dimanche 23 octobre 2022

Lc 19, 1-10

 Lectures bibliques : Ac 20, 17-24 & 33-35 ; Lc 19, 1-10 (voir en bas de cette page) 

Thématique : le bonheur de Zachée et le nôtre…

Prédication de Pascal LEFEBVRE -  le 23/10/22 - Bordeaux (temple du Hâ)


* Celles et ceux qui ont gardé quelques souvenirs de l’école biblique ou du catéchisme, connaissent forcément cette petite histoire de la rencontre de Jésus avec Zachée ! 

C’est un bref récit (10 versets) qu’on peut appréhender à différents niveaux… mais surtout c’est une jolie histoire qui finit bien… et qui est très accessible pour les enfants. 


« Aujourd’hui, le salut est venu pour cette maison ! » dit le Christ.


Quel bonheur pour Zachée ! Et quelle bonne nouvelle pour son entourage !


Et pourtant – à bien y regarder – les choses n’étaient pas gagnées d’avance pour le riche Zachée, qui souffrait d’un triple handicap :


  • - D’abord - nous dit le texte - il est un collecteur d’impôts, il est même le chef des collecteurs de taxes. Il est certes un homme puissant et craint, mais il travaille pour l’occupant romain. Il est donc considéré (pour les Juifs de Judée) comme un « collabo », voire un traitre aux yeux de ses coreligionnaires. C’est donc un homme seul, méprisé, qui vit en marge de la communauté juive. Il est vu comme un « impur » ou un « pécheur », quelqu’un qu’il ne faut mieux pas fréquenter. 


  • - Deuxième handicap : il est riche ! Bien sûr, ce n’est pas forcément un handicap sur le plan matériel - me direz-vous. C’est vrai !… Bien qu’on ne sache pas trop comment il a acquis cette richesse : est-ce parce qu’il prend des commissions ou des marges sur les impôts qu’il collecte ? est-ce honnêtement ou plutôt malhonnêtement (de façon illicite) : on ne sait pas trop. Mais la richesse risque d’être un handicap, sur le plan spirituel. 


Ce n’est pas moi qui le dis. C’est Jésus qui le rappelait aux disciples dans l’épisode précédent (cf. Lc 18, 18-30) : « Qu’il est difficile – disait-il – à ceux qui ont des richesses de parvenir dans le Royaume de Dieu ! Oui, il est plus facile à un chameau d’entrer par un trou d’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu ». Ce genre d’affirmation a dû effrayer les auditeurs de Jésus. Pourtant, on peut comprendre qu’une personne riche est forcément préoccupée par la gestion de ses biens… et souvent par le désir d’en avoir toujours plus. Du coup, l’avidité guette… et surtout le manque de temps et de disponibilité pour s’intéresser aux réalités du règne de Dieu, aux valeurs du monde nouveau de Dieu. Alors, oui, pour Jésus, la richesse peut être un handicap spirituel… et même un obstacle quand elle devient une fin, plutôt qu’un moyen. 


  • - Enfin, troisième handicap, physique cette fois. L’évangéliste précise que Zachée est « de petite taille ». Il est possible qu’il ait souffert de ce handicap physique… qu’il a peut-être essayé de compenser par un désir de reconnaissance, un engagement professionnel important, et un poste de pouvoir… pour lutter contre le fait de se sentir petit, et peut-être jamais « à la hauteur ». D’ailleurs, il est obligé de grimper sur un arbre pour voir Jésus. 


Les choses n’étaient donc pas gagnées pour Zachée. 

Luc laisse même entendre qu’il faisait partie des causes perdues :


« En effet, le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ceux qui étaient perdu » (v.10)


Zachée était donc perdu : 

Il était un « winner » sur le plan matériel et économique, mais un « looser » sur le plan relationnel et spirituel : seul, méprisé de tous, sans ami… séparé des autres et séparé de Dieu, puisque étant exclu de la communauté, il était aussi en marge de la vie cultuelle et religieuse. 


Mais voilà que tout change grâce à cette rencontre avec Jésus. 


Jésus prend l’initiative : l’initiative de la rencontre, l’initiative du bien… 

Contre toute attente, et au risque d’essuyer des critiques et des reproches de tous les bons juifs pieux et des religieux autour de lui… au risque d’être mal vu et considéré, à son tour, comme « impur », Jésus décide de s’inviter chez celui qui est repoussé de tous, le paria de service, le petit chef des collecteurs d’impôts. 


Jésus fait donc quelque chose d’extraordinaire, au sens de « tout à fait inhabituel ». 

En prenant cette initiative, il crée le changement. 

Il manifeste la grâce de Dieu. 


Pour la 1ère fois, Zachée se sent enfin reconnu et digne : il se sent être, lui aussi, un « enfant de Dieu », « un fils d’Abraham », au même titre que les autres, reconnu sans condition, pour ce qu’il est, et non pour ce qu’il fait. 


Il se sent digne, malgré l’indignité que les autres projetaient sur lui. Car c’est Jésus, le maître, le guérisseur, le « fils de David » comme l’appelait l’aveugle de Jéricho (dans l’épisode précédent), c’est l’Homme de Dieu qui vient loger chez lui. 


Qu’elle bonne nouvelle pour lui ! et quelle joie !


Cette reconnaissance est même contagieuse :


Il reçoit cette visite à domicile du Christ, comme un don, un cadeau de Dieu. 

Et le fait d’être reconnu gratuitement, à part entière… le fait de recevoir toute la bienveillance et la compassion du Christ… le transforme. 

A son tour, il devient bienveillant.


Il se passe donc quelque chose d’inattendu… d’inespéré… un changement radical :  

Quelque chose s’ouvre et se libère. 

A son tour, il ouvre son cœur et son porte-monnaie… il dévient généreux… et il décide de donner aux pauvres la moitié de ses biens. 


Et Jésus de s’exclamer : « Aujourd’hui, le salut est venu pour cette maison ! »


* Le mot « salut » : « salvus » en latin, peut être traduit par « guéri » 

Le salut, c’est la guérison, la libération, la délivrance, qui sont venus chez Zachée.


Mais, à bien y regarder, on peut se poser la question :

Quel est donc, précisément, ce salut qui est entré dans la maison de Zachée ?


Il y a sans doute plusieurs niveaux de réponse :


Le salut, c’est d’abord Jésus – le porteur du Souffle de Dieu – qui est entré chez lui, et qui apporte cette guérison… comme un vent de nouveauté.  


Le salut qui est entré avec Jésus dans cette maison, c’est justement cette nouvelle mentalité que Zachée va recevoir et adopter aussitôt : la mentalité du don et du partage. 


Expérimentant le don de Dieu – le bonheur du don de Dieu – il veut donner en retour. 

Il entre dans la nouvelle mentalité du règne de Dieu : c’est comme une conversion !


Le salut, c’est donc le monde nouveau de Dieu qui est entré dans cette maison avec Jésus. 


C’est le résultat d’une transformation, d’une conversion. 

Recevant toute la considération et l’amour du Christ, Zachée se libère et s’ouvre à l’amour. 


Finalement, c’est comme si le geste gratuit du Christ était contagieux… comme si l’amour du Christ lui donnait des ailes… puisque Zachée va devenir un homme bon et généreux. 


* Alors, pour nous, 2000 ans plus tard… que pouvons-nous retenir de ce récit bien connu… quelles pourraient être les conséquences de cette belle histoire, de cette bonne nouvelle ? 


  • - D’abord que, nous aussi (comme Zachée), nous pouvons prendre conscience et recevoir l’amour du Christ dans notre vie. Cet amour nous transforme et nous convertit. Il fait de nous des personnes meilleures, plus libres, plus confiantes, plus généreuses, plus aimantes. 


Le « Bien » dans notre vie vient par la renaissance de l'amour, par la bonté, la liberté, le pardon, la paix, et l'intelligence spirituelle.


Pour nous laisser transformer par Dieu, chaque jour, nous devons prendre conscience de l’amour et de la confiance qu’Il nous fait… pour l’accueillir dans notre vie…  pour nous l’approprier, et pour la transmettre à notre tour. 


La confiance en Dieu, c’est une confiance qui engage : c’est, bien sûr, la foi, l’assurance de la fidélité et de l’amour de Dieu, mais c’est aussi l’accomplissement du Bien auquel il nous appelle : la foi et l’accomplissement du bien sont inséparables. 


  • - Deuxième point, nous voyons que tout se passe pour le mieux pour Zachée, depuis qu’il a rencontré Jésus…. Mais ça n’a pas toujours était le cas dans sa vie d’avant… et ce n’est pas toujours le cas pour nous non plus. 

Nous traversons aussi, à certains moments, des passages difficiles, des temps d’épreuve ou de solitude. 


On voit bien que la rencontre avec le Christ a été un élément déterminant, pour cet homme riche mais mal-aimé… Jésus a été le vecteur d’une transformation…mais, à bien y réfléchir, ce changement aurait pu se produire bien avant, si Zachée avait pris un peu de recul sur sa vie.  


N’est-ce pas la même chose pour nous ? 


Parfois, nous sommes insatisfaits de certains aspects de notre vie, comme Zachée devait l’être avant de rencontrer Jésus. 


Mais alors, pourquoi n’a-t-il rien fait pour changer les choses, plus tôt ? 


Personne n’est cantonné au malheur !

Si nous sommes malheureux dans telle ou telle situation, qu’est-ce qui nous interdit d’en prendre conscience et d’essayer de changer les choses ?


C’est peut-être le manque de foi… le manque d’imagination… le manque de courage… peut-être un peu de tout cela… ou le poids de la routine… qui fait que nous résignons à accepter certaines choses même insatisfaisantes.  


Mais, nous qui savons que Dieu nous aime, qu’est-ce qui nous interdit de faire comme le Christ, c’est-à-dire de tenter quelque chose de nouveau, de sortir de nos habitudes, de tester quelque chose de différent. 


C’est bien cela qui a été déclencheur pour Zachée : le Christ a agi différemment de tous les autres… et du coup, Zachée a agi, lui aussi, autrement. 


En fait, Jésus a juste appliqué la règle d’or : « Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites le vous-mêmes d’abord pour eux »… et il a pris l’initiative du bien… pour susciter du changement. 


Le récit de cette rencontre nous invite donc à suivre le Christ pour nous inscrire dans la nouveauté… capable de nous ouvrir au bonheur. 


* Voyez-vous cette semaine – justement – nous avons partagé sur la thématique du « bonheur » avec le groupe de jeunes (18-25 ans). 


Et nous nous sommes posé la question : qu’est-ce que c’est vraiment le bonheur ?... pour nous… pour moi ?

Qu’est-ce qui me rend vraiment heureux dans cette vie ? 


Est-ce que je peux seulement être heureux quand tout se passe comme prévu ?... ou est-ce que je peux choisir d’être heureux, malgré tout… malgré – parfois – des événements contraires ? 


Quelqu’un a écrit : "Le bonheur c’est parfois de regarder la vie autrement."

"Le bonheur est un état d'esprit. Il s'agit de la façon dont vous regardez les choses." (Walt Disney)


C’est en permanence ce que fait le Christ : il regarder les gens et les choses autrement… et de ce fait, il ouvre des portes, il surmonte les préjugés, les jugements hâtifs, les déterminismes et les destins mortifères. 


En écoutant le Christ – qui rappelle inlassablement que nous sommes aimés et soutenus par Dieu, quelle que soit notre situation – nous pouvons nous dire que le bonheur est à notre portée. 


Peut-être le ressentons-nous dans notre vie à certains moments… ou peut-être pas ? 

Nous sommes parfois comme le Zachée d’avant, seul et un peu perdu… et parfois, comme le Zachée d’après : sauvé et généreux !


Alors deux questions peuvent surgir pour éclairer notre quotidien : 


Si, parfois, je me sens insatisfait…

  • - Qu’est-ce que je fais pour augmenter le bonheur dans ma vie ?
  • - et surtout, qu’est-ce que je fais pour augmenter le bonheur dans la vie des autres autour de moi ? … dans la vie des personnes qui me sont chères ? 


Car la certitude que nous donne l’Evangile, c’est que le bonheur, c’est comme le salut : c’est contagieux !

Si je donne du bonheur autour de moi, je vais forcément en récolter. 

C’est ce que Zachée est en train de découvrir. 


Édouard Pailleron, un poète et dramaturge du 19e siècle (qui a occupé un poste à l’académie française) a écrit : « Le seul bonheur qu'on a vient du bonheur qu'on donne ». 


Je ne sais pas s’il était chrétien, ni même s’il connaissait le Nouveau Testament. Mais il n’était pas très loin de cette citation de Jésus dans le livre des Actes des apôtres. L’Apôtre Paul écrit : 

« Il y a plus de bonheur à donner qu'à recevoir ! » (Ac 20,35). 


Pour Paul, l’apôtre des Nations, le bonheur, c’était de s’engager pour autrui, c’est de donner, de transmettre, c’était d’aimer… et, bien sûr, c’était, certainement aussi, d’être aimé, en retour. 


Albert Schweitzer écrivait lui aussi : "Le bonheur est la seule chose qui se double si on le partage."  

Précisément, Jésus nous montre qu’il faut être audacieux pour faire du neuf… pour entrer dans cette nouvelle mentalité du don. 

Comme il le dit dans l’évangile, « on ne met pas du vin nouveau dans de vieilles outres… mais dans des outres neuves » (Lc 5, 37-38). 


Ça signifie qu’il faut avoir l’audace de changer des choses, si on veut obtenir des résultats différents et nouveaux. 


C’est une leçon pour nous et pour notre monde. Car il y aurait tant de choses à changer !... pour que les hommes et les femmes soient un peu plus heureux sur notre terre… et parfois, ça commence avec un petit rien… un geste ou une parole nouvelle !


C’est cette nouveauté que Jésus inaugure… lui qui vient toujours à contre-courant des mentalités primitives ou des habitudes ancestrales… pour proposer du neuf. 


C’est ce qu’il a fait avec Zachée en s’invitant simplement chez lui. 


* Participer au salut que Dieu nous offre, c’est « entrer dans cette nouvelle mentalité » qui nous appelle à faire advenir quelque chose de vraiment nouveau dans notre monde. 


Cette nouveauté ne peut naître que des actes bons, inspirés par l’amour de Dieu. 

Mais il nous revient d’avoir le courage de les mettre en place dans notre vie et de les expérimenter autour de nous… même s’ils sont à contre-courant. 


Je terminerai cette méditation par une dernière citation sur le bonheur, celle de Baden Powell, le fondateur du scoutisme, qui était un homme original, qui n’a pas eu peur de faire confiance à la jeunesse et de tester des comportements nouveaux. 


Il écrivait ou disait : « Le bonheur ne vient pas à ceux qui l’attendent assis ». 

Et il avait raison !


Le Seigneur nous relève et le Seigneur nous envoie : 

il nous relève et nous envoie pour faire advenir le monde nouveau de Dieu… en initiant la nouvelle mentalité du don et du don de soi… que Jésus nous a transmise, afin de propager partout le salut de Dieu… et le bonheur de donner et d’aimer !


Amen. 



Lectures bibliques : Ac 20, 17-24 & 33-35 ; Lc 19, 1-10 


Ac 20, 17-24 & 33-35 

17 Paul envoya un message de Milet à Éphèse pour en faire venir les anciens de l'Église. 

18 Quand ils furent arrivés auprès de lui, il leur parla en ces termes : « Vous savez comment je me suis toujours comporté avec vous, depuis le premier jour de mon arrivée dans la province d'Asie. 

19 J'ai servi le Seigneur en toute humilité, dans les larmes et les peines que j'ai connues à cause des complots des Juifs. 

20 Vous savez que je n'ai rien caché de ce qui devait vous être utile : je vous ai tout annoncé et enseigné, en public et dans vos maisons. 

21 J'ai appelé les Juifs et les gens des autres peuples à se convertir à Dieu et à croire en notre Seigneur Jésus. 

22 Et maintenant, je me rends à Jérusalem, comme l'Esprit saint m'oblige à le faire, et j'ignore ce qui m'y arrivera. 

23 Je sais seulement que, dans chaque ville, l'Esprit saint m'avertit que la prison et des souffrances m'attendent. 

24 Mais ma propre vie ne compte pas à mes yeux ; ce qui m'importe, c'est d'aller jusqu'au bout de ma mission et d'achever la tâche que m'a confiée le Seigneur Jésus : proclamer la bonne nouvelle de la grâce de Dieu. […]

32 Et maintenant, je vous remets à Dieu et à la parole de sa grâce. Elle a le pouvoir de vous fortifier dans la foi et de vous accorder l'héritage qu'il réserve à tous ceux qui lui appartiennent. 

33 Je n'ai désiré ni l'argent, ni l'or, ni les vêtements de qui que ce soit. 

34 Vous savez vous-mêmes que j'ai travaillé de mes propres mains pour gagner ce qui nous était nécessaire pour ceux qui m'accompagnaient et pour moi. 

35 Je vous ai montré en tout qu'il faut travailler ainsi pour venir en aide aux personnes faibles, en nous souvenant de ce que le Seigneur Jésus a dit lui-même : “Il y a plus de bonheur à donner qu'à recevoir !” »


Luc 19, 1-10 

1 Jésus entra dans Jéricho et traversait la ville. 

2 Il y avait là un homme appelé Zachée ; c'était le chef des collecteurs d'impôts et il était riche. 

3 Il cherchait à voir qui était Jésus, mais comme il était de petite taille, il n'y arrivait pas à cause de la foule. 

4 Il courut alors en avant et grimpa sur un arbre, un sycomore, pour voir Jésus qui devait passer par là. 

5 Quand Jésus arriva à cet endroit, il leva les yeux et dit à Zachée : « Dépêche-toi de descendre, Zachée, car il faut que je demeure chez toi aujourd'hui. » 

6 Zachée se dépêcha de descendre et le reçut avec joie. 

7 En voyant cela, tous critiquaient Jésus ; ils disaient : « Cet homme est allé loger chez un pécheur ! » 

8 Zachée, debout devant le Seigneur, lui dit : « Écoute, Seigneur, je vais donner la moitié de mes biens aux pauvres, et si j'ai pris trop d'argent à quelqu'un, je lui rendrai quatre fois autant. » 

9 Jésus dit à son propos : « Aujourd'hui, le salut est entré dans cette maison, parce que lui aussi est un descendant d'Abraham. 

10 Car le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ceux qui étaient perdus. »




dimanche 16 octobre 2022

Lc 18, 1-8

 Lectures bibliques : Si 35, 11-22 ; Mt 6, 6-8 ; Lc 18, 1-8 

Thématique : la foi, la prière et la recherche de la justice

Prédication de Pascal LEFEBVRE - 16/10/22 – à Bordeaux (temple du Hâ)

(Partiellement inspiré d’une méditation de Sébastien Doane)


Quand le Fils de l’homme reviendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? 

C’est la question que se posait l’évangéliste Luc, il y a des siècles… et qui se pose aujourd’hui encore. 


Est-ce que la foi chrétienne va échouer ou réussir à favoriser l’émergence du monde nouveau de Dieu ? 

Va-t-elle parvenir à faire advenir un monde meilleur ? 

ou le christianisme va-t-il mourir parce que les croyants n’y croient plus ?... par lassitude, perte d’intérêt ou découragement… 


A priori, si Luc met ces paroles dans la bouche de Jésus, à la fin de cette parabole, c’est qu’il est inquiet à ce sujet. 

Il sait, bien sûr, que le salut vient de Dieu, qu’il est opéré par notre Père céleste, par grâce, par amour… mais il sait aussi qu’il existe une responsabilité humaine dans la réception et la réalisation du salut … car Jésus annonce partout dans l’Evangile que la foi – la confiance – peut transformer les situations et déplacer des montagnes de problèmes. 


Alors, que se passera-t-il si les croyants se découragent ? si la foi s’affaiblit ou vient à disparaitre ?


Il ne s’agit pas d’une question rhétorique, mais d’une question existentielle et sociétale. 

Et d’ailleurs, nous pouvons en éprouver les effets autour de nous aujourd’hui. Car nous voyons bien que, quand la confiance diminue, les choses vont mal.


L’INSEE – en France – s’occupe à mesurer régulièrement l’indice de confiance des ménages. Bien sûr, ce n’est pas l’indice de confiance en Dieu… ni dans le retour potentiel du Christ… ni dans le fait que le Règne de Dieu est en train d’advenir… 


Ce n’est qu’un indice mesurant l’opinion et la confiance des français quant à la situation économique. C’est donc beaucoup moins important … car on sait en lisant l’évangile que ce n’est pas l’économie (l’argent ou Mammon) qui va apporter le salut – la guérison – du monde. C’est autre chose, c’est un changement de mentalité, une conversion individuelle et collective, qui peut faire que du « vraiment nouveau » va pouvoir surgir dans notre monde. 


Pour autant, même à travers cet indice de confiance des ménages… on voit que le moral des français et leur niveau de confiance sont au plus bas depuis quelques mois : 

Les français se révèlent de plus en plus pessimistes quant à l’évolution de leur situation financière, leur pouvoir d’achat, leur capacité d’épargne future et l’évolution à venir de leur niveau de vie, face à la crise énergétique, à la récession, au chômage, à l’inflation, à l’endettement colossal du pays, et à la guerre en Ukraine. 

Et quand la confiance n’est plus là… plus rien ne bouge : on a peur, on est inquiet, on sombre dans le pessimisme et surtout dans l’immobilisme. 


Heureusement… il ne s’agit que d’une opinion relative à la situation économique… mais il ne s’agit pas du salut du monde… ni de notre niveau de confiance en Dieu. Car, justement, lui, il a toutes les raisons d’être élevé. 


En écoutant cette parabole de « la veuve importune », nous avons, en effet, toutes les raisons de revoir à la hausse notre niveau de confiance. 


Vous remarquerez d’ailleurs que dans cette petite histoire, la pauvre veuve est loin de se laisser affaiblir et décourager par les circonstances contraires et parfois affligeantes de la vie. 

Elle n’a pas peur de prendre des initiatives et même casser les oreilles à son entourage, y compris à un notable, un juge. 


Son niveau de confiance reste donc au top… malgré les malheurs qui l’accablent … et c’est grâce à cette foi incroyable qu’elle se bouge, qu’elle s’active… et qu’elle va finalement obtenir justice et réparation… à force d’insistance et de persévérance. 


La morale de l’histoire est donnée en introduction dans le préambule : « Jésus leur dit une parabole sur la nécessité pour eux de prier constamment et de ne pas se décourager ». 


Mais l’intérêt de l’histoire est surtout de lier la foi et la prière. 

Car au fond, si la veuve prie activement le juge, c’est surtout parce qu’elle y croit : elle a foi, non pas en l’homme, mais en la justice !


Et là où il y a la foi, il y a aussi la prière. 


Focalisons-nous quelques instants sur cette petite parabole : 


Le texte présente 2 personnages opposés : 

  • - D’un côté, une pauvre femme veuve qui n’a rien. Elle incarne la fragilité sociale. Et elle subit une situation d’injustice. 
  • - De l’autre, un juge, personnage reconnu et puissant, mais sans conscience ni moralité. Puisqu’il ne craint pas Dieu et n’a aucun égard pour ses semblables. 


Tout laisse à penser que la cause de la pauvre femme est perdue d’avance : La femme seule et démunie n’a rien à attendre de ce juge inique, qui certainement ne regarde que son propre intérêt ou celui des justiciables déjà reconnus ou privilégiés. 

Il n’a certainement rien à faire de cette pauvre femme, qui ne peut rien lui apporter, à part des plaintes ou des ennuis. 


Mais, pourtant, l’évangile met en relief un retournement : C’est la surprise de la parabole.

Alors que tout semble perdu d’avance, l’obstination de la veuve a finalement raison de l’obstruction du juge. 


En effet, cette femme, dans son dénuement, possède quelque chose de déterminant : Elle a, avec elle, la foi, le courage et la ténacité, pour faire valoir son bon droit. 


Avec cela, elle va ennuyer le juge, elle va lui casser la tête, comme le dit précisément notre texte. 

C’est seulement avec cette conviction qu’elle est dans son droit et avec cette persévérance malgré les obstacles, qu’elle arrive à ses fins. 


Il finira par céder : pour avoir la paix ! 

Non pas parce que tout d’un coup, ce juge serait pris de compassion pour cette pauvre victime, mais par égoïsme… parce que « lui donner raison » est finalement un moyen de s’en débarrasser. 


L’Evangile nous donne donc cette femme comme un modèle de foi. 

Qu’est-ce que cela signifie pour nous ? 


Cela signifie deux choses : d’une part, cela veut dire que lorsque nous cherchons la justice, lorsque nous souhaitons lutter contre des situations d’injustice… nous ne devons pas nous résigner, ni baisser les bras… mais garder confiance. 

D’autre part, cela montre que la foi est indissociable de la persévérance – nous pourrions dire : de l’entêtement.


Dans une époque où souvent nous vivons dans l’immédiateté… nous attendons tout, tout de suite… nous voulons avoir ou voir des résultats rapidement… cette parabole nous assure que cela ne fonctionne pas comme ça pour les choses importantes. Le temps de Dieu, comme celui de la justice, n’est pas le temps des hommes. 


La foi doit être capable de soutenir notre patience et notre persévérance. 


D’ailleurs, cette parabole que Jésus propose est vraiment audacieuse : 

Car il en vient presque à établir une comparaison entre Dieu et un juge injuste. Ce qui a dû certainement choquer son auditoire. 


Mais cette comparaison sert juste de moyen de prise de conscience :

Si un juge dépourvu d’éthique et se moquant de tout, finit par céder à une plaignante obstinée… à combien, plus forte raison, Dieu – qui Lui est Juste – écoutera-t-il les demandes et les supplications de celles et ceux qui croient en Lui. 


La parabole nous assure que si notre cause est juste, nous obtiendrons certainement une réponse attentive et positive de la part de Dieu. 

Mais, nous le savons, Dieu ne répond pas toujours dans l’immédiat, ni comme nous l’attendons. 


En d’autres termes, comme la veuve, nous ne devons pas nous décourager, mais accepter que cette réponse ne vienne pas tout de suite, ni de la façon dont nous l’avons imaginé. 

Car il est probable que Dieu apporte une meilleure réponse pour nous – plus adaptée à nos besoins – que celle à laquelle nous avions pu songer initialement. 


La parabole s’achève par une promesse faites « aux élus qui crient vers Lui, jour et nuit » : « je vous le déclare, il fera justice bien vite ! » (v.8).


A travers cette histoire, Jésus incite à se fier à ces moyens qui semblent a priori si faibles ou dérisoires : la foi et la prière. 

Car leur puissance dépasse en fait celle de tous les détenteurs du pouvoir extérieur.


Elle nous rappelle que, dans la prière, nous trouvons déjà des réponses : 

Dans la prière, l’être humain se sait entendu, reconnu et aimé… il accède en réalité à tous ses droits : droit à la vie, à l’assistance, à la dignité. Les autres ne peuvent plus rien contre nous. 


Il en va de ceux qui peuvent nous blesser, nous malmener, nous persécuter… comme des évènements difficiles qui peuvent se présenter sur notre route…  nous pouvons tout surmonter en gardant la foi et la prière. 


N’est-ce pas d’ailleurs ce que le Jésus a fait ? 

Même les meurtriers n’ont pas pu atteindre la dignité du Christ, ni triompher de lui… lorsqu’il priait sur la croix. 


Cette parabole restaure donc notre confiance dans le fait que Dieu nous accompagne et nous entend… même lorsque tout semble aller de travers dans notre vie… même lorsque nous affrontons des épreuves difficiles. Il nous faut garder la foi et la patience… et persévérer comme cette femme. 


Historiquement, cette bonne nouvelle de l’Evangile – qui affirme que la justice de Dieu finira par se manifester – a été d’un grand secours pour les premières communautés chrétiennes, qui ont dû affronter de nombreuses questions et lutter contre le découragement face aux épreuves. Car les disciples ont dû faire face au départ du Christ. Dans ces conditions : 

  • - Comment faire face devant l’absence de Jésus ?
  • - Épreuve de l’attente : est-ce que le Christ va revenir ? Quand reviendra-t-il ?
  • - Comment se fait-il que des croyants subissent des situations de rejet ou de persécutions ? Quand Dieu va-t-il enfin se manifester ? 
  • - Quand le Royaume de Dieu va-t-il advenir ? 
  • - Quel sera le sort de tous les croyants qui ont fait confiance au Dieu de Jésus- Christ après la mort ? Seront-ils sauvés ?
  • - Est-ce que Dieu est sourd aux prières qui lui sont adressées ? Pourquoi sa justice semble tarder ?


Les premiers chrétiens avaient la conviction de vivre à l’aube de la fin des temps. Ils attendaient donc avec impatience le jour de la venue du Seigneur. Ce qu’on appelle « la parousie ». Mais face à la longue attente, certains commençaient à se décourager. 


Face à ces questions, la parabole apporte un message d’apaisement et d’encouragement : il faut seulement garder la foi… Car la justice de Dieu va se manifester, soyons-en assurés !


Personne ne sait quand, ni comment… mais l’avènement du monde nouveau de Dieu est inéluctable. C’est juste une question de temps… donc de patience et de ténacité ! 


C’est pour cette raison que la question est clairement posée à la fin du passage : « le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? »


L’enjeu de l’enseignement de Jésus ne concerne donc pas seulement la constance dans la prière – comme le laisserait penser le début du passage – mais la présence ou l’absence de la foi, ici et maintenant, et jusqu’à la fin des temps. 


La parabole montre que Dieu n’est pas comme un homme puissant : 

il n’est pas comme ce vieux juge indiffèrent et inéquitable, pour qui l’on doit prier et crier, pour que finalement il puisse nous entendre.

L’idée n’est pas de le prier pour faire changer son jugement. 


En réalité, la persistance dans la foi, comme dans la prière, est plus importante pour nous (qui sommes peut-être comme la veuve) que pour Lui. 


Il est si facile de se lasser, de se décourager… ou encore de s’emballer pour des projets attrayants, mais éphémères. 


Or, à bien y regarder, c’est la foi endurante de cette femme qui produit des changements et qui est source de transformation. 

C’est là ce que veut nous faire percevoir Jésus avec cette parabole. 


Elle nous rappelle que ce qu’il y a de plus important dans la vie des Chrétiens, c’est l’avènement du Royaume… et cela ne se fera pas sans notre foi. 


C’est ce que Jésus montrait inlassablement à ses disciples, lui qui leur a fait toucher le règne de Dieu, grâce à sa pleine confiance dans le Père céleste. 


En réalité, la prière dont parle ce texte de l’évangile n’est pas une simple prière de demande répétée jour et nuit. 

Jésus dit ailleurs, dans ses sermons, qu’il est inutile de rabâcher les mêmes mots devant Dieu, car il sait ce dont nous avons besoin (cf. Mt 6, 7-8). 


C’est davantage un appel à la transformation de soi et du monde que l’on peut entendre ici :


Par la prière – jour après jour – nous devenons conscients de la transformation personnelle et intérieure qui dure toute une vie. 

Par la prière, nous trouvons la force de persévérer. 

Par la prière, nous devenons aussi conscients de la transformation sociale nécessaire, pour construire un monde plus juste : un monde dans lequel la veuve obtient la justice qu’elle mérite. 


C’est la femme, avec sa foi, sa prière, sa ténacité, qui fait advenir le monde nouveau de Dieu. 


A l’image de cette veuve, l’évangile nous apprend à reconnaitre les injustices de notre monde et à nous engager à les dénoncer, pour faire advenir ce monde meilleur. 

La prière permet de continuer à croire à ce monde nouveau, initié par Jésus, et voulu par Dieu, et de travailler pour le faire advenir. 


Malheureusement, il y a beaucoup de travail en perspective… car il y a tant d’injustices dans le monde. 


Même si les choses ont évolué depuis l’époque de Jésus… nous savons que, dans notre pays, notre propre système judiciaire rencontre des problèmes importants… et je ne parle pas des pays qui ne font aucune place aux revendications des femmes, lorsqu’elles sont victimes de violences. 


Dans le monde, on estime – par exemple – que 736 millions de femmes - soit près d’une sur trois - ont subi au moins une fois des violences physiques et/ou sexuelles de la part d’un partenaire intime, et/ou des violences sexuelles de la part d’une autre personne (30 pour cent des femmes de plus de 15 ans).


On sait que les violences faites aux femmes touchent de manière disproportionnée les pays et régions à faibles et moyens revenus : l’Inde, l’Afghanistan, la Syrie, la Somalie, l’Arabie Saoudite, la RDC, le Nigéria… mais aussi les États-Unis (qui est dans le top 10 des pays les plus dangereux pour les femmes). 


Même en France, l’impunité de la majorité des viols est complétement inacceptable. On sait que la plupart des agressions sexuelles ne sont pas déclarées et qu’un faible pourcentage des agressions déclarées mènent réellement à une condamnation. 


Cette réalité ne parle pas : elle crie ! 

2000 ans plus tard, ces femmes bafouées par la justice se retrouvent dans la même situation que la veuve : elles réclament justice ! 


Dans la plupart des cas, si elles en ont la possibilité, les moyens et le courage, elles doivent se battre dans une longue procédure souvent humiliante, en vue d’obtenir la reconnaissance de leur statut de victime et de leur droit. 


Les deux personnages de la parabole sont donc, en réalité, des familiers de notre monde actuel : il y a encore des « femmes qui demandent justice » et des « juges inéquitables ». 


Initialement, cette parabole appelait les chrétiens à persévérer dans la foi dans l’attente du retour du Seigneur. 

Puisque nous sommes toujours dans ce temps d’attente, elle nous appelle à ne pas baisser les bras… mais, au contraire, à agir, en attendant la pleine manifestation du Règne de Dieu. 


C’est d’ailleurs, l’exhortation de Jésus Christ dans ses sermons : « cherchez le règne de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera donné en plus ! » (Mt 6,33).


Il nous faut garder cette foi…. et cette soif de la justice… à laquelle le Christ nous appelle. 


La prière persévérante est en réalité un appel adressé au Seigneur pour qu’il nous épaule et nous soutienne dans cet objectif : 


Que nous soyons encouragés dans l’engagement personnel quotidien pour l’amour du prochain, pour la justice, le droit et l’équité… au nom de notre foi : la confiance que nous donne Jésus Christ.


Soyons donc des artisans du Règne de Dieu ! Il nous appelle !


Amen.