dimanche 24 juin 2012

Le Royaume ou le monde nouveau de Dieu

Le Royaume ou le monde nouveau de Dieu

Lectures bibliques : Lc 17, 20-21 ; Mc 1, 14b-15 ; Mt 10, 5-8 ; 1 Co 3, 5-7 ; Mc 4, 26-29 ; Mt 13, 31-35
Volonté de Dieu : Dt 6, 4-7 ou Mc 12, 29-31                            
Thématique : changer de mentalité… prendre part au monde nouveau de Dieu… et par le don de soi… jeter sur la terre la semence du règne de Dieu

Prédication = voir plus bas, après les lectures

Lectures bibliques

- Lc 17, 20-21                                                                        

Les Pharisiens demandèrent [à Jésus] : « Quand donc vient le Règne de Dieu ? » Il leur répondit : « Le Règne de Dieu ne vient pas comme un fait observable. 21On ne dira pas : “Le voici” ou “Le voilà” . En effet, le Règne de Dieu est parmi vous. »

- Mc 1, 14b-15

Jésus vint en Galilée. Il proclamait l'Evangile de Dieu et disait : 15« Le temps est accompli, et le Règne de Dieu s'est approché : convertissez-vous et croyez à l'Evangile. »

- Mt 10, 5-8

Les douze [disciples], Jésus les envoya en mission avec les instructions suivantes : « Ne prenez pas le chemin des païens et n'entrez pas dans une ville de Samaritains ; 6allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d'Israël. 7En chemin, proclamez que le Règne des cieux s'est approché. 8Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, chassez les démons. Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement.

- 1 Co 3, 5-7

Qu'est-ce donc qu'Apollos ? Qu'est-ce que Paul ? Des serviteurs par qui vous avez été amenés à la foi ; chacun d'eux a agi selon les dons que le Seigneur lui a accordés. 6Moi, j'ai planté, Apollos a arrosé, mais c'est Dieu qui faisait croître. 7Ainsi celui qui plante n'est rien, celui qui arrose n'est rien : Dieu seul compte, lui qui fait croître

- Mc 4, 26-29

[Jésus] disait : « Il en est du Royaume de Dieu comme d'un homme qui jette la semence en terre : 27qu'il dorme ou qu'il soit debout, la nuit et le jour, la semence germe et grandit, il ne sait comment. 28D'elle-même la terre produit d'abord l'herbe, puis l'épi, enfin du blé plein l'épi. 29Et dès que le blé est mûr, on y met la faucille, car c'est le temps de la moisson. »

- Mt 13, 31-35

[Jésus] leur proposa une autre parabole : « Le Royaume des cieux est comparable à un grain de moutarde qu'un homme prend et sème dans son champ. 32C'est bien la plus petite de toutes les semences ; mais, quand elle a poussé, elle est la plus grande des plantes potagères : elle devient un arbre, si bien que les oiseaux du ciel viennent faire leurs nids dans ses branches. »

33Il leur dit une autre parabole : « Le Royaume des cieux est comparable à du levain qu'une femme prend et enfouit dans trois mesures de farine, si bien que toute la masse lève. »

34Tout cela, Jésus le dit aux foules en paraboles, et il ne leur disait rien sans paraboles, 35afin que s'accomplisse ce qui avait été dit par le prophète : J'ouvrirai la bouche pour dire des paraboles, je proclamerai des choses cachées depuis la fondation du monde.


Prédication de Pascal LEFEBVRE[1] / Tonneins, le 24/06/12  / Culte avec baptême

Certains de nos contemporains voient parfois le christianisme comme une religion qui n’a plus rien à nous dire, et la Bible comme un vieux livre poussiéreux, inadapté aux préoccupations d’aujourd’hui.
En effet, en quoi la proclamation du Royaume de Dieu peut bien nous concerner et nous intéresser dans notre situation actuelle ?
Pour tenter de voir si le message de Jésus peut avoir une pertinence, il faut partir de notre monde, de ses préoccupations, de ses interrogations… autrement dit, des questions qui nous animent aujourd’hui.

Depuis plusieurs années, on ne cesse d’entendre parler de « crise ». C’est un thème récurrent qui revient régulièrement aux oreilles des humains à chaque génération depuis des siècles sans doute.
A l’époque de Jésus, la région du monde appelée Judée – soumise au pouvoir de l’occupant romain – était elle aussi en crise.
Il est difficile de décrire les ingrédients constitutifs d’une période de crise : crise économique, crise politique, crise religieuse, crise de sens. La crise se caractérise par une perte de repère liée à une situation critique, de déclin ou d’instabilité. Elle impose de faire des choix… dans une période où on ne sait plus que faire, que choisir, comment s’en sortir, quelle solution trouver. L’inquiétude est de mise ; la précarité de la situation… sa fragilité… pousse généralement au désespoir. On ne sait plus à quel saint se vouer… tout semble aller de travers… le monde perd pied et nous avec.
En temps de crise, cette situation d’instabilité n’est pas seulement propre au monde, à la vie en société, elle est également ressentie à l’intérieur même des individus.
Dans une société plurielle et multiculturelle, marquée par une perte de repères et de sens, l’individu ne sait plus où donner de la tête… sa vie est éclatée, dispersée… et les différents morceaux qui constituent le puzzle de l’existence ne parviennent plus à s’emboîter, à trouver une cohérence.
De toute part, l’individu est écartelé, tiraillé… il ne cesse d’être sollicité… il est pris dans de multiples injonctions : on lui demande d’être utile, d’être performant et rentable ; on le reconnaît par son travail et on lui explique qu’il faut se battre… qu’on a rien sans rien… qu’il faut absolument réussir : il lui faut s’inscrire dans le système du mérite, du donnant-donnant. Mais, en même temps, la situation économique rend le travail rare et difficile.
Alors, on brandit autour de lui la menace que ferait peser l’étranger : on l’invite à la méfiance, on provoque la peur de l’autre… qui serait responsable des difficultés.
A côté de la quête de la performance et de la réussite se présente l’injonction de la consommation. On demande à l’individu d’être un bon consommateur pour favoriser la croissance… de rentrer dans le moule d’une société hyper matérialiste et individualiste. La consommation devient une nouvelle idole, un but en soi. En dehors de la vie professionnelle, il n’est plus question de s’engager pour les autres, de faire du bénévolat, de donner du temps gratuitement… il faut davantage consommer… consommer de la technologie matérielle ou virtuelle… car la société inscrit là une nouvelle promesse de bonheur, centrée sur soi, sur le plaisir, sur l’idée que la possession aurait seule la capacité de rendre l’individu heureux et épanoui.
C’est là la promesse de toute publicité : faire naître et entretenir le désir de possession, de convoitise, dans le but de jouir des biens, pour son seul profit. C’est une manière de cultiver notre illusion de toute-puissance et de maîtrise… pour oublier la fragilité et la finitude de notre condition humaine.
Le problème c’est que toutes ces injonctions objectivisent et fonctionnalisent la personne… elles délitent le lien social… elles ne donnent aucune direction… elles rendent les individus égoïstes et égocentriques… elles ne livrent aucunement le sens de notre existence.

Face à cette situation, à ce monde qui est le nôtre, avec ses joies (certainement !), mais aussi ses faiblesses, ses perversités, ses injustices, ses atrocités, Jésus nous appelle à regarder la vie d’une autre manière. Il nous invite à accepter de vivre notre existence présente dans deux mondes : le monde présent et le monde qui vient : le monde nouveau de Dieu… qu’il appelle le « royaume de Dieu ».
Il nous invite à placer notre existence sous le regard de Dieu… à ajouter… à recevoir… à vivre une autre dimension : une dimension spirituelle et relationnelle… qui donne de l’épaisseur à notre existence… qui lui donne sens et espérance.

Ce royaume de Dieu est marqué par des valeurs strictement inverses à celles du monde :
- Là où le monde est soumis à la domination des plus puissants, à l’injustice et au chacun pour soi, le royaume de Dieu se fait proche là où s’accomplit la justice de Dieu et l’amour du prochain.
- Là où le monde tente de se justifier en mettant en avant les mérites de chacun, leurs actions, leurs œuvres, en pratiquant le donnant-donnant, en récompensant sur le principe de la rétribution, le monde nouveau de Dieu s’inscrit dans la surabondance du don, de la gratuité, de la miséricorde, du pardon, qui reconnaît chacun indépendamment de ses actes ou de ses performances.
- Là où le monde calcule et place chacun sous la loi de la symétrie, de la réciprocité, le monde nouveau de Dieu prône le don unilatéral, la grâce d’un amour qui donne sans compter.

Ce royaume, cet ordre qui vient, est toujours en marche. Il est la seule réalité capable de venir ébranler le monde présent.
C’est pourquoi, Jésus nous propose d’y prendre part… de nous inscrire dans cette nouvelle réalité qui vient bouleverser les habitudes, les comportements, les valeurs de ce monde.

Alors… peut-on en savoir plus sur ce « royaume de Dieu » ?… comment qualifier cette réalité, à la fois, déjà là et en devenir ?... qu’est-ce que nous en disent les évangiles ?

D’abord, il faut dire qu’il est au cœur de la prédication de Jésus et de son Evangile.
Si Jésus en parle, s’il nous invite à y participer, c’est que ce monde nouveau a réellement pris pied sur notre terre avec Jésus.
La conviction fondamentale du chrétien qui croit au Dieu de Jésus Christ, c’est que Jésus (en tant qu’il est le Christ, le porteur de l’Esprit de Dieu) est la manifestation centrale du royaume de Dieu dans l’histoire.
Grâce à la personne de Jésus, ce royaume de Dieu n’est plus une utopie… il n’est plus sans lieu, sans inscription dans l’histoire… il a été dévoilé par lui.

Ensuite, on peut dire que ce monde nouveau de Dieu recouvre plusieurs aspects : un aspect individuel et un aspect collectif.
Il touche, il saisit, il s’inscrit dans les individus… comme il a pris chair en Jésus… mais aussi dans les groupes, dans les communautés.
C’est à ce monde nouveau de Dieu que l’Eglise du Christ appartient… auquel elle veut participer… avec lequel elle entre en communion ici ou là… sans pour autant prétendre l’accaparer.

En d’autres termes, il s’agit d’une réalité spirituelle et relationnelle… d’une réalité qui s’incarne concrètement ici ou là.
Là où souffle l’Esprit de Dieu… là où l’homme accepte de le recevoir dans la foi… là où l’amour et la justice triomphent dans le cœur de l’homme… là se manifeste et grandit le royaume de Dieu.

Ce qui est intéressant avec les textes que nous avons entendus aujourd’hui, c’est que nous recevons des pistes pour prendre part à ce monde nouveau de Dieu.

(1) D’abord, dans l’évangile de Luc, Jésus nous fait comprendre que ce royaume de Dieu ne va pas tomber tout cuit du haut du ciel (si j’ose dire). Car, en réalité, il est déjà là, à notre portée :

« Le règne de Dieu ne vient pas de façon spectaculaire. On ne dira pas : "le voici" ou "le voilà". En effet, le règne de Dieu est entre vos mains »… à votre portée (Lc 17, 21).

(2) Ensuite, avec le début de l’évangile de Marc, Jésus annonce que ce règne de Dieu ne va pas sans une conversion, sans un retournement complet de notre mentalité :

« Le monde nouveau de Dieu est devenu tout proche. Changez de mentalité, croyez le message de salut » (Mc 1, 15).

Précisément… en quoi consiste ce changement de mentalité ?

A adopter un nouveau style de vie… à laisser Dieu régner sur nos vies… pour vivre dans la confiance, pour dépasser nos propres jugements (ce qui nous enferme et enferme les autres).
C’est précisément ce qu’a fait Jésus en plaçant tous ceux qu’il a rencontré sous le regard de Dieu. C’est ainsi qu’il a fait œuvre de salut, c’est-à-dire de guérison et de libération… en faisant tomber les barrières et les catégories sociales qui excluent les individus… en cessant de faire peser sur les coupables le poids écrasant du passé et des fautes accumulées… en montrant que la volonté de Dieu n’est pas une loi qui asservit les humains mais un don capable de libérer.

Tout au long l’évangile, nous voyons la nouvelle mentalité que Jésus a semé autour de lui et les changements profonds qui s’en sont suivis pour ceux qui ont croisé sa route.
Il nous montre que là où souffle l’Esprit de Dieu, là où la justice est associée à l’amour, il est offert à chacun la possibilité de recommencer, de repartir, de rebondir… chacun est remis debout, restauré à sa véritable humanité devant Dieu.

Mais l’évangile nous révèle aussi les nombreuses résistances à la nouveauté … l’opposition suscitée par ce monde nouveau que Jésus a inauguré et qui l’a conduit jusqu’à la croix.
Evidemment… le règne de la confiance, du don gratuit et de l’amour inconditionnel ne fait pas bon ménage avec l’idéologie traditionnelle du salut par plus d’avoir et plus de pouvoir.
Le fait que la nouvelle voie ouverte par Jésus se heurte à de nombreuses difficultés ne doit donc pas nous étonner… ni nous décourager.
Jésus nous invite, au contraire, à continuer à semer… car il y a toujours des endroits où le message nouveau de Dieu tombe dans la bonne terre… où la semence pousse (Mt 13, 32)… où la pâte lève (Mt 13, 33)… où la récolte est abondante (cf. Mt 13, 8.23).

(3) Pour comprendre la dynamique de croissance du royaume de Dieu, Jésus nous donne une parabole, une image : il en est de ce royaume « comme d’un homme qui jette la semence en terre » (Mc 4, 26s).

Ce que l’homme est invité à « jeter en terre » c’est quelque chose de petit mais qui contient une potentialité fabuleuse : une potentialité de croissance, de transformation, pour produire du nouveau et venir modifier la surface de la terre.

L’image de la semence nous laisse entendre que ce processus de croissance est d’une certaine manière « automatique ». Une fois que la semence est libérée… une fois qu’elle est jetée en terre… elle va peu à peu grandir et pousser toute seule… l’homme ne peut plus rien pour elle... et d’ailleurs, elle n’a pas besoin de son aide.
« D’elle-même – explique Jésus – la terre produit d’abord l’herbe, puis l’épi, et enfin le blé qui remplit l’épi » (Mc 4, 28). Et un beau jour la moisson est mûre, il n’y a plus qu’à la récolter.
Le paysan qui a jeté la semence sur la terre n’a plus aucun pouvoir sur elle : « qu’il dorme ou qu’il s’active, la nuit et le jour, la semence germe et grandit, et il ne sait comment » (Mc 4, 27). Cela lui échappe complètement.

Ainsi l’avenir du monde nouveau de Dieu, c’est l’affaire de Dieu.  Comme la semence jetée en terre, le monde nouveau de Dieu cache en lui un dynamisme insoupçonné. Il saura très bien faire son chemin tout seul jusqu’à l’heure de la moisson.
La seule chose que Jésus nous invite à faire, nous les paysans de Dieu : c’est de semer comme notre Maître.
Notre rôle est de semer… c’est là notre responsabilité.

Mais « semer »… jeter sur la terre la semence du règne de Dieu... qu’est-ce que cela veut dire ?

- D’abord… c’est déjà vivre dans le monde nouveau de Dieu… c’est déjà expérimenter en nous-mêmes cette conversion, cette nouvelle mentalité… c’est commencer par s’engager concrètement dans les valeurs de l’Evangile… pour faire rayonner le message du royaume.
Autrement dit, c’est déjà reconnaître que Dieu est notre Roi et que seule son autorité a du poids à nos yeux.

Dans un monde profondément persuadé que tous les problèmes ne peuvent se régler que par un rapport de force, que par la puissance de l’avoir et du pouvoir, Jésus nous propose un nouveau style de vie : un style de vie orienté par la seule autorité de Dieu.

Mais reconnaître à Dieu seul une autorité sur nos vies implique une confiance, un abandon.
Cela veut dire, par exemple, lui abandonner tout jugement : renoncer à juger par soi-même – ou selon les critères du monde – ce qui est bon ou mauvais… afin de s’en remettre à ce que Dieu juge bon ou mauvais.
Cela signifie donner notre confiance à un Autre qui est extérieur à nous-mêmes, pour lui laisser la possibilité d’agir en nous-mêmes.

Ce que l’Evangile nous révèle, c’est que l’autorité de Dieu n’est pas une autorité qui contraint par la force… mais qui fait grandir, qui fait croître (c’est l’étymologie du mot « autorité » qui vient de augere : augmenter, faire croître). C’est une autorité qui rend libre (Jn 8, 31-32), parce qu’elle nous permet de trouver la bonne direction, parce qu’elle nous éclaire et nous guide… en nous disant simplement : « Voilà ce qui est bien et bon… voilà ce que tu devrais faire… choisis la vie ! » C’est une autorité qui rend chacun responsable de ses décisions.
Dans le monde nouveau de Dieu… auquel Jésus nous invite à prendre part… la domination des uns sur les autres n’a pas sa place.
C’est cette semence du royaume que Jésus nous invite à semer à notre tour : une vie sans domination.

En ce jour de baptême… vous les parents, parrain et marraine de Naël… c’est cette semence que vous vous êtes engagés à semer dans le cœur de Naël tout au long de son enfance… de son éducation… afin qu’il puisse un jour faire ses propres choix en ayant entendu parler du message de l’Evangile…. afin qu’il puisse devenir pleinement citoyen du monde nouveau de Dieu : de ce monde qui refuse d’exercer sur les autres la moindre domination… de ce monde fondé sur l’amour de Dieu et l’amour du prochain.

- Ensuite… « semer »… c’est oser témoigner de notre foi en ce Dieu d’amour autour de nous par notre vie, nos actes et nos paroles.
Pour que le message de l’Evangile soit semé, il faut non seulement le mettre en pratique, mais aussi le proclamer, le répandre. Et cela ne se fera pas sans nous, sans témoins.
Nous sommes tous invités à témoigner autour de nous de ce qui nourrit notre existence, de ce qui lui donne sens et espérance.
Si nous avons la conviction que Dieu nous aime comme ses enfants… que l’Evangile du Christ nous relève, nous construit, nous appelle à la fraternité… il faut le faire savoir… il nous faut partager cette Bonne Nouvelle autour de nous.
C’est à nous de révéler au monde qu’il existe une autre manière de vivre que celle de la loi du plus fort… que nous avons mieux à faire que de dépenser notre vie en courant pour obtenir davantage d’avoir et de pouvoir… que la vie a un autre sens… un autre but… lorsque nous acceptons de la vivre en relation avec Dieu et avec nos frères.

(4) Pour conclure cette méditation, il nous reste à regarder brièvement les deux petites paraboles que nous livre l’évangéliste Matthieu : celle de la graine de moutarde et celle du levain (cf. Mt 13, 31-35).
Mais auparavant, je vous invite à marquer une pause, en chantant.

- pause musicale -

Il y a deux manières de comprendre la parabole de la graine de moutarde :
(4a) D’abord, en mettant en évidence le contraste entre la petitesse de la graine (« la plus petite de toute les semences ») et la taille de la plante adulte (« la plus grande des plantes potagères »). Ce contraste est le même qu’entre le commencement du monde nouveau de Dieu, en apparence petit et insignifiant, et son aboutissement, promis à un grand accomplissement :
- Au départ, une toute petite chose tombe à la surface du sol : un homme seul, ou presque – Jésus, à la suite de Jean le baptiste – un homme sans ressources, sans appuis politiques, sans domicile fixe… parce qu’il a volontairement renoncé à tous ces avantages. Cet homme lance un message des plus déconcertants : il proclame que « le monde nouveau de Dieu est devenu proche » (Mc 1, 15) et il le rend manifeste par sa vie, ses gestes, ses paroles.
Sa popularité ne touche que les petites gens sans influence ou les exclus de la société (des employés de péage, en rupture avec la loi de Moïse, des lépreux considérés comme « impurs », des femmes).
Tout cela peut paraître insignifiant et dérisoire aux yeux du monde… mais c’est pourtant ainsi qu’a pris pied le monde nouveau de Dieu sur la terre des hommes… comme quelque chose de petit en apparence… en apparence seulement…
- Car à l’arrivée, la plante de moutarde a la taille d’un arbuste… au point que les « oiseaux du ciel viennent faire leurs nids dans ses branches ». Les « oiseaux du ciel » symbolisent ici l’ensemble des peuples[2]. Le monde nouveau semé par Jésus est appelé à devenir si grand qu’il pourra offrir un abri aux hommes de toutes conditions, de toutes langues, de toutes races, de tous les continents.

Ainsi, comme une graine de moutarde dérisoire aux yeux des humains quand elle est jetée sur la terre, la mini-graine du règne de Dieu cache une dynamique insoupçonnée et produit une plante qui surpasse toutes les autres… une plante toujours en croissance… puisque le monde nouveau de Dieu est destiné à accueillir tous les humains… y compris, bien sûr, ceux qu’on attend le moins : les exclus de toutes sortes et les païens.

Entre parenthèse… cette parabole peut nous faire réfléchir sur la composition de nos Eglises aujourd’hui : quels groupes sociaux ou quels groupes d’âge en sont absents ? Pourquoi ces groupes ne sont-ils pas représentés dans nos assemblées ?
Comment semer l’Evangile… comment témoigner… pour toucher ceux qui n’y sont pas ?... comment mieux les accueillir ?

Il ne faut sans doute pas confondre l’Eglise et le Royaume de Dieu… mais l’Eglise du Christ ne doit-elle pas être un instrument au service de l’avènement du monde nouveau de Dieu ?
C’est bien cet avènement qu’on demande à Dieu dans la prière du « Notre Père » : « que ton règne vienne ! »

(4b) La seconde manière de comprendre cette parabole est de la rapprocher de celle de l’évangile de Jean (cf. Jn 12, 24).
Selon l’idée que se faisaient les Anciens, une graine déposée sous terre doit mourir pour donner du fruit. C’est ce qu’explique le quatrième évangile : « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il produit beaucoup de fruit » (Jn 12, 24. Voir aussi 1 Co 15, 36).
L’évangéliste Matthieu a exactement la même manière de penser. On la retrouve dans cette parole de Jésus : « Qui veut sauver sa vie, la perdra ; mais qui perd sa vie, à cause de moi, la trouvera » (Mt 16, 25. Voir aussi Mt 10, 39 et Jn 12, 25).
Le mot « psyché » en grec signifie : « vie » et « âme ».
« Perdre sa vie » veut dire « donner son âme ». Il s’agit là de l’exigence la plus radicale de la Torah [du Shema’] : aimer le Seigneur notre Dieu de tout notre être (Dt 6, 5)… de toute notre âme (Mc 12, 30 ; Mt 22, 37).
« Aimer », c’est bien « donner », « se donner »… donner ce que l’on est… donner sa vie par amour (cf. Jn 15, 13).

Voici donc en quoi consiste le plus grand mystère du royaume : le royaume est une puissance de vie prodigieuse qui est mis en route par un petit geste souvent caché et ignoré de tous : le don de soi, le don de sa propre vie. 
« Semer », ce n’est pas retenir, posséder, conserver… mais c’est accepter de perdre la semence pour gagner la récolte… c’est « se donner », c’est libérer la semence de vie qui est en soi pour la donner, pour lui permettre d’exprimer toute sa potentialité.

On retrouve cette idée dans la parabole du levain caché dans la pâte. Cette image met en avant l’action cachée du levain qui permet de faire fermenter toute la pâte. Pour obtenir un tel résultat, pour faire lever toute la masse, il suffit d’un peu de levain.
Ce qui est mis en relief ici, c’est le fait que le levain doit être « enseveli » dans la farine pour développer son action de ferment.

Autrement dit, ce qui est à l’origine de la plante de moutarde ou de la masse qui lève, c’est un don : don de la semence ou don du levain… le don de soi qui permet de libérer les potentialités de l’être… pour laisser grandir le royaume.

Conclusion :  Alors… finalement… que pouvons retenir de cette méditation ?

- Tout d’abord, que le « royaume de Dieu », le monde nouveau de Dieu, est une réalité en devenir. Cela signifie que les croyants vivent dans une formidable tension : ils n’appartiennent pas seulement au monde tel que la plupart des hommes le voient, mais aussi au monde tel que Dieu le voit et le veut : à ce monde dont Dieu est le Roi… là où on le laisse régner.
- De la parabole de la semence qui pousse toute seule (Mc 4, 26-29), nous pouvons retenir que notre rôle, notre seule responsabilité, c’est de semer la semence du règne de Dieu… le reste appartient à Dieu. 
C’est Dieu qui fait croître… mais il nous appartient de « semer ».
- De la parabole de la graine de moutarde (Mt 13, 31-32), nous pouvons retenir que Jésus nous invite « à ne pas mépriser les petits commencements » (cf. Za 4, 10a), mais à prendre courage comme Jésus… en n’oubliant pas que ce monde nouveau est pour tous.
- De la parabole du levain (Mt 13, 33) qui confirme celle de la graine de moutarde, nous pouvons retenir que le secret, qui permet de faire lever le tout, relève d’un don : le don de soi, le don de sa propre vie.
- Enfin, puisque nous accueillons aujourd’hui Naël qui vient de recevoir le baptême… nous pouvons aussi nous souvenir que Jésus nous invite à accueillir le royaume comme un enfant (cf. Mc 10, 15). Il nous appelle à la confiance, à laisser l’Esprit de Dieu agir en nous… et pour cela il nous invite à nous déplacer, à changer de mentalité, pour nous ouvrir au monde nouveau de Dieu, qui nous libère de nos enfermements et de nos égoïsmes.

Frères et sœurs… reposons-nous en Dieu, notre Père et notre Roi… laissons le agir dans notre existence pour qu’il puisse véritablement régner sur nos vies. Ainsi son Esprit, son souffle vivifiant, nous fera grandir dans la foi.
Car ne l’oublions pas… Jésus nous l’affirme… si un jour notre foi est semblable à une graine de moutarde, nous parviendrons à déplacer les montagnes, à réaliser l’impossible (cf. Mt 17, 20 ; Mt 21, 21s)… alors vraiment nous serons proches du royaume de Dieu.

Amen.


[1] Partiellement inspirée d’une prédication de Jean-Marc Babut.
[2] Cf. Dn 4, 9.18 ; Ez 17, 23 ; 31, 6. « Les lecteurs du Premier Testament connaissent l’image du grand arbre à l’abri duquel viennent s’abriter les oiseaux du ciel. On le trouve au livre de Daniel dans le songe de Nabuchodonosor, où il symbolise l’Empire babylonien, et deux fois encore dans le livre d’Ézéchiel : une fois comme symbole de l’Empire égyptien et une autre fois pour symboliser le royaume du Messie que Dieu suscitera pour remplacer le dernier roi de Jérusalem, qui a failli à ses engagements. Dans tous les cas les oiseaux symbolisent l’ensemble des peuples qui trouvent à la fois nourriture et protection à l’abri du grand empire dont il est question » (J-M Babut, Actualité de Marc, Cerf, p.83). 

dimanche 3 juin 2012

Mt 6, 1-8. 16-18

Mt 6, 1-8. 16-18

Lectures bibliques : Dt 15, 7-11 ; Es 58 ; Mt 6, 1-8. 16-18
(Annonce du pardon : Ep 2, 8-9 ; Envoi : Ph 4, 6-7)
Série de prédications sur Mt 5 à 7 (le sermon sur la montagne) : n°8 – Mt 6, 1-8. 16-18
Thématique : accomplir les œuvres de la foi… en vivant une juste relation avec Dieu et avec nos frères… dans la simplicité, l’humilité et la gratuité.

Prédication = voir plus bas, après les lectures

Lectures bibliques

- Dt 15, 1.7-11

1Au bout de sept ans, tu feras la remise des dettes. […]
7S'il y a chez toi un pauvre, l'un de tes frères, dans l'une de tes villes, dans le pays que le SEIGNEUR ton Dieu te donne, tu n'endurciras pas ton cœur et tu ne fermeras pas ta main à ton frère pauvre, 8mais tu lui ouvriras ta main toute grande et tu lui consentiras tous les prêts sur gages dont il pourra avoir besoin. 9Garde-toi bien d'avoir dans ton cœur une pensée de vaurien en te disant : « C'est bientôt la septième année, celle de la remise », et en regardant durement ton frère pauvre, sans rien lui donner. Car alors, il appellerait le SEIGNEUR contre toi, et ce serait un péché pour toi.
10Tu lui donneras généreusement, au lieu de lui donner à contrecœur ; ainsi le SEIGNEUR ton Dieu te bénira dans toutes tes actions et toutes tes entreprises.
11Et puisqu'il ne cessera pas d'y avoir des pauvres au milieu du pays, je te donne ce commandement : tu ouvriras ta main toute grande à ton frère, au malheureux et au pauvre que tu as dans ton pays.

- Es 58  (Le jeûne et le sabbat qui plaisent à Dieu)

1Crie à pleine voix, ne te retiens pas, dit le Seigneur.
Comme le son du cor, que ta voix porte loin.
Dénonce à mon peuple sa révolte,
aux descendants de Jacob leurs fautes.

2Jour après jour, tournés vers moi,
ils désirent connaître ce que j'attends d'eux.
On dirait une nation qui agit comme il faut,
et qui n'abandonne pas le droit proclamé par son Dieu.
Ils réclament de moi de justes jugements
et désirent ma présence.

3Mais ils me disent :
« A quoi bon pratiquer le jeûne, si tu ne nous vois pas ?
A quoi bon nous priver, si tu ne le remarques pas ? »
Alors je réponds :
Constatez-le vous-mêmes :
jeûner ne vous empêche pas de saisir une bonne affaire,
de malmener vos employés,
4ni de vous quereller ou de donner des coups de poing !
Quand vous jeûnez ainsi, votre prière ne m'atteint pas.

5Est-ce en cela que consiste le jeûne tel que je l'aime,
le jour où l'on se prive ?
Courber la tête comme un roseau,
revêtir l'habit de deuil, se coucher dans la poussière,
est-ce vraiment pour cela que vous devez proclamer un jeûne,
un jour qui me sera agréable ?

6Le jeûne tel que je l'aime, le voici, vous le savez bien :
c'est libérer les hommes injustement enchaînés,
c'est les délivrer des contraintes qui pèsent sur eux,
c'est rendre la liberté à ceux qui sont opprimés,
bref, c'est supprimer tout ce qui les tient esclaves.
7C'est partager ton pain avec celui qui a faim,
c'est ouvrir ta maison aux pauvres et aux déracinés,
fournir un vêtement à ceux qui n'en ont pas,
ne pas te détourner de celui qui est ton frère.

8Alors ce sera pour toi l'aube d'un jour nouveau,
ta plaie ne tardera pas à se cicatriser.
Le salut te précédera
et la glorieuse présence du Seigneur sera ton arrière-garde.

9Quand tu appelleras, le Seigneur te répondra ;
quand tu demanderas de l'aide, il te dira : « J'arrive ! »
Si tu cesses chez toi de faire peser des contraintes,
de ridiculiser les autres en les montrant du doigt,
ou de parler d'eux méchamment,
10si tu partages ton pain avec celui qui a faim,
si tu donnes à manger à qui doit se priver,
alors la lumière chassera l'obscurité où tu vis ;
au lieu de vivre dans la nuit, tu seras comme en plein midi.

11Le Seigneur restera ton guide ;
même en plein désert, il te rassasiera et te rendra des forces.
Tu feras plaisir à voir, comme un jardin bien arrosé,
comme une fontaine abondante dont l'eau ne tarit pas.

12Alors tu relèveras les anciennes ruines,
et tu rebâtiras sur les fondations
abandonnées depuis longtemps.
On te nommera ainsi :
« Le peuple qui répare les brèches des murailles
et redonne vie aux ruelles de la ville ».

13« Si tu renonces à travailler le jour du sabbat,
ou à traiter une bonne affaire le jour qui m'est consacré,
dit le Seigneur ;
si tu parles du sabbat comme d'un jour de joie
consacré à mon service et qu'il convient d'honorer ;
si tu le respectes effectivement en renonçant à travailler,
à saisir une bonne affaire et à marchander longuement,
14alors je deviendrai la source de ta joie.
Moi, le Seigneur,
je t'emmènerai en triomphe sur les plus hauts sommets,
et je te ferai profiter du pays
que Jacob, ton ancêtre, a reçu en propriété. »
Voilà ce que promet le Seigneur.

- Mt 6, 1-8. 16-18

1 Gardez-vous de pratiquer votre religion devant les hommes pour attirer leurs regards ; sinon, pas de récompense pour vous auprès de votre Père qui est aux cieux. 2Quand donc tu fais l'aumône, ne le fais pas claironner devant toi, comme font les hypocrites dans les synagogues et dans les rues, en vue de la gloire qui vient des hommes. En vérité, je vous le déclare : ils ont reçu leur récompense. 3Pour toi, quand tu fais l'aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite, 4afin que ton aumône reste dans le secret ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra.

5 Et quand vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites qui aiment faire leurs prières debout dans les synagogues et les carrefours, afin d'être vus des hommes. En vérité, je vous le déclare : ils ont reçu leur récompense. 6Pour toi, quand tu veux prier, entre dans ta chambre la plus retirée, verrouille ta porte et adresse ta prière à ton Père qui est là dans le secret. Et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra. 7Quand vous priez, ne rabâchez pas comme les païens ; ils s'imaginent que c'est à force de paroles qu'ils se feront exaucer. 8Ne leur ressemblez donc pas, car votre Père sait ce dont vous avez besoin, avant que vous le lui demandiez. […]

16 Quand vous jeûnez, ne prenez pas un air sombre, comme font les hypocrites : ils prennent une mine défaite pour bien montrer aux hommes qu'ils jeûnent. En vérité, je vous le déclare : ils ont reçu leur récompense. 17Pour toi, quand tu jeûnes, parfume-toi la tête et lave-toi le visage, 18pour ne pas montrer aux hommes que tu jeûnes, mais seulement à ton Père qui est là dans le secret ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra.


Prédication de Pascal LEFEBVRE / Marmande, le 03/06/12.

« Soyez attentifs à ne pas faire votre justice devant les hommes » (Mt 6, 1). On pourrait traduire : « gardez-vous d’accomplir vos devoirs religieux… vos bonnes actions… devant les hommes ».

Vous vous demandez peut-être pourquoi nous avons écouté ce matin cet extrait du sermon sur la montagne en écho au chapitre 58 du livre d’Esaïe (?)
Tout simplement parce que ces passages de la Bible offrent un point commun. En nous parlant de pratiques religieuses – comme le jeûne, par exemple – ils mettent à jour la possible hypocrisie du religieux dont les pratiques ne conduisent pas à la justice voulue par Dieu, mais se cantonnent à accomplir les œuvres de la religion devant les hommes.
A ces œuvres qui peuvent facilement nous enfermer et devenir des carcans, des « jougs » trop difficiles à porter (cf. Es 58, 6.9), Jésus oppose la simplicité dans la relation à Dieu et à autrui.

Le passage que nous méditons aujourd’hui nous livre les instructions de Jésus concernant la vie spirituelle des disciples, à commencer par les trois pratiques fondamentales : l’aumône (v.2-4), la prière (v.5-8) et le jeûne (v.16-18).

Ce qui est en question… ce que Jésus vient interroger… c’est la motivation et la finalité de nos actes en lien avec notre « foi », notre « spiritualité ».

Il faut sans doute mieux parler ici d’actes de « foi » que de pratiques « religieuses », car on peut entendre en filigrane, dans ces passages bibliques, une critique du « religieux » qui a bien souvent tendance à s’emparer des moyens mis à sa disposition pour les transformer en nouvelle loi ... en contrainte… en obligation religieuse… et cela de deux manières :
D’une part, en sacralisant, en transformant les pratiques religieuses en objets de foi, en idoles. Lorsque cela se produit, les pratiques et les rites deviennent, en eux-mêmes, une finalité, visant à prouver son engagement, sa religiosité. Ils nécessitent une reproduction, une répétition, une transmission intangibles. Ils acquièrent une valeur intrinsèque, qui ne dépend plus de leur signification, mais du poids de la tradition… qui devient normative. Combien de religions ont connu ce phénomène ? Le propre du religieux n’est-il pas de transformer, au fil du temps, sa pratique… en règle de conduite pour le croyant… en une forme de légalisme qui s’impose à tous… alors que ces pratiques sont initialement des moyens pour vivre en relation avec Dieu, en accord avec sa Parole ?
D’autre part, le religieux n’a-t-il pas tendance à faire de ses pratiques pieuses ou de ses bonnes œuvres des moyens pour se justifier devant Dieu et briller devant les hommes ?

Jésus ne remet pas en cause ces pratiques, mais il vient interroger le sens qu’on leur donne. Pour lui, il ne doit pas s’agir de « devoirs religieux »… source d’orgueil spirituel et de vanité… mais d’« actes de foi »… permettant de répondre à l’amour premier de Dieu.
Précisément, ces actes ont du sens dans la mesure où ils correspondent à nos convictions… où ils sont vécus en cohérence avec ce que nous pensons et ce que nous croyons… où ils nous permettent de vivre notre existence quotidienne en relation avec Dieu et notre prochain.

Aujourd’hui, beaucoup de protestants qui vivent en zone rurale trouvent que nos temples sont moins remplis qu’autrefois… il y a cinquante ans. On peut bien sûr le regretter. Mais on peut se réjouir que les fidèles qui participent au culte y viennent, non par devoir ou parce que c’est la tradition, mais en raison de leurs convictions… pour vivre simplement leur foi, pour se mettre en relation avec Dieu et ressentir sa présence au cœur de leur existence.

Au contraire de la simplicité qui caractérise l’acte de foi, le propre de « l’hypocrite » est d’en faire trop et d’en venir (consciemment ou inconsciemment) à « simuler », par excès de piété.
Pour les auteurs grecs, un « hypocrites » était un souffleur ou un acteur de théâtre, quelqu’un qui interprétait ou jouait une scène.
Précisément, en jouant ou en sur-jouant, l’hypocrite devient un simulateur, quelqu’un qui joue sur l’apparence… qui laisse croire ou voir quelque chose qui n’est pas pleinement ancré en lui, qui n’est pas vécu authentiquement.
Pour autant l’hypocrite n’est pas forcément un menteur, il peut paradoxalement être un « hypocrite sincère », un hypocrite pris au jeu de sa propre piété, victime de sa vanité religieuse.

Il y a chez l’hypocrite une sorte de fausseté, une perversion parfois inconsciente. L’acte de foi devient un acte religieux – un acte de piété ostentatoire – qui sert à une autre fin, à un autre but que le sien : il devient un moyen de se glorifier aux yeux des hommes.
L’hypocrite opère ainsi un détournement : ce qui devait être un moyen au service de la relation avec Dieu ou de la justice vis-à-vis du prochain, devient un moyen pour soi, pour « paraître », pour se faire remarquer.
Ce détournement engendre simultanément un certain aveuglement : aveuglement de soi-même – on se croit juste – et aveuglement de l’autre : on se montre comme quelqu’un de parfait, d’irréprochable, et on exige de l’autre la même performance religieuse, on lui demande de se montrer, lui aussi, à la hauteur, d’accomplir ses « devoirs religieux » (cf. Mt 23).

Dans le contexte religieux du premier siècle de notre ère, où la vie religieuse marque la vie quotidienne des hommes et des femmes, on peut comprendre les instructions de Jésus face aux Juifs hypocrites de son époque, qui sont parfois identifiés aux scribes et aux pharisiens (cf. Mt 23). On peut comprendre que l’évangéliste Matthieu oppose le style de la piété évangélique – dans sa simplicité et sa sobriété – à celui de la piété juive de son époque. Mais nous… dans notre monde contemporain, où la religion est bien souvent reléguée et cantonnée à la sphère privée… en quoi ces instructions ont-elles une pertinence pour notre temps ?

Je crois que ce passage de l’évangile peut encore nous questionner aujourd’hui… Il peut nous conduire à penser notre foi et nos actes de foi. Car la foi n’est pas une abstraction… elle de l’ordre de la relation… d’une relation à Dieu qui nous entraîne dans une dynamique. Elle a besoin de s’incarner, de se concrétiser dans notre vie, dans nos comportements, dans nos relations humaines.

Je relèverai trois points :

- (1) Tout d’abord, Jésus vient interroger nos comportements et nous proposer un autre fondement, un autre fonctionnement que celui du « paraître » devant les hommes.
Jésus nous invite à prendre le contre-pied de ce qui règle habituellement nos comportements dans le monde : Face à une société fondée sur le mérite, la réussite, et surtout sur l’apparence (celle de la réussite sociale, professionnelle et financière… celle d’un bonheur qui serait le fruit de l’accumulation de biens de consommations… nous permettant de briller en acquérrant tout ce qui a de la valeur aux yeux des hommes… parfois d’ailleurs en écrasant l’autre), Jésus nous appelle à fonder notre vie sur quelque chose d’autre, qui ne se voit pas… sur quelqu’un d’autre.
Il nous invite à fonder notre existence sur le Dieu invisible, que l’on peut appeler « notre Père »… parce qu’il est à la fois notre Créateur, notre Père céleste, le Dieu intime et trans-personnel, qui nous offre son amour, sa reconnaissance, sa confiance, son alliance, gratuitement, sans condition, sans que nous ayons besoin de justifier notre existence par nos actes, pour acquérir de la valeur à ses yeux.

Si Jésus nous invite à appeler Dieu : « notre Père », c’est sans doute pour nous appeler à devenir ses fils et ses filles : ses représentants, ses ambassadeurs autour de nous. Mais c’est surtout pour nous indiquer que nous le sommes déjà… que Dieu – comme un Père bien aimant et bienveillant – nous offre le premier son amour… qu’il nous offre la grâce de son accueil pour que nous nous recevions nous-mêmes comme ses enfants.

- (2) Deuxièmement, ce passage de l’évangile interroge la motivation de nos actes, en matière de spiritualité : pourquoi… pour qui… pratiquer l’aumône, la prière et le jeûne ? Est-ce pour moi, pour les autres (pour faire plaisir au pasteur ou au SDF à qui je donne une pièce) ou pour satisfaire Dieu ?
A mon avis… pour aucune de ces raisons. Il ne faut pas penser ici en termes d’« obligations », de « devoirs » ou de « satisfactions », mais en termes de « relations »… de « justesse » et de « justice » dans nos relations à Dieu et aux autres.

Ainsi, dans le cas de l’aumône, que la main gauche ignore ce que fait la main droite (Mt 6, 3) ne signifie pas que l’aumône doit être faite inconsciemment, ou avec un total détachement à l’égard de l’acte accompli. Mais cela veut dire que l’aumône doit être faite pour le pauvre – en sa faveur – et non pour la satisfaction intérieure, la bonne conscience ou la gloire de celui qui donne.
Ce qui est recommandé, c’est la dé-préoccupation de soi-même et le souci de l’autre (cf. Mt 6, 31-33).[1]

Pour pratiquer l’aumône en ce sens, il faut être délivré de tout légalisme. Or, ce qui nous délivre du légalisme, c’est l’amour gratuit de Dieu.
En nous aimant gratuitement et sans condition, Dieu nous libère de la préoccupation de nous-mêmes. Nous n’avons plus à nous inquiéter, ni à nous justifier. Dans la foi, nous sommes libérés, pour aimer à notre tour, gratuitement (cf. Mt 10, 8).
Pour pouvoir aimer avec simplicité… sans calcul… il faut prendre conscience de l’amour gratuit de Dieu (cf. Mt 5, 43-48). Cet amour nous libère pour agir en faveur d’autrui, pour faire des œuvres justes, sans nous justifier par elles.

A côté du légalisme, Jésus pointe un autre danger : celui de l’orgueil ou de la vanité[2], qui utiliserait l’aumône, le don, comme un moyen de glorification.
Mais si le donateur se glorifie lui-même, son aumône cesse d’être un acte de compassion. Elle entre dans le circuit du calcul, du donnant-donnant, qui objectivise l’autre et déshumanise petit à petit les relations humaines.

Pour Jésus, ces différentes pratiques – l’aumône, la prière et le jeûne – ne sont valables que dans la mesure où elles établissent une communion avec le Dieu invisible, avec « Notre Père », qui est « aux cieux », mais qui est aussi au fondement de notre être et dans le visage de nos frères et sœurs, en tant que créatures façonnées à l’image de Dieu.
Ces pratiques ne sont bien vécues – dans un sens juste – que dans la mesure où elles répondent à la volonté de justice de Dieu dans toutes nos relations : avec Dieu, vis-à-vis de nous-mêmes, à l’égard des autres.

Nous pouvons écouter à nouveau ce passage du livre d’Esaïe (Es 58, 6-10) :

« Le jeûne tel que je l'aime, le voici, vous le savez bien :
c'est libérer les hommes injustement enchaînés,
c'est les délivrer des contraintes qui pèsent sur eux,
c'est rendre la liberté à ceux qui sont opprimés,
bref, c'est supprimer tout ce qui les tient esclaves.

7C'est partager ton pain avec celui qui a faim,
c'est ouvrir ta maison aux pauvres et aux déracinés,
fournir un vêtement à ceux qui n'en ont pas,
ne pas te détourner de celui qui est ton frère.

8Alors ce sera pour toi l'aube d'un jour nouveau,
ta plaie ne tardera pas à se cicatriser.
Le salut te précédera
et la glorieuse présence du Seigneur sera ton arrière-garde.

9Quand tu appelleras, le Seigneur te répondra ;
quand tu demanderas de l'aide, il te dira : « J'arrive ! »
Si tu cesses chez toi de faire peser des contraintes,
de ridiculiser les autres en les montrant du doigt,
ou de parler d'eux méchamment,

10si tu partages ton pain avec celui qui a faim,
si tu donnes à manger à qui doit se priver,
alors la lumière chassera l'obscurité où tu vis ;
au lieu de vivre dans la nuit, tu seras comme en plein midi ».

Pour Esaïe, mettre sa foi en pratique, c’est accomplir la justice de Dieu pour les hommes, en leur faveur. C’est ainsi qu’on vit dans la lumière… et qu’on la fait briller (cf. Mt 5, 16).
Esaïe nous propose de réorienter nos pratiques dans le sens de l’amour du prochain, en nous mettant concrètement au service des plus pauvres, des opprimés, des affamés.

Mais si Esaïe répond ainsi à la question du sens des pratiques religieuses (notamment du jeûne) dans le cadre de nos relations fraternelles… qu’en est-il de notre rapport à Dieu ?
En quoi ces pratiques influencent-elles notre relation à Dieu ?

Je crois qu’on ne peut pas considérer ces différentes pratiques comme des moyens de nous rapprocher de Dieu, de nous élever, d’avancer dans une sorte de perfectionnement spirituel, car en réalité Dieu est déjà tout proche… avec nous… en nous. Il se donne lui-même à nous en Jésus Christ… Il se donne lui-même en nous, en nous donnant son souffle, son Esprit saint.
Il faut plutôt les envisager comme des moyens qui nous sont donnés pour ouvrir nos verrous intérieurs, pour nous ouvrir plus pleinement et plus librement à l’amour de Dieu.
Ces pratiques permettent de nous ajuster au désir de Dieu. Elles sont une manière de nous mettre à l’écoute de Dieu, de lui faire de la place dans notre vie, de le laisser agir en nous, de nous transformer… autrement dit, de laisser Dieu être « Dieu en nous ».

Vivre en communion avec Dieu, cela peut se faire à différentes occasions :
D’une part, dans le cadre communautaire de l’Eglise, lors du culte, où nous pouvons rechercher la présence de Dieu, le louer, nous ressourcer à l’écoute de sa Parole, et partager notre prière les uns avec les autres, les uns pour les autres.
D’autre part, dans une relation personnelle avec Dieu dans le secret de notre chambre, dans l’intimité de notre foyer.
Enfin, et surtout, dans notre vie quotidienne, où nous pouvons laisser Dieu régner sur nous… secrètement… en toutes occasions… au cœur de nos relations humaines.

La notion de « secret » revient précisément trois fois dans notre passage.
Outre le fait qu’elle s’oppose à ce que font les hypocrites, qui cherchent à « paraître », à se faire remarquer « devant les hommes »… ce qui fonde cette idée de « secret », c’est la certitude que ce que nous faisons n’est ni inconnu, ni indifférent à Dieu. Au contraire, il nous est dit, à plusieurs reprises, que notre Père nous « voit dans le secret ».
C’est la raison pour laquelle tous nos actes sont en réalité accomplis « devant Dieu »… Ils appartiennent au cadre de notre relation à Dieu… Ils ne doivent pas être envisagés, entrepris ou accomplis, en dehors de cette relation filiale.

Non seulement le Père nous « voit », mais Jésus nous affirme que – puisqu’il est « notre Père » – il « sait » par avance ce dont nous avons besoin.
Cette connaissance de Dieu à notre endroit rend donc inutile toute justification.
Si Dieu nous connaît, non seulement nous n’avons rien à lui prouver, ni à cacher, mais, nous pouvons simplement « être vrai »… être « nous-mêmes ». Nous n’avons pas besoin de « paraître », nous pouvons nous confier à lui dans la simplicité… malgré nos failles, nos limites… en nous en tenant à l’essentiel… à la simple vérité.

C’est en ce sens que Jésus nous demande de ne pas rabâcher dans un excès de paroles (voir aussi Qo 4,17-  5,6).
Cela ne veut pas dire : renoncer à demander avec insistance, à prier avec foi – un certain nombre de récits dans les évangiles nous montrent, au contraire, la nécessité de persévérer dans la prière. Il suffit de penser, par exemple, à l’épisode la femme cananéenne (cf. Mt 15, 21-28) ou à Jésus à Gethsémani (Mt 26, 41) – mais cela nous indique qu’il n’est pas utile de parler longuement, car nous n’avons pas à convaincre, nous n’avons rien à négocier ou à marchander. Seules la sincérité et la simplicité doivent être au cœur de notre relation à Dieu.
Et d’ailleurs cette sobriété est plutôt rassurante, car je ne suis pas sûr que nous soyons facilement et naturellement bavards avec Dieu.

- Pause musicale -

(3) Enfin, troisièmement, ce passage de l’évangile nous montre que nous pouvons vivre une juste relation avec Dieu, dans la simplicité, l’humilité et la gratuité.

Si je finis par cette notion de « gratuité », c’est qu’elle va de pair avec celle de « simplicité ». La gratuité, c’est ce qui s’oppose à toute forme de calcul. En ce sens, elle est synonyme de liberté et de simplicité… bien qu’il ne soit pas toujours simple de la mettre en pratique.

Précisément, cette notion de gratuité peut sembler remise en cause dans notre passage, car, à plusieurs reprises, s’y trouve l’idée de « récompense ».

L’évangéliste Matthieu nous laisse entendre qu’il y aurait une récompense… et que cette récompense est unique, c’est-à-dire qu’il n’y en a qu’une seule.
Si on la reçoit des hommes, on n’a plus à la recevoir de Dieu.
Ainsi, celui qui rechercherait l’approbation des hommes se priverait de celle de Dieu.

A priori, on peut trouver cette notion de récompense un peu gênante, car elle paraît s’opposer à l’idée même de gratuité. Elle laisse entendre que nous pourrions faire des choses – accomplir des œuvres justes et bonnes – par calcul, par intérêt, en vue d’obtenir de Dieu un retour, une récompense.
… Mais penser ainsi reviendrait à tomber dans l’hypocrisie.
… En réalité, il n’en est rien, si on vit sous la grâce, dans la foi en l’amour premier de Dieu.

Paradoxalement, la notion de récompense ne s’oppose pas ici à celle de gratuité… car cette récompense reste indéterminée. Elle est présentée non comme une motivation, comme une raison, une cause pour accomplir des actes justes, mais comme une espérance, une conséquence, comme quelque chose de plus… dont on ignore tout. Cette espérance c’est que, dans un « futur » inconnu et indéterminé, Dieu reconnaîtra ce qui est juste, qu’il approuvera celui qui accomplit la justice.

L’espérance d’une récompense trouve sa source dans certains livres de l’Ancien Testament. Elle s’enracine dans la conviction que Dieu se souviendra des Justes, qu’il les relèvera, car le Juste qui vit parfois dans l’injustice et la souffrance ne peut rester ainsi dans les ténèbres de l’oubli. Dieu – qui est juste – saura se souvenir de l’homme juste, il saura le relever, le restaurer, faire briller sur lui sa justice.

Ainsi, dans le livre des Proverbes :
« Le méchant recueille un salaire décevant,
une récompense est assurée à qui sème la justice.
Oui, la justice mène à la vie,
mais qui poursuit le mal va à la mort » (Pr 11, 18-19).
Ou encore dans le Siracide :
« Vous qui craignez le Seigneur, ayez confiance en lui,
votre récompense ne vous fera pas défaut » (Si 2, 8).
« Accomplissez votre œuvre avant le temps fixé
et il vous donnera votre récompense en son temps » (Si 51, 30).

On retrouve chez Matthieu les traces de cette pensée.
Ce qui l’anime, c’est la confiance en Dieu… en la justice de Dieu.
L’homme juste ne met pas sa confiance en n’importe qui ou en n’importe quoi, il se repose sur Dieu, il attend tout de Dieu.
Pour lui, il est vain de chercher à obtenir l’approbation des hommes. Il lui faut davantage rechercher celle de Dieu, en accomplissant sa volonté, en mettant en pratique sa Parole.
Car la justice de Dieu – qui voit tout – prévaudra sur toute chose.

C’est donc en raison de sa relation à Dieu, en raison de sa foi en la justice de Dieu, que le croyant peut vivre dans un esprit de service, d’humilité et de gratuité.
Parce qu’il se sait aimé de Dieu, il peut aimer à son tour gratuitement, il peut librement accomplir des œuvres bonnes et justes.
Cela ne le protège pas de l’échec, ni des épreuves, cela ne le met pas à l’écart de la souffrance. Mais la foi en Dieu lui permet de persévérer avec courage et confiance, malgré l’adversité, malgré l’injustice du monde.
Ce qui lui permet de tenir … ce qui constitue son point de mire… c’est la folle espérance que lui offre sa foi… c’est l’espérance de la justice de Dieu, c’est l’espérance que Dieu – qui voit tout – approuvera ce qui, en lui, est juste et purifiera ce qui, en lui, ne l’est pas.

La récompense attendue n’est rien d’autre que cette espérance : celle de la bénédiction finale de Dieu. Le croyant espère que Dieu dira « oui », qu’il dira du bien de ce qui est bon, qu’il agréera ce qui est juste en lui… en d’autres termes… qu’il lui offrira sa bénédiction.

C’est cette pensée qu’on retrouve en substance dans le Siracide :
« La bénédiction du Seigneur est la récompense de l’homme pieux » (Si 11, 22).

En accueillant cette parole, il faut se demander si, dans la foi au Dieu de Jésus Christ, nous ne pouvons pas aller plus loin…
d’une part, en contemplant le Christ, le Juste crucifié que Dieu a relevé d’entre les morts, en le ressuscitant, afin de manifester sa justice…
et, d’autre part, en s’attachant à la grâce de Dieu qui est offerte à tout homme qui accepte de la recevoir et d’y répondre dans la foi.

En effet, si nous regardons en avant dans l’espérance de la bénédiction finale, nous pouvons aussi regarder en arrière, pour nous rendre compte que ce qui est espéré – le « oui » de Dieu – nous est, en réalité, déjà offert et manifesté en Jésus Christ.

Si l’idée de récompense ne vient pas ici contrarier la notion de gratuité, c’est précisément parce que cette récompense espérée nous est déjà donnée au départ.
Dieu nous offre sa bénédiction et sa grâce avant même de savoir si nous la méritons.
C’est cette bénédiction au nom du Dieu de Jésus Christ qui est dite et portée sur l’enfant au moment de son baptême. Pour le croyant, c’est particulièrement riche de sens de savoir que le début et la fin de notre existence sont marqués du sceau de la même espérance, de la même bénédiction.

Ce qui constitue le point de départ, la condition de possibilité de nos pratiques religieuses ou de nos bonnes œuvres, c’est l’amour de Dieu. Et ce qui en résulte, lorsque ces pratiques portent des fruits, c’est encore l’amour de Dieu.
En réalité, la récompense est déjà là… dans l’assurance de l’amour de Dieu.
La véritable récompense, la véritable bénédiction est d’être embauché dans la vigne du Seigneur, d’être ses ouvriers (cf. Mt 20, 1-16), ses enfants, de pouvoir compter sur son appui, d’être sûr de son amour.

C’est là… je crois… ce que nous pouvons retenir de notre méditation.

Les passages bibliques que nous avons entendus nous ont rappelé le sens, la finalité des œuvres de la foi : vivre des relations justes avec Dieu, et avec nos frères et sœurs… vivre une existence ajustée au désir de Dieu, à sa volonté de justice pour les hommes.

Alors, chers amis, frères et sœurs… Dieu nous donne de vivre concrètement notre foi dans l’amour du prochain. Il nous offre de pratiquer l’aumône, la prière ou le jeûne… avec le cœur… dans la simplicité et la gratuité… en nous enracinant dans la foi, l’espérance et l’amour… qui nous libèrent de tout légalisme, de tout calcul, de toute hypocrisie… pour accomplir simplement la justice.

Amen.


[1] Ce recentrement sur la personne de l’autre correspond en réalité à l’étymologie grecque du mot « aumône » qui vient du mot « compassion, miséricorde ». La « compassion » implique de se dé-préoccuper de soi-même, pour se centrer sur l’autre… pour se mettre à la place de l’autre, pour reconnaître ses besoins et ses souffrances, pour « souffrir avec lui » (c’est le sens du mot  « com-passion »).
[2] « Il y a une différence entre l’orgueil et la vanité. L’orgueil est le désir d'être au-dessus des autres, c'est l'amour solitaire de soi-même. La vanité au contraire, c'est le désir d'être approuvé par les autres. Au fond de la vanité, il y a de l'humilité; une incertitude sur soi que les éloges guérissent » (Henri Bergson).