Lectures bibliques : Si 35, 11-22 ; Mt 6, 6-8 ; Lc 18, 1-8
Thématique : la foi, la prière et la recherche de la justice
Prédication de Pascal LEFEBVRE - 16/10/22 – à Bordeaux (temple du Hâ)
(Partiellement inspiré d’une méditation de Sébastien Doane)
Quand le Fils de l’homme reviendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ?
C’est la question que se posait l’évangéliste Luc, il y a des siècles… et qui se pose aujourd’hui encore.
Est-ce que la foi chrétienne va échouer ou réussir à favoriser l’émergence du monde nouveau de Dieu ?
Va-t-elle parvenir à faire advenir un monde meilleur ?
ou le christianisme va-t-il mourir parce que les croyants n’y croient plus ?... par lassitude, perte d’intérêt ou découragement…
A priori, si Luc met ces paroles dans la bouche de Jésus, à la fin de cette parabole, c’est qu’il est inquiet à ce sujet.
Il sait, bien sûr, que le salut vient de Dieu, qu’il est opéré par notre Père céleste, par grâce, par amour… mais il sait aussi qu’il existe une responsabilité humaine dans la réception et la réalisation du salut … car Jésus annonce partout dans l’Evangile que la foi – la confiance – peut transformer les situations et déplacer des montagnes de problèmes.
Alors, que se passera-t-il si les croyants se découragent ? si la foi s’affaiblit ou vient à disparaitre ?
Il ne s’agit pas d’une question rhétorique, mais d’une question existentielle et sociétale.
Et d’ailleurs, nous pouvons en éprouver les effets autour de nous aujourd’hui. Car nous voyons bien que, quand la confiance diminue, les choses vont mal.
L’INSEE – en France – s’occupe à mesurer régulièrement l’indice de confiance des ménages. Bien sûr, ce n’est pas l’indice de confiance en Dieu… ni dans le retour potentiel du Christ… ni dans le fait que le Règne de Dieu est en train d’advenir…
Ce n’est qu’un indice mesurant l’opinion et la confiance des français quant à la situation économique. C’est donc beaucoup moins important … car on sait en lisant l’évangile que ce n’est pas l’économie (l’argent ou Mammon) qui va apporter le salut – la guérison – du monde. C’est autre chose, c’est un changement de mentalité, une conversion individuelle et collective, qui peut faire que du « vraiment nouveau » va pouvoir surgir dans notre monde.
Pour autant, même à travers cet indice de confiance des ménages… on voit que le moral des français et leur niveau de confiance sont au plus bas depuis quelques mois :
Les français se révèlent de plus en plus pessimistes quant à l’évolution de leur situation financière, leur pouvoir d’achat, leur capacité d’épargne future et l’évolution à venir de leur niveau de vie, face à la crise énergétique, à la récession, au chômage, à l’inflation, à l’endettement colossal du pays, et à la guerre en Ukraine.
Et quand la confiance n’est plus là… plus rien ne bouge : on a peur, on est inquiet, on sombre dans le pessimisme et surtout dans l’immobilisme.
Heureusement… il ne s’agit que d’une opinion relative à la situation économique… mais il ne s’agit pas du salut du monde… ni de notre niveau de confiance en Dieu. Car, justement, lui, il a toutes les raisons d’être élevé.
En écoutant cette parabole de « la veuve importune », nous avons, en effet, toutes les raisons de revoir à la hausse notre niveau de confiance.
Vous remarquerez d’ailleurs que dans cette petite histoire, la pauvre veuve est loin de se laisser affaiblir et décourager par les circonstances contraires et parfois affligeantes de la vie.
Elle n’a pas peur de prendre des initiatives et même casser les oreilles à son entourage, y compris à un notable, un juge.
Son niveau de confiance reste donc au top… malgré les malheurs qui l’accablent … et c’est grâce à cette foi incroyable qu’elle se bouge, qu’elle s’active… et qu’elle va finalement obtenir justice et réparation… à force d’insistance et de persévérance.
La morale de l’histoire est donnée en introduction dans le préambule : « Jésus leur dit une parabole sur la nécessité pour eux de prier constamment et de ne pas se décourager ».
Mais l’intérêt de l’histoire est surtout de lier la foi et la prière.
Car au fond, si la veuve prie activement le juge, c’est surtout parce qu’elle y croit : elle a foi, non pas en l’homme, mais en la justice !
Et là où il y a la foi, il y a aussi la prière.
Focalisons-nous quelques instants sur cette petite parabole :
Le texte présente 2 personnages opposés :
- - D’un côté, une pauvre femme veuve qui n’a rien. Elle incarne la fragilité sociale. Et elle subit une situation d’injustice.
- - De l’autre, un juge, personnage reconnu et puissant, mais sans conscience ni moralité. Puisqu’il ne craint pas Dieu et n’a aucun égard pour ses semblables.
Tout laisse à penser que la cause de la pauvre femme est perdue d’avance : La femme seule et démunie n’a rien à attendre de ce juge inique, qui certainement ne regarde que son propre intérêt ou celui des justiciables déjà reconnus ou privilégiés.
Il n’a certainement rien à faire de cette pauvre femme, qui ne peut rien lui apporter, à part des plaintes ou des ennuis.
Mais, pourtant, l’évangile met en relief un retournement : C’est la surprise de la parabole.
Alors que tout semble perdu d’avance, l’obstination de la veuve a finalement raison de l’obstruction du juge.
En effet, cette femme, dans son dénuement, possède quelque chose de déterminant : Elle a, avec elle, la foi, le courage et la ténacité, pour faire valoir son bon droit.
Avec cela, elle va ennuyer le juge, elle va lui casser la tête, comme le dit précisément notre texte.
C’est seulement avec cette conviction qu’elle est dans son droit et avec cette persévérance malgré les obstacles, qu’elle arrive à ses fins.
Il finira par céder : pour avoir la paix !
Non pas parce que tout d’un coup, ce juge serait pris de compassion pour cette pauvre victime, mais par égoïsme… parce que « lui donner raison » est finalement un moyen de s’en débarrasser.
L’Evangile nous donne donc cette femme comme un modèle de foi.
Qu’est-ce que cela signifie pour nous ?
Cela signifie deux choses : d’une part, cela veut dire que lorsque nous cherchons la justice, lorsque nous souhaitons lutter contre des situations d’injustice… nous ne devons pas nous résigner, ni baisser les bras… mais garder confiance.
D’autre part, cela montre que la foi est indissociable de la persévérance – nous pourrions dire : de l’entêtement.
Dans une époque où souvent nous vivons dans l’immédiateté… nous attendons tout, tout de suite… nous voulons avoir ou voir des résultats rapidement… cette parabole nous assure que cela ne fonctionne pas comme ça pour les choses importantes. Le temps de Dieu, comme celui de la justice, n’est pas le temps des hommes.
La foi doit être capable de soutenir notre patience et notre persévérance.
D’ailleurs, cette parabole que Jésus propose est vraiment audacieuse :
Car il en vient presque à établir une comparaison entre Dieu et un juge injuste. Ce qui a dû certainement choquer son auditoire.
Mais cette comparaison sert juste de moyen de prise de conscience :
Si un juge dépourvu d’éthique et se moquant de tout, finit par céder à une plaignante obstinée… à combien, plus forte raison, Dieu – qui Lui est Juste – écoutera-t-il les demandes et les supplications de celles et ceux qui croient en Lui.
La parabole nous assure que si notre cause est juste, nous obtiendrons certainement une réponse attentive et positive de la part de Dieu.
Mais, nous le savons, Dieu ne répond pas toujours dans l’immédiat, ni comme nous l’attendons.
En d’autres termes, comme la veuve, nous ne devons pas nous décourager, mais accepter que cette réponse ne vienne pas tout de suite, ni de la façon dont nous l’avons imaginé.
Car il est probable que Dieu apporte une meilleure réponse pour nous – plus adaptée à nos besoins – que celle à laquelle nous avions pu songer initialement.
La parabole s’achève par une promesse faites « aux élus qui crient vers Lui, jour et nuit » : « je vous le déclare, il fera justice bien vite ! » (v.8).
A travers cette histoire, Jésus incite à se fier à ces moyens qui semblent a priori si faibles ou dérisoires : la foi et la prière.
Car leur puissance dépasse en fait celle de tous les détenteurs du pouvoir extérieur.
Elle nous rappelle que, dans la prière, nous trouvons déjà des réponses :
Dans la prière, l’être humain se sait entendu, reconnu et aimé… il accède en réalité à tous ses droits : droit à la vie, à l’assistance, à la dignité. Les autres ne peuvent plus rien contre nous.
Il en va de ceux qui peuvent nous blesser, nous malmener, nous persécuter… comme des évènements difficiles qui peuvent se présenter sur notre route… nous pouvons tout surmonter en gardant la foi et la prière.
N’est-ce pas d’ailleurs ce que le Jésus a fait ?
Même les meurtriers n’ont pas pu atteindre la dignité du Christ, ni triompher de lui… lorsqu’il priait sur la croix.
Cette parabole restaure donc notre confiance dans le fait que Dieu nous accompagne et nous entend… même lorsque tout semble aller de travers dans notre vie… même lorsque nous affrontons des épreuves difficiles. Il nous faut garder la foi et la patience… et persévérer comme cette femme.
Historiquement, cette bonne nouvelle de l’Evangile – qui affirme que la justice de Dieu finira par se manifester – a été d’un grand secours pour les premières communautés chrétiennes, qui ont dû affronter de nombreuses questions et lutter contre le découragement face aux épreuves. Car les disciples ont dû faire face au départ du Christ. Dans ces conditions :
- - Comment faire face devant l’absence de Jésus ?
- - Épreuve de l’attente : est-ce que le Christ va revenir ? Quand reviendra-t-il ?
- - Comment se fait-il que des croyants subissent des situations de rejet ou de persécutions ? Quand Dieu va-t-il enfin se manifester ?
- - Quand le Royaume de Dieu va-t-il advenir ?
- - Quel sera le sort de tous les croyants qui ont fait confiance au Dieu de Jésus- Christ après la mort ? Seront-ils sauvés ?
- - Est-ce que Dieu est sourd aux prières qui lui sont adressées ? Pourquoi sa justice semble tarder ?
Les premiers chrétiens avaient la conviction de vivre à l’aube de la fin des temps. Ils attendaient donc avec impatience le jour de la venue du Seigneur. Ce qu’on appelle « la parousie ». Mais face à la longue attente, certains commençaient à se décourager.
Face à ces questions, la parabole apporte un message d’apaisement et d’encouragement : il faut seulement garder la foi… Car la justice de Dieu va se manifester, soyons-en assurés !
Personne ne sait quand, ni comment… mais l’avènement du monde nouveau de Dieu est inéluctable. C’est juste une question de temps… donc de patience et de ténacité !
C’est pour cette raison que la question est clairement posée à la fin du passage : « le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? »
L’enjeu de l’enseignement de Jésus ne concerne donc pas seulement la constance dans la prière – comme le laisserait penser le début du passage – mais la présence ou l’absence de la foi, ici et maintenant, et jusqu’à la fin des temps.
La parabole montre que Dieu n’est pas comme un homme puissant :
il n’est pas comme ce vieux juge indiffèrent et inéquitable, pour qui l’on doit prier et crier, pour que finalement il puisse nous entendre.
L’idée n’est pas de le prier pour faire changer son jugement.
En réalité, la persistance dans la foi, comme dans la prière, est plus importante pour nous (qui sommes peut-être comme la veuve) que pour Lui.
Il est si facile de se lasser, de se décourager… ou encore de s’emballer pour des projets attrayants, mais éphémères.
Or, à bien y regarder, c’est la foi endurante de cette femme qui produit des changements et qui est source de transformation.
C’est là ce que veut nous faire percevoir Jésus avec cette parabole.
Elle nous rappelle que ce qu’il y a de plus important dans la vie des Chrétiens, c’est l’avènement du Royaume… et cela ne se fera pas sans notre foi.
C’est ce que Jésus montrait inlassablement à ses disciples, lui qui leur a fait toucher le règne de Dieu, grâce à sa pleine confiance dans le Père céleste.
En réalité, la prière dont parle ce texte de l’évangile n’est pas une simple prière de demande répétée jour et nuit.
Jésus dit ailleurs, dans ses sermons, qu’il est inutile de rabâcher les mêmes mots devant Dieu, car il sait ce dont nous avons besoin (cf. Mt 6, 7-8).
C’est davantage un appel à la transformation de soi et du monde que l’on peut entendre ici :
Par la prière – jour après jour – nous devenons conscients de la transformation personnelle et intérieure qui dure toute une vie.
Par la prière, nous trouvons la force de persévérer.
Par la prière, nous devenons aussi conscients de la transformation sociale nécessaire, pour construire un monde plus juste : un monde dans lequel la veuve obtient la justice qu’elle mérite.
C’est la femme, avec sa foi, sa prière, sa ténacité, qui fait advenir le monde nouveau de Dieu.
A l’image de cette veuve, l’évangile nous apprend à reconnaitre les injustices de notre monde et à nous engager à les dénoncer, pour faire advenir ce monde meilleur.
La prière permet de continuer à croire à ce monde nouveau, initié par Jésus, et voulu par Dieu, et de travailler pour le faire advenir.
Malheureusement, il y a beaucoup de travail en perspective… car il y a tant d’injustices dans le monde.
Même si les choses ont évolué depuis l’époque de Jésus… nous savons que, dans notre pays, notre propre système judiciaire rencontre des problèmes importants… et je ne parle pas des pays qui ne font aucune place aux revendications des femmes, lorsqu’elles sont victimes de violences.
Dans le monde, on estime – par exemple – que 736 millions de femmes - soit près d’une sur trois - ont subi au moins une fois des violences physiques et/ou sexuelles de la part d’un partenaire intime, et/ou des violences sexuelles de la part d’une autre personne (30 pour cent des femmes de plus de 15 ans).
On sait que les violences faites aux femmes touchent de manière disproportionnée les pays et régions à faibles et moyens revenus : l’Inde, l’Afghanistan, la Syrie, la Somalie, l’Arabie Saoudite, la RDC, le Nigéria… mais aussi les États-Unis (qui est dans le top 10 des pays les plus dangereux pour les femmes).
Même en France, l’impunité de la majorité des viols est complétement inacceptable. On sait que la plupart des agressions sexuelles ne sont pas déclarées et qu’un faible pourcentage des agressions déclarées mènent réellement à une condamnation.
Cette réalité ne parle pas : elle crie !
2000 ans plus tard, ces femmes bafouées par la justice se retrouvent dans la même situation que la veuve : elles réclament justice !
Dans la plupart des cas, si elles en ont la possibilité, les moyens et le courage, elles doivent se battre dans une longue procédure souvent humiliante, en vue d’obtenir la reconnaissance de leur statut de victime et de leur droit.
Les deux personnages de la parabole sont donc, en réalité, des familiers de notre monde actuel : il y a encore des « femmes qui demandent justice » et des « juges inéquitables ».
Initialement, cette parabole appelait les chrétiens à persévérer dans la foi dans l’attente du retour du Seigneur.
Puisque nous sommes toujours dans ce temps d’attente, elle nous appelle à ne pas baisser les bras… mais, au contraire, à agir, en attendant la pleine manifestation du Règne de Dieu.
C’est d’ailleurs, l’exhortation de Jésus Christ dans ses sermons : « cherchez le règne de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera donné en plus ! » (Mt 6,33).
Il nous faut garder cette foi…. et cette soif de la justice… à laquelle le Christ nous appelle.
La prière persévérante est en réalité un appel adressé au Seigneur pour qu’il nous épaule et nous soutienne dans cet objectif :
Que nous soyons encouragés dans l’engagement personnel quotidien pour l’amour du prochain, pour la justice, le droit et l’équité… au nom de notre foi : la confiance que nous donne Jésus Christ.
Soyons donc des artisans du Règne de Dieu ! Il nous appelle !
Amen.
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