacées.
Pour s’en convaincre, il suffit de se rappeler les récits du déluge ou du livre de Jonas.

Alors, quand l’évangéliste Matthieu nous raconte que Jésus marche sur les eaux, il anticipe ici le récit de Pâques et de la résurrection du Christ (ou plutôt, il opère une relecture à la lumière de Pâques). Oui, Jésus est vraiment « Fils de Dieu », celui qui marche sur les eaux de la mort, celui qui a vaincu la mort. En dépit de la mort, il porte en lui la puissance de vie, la « puissance d’être » qui surmonte la mort. C’est ce que déclare eux-mêmes les disciples à la fin de l’épisode, dans leur confession de foi : « En vérité, tu es Fils de Dieu ! » (v.33).

Pour en arriver à cette conclusion, le récit décrit tout un cheminement. Il nous parle d’abord de ce qu’est la foi, la confiance.
Il nous révèle - que la confiance permet d’opérer des miracles : de vaincre tout ce qui est mortifère en nous-même ; - que cette confiance, c’est la recette de la vie, de la vie en dépit de la mort ; - que cette confiance nous permet de surmonter les difficultés et les épreuves de la vie malgré l’angoisse, malgré le doute, malgré les vents contraires.
Mais ce récit nous montre aussi que la confiance n’est pas une chose simple, qu’elle nécessite un abandon, qu’elle nécessite un lâcher prise, qu’elle nécessite d’oser s’en remettre à un Autre pour sa propre vie.

Voilà que les disciples se retrouvent seuls, dans une barque, en plein cœur de la nuit. Leur barque est tourmentée par l’agitation des vagues et du vent. Voyant Jésus qui s’approche de leur embarcation, tel un fantôme marchant sur la mer, la crainte les saisit.

La parole que Jésus leur adresse est un appel à la foi :
« Ayez confiance ; c’est moi ; ne craignez pas ! » (v.27)
Cette parole de confiance, c’est exactement celle que nous recevons le jour de notre baptême : par un geste d’amour, un signe d’alliance qui est porté sur notre front, pour signifier que nous sommes éternellement accueilli et aimé de Dieu ; pour signifier que Dieu est le fondement et la source du « courage de la confiance ».

Alors Pierre – en réponse à cette parole de confiance – demande à Jésus de l’appeler à lui. Et voilà qu’il descend de la barque, qu’il marche à son tour sur les eaux, et s’approche de Jésus. Voilà que Pierre semble cheminer dans la foi, en répondant à l’appel et à la confiance que lui adresse Jésus.

Mais brusquement un événement inattendu se produit : une tempête dans la vie de Pierre, une épreuve, une bourrasque, une difficulté imprévue surgit – comme celles qui se présentent aussi à nous, parfois, dans notre vie, lorsqu’il fait nuit.
Il est évidemment facile de croire, d’accorder sa confiance à un Autre quand tout va bien. Mais quand un événement extérieur met notre vie en branle, quand un événement imprévu s’impose à nous, quand une tempête balaie notre vie, elle remet parfois en cause bien des choses.
Il est alors difficile de garder le cap de la confiance … de la fidélité…
surtout si nous n’avons pas bien entendu, si nous avons mal compris les paroles de Jésus, surtout si nous nous sommes trompés dans ce que nous attendions de l’Autre.
Lui… nous promet son amour, son soutien, sa confiance. Nous, en lui donnant notre confiance, nous attendions autre chose, nous attendions qu’il nous protège aussi des vents et de la tempête.
Alors, quand le vent arrive, la peur surgit, et avec elle, l’incertitude, le doute, le découragement…. Et même la remise en cause de la Parole de l’Autre.

Mais quelle était cette Parole justement ?
La promesse de Jésus se résume en deux mots : ayez confiance !  (v.27). Jésus – en tant qu’il est « Fils de Dieu », celui qui révèle le Père et le rend manifeste – ne promet pas à Pierre que sa vie ne sera pas traversé de tempêtes ou de difficultés. Mais il dit à Pierre :
« Quoi qu’il t’arrive, ne craint pas, aie confiance, remets t’en à moi. Dans ta vie, dans les joie comme dans les épreuves, je suis avec toi, je marche à tes côtés, aie confiance. Je ne te promets pas de te protéger de toute épreuve, mais de t’accompagner dans toute épreuve ».

Mais Pierre – l’apôtre toujours un peu fonceur, le fougueux Pierre – n’a sans doute pas bien entendu.
La joie et les premiers pas de la confiance sont mis à rude épreuve par le vent qui souffle fort.
Face au vent, la crainte et le doute remplacent alors la confiance. Et Pierre commence à s’enfoncer dans l’abîme des eaux.

En méditant ce texte, une question s’offre à nous : Pourquoi Pierre sombre-t-il, pourquoi s’enfonce-t-il dans les eaux ?

Pour répondre à cette question, il faut réfléchir à ce qui se joue dans cette histoire. Ce texte de l’évangile nous parle de la confiance, de la foi. Alors quand Pierre s’enfonce dans la mer, cela manifeste quelque chose qui s’oppose à la foi, une situation qui est le contraire de la foi.
Précisément, quel est l’événement déclencheur ? Et qu’est-ce qui peut bien s’opposer à la foi ?

Au premier abord, on pourrait penser que c’est la peur et le doute qui font couler Pierre.
Mais je crois que la réponse n’est pas là. Le doute n’est pas le contraire de la foi.
Le doute montre, au contraire – de manière paradoxale – que ce qui concerne notre foi a un caractère infini, ultime, inconditionné, insaisissable. Le doute révèle le sérieux de notre foi. Il révèle que la foi n’est pas quelque chose que nous possédons – pas plus que l’amour d’ailleurs. Nous ne possédons pas l’amour, nous ne possédons pas la foi. Il est faux de penser que nous avons la foi. La foi n’est pas de l’ordre d’une possession, elle ne relève pas d’un objet que nous pouvons saisir.

Au contraire, dans la foi, quelque chose – ou plutôt quelqu’un – se saisit de nous.
La foi consiste à être saisi par une « préoccupation ultime », à être saisi par l’Esprit, à être travaillé par Dieu.
Et cette foi, ce sillon qui se creuse en nous, cette action de l’Esprit qui travaille intérieurement en nous et oriente peu à peu notre vie, ne fonctionne pas sans le doute, car nous nous interrogeons sur cette action secrète de l’Esprit et – le plus souvent – nous lui résistons.

Dans la foi, nous sommes, en même temps, en relation avec Dieu et séparé de Lui. Le doute est précisément la conséquence de cette séparation. Le doute fait partie de la foi. Il permet le questionnement ; il permet à la foi de ne pas tomber dans le fanatisme.

Alors, nous en revenons à notre question : si ce n’est pas le doute, qu’est-ce qui fait couler Pierre ?
Le texte nous parle de l’effet sur Pierre d’un évènement extérieur : « Voyant le vent, il eut peur » (v.30).
Le vent suscite la peur. La peur réveille chez Pierre quelque chose de latent, quelque chose qui est au fond de lui. La peur révèle le manque de foi, l’incrédulité, l’incroyance fondamentale de Pierre.

La peur et le doute ne constituent pas ici la cause profonde de la noyade de l’apôtre Pierre, mais ils sont les révélateurs d’un mal plus profond. Ce mal, c’est le « Péché » fondamental de l’homme : l’incroyance – l’incrédulité – le fait de devenir, ou d’être devenu, étranger à Dieu, et de prendre soi-même sa place : la première place.

L’incroyance, c’est le contraire de la foi. C’est le fait de vivre séparé de Dieu, comme si nous étions nous-mêmes totalement indépendants et auto-suffisants ; c’est le fait de ne pas vivre en communion avec Lui, et de ne pas parvenir à nous remettre totalement à lui.
L’incroyance, c’est le germe du péché en nous. Ce péché consiste à nous éloigner de Dieu (cf. Lc 15, 13. 18) et à prendre nous-même la place de Dieu, la place que Dieu devrait occuper au centre de notre vie.
Lorsque nous ne mettons pas Dieu au centre, nous nous élevons nous-même à sa place. Nous finissons par nous considérer nous-mêmes comme notre propre fondement, comme dieu à la place de Dieu (cf. Gn 3, 5), et dans cette situation, nous ramenons aussi le monde à nous, et nous nous faisons non seulement le centre de nous-même, mais aussi le centre de notre monde.[1]

Comment cela se manifeste-t-il dans notre récit ?

En demandant à faire comme Jésus, il semble bien que Pierre prétende pouvoir occuper la même place de lui.
En formulant sa demande d’aller rejoindre Jésus, non seulement, il parait émettre un doute sur l’identité de Jésus – « Si c’est bien toi – dit-il – que je puisse, moi aussi, venir vers toi sur les eaux » (v. 28) – mais, il semble également vouloir garder la maîtrise de la situation, la contrôler, en instrumentalisant Jésus au service de sa propre personne… comme s’il s’agissait pour lui, avant tout, d’occuper la même position que Jésus.

Mais cette prétention ne dure pas longtemps : La violence du vent vient rapidement rappeler le disciple à la réalité.

Lorsque la peur saisit Pierre – révélant l’extrême fragilité de sa foi – il sombre peu à peu dans la mer.
C’est là, paradoxalement, au creux de la vague, qu’une confiance surgit : « Seigneur, sauve moi ! » crie-t-il (v.30).
Assailli par l’épreuve, Pierre appelle à l’aide, il crie son espérance.
Au cœur du doute, il sort de lui-même, il confesse sa confiance. Il donne enfin sa confiance à un Autre que lui pour son salut.

La confiance de Pierre en lui-même, n’a donc pas suffit à le faire marcher sur les eaux.
En sombrant, il se rend compte que la confiance en soi, l’affirmation de soi, sont certes nécessaires, mais qu’elles restent insuffisantes, si elles ne reposent pas sur un véritable fondement, sur un fondement inébranlable : la foi en Dieu Sauveur, révélé par Jésus Christ.

Il faut s’arrêter un instant sur ce cri de Pierre… ce cri de détresse et de confession de foi, qui traduit un aveux, un lâcher prise et une remise.

Précisément, la confiance consiste, à la fois, en une reconnaissance, un abandon et un don :
- La reconnaissance est le 1er mouvement de la confiance. Elle signifie : « je me sais : homme, femme, tel que je suis. Je reconnais mes fragilités, mes limites. Je sais que je ne suis pas tout, et que je ne peux pas tout maîtriser ».
- L’abandon est le 2ème mouvement de la confiance. Il traduit un lâcher prise, un relâchement, une ouverture. S’abandonner, c’est se mettre sous le regard d’un Autre, sous son pouvoir, sous sa protection bienveillante.
Il signifie :  « je ne suis pas seul, je ne suis pas le centre de ma vie, je peux abandonner ce que je suis, ma vie, le soucis de ma vie, mes préoccupations, moi-même, à un Autre qui m’aime et qui me sauve tel que je suis ».
- Le don est le 3ème mouvement de la confiance. Il consiste en une réponse et une remise. 
Parce que l’amour de Dieu me précède, parce que je me sais aimer de lui, sans réserve, sans condition, je peux répondre à sa proposition d’alliance, m’en remettre à lui, me confier à lui pour ma vie.

Me con-fier : cela signifie me « fier avec », c’est-à-dire, me lier avec Dieu, m’attacher à lui, m’en remettre à sa fidélité, compter sur lui.
Parce que l’amour de Dieu est fidèle, je peux répondre à sa fidélité, vivre en communion avec lui, m’appuyer sur lui dans tous les évènements de ma vie.
Malgré les difficultés, malgré les vents contraires, je peux vivre dans cette confiance en celui qui me donne le « courage d’être », le courage de vivre, le courage de surmonter les épreuves, parce qu’il les partage avec moi, à mes côtés.

La confiance, c’est donc une reconnaissance, un abandon et un don. Mais s’abandonner pour se donner à un Autre constitue un risque. Donner sa confiance nécessite d’abord d’envisager la possibilité de la confiance.
Prendre le risque de la confiance nécessite d’avoir confiance en la confiance, d’oser s’engager dans le chemin de la confiance.

Lorsqu’on a vécu des déceptions, des ruptures, des trahisons personnelles, il est toujours difficile d’oser donner sa confiance à un Autre.
Pour autant, dans la foi véritable, la foi en Dieu, ce risque est dépassé par la certitude que Dieu est lui-même à l’initiative de cette confiance, qu’il est le premier à venir vers nous, pour nous offrir son amour, sa confiance, sa réconciliation.
Dès lors, notre confiance ne consiste qu’à répondre à sa confiance, à nous confier à Lui, à Lui qui est lui-même la source du « courage de la confiance ».

Autrement dit, la confiance est une acceptation. Dieu nous accueille et nous accepte tels que nous sommes.
Mais nous… acceptons-nous son acceptation ? acceptons-nous d’être accepté par lui, même si nous nous savons, à certains moments, inacceptables, imparfaits, incrédules ?

Ce matin, au milieu des flots, de l’agitation et du remous de notre existence, Dieu, par son Fils Jésus Christ, nous tend la main et nous saisit dans la foi. Il nous tire jusqu’à lui et nous donne la force de continuer notre chemin avec Lui, à travers les épreuves de la vie.
« Aie confiance !  c’est moi !  ne craint pas ! » (v.27)
Voilà l’appel que le Seigneur nous adresse pour notre vie.

Comme au jour de notre baptême, et jour après jour, Dieu nous offre sa Parole d’alliance.
En plongeant dans l’eau du baptême, dans la mort et la résurrection du Christ, nous sommes appelés, nous aussi, à devenir les participants d’une nouvelle réalité en Christ, d’une nouvelle réalité enracinée dans la confiance et la communion avec Dieu.

Acceptons nous de répondre à la confiance que Dieu nous offre ?
Acceptons nous de vivre de cette confiance ?
Acceptons-nous de nous laisser transformer par elle ?

Amen !                                                                                                                       
P.L.



[1] Cet état de péché la théologie (cf. P. Tillich) l’a décliné à travers trois termes : l’incroyance – qui décrit le contraire de la foi, l’éloignement d’avec Dieu –, l’orgueil ou l’hubris – qui traduit l’élévation de soi à la place de Dieu –, la concupiscence – qui manifeste le fait de ramener le monde et les autres à soi même.
Lorsqu’on utilise le mot « péché », il ne faut pas le réduire à une faute morale ou comportementale. Il ne faut pas confondre le péché (au singulier) et les péchés (au pluriel). Les péchés, ce sont des actes répréhensibles, des actions mauvaises. Le péché, lui, décrit d’abord un état : c’est l’état de l’homme qui vit éloigné de Dieu dans l’existence : l’état de l’homme qui n’est pas ce qu’il devrait être, parce qu’il manque sa cible, son but, sa pleine humanité, il perd l’authenticité de ses relations aux autres, lorsqu’il veut afficher sa supériorité, en oubliant sa relation à Dieu – son fondement – la source de « l’amour du prochain ».
L’image biblique de Jésus nous montre, au contraire, l’Homme tel qu’il devrait être : un homme pleinement en relation avec le Père, en communion permanente avec Lui.
Parce que Jésus, en tant que Christ, instaure une nouvelle réalité, l’apôtre Paul l’appelle le Nouvel Adam, c’est-à-dire l’Homme Nouveau uni à Dieu.
C’est à cette nouvelle réalité de l’Homme uni au Père, que le Chrétien – le baptisé en Christ (Rm 6) – peut désormais participer.
C’est ainsi que l’apôtre Paul parle du baptême dans sa lettre aux Romains (Rm 6). Pour Paul, le baptême associe le baptisé à la mort et à la résurrection de Jésus le Christ. Il signifie un engloutissement et une nouvelle naissance :
Uni à Jésus le Christ dans sa mort, le baptême est un ensevelissement, un engloutissement du vieil homme, de l’homme pêcheur, c’est-à-dire du pouvoir de la mort et de tout ce qui est mortifère, qui me rend esclave, m’éloigne de Dieu et m’enferme dans la culpabilité.
Uni à Jésus le Christ, dans sa résurrection, le baptême est l’offre d’une nouvelle naissance, qui me fait renaître à une vie nouvelle en relation avec Dieu, dans laquelle je peux vivre l’Evangile de la grâce en toute liberté, dans la foi et la responsabilité.
Ce baptême compris comme un engloutissement et un appel à une vie nouvelle, vécue dans la confiance, c’est ce qui est proposé à tout Chrétien et ce qui est offert aujourd’hui à Roman.
Ce passage de la mort à la vie, de la servitude du péché à la liberté de la foi, c’est aussi, d’une certaine manière, ce qui arrive à Pierre dans ce récit.