lundi 24 décembre 2018

Une lecture symbolique des récits de Noël

Lectures bibliques : Luc 2, 4-14 ; Matthieu 2, 9-15

Veillée de Noël  - 24/12/2018 - temple du Hâ - Bordeaux-ville

Prédication de Pascal LEFEBVRE


Vous le savez comme moi, nous avons tous besoin de rites et de symboles pour éclairer notre quotidien, pour lui donner du sens. Et si vous êtes là ce soir, à cette veillée, ce n’est pas par hasard ! 


Le temps de Noël est auréolé de symboles : le plus connu de tous, peut-être, qu’on soit croyant ou non-croyant, est le sapin de Noël qu’on place  sur les places publiques des centres villes, comme dans les séjours des maisons : Le sapin - un arbre qui ne perd pas son feuillage, qui reste vert toute l’année - est le symbole de la vie, de la constance, de l’espérance. 


Au milieu du solstice d’hiver, lorsque la nuit est la plus longue de l’année dans l’hémisphère nord et les jours les plus courts… lorsqu’il fait froid au milieu de la solitude de l’hiver…  le sapin de Noël, toujours vert, signifie que la vie est là, malgré tout… que l’espérance peut toujours poindre et renaître… Le sapin - parfois décoré de lumières et de guirlandes - est signe d’espérance et de vitalité, au milieu de la nuit, du froid et de l’hiver. 


Aujourd’hui encore, autour de nous, se cachent de nombreux objets symboliques… Et, il y a 2000 ans, les hommes n’étaient pas différents : ils aimaient aussi placer des signes, des symboles, ici ou là, au milieu du quotidien, comme dans les récits, les mythes et les légendes. 


D’ailleurs, l’Evangile lui-même regorge de symboles qui étaient signifiants pour les premiers chrétiens… des symboles, dont il faut parfois retrouver le sens, 2000 ans plus tard… car nous avons pu en perdre les codes. 


Ainsi, lorsqu’on ouvre la Bible… au-delà des faits racontés… il est bon de se demander ce que les rédacteurs ont voulu dire et transmettre de leur foi, de leur manière de comprendre la vie et leurs relations à Dieu. 


Tout cela est vrai aussi pour les récits bien connus autour de la nativité. 


Beaucoup de nos contemporains - surtout en dehors des Eglises - s’interrogent sur les récits de Noël… ils se demandent comment on peut encore croire - au 21e siècle : à la vierge Marie, aux mages, à l’étoile, etc.


Ils ont raison de se poser toutes ces questions. Car on vit dans un monde très matérialiste et rationnel. Mais, peut-être, devraient-ils également accepter d’avoir une autre lecture de l’Evangile : une lecture moins terre-à-terre, moins littéraliste. 


Les théologiens le savent tous : les récits de conception, de naissance et d’enfance de Jésus sont des récits tardifs, qui ont été écrits plusieurs décennies après la mort de Jésus et peut-être même un siècle après sa naissance. 

Il ne racontent pas une histoire - au sens historique du mot - telle que nous pouvons l’entendre aujourd’hui. Ce ne sont pas les rapports fidèles d’une enquête policière ou journalistique, qui décriraient comment les faits se sont déroulés précisément. Mais, ce sont des récits, des témoignages de foi, qui disent la confiance des premiers chrétiens, qui étaient Jésus pour eux… Ces récits sont chargés de signes et de symboles. 


Nous sommes donc autorisés à ne pas les entendre comme des faits historiques objectifs (si tant est que cela existe, car un fait est toujours observé depuis notre expérience, notre subjectivité), mais à les recevoir comme des récits subjectifs et interprétatifs, qui prennent appui sur des Ecritures qui se verraient accomplies en Jésus Christ, et qui nous ouvrent à une lecture symbolique. 


Oui… Au 21e siècle, dans notre monde où l’approche scientifique des choses est souvent prépondérante… on peut croire en Dieu, croire au message de Noël… sans croire forcément à la virginité de Marie, ni aux mages d’orient venus offrir leurs cadeaux… Mais encore faut-il savoir ce que tout cela peut vouloir dire. 


Pour ma part, j’aurais tendance à dire que, dans les récits de Noël, tout est symbole, tout revêt un sens second, au-delà des détails immédiats. 


Je vous propose - ce soir - de nous arrêter rapidement sur quelques uns de ces aspects, sur quelques détails de ces récits qu’on trouve dans les évangiles de Matthieu et Luc :


* Premièrement - commençons par l’aspect le plus fondamental - le nom de « Jésus ». Jésus veut dire « Dieu sauve ». Le nom même de Jésus signifie que Dieu s’approche de nous les humains, à travers un enfant, qui deviendra un homme, qui sera le porteur de l’Esprit de Dieu. 


En Jésus, Dieu sauve : cela veut dire que - pour les premiers chrétiens - Jésus - est venu apporter la libération, la délivrance, la guérison, la paix qui viennent de Dieu… C’est un message de transformation… qui nous appelle au changement, à une vie nouvelle, dont Jésus est à la fois le modèle (le paradigme) et le révélateur. 


* Ensuite, l’histoire de la virginité de Marie est aussi le symbole d’une conception, d’une naissance extraordinaire. C’est une manière de signifier - à travers une sorte de conception surnaturelle, pour ne pas miraculeuse - que Dieu est déjà là, à l’oeuvre dans le coeur de cette jeune femme qu’est Marie. 


Avant même la conception et la venue de Jésus, c’est l’Esprit saint qui agit… L’Esprit de Dieu est là … et Jésus sera le porteur de cet Esprit saint… puisque cette présence de Dieu, son Souffle, lui a été donné dès avant sa naissance, selon les évangélistes Matthieu et Luc. 


Pour Marc, le point de vue est un peu différent. Tout commence au moment du baptême de Jésus. C’est là qu’il reçoit le Souffle de Dieu. Jésus est, en quelque sorte, choisi et adopté par Dieu à ce moment là. 


* Dans son récit, l’évangéliste Luc met en avant le nom de « Fils du très haut » ou « Fils de Dieu » (cf. Lc 1, 30-35). C’est un terme capital, qui veut signifier une présence : Dans une famille, le Fils est l’héritier, celui qui est amené à posséder tous les biens du Père. 

Jésus est ainsi présenté comme le « fils spirituel » de Dieu… celui qui va incarner sa présence. 

L’expression « Fils » a un sens de représentation : le fils est celui qui représente son père : il est son lieu-tenant…  un peu à la manière d’un diplomate qui est envoyé dans un pays étranger, pour représenter son pays d’origine… On dit de lui qu’il est le fils du roi, le représentant du roi… Ainsi Jésus, en tant que fils de Dieu -  non pas selon la chair, mais selon l’Esprit (cf. Rm 1,3-4) - est l’envoyé de Dieu : c’est-à-dire que pour les hommes, il présente Dieu, il nous le fait connaître… et il le représente : ils nous dit l’amour de Dieu. Il incarne sa volonté. 


[Dans l’évangile de Matthieu, ce Jésus est d’emblée présenté comme « l’Emmanuel » : ce qui signifie « Dieu avec nous » : cette signification était parlante pour tous les contemporains du 1er siècle. 

Pour eux, non seulement Jésus présentait Dieu, mais manifestait sa présence et son salut. Pour eux, Jésus manifestait l’offre de Dieu… la proposition de solidarité, de communion de Dieu offerte à l’humanité.]


* Les détails du récit, les conditions extérieures de la naissance de Jésus, sont aussi révélateur du dessein de Dieu : Jésus ne naît pas dans la salle d’hôtes, à l’hôtel, comme les autres enfants, mais dans une grotte, plus précisément dans une mangeoire. 

Ce détail a une signification théologique. En déposant son bébé dans un tel objet, Marie prophétise la mission de Jésus : être la nourriture des hommes. 

La fonction de tout aliment est de nourrir, de fortifier, de vitaliser, pour permettre d’avancer, pour animer, faire grandir, permettre de croitre et d’évoluer. 


Ce détail du récit - la mangeoire - peut être considéré comme une préfiguration symbolique de la sainte scène : Jésus et son enseignement seront une nourriture pour les Croyants. 

D’ailleurs, la ville même de la naissance, Beth-Lehem en hébreu se traduit littéralement : « Maison-du pain » !


* Et puis, il y a les témoins : les bergers. Les bergers qui viennent saluer la naissance de Jésus symbolisent quant à eux les hommes simples - ceux qui sont capables de se mettre en route, pour écouter le message de Jésus. Ce ne sont pas les riches ni les puissants, qui ont les mains pleines… qui ont trop peu de temps… trop de préoccupations et de soucis… pour pouvoir se mettre en quête du message de Dieu. 


Les bergers représentent ceux qui acceptent de se reconnaître pauvres, qui se rendent disponibles, pour accueillir la Bonne Nouvelle de la Révélation de Dieu, en l’homme Jésus. 

« Heureux les pauvres de coeurs, le Royaume des cieux est à eux » (Mt 5) dira Jésus. 


Ce sont des gens simples qui se mettront en mouvement, en chemin, pour accueillir le message du maître. Et d’ailleurs, Jésus, dans son ministère, parlera aux humbles, aux pauvres, aux exclus, aux estropiés, aux lépreux, à tous ceux que la société avait mis de côté ou marginalisé. 


* Ensuite, il y a encore les mages : la visite des mages qui sont des étrangers - des païens - qui viennent d’Orient, pour rendre hommage au nouveau Roi des Juifs - présenté comme le Messie, celui que Dieu a choisi - est aussi un symbole fort : 


C’est le signe que le message de Jésus - son Evangile du Royaume, de la présence de Dieu offerte à tous - dépassera les frontières de la religion juive, pour s’ouvrir aux nations, aux païens. 


Jésus attirera à lui des hommes de toute la terre. Mais, encore faut-il se rendre attentif aux signes de Dieu… s’ouvrir à la contemplation… accueillir les signes des temps… pour recevoir - avec confiance - la présence de Dieu au creux de notre humanité. 


* l’Etoile qui luit dans le ciel, pour accueillir la naissance d’un nouveau roi est aussi symbolique de l’identité de Jésus. Pour les premiers chrétiens, le Messie sera comme un guide, un astre, comme une lumière destinée à orienter les croyants, à nous diriger, nous éclairer… une lumière destinée à donner sens à nos pas… pour nous permettre de voir clair dans la nuit. Jésus et son Evangile sont ainsi le symbole d’une réalité lumineuse… une lampe sur nos sentiers… pour éviter de se perdre (cf. Jn 8,12). 


* Enfin - dernier aspect : la violence qui entoure les premiers jours de la naissance de Jésus et qui oblige Marie à fuir en Egypte - avec sa petite famille -. Cette thématique est le symbole - la préfiguration - de la violence qui entourera la fin de la vie de Jésus. 


Le message de l’Evangile ne sera pas reçu par les grands de ce monde, dont les intérêts, le pouvoir et les privilèges vont se trouver menacés par un prophète qui remettra en cause les règles sociétales et religieuses… qui annoncera l’amour inconditionnel de Dieu, le don de soi, le partage, la volonté de justice et d’amour du prochain voulue par Dieu.  


Aux antipodes d’un pouvoir jaloux - fondé sur l’égo, la domination, les règles, le contrôle, la violence… un pouvoir qui écrase et qui tue… Jésus sera l’apôtre de la non-violence… pour témoigner d’un Dieu gratuit et offert à tous, qui appelle à l’amour sans condition… un Dieu au delà des privilèges et de la religion…  puisque son pardon n’est plus à marchander, mais s’offre gratuitement… 


Jésus sera celui qui vient remettre en cause le marchandage des prêtres et des sacrifices… et qui présente Dieu, comme un Père bienveillant, plein de tendresse et de compassion… un Dieu qui appelle seulement à la conversion des coeurs, à l’adoption d’une nouvelle mentalité, fondée sur le don de soi. 


Voilà donc un sens possible des récits de Noël : Contre toutes les apparences… et nos lectures souvent littéralistes… la nativité n’est pas une histoire gentille et merveilleuse … un conte fantastique pour les enfants … mais c’est une relecture de l’identité et du parcours du maître. 


[Ce parcours est d’ailleurs inscrit dans une histoire : pour ce faire, Matthieu et Luc s’appuient sur les Ecritures à leur disposition : le prophète Esaïe, le thème de Moïse et de l’Egypte, ou l’espérance de l’advenue d’un successeur au roi David, inscrit dans la généalogie de Jésus, pour enraciner la naissance de Jésus dans la réalisation d’une Promesse.]


La nativité est ainsi un récit symbolique et composite, qui annonce et anticipe ce que sera la vie de Jésus, le Révélateur de Dieu : c’est un récit composé après la Croix et la Résurrection : une histoire écrite de façon rétrospective… comme une proto-histoire… qui dit la merveilleuse présence de Dieu, dans la vie de chacun… à commencer par ce Jésus, reconnu comme « Christ de Dieu », non seulement depuis son baptême (comme le raconte l’évangéliste Marc), mais depuis avant sa naissance. 


Au fond, c’est un récit qui raconte ce que des hommes, des femmes, des croyants, ont découvert après la crucifixion : Jésus était bien l’envoyé de Dieu, son fils, le porteur du Souffle de Dieu, de l’Esprit saint. 


Pour les Croyants du premier siècle, qui ont transmis et élaborés ces récits,  la chose était claire : Dieu nous a donné Jésus - à travers Lui, Dieu nous a révélé son amour - et Jésus a donné sa vie, par amour. 

C’est, à la fois, une nouvelle extraordinaire et un message de transformation, qui nous appelle, à notre tour, à marcher à la suite de Jésus - à devenir ses disciples - c’est-à-dire à incarner l’amour de Dieu. 


C’est cela le sens du mot « incarnation » : l’incarnation, est un concept théologique qui veut dire « entrer dans la chair ». 

Cela ne veut pas dire pas qu’un jour, un Dieu là haut au ciel - du genre Zeus (sur son trône de gloire) - s’est transformé en humain - par un coup de baguette magique … Mais « l’incarnation » signifie que l’amour de Dieu, son Souffle, s’est incarné et manifesté dans un humain. 


Et, de même que ce Souffle a agi en Jésus, de façon centrale,… il peut aussi se manifester en nous et par nous, pour autant que nous acceptions de lui ouvrir notre coeur, de nous laisser saisir et transformer par Lui. 


Le message de Noël est donc un message d’ouverture, un appel à naître de nouveau, avec Jésus : il nous rappelle qu’il est temps de lâcher prise de nos préoccupations quotidiennes, de nos soucis, de l’esprit primitif de tensions, de rivalité ou de violence, qui est en chacun de nous et dans notre monde… pour oser nous ouvrir à la présence libératrice de Dieu, en nous, dans notre intériorité. 


C’est un changement de mentalité : nous ne sommes pas sur terre pour vivre comme des concurrents, des rivaux… pour gagner, pour réussir, pour être les plus forts, … mais pour se recevoir comme des frères, des soeurs, des enfants de Dieu. 

La vie ne devrait pas être une lutte, mais un jeu, plein de fraternité, de liberté et de joie. 


Noël nous redit que nous avons un exemple : nous avons Jésus pour nous guider et nous éclairer, et pour, à notre tour, laisser Dieu être Dieu en Soi. 


Nous sommes ainsi appelés à être des petits « Christ » de Dieu, à porter, dans nos vies et autour de nous, l’amour, la paix et la lumière qui viennent de Dieu. 


[En cette veillée de Noël, laissons nous guider par Dieu, par son amour… pour devenir des véritables « enfants de Dieu », et faisons rayonner cet amour de Dieu autour de nous… 

Alors ce sera vraiment Noël dans nos coeurs et sur toute la terre ! ]  


Amen. 


Lectures bibliques 


Luc 2, 4-14


[C’était le temps du recensement décrété par César  Auguste.]

Joseph monta de la ville de Nazareth en Galilée à la ville de David qui s’appelle Bethléem en Judée, parce qu’il était de la famille et de la descendance de David, 5 pour se faire recenser avec Marie son épouse, qui était enceinte.


6 Or, pendant qu’ils étaient là, le jour où elle devait accoucher arriva ; 7 elle accoucha de son fils premier-né, l’emmaillota et le déposa dans une mangeoire, parce qu’il n’y avait pas de place pour eux dans la salle d’hôtes. 8 Il y avait dans le même pays des bergers qui vivaient aux champs et montaient la garde pendant la nuit auprès de leur troupeau. 9 Un ange du Seigneur se présenta devant eux, la gloire du Seigneur les enveloppa de lumière et ils furent saisis d’une grande crainte. 10 L’ange leur dit : « Soyez sans crainte, car voici, je viens vous annoncer une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple : 11 Il vous est né aujourd’hui, dans la ville de David, un Sauveur qui est le Christ Seigneur ; 12 et voici le signe qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire. » 13 Tout à coup il y eut avec l’ange l’armée céleste en masse qui chantait les louanges de Dieu et disait : 14 « Gloire à Dieu au plus haut des cieux

et sur la terre paix pour ses bien-aimés. »


Matthieu 2, 9-15


[Des mages venus d’Orient] se mirent en route ; et voici que l’astre, qu’ils avaient vu à l’Orient, avançait devant eux jusqu’à ce qu’il vînt s’arrêter au-dessus de l’endroit où était l’enfant. 10 A la vue de l’astre, ils éprouvèrent une très grande joie. 11 Entrant dans la maison, ils virent l’enfant avec Marie, sa mère, et, se prosternant, ils lui rendirent hommage ; ouvrant leurs coffrets, ils lui offrirent en présent de l’or, de l’encens et de la myrrhe. 12 Puis, divinement avertis en songe de ne pas retourner auprès d’Hérode, ils se retirèrent dans leur pays par un autre chemin.


13 Après leur départ, voici que l’ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph et lui dit : « Lève-toi, prends avec toi l’enfant et sa mère, et fuis en Egypte ; restes-y jusqu’à nouvel ordre, car Hérode va rechercher l’enfant pour le faire périr. » 14 Joseph se leva, prit avec lui l’enfant et sa mère, de nuit, et se retira en Egypte. 15 Il y resta jusqu’à la mort d’Hérode, pour que s’accomplisse ce qu’avait dit le Seigneur par le prophète : D’Egypte, j’ai appelé mon fils.