dimanche 26 janvier 2014

Mc 10, 46-52 - Bartimée

Mc 10, 46-52 / Bartimée
Lectures bibliques : Mc 10,46-52 ; Jn 8,12   /  Louange : Ps 146
Thématique : quand la guérison passe par la parole / Bartimée
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 26/01/14
Inspirée en partie de E. Cuvillier, l’Evangile de Marc & J-M Babut, Actualité de Marc.


L’histoire de Bartimée est bien connue des lecteurs de l’Evangile. Depuis les pères de l’Eglise, elle a été longuement commentée par nombre de théologiens et d’exégètes. Ce matin, sans être exhaustif, je vous propose de nous arrêter sur 3 points :

- 1er point… on peut se demander pourquoi les évangélistes ont absolument tenu à nous transmettre l’histoire de cette rencontre entre un aveugle et Jésus.
La réponse la plus évidente, c’est qu’à travers ce récit, ils veulent nous dire quelque chose de l’identité de Jésus.
Pour eux… Jésus est celui en qui le règne de Dieu s’est approché.
Les miracles en sont des signes… des signes – il est vrai – ambigus, si on les réduit à une dimension magique et surnaturelle.
Bien au-delà de leur aspect spectaculaire, les miracles sont d’abord là – et racontés par les évangélistes – pour témoigner qu’un changement est toujours possible… que la nouveauté peut toujours surgir dans notre vie… quand on se place sous le regard du Seigneur, quand on ose lui faire confiance.

C’est précisément ce que fait Bartimée quand il crie avec force vers Jésus, quand il veut attirer son attention, quand il implore sa bonté et sa compassion, comme une prière pour crier sa détresse, son isolement et sa souffrance.
Bien sûr, cela conforte ce qui est dit dans autre passage des évangiles où Jésus nous donne cet enseignement : «  demandez, on vous donnera ; cherchez, vous trouverez ; frappez, on vous ouvrira » (cf. Mt 7,7).
Jésus nous appelle à nous placer devant Dieu, à oser nous confier à lui, pour lui faire part de nos demandes, de notre désarroi, de nos besoins, de nos projets.
Si Dieu est le Dieu vivant, le Dieu de la vie, il veut répondre à nos désirs de vie… à tout ce qui nous rend vivant, à tout ce qui nous fait grandir et avancer. Il veut nous soutenir et nous accompagner.
Mais, ce que laisse aussi entendre notre passage – à travers l’attitude de Jésus (qui suscite le courage de l’homme aveugle en l’invitant à se mettre en mouvement) – c’est que Dieu ne veut pas faire ça tout seul, sans nous.
Il veut que nous soyons acteurs de notre vie… même si lui en est l’auteur. Il veut nous assister, sans faire de nous « des assistés ».
Il nous offre son Esprit d’amour et de guérison, tout en sollicitant notre concours… notre désir et notre engagement.
On voit bien dans cette rencontre avec Jésus, combien Bartimée est actif… la façon dont il prend l’initiative… puis – à travers ses gestes et ses paroles – la manière dont il exprime sa volonté de changement, son désir de s’en sortir… pour vivre autrement.

La 1ère chose que nous laisse entendre ce récit, c’est le cri répété de Bartimée… un cri qui exprime sa souffrance – je l’ai dit – mais aussi son espérance et sa confiance :
« Fils de David, Jésus, aie pitié… aie compassion… de moi ! » (v.47)

Evidemment, on comprend mieux le sens de ce cri quand on connaît la situation d’un aveugle au temps de Jésus. A cause de son handicap, l’homme est complètement exclu : il est « assis sur le bord du chemin » (v.46), c’est-à-dire marginalisé.
Son handicap l’a rejeté aux marges de la société ; il l’a rendu passif et totalement dépendant… le privant de toute vie sociale épanouissante… l’empêchant d’être reconnu comme un être humain à part entière… le réduisant à occuper un rôle d’« infirme » condamné à perpétuité à la mendicité.

Il faut remarquer ici le titre inhabituel « Fils de David » qu’il donne à Jésus.
Le « Fils de David », c’est le roi dont Dieu a parlé jadis à David par la bouche du prophète Natan (2 S 7,12-16) : « Quand […] tu seras couché avec tes pères, j'élèverai ta descendance après toi [...] et j'établirai fermement sa royauté. […] Ta maison et ta royauté seront stables à jamais, ton trône affermi pour toujours ».

Au temps de Jésus il y a déjà six siècles que la dynastie de David a disparu, mais on sait que Dieu ne peut faillir à sa promesse.
En cette période troublée – vécue sous la domination de l’occupant romain – on attend plus que jamais le roi promis qui doit venir sauver Israël.
Le titre « Fils de David » sert donc à désigner ce roi sauveur que Dieu a promis ; c’est une autre appellation du Messie.

Comment Bartimée en est-il arrivé à penser que Jésus était ce roi sauveur attendu ? Probablement par la rumeur publique. Mais il est clair que Bartimée en est profondément convaincu.
Avec ses contemporains, il sait que l’arrivée du Messie doit apporter enfin un grand retournement de situation.
Il se rappelle, en effet, que, selon le livre d’Esaïe (cf. Es 35,5-6), quand le Messie viendra, « les yeux des aveugles verront, les oreilles des sourds entendront, le boiteux bondira comme un cerf et la bouche du muet criera de joie » (voir aussi Mt 11,5).

Pour Bartimée, l’aveugle… l’heure de la délivrance a donc sonné. Il ne faut surtout pas la laisser passer. D’où la vigueur – presque la violence – qu’il déploie pour se faire entendre par-dessus le brouhaha du cortège des pèlerins qui accompagnent Jésus.

Ce titre messianique utilisé par Bartimée, peut, d’ores et déjà, nous poser une question, à nous aussi :
Croyons-nous – comme lui – que Jésus est ce Messie capable de changer notre vie ?
Croyons-nous – nous aussi – qu’il nous est possible d’adresser nos prières au Seigneur ? …. Non pas pour demander tout et n’importe quoi… non pas une prière magique où Dieu aurait tout à faire à notre place… mais une prière qui nous engage avec lui… une prière qui nous incite nous-mêmes au changement… en demandant à Dieu qu’il nous donne la force d’accepter et d’opérer des transformations dans notre vie et notre monde ?

- Le 2ème point que je voulais révéler avec vous concerne justement l’attitude de foi engagée de Bartimée… à qui Jésus adressera cette fameuse réponse : « Va, ta foi t’a sauvé » (v.52).

Après avoir crié vers Jésus… et après que celui-ci se soit arrêté… Marc nous raconte que Jésus le fait appeler (v.49)… que l’aveugle rejette son manteau, qu’il se lève d’un bond, et qu’il s’avance vers Jésus (v50)… alors qu’il n’y voit strictement rien.

Il faut s’arrêter un instant sur ces précisions, notamment sur ce manteau qu’il laisse tomber : Dans la Bible, le vêtement est signe d’identité. En soulignant qu’il rejette son vêtement, Marc veut nous dire que Bartimée se dépouille de ce qui fait son identité aux yeux de ceux qui le croisent chaque jour sur le bord de la route. Il ne veut plus de cet habit trop étroit qu’on lui colle à la peau, qui l’enferme et le réduit à un rôle d’aveugle et de mendiant.

Par ce geste, il manifeste également son courage : Il ose abandonner ses défenses et ses protections… la carapace derrières laquelle il se protégeait des autres. Il se met, en quelque sorte, à nu et expose encore plus sa faiblesse et ses difficultés. Puis il prend le risque de se lever et de se diriger seul vers Jésus… en aveugle.

Mais les choses ne s’arrêtent pas là : Comme si ce n’était pas évident… et comme si ce n’était pas suffisant… après l’avoir incité à se lever et à se mettre en mouvement (v.49), pour occuper un statut d’homme debout… Jésus lui demande alors d’exprimer son désir de guérison… comme s’il fallait que l’aveugle confirme sa prise d’autonomie par la parole.

« Que veux-tu que je fasse pour toi ? »
L’aveugle répondit « Rabbouni, que je retrouve la vue » (v.51)

Par cette question, Jésus nous montre une chose : la guérison à laquelle aspire Bartimée, ne peut advenir qu’à travers sa parole… une parole qui le restitue à lui-même.
Pour retrouver sa dignité, Bartimée doit devenir un être de parole qui exprime publiquement, et sans détour, son manque et son désir… ce qui le fait souffrir et dont il veut être libéré. 

L’aveugle répond à Jésus en l’appelant « Rabbouni »… un terme qui exprime une confiance et une proximité avec le « Rabbi », le maître Jésus.
Ce titre montre qu’il s’agit pour lui d’une rencontre personnelle et intime, qui le touche au plus profond de son existence.
En Jésus, il a enfin rencontré quelqu’un qui est prêt à le reconnaître pleinement… qui est prêt à écouter son désir… qui est prêt à l’aimer tel qu’il est.
Un tel amour – qui accueille et qui relève – est évidemment libérateur.

Alors, sans que Jésus ne fasse aucun geste… en reconnaissant simplement la démarche de confiance inouïe de Bartimée, par cette seule parole : « va, ta foi t’a sauvé » … Marc nous dit que l’homme, non seulement, retrouva la vue, mais qu’il s’engagea à la suite de Jésus sur le chemin… autrement dit, qu’il devint son disciple (v.52).

Ce qui se passe dans ce récit de guérison est très intéressant :
Marc ne relate aucun geste magique qui nous inciterait à classer ce miracle dans la catégorie des événements mystérieux et surnaturels.
Ce qu’il met en avant, c’est la rencontre de foi d’un homme qui advient à la parole, grâce à un autre homme (Jésus) dont la Parole est aimante et libératrice. 

Autrement dit… tout se joue ici par la Parole du fils de Dieu : une parole (une question, en réalité) qui incite Bartimée à changer de place et à prendre la parole… et qui se fait parole d’accueil et de libération.

La manière dont Jésus s’y prend avec cet homme aveugle peut nous instruire sur notre façon de comprendre le salut… et sur notre façon de comprendre les miracles…

Je crois qu’il y a deux écueils à éviter :
- D’une part, on entend parfois autour de nous cette expression : « Qu’est-ce que j’ai fait au bon dieu, pour mériter ça ».
Croire aux miracles, ce n’est évidemment pas une question de « mérites ». Bartimée n’a pas mérité son handicap, comme il n’a pas mérité son salut, sa guérison.
Tout ce qui peut nous arriver dans la vie n’est pas forcément une question de « mérites »… Heureusement !… mais bien plus une question de « rencontres ».
Bien évidemment, dans certaines situations, nous pouvons subir les conséquences de nos actes… mais nous pouvons aussi rencontrer des événements fortuits, imprévus et accidentels… nous pouvons en être victimes, sans en être responsables.

- D’autre part, croire aux miracles, ce n’est pas croire que Dieu agirait du haut du ciel indépendamment de nous, de notre personne, de notre volonté, de notre liberté. Ce n’est pas croire que Dieu aurait tout à faire, sans que nous n’ayons rien à faire.

L’attitude de Jésus dans cette rencontre nous montre que le Seigneur ne veut pas agir à notre place. Il ne veut faire qu’avec nous. Il veut que nous soyons partie prenante de notre salut.
Nous voyons que, par son appel et son questionnement, Jésus rend Bartimée pleinement acteur de sa guérison… alors qu’au début du récit, il faisait simplement « partie du décor »… appelé à patienter indéfiniment au bord du chemin… car c’était la place que la société de l’époque – avec la complicité des hommes – réservait aux personnes handicapées.

Entre parenthèses… la manière d’agir de Jésus peut nous faire penser à un autre passage de l’évangile quand il ose demander à un homme paralysé depuis 38 ans au bord de la piscine de Bethzatha … si, vraiment, il veut guérir (cf. Jn 5,6).

Bien entendu… notre expérience quotidienne nous montre qu’il ne suffit pas forcément de vouloir guérir, pour y parvenir… sinon beaucoup de fauteuils roulants seraient vides autour de nous…
Mais, pour le moins, ce que l’évangile nous rappelle, c’est qu’il faut déjà – et quand même – le vouloir et y croire, pour s’engager dans un chemin de guérison… que toute guérison implique notre participation… qu’on ne peut pas demander au Seigneur du changement dans notre vie, si nous ne sommes pas prêts, nous-mêmes, à changer… à nous y engager.

Du coup… je crois que nous pouvons réfléchir personnellement et collectivement à cette question posée par Jésus : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » ; « veux-tu guérir ? »
Voilà, en réalité, une question qui s’adresse à chacun d’entre nous…
Qu’aurions-nous à lui répondre aujourd’hui ?
Sommes-nous vraiment d’accords pour que des choses changent dans notre vie et dans notre monde ?... quitte à ce que cela vienne nous bousculer dans nos fonctionnements, nos croyances et nos habitudes… quitte à devoir renoncer à certaines choses… et peut-être, dans nos sociétés occidentales, à un certain confort… à nos prérequis et nos prés-carrés, notre argent ou notre pouvoir… pour plus de justice autour de nous ?
Sommes-nous prêts à nous laisser renouveler et transformer par l’Esprit de Dieu ? à faire place à la nouveauté ?

- Enfin, je terminerai par un 3ème et dernier point dans notre passage. Il s’agit de l’attitude de la foule… et celle de « disciple(s) ».

A travers le comportement de ceux qui sont autour de Jésus, Marc nous interroge sur ce que signifie « voir » ou « être aveugle » :

Au départ, il nous présente une foule d’admirateurs qui suit Jésus, mais sans forcément reconnaître en lui le Messie, celui qui peut changer les choses, pour autant qu’on lui fasse vraiment confiance, qu’on s’engage avec lui.
Quand un aveugle se fait remarquer sur le chemin, en criant, en vociférant, elle le rabroue et cherche à le faire taire (v. 48)… alors que tout en étant aveugle, il est justement en train de crier sa foi en Jésus, comme Messie… comme son Sauveur.
Il faudra alors l’insistance de Bartimée et l’intervention de Jésus, pour que la foule change d’avis, pour qu’elle accepte que l’homme quitte la place qu’on lui avait assignée, pour qu’elle cesse de faire obstacle à la rencontre et finisse, au contraire, par encourager l’homme à s’approcher (v. 49).

On voit bien ici l’inversion des rôles entre « aveugle » et « voyants » :
Alors que l’homme est médicalement aveugle, il voit parfaitement clair par le cœur et par la foi. Il a discerné qui est Jésus, malgré son handicap.
Au contraire, alors que la foule est vraisemblablement constituée d’hommes et des femmes bien-voyants, elle fait, d’une certaine manière, preuve de cécité, d’un aveuglement spirituel. Elle ne voit pas encore Jésus avec les yeux de la foi.

Par ce jeu de croisement, le récit nous appelle à nous positionner : comment voyons-nous Jésus, nous aussi ? Le reconnaissons-nous comme notre sauveur personnel ?... comme celui qui vient manifester le projet de salut de Dieu ?

Par ailleurs, cette inversion des rôles nous invite à nous questionner de  deux façons différentes :

- D’abord, que penser de cette foule de bien-voyants qui « suit » Jésus, mais qui ne semble pas avoir compris ce que « suivre » signifie vraiment… dans la mesure où le regard de cette foule reste insensible à l’appel de cet homme ?
Qui sont ces disciples qui semblent attentifs au Christ, mais qui n’ont même plus d’yeux pour ceux qui sont bloqués et enlisés au bord du chemin… qui ne voient même plus ses aveugles et ses mendiants… sauf pour les faire taire et les empêcher de déranger ?
Qui est vraiment « aveuglé » dans cette histoire ?
Et qu’en est-il de nous aujourd’hui ?

Malheureusement, il suffit de fréquenter – à l’occasion – les métros parisiens pour se rendre compte que les choses n’ont pas complètement changé.
Certes, aujourd’hui, les aveugles peuvent toucher une « allocation adulte handicapé », qui leur confère un revenu de base, leur permettant de ne plus vivre de la mendicité. Mais qui se soucie réellement d’eux ?
Qui regarde encore tous les laissés-pour-compte affalés sur les sièges ou à même le sol sur les quais du métro ? Qui s’en préoccupe réellement ? Vingt siècles après Jésus… on peut s’étonner de notre incapacité et de notre inaptitude au changement… on peut s’interroger sur le manque de motivation de l’homme, pour réellement changer les choses. Et cela nous indique que le combat contre l’indifférence et l’exclusion est loin d’être terminé.

- D’autre part – et d’une autre manière – ce récit nous invite également à nous interroger sur le rôle de disciple(s) :
« Être disciple »… « suivre le Christ »… ce n’est sûrement pas « faire obstacle » à la rencontre avec le Seigneur…comme la foule a d’abord tenté de le faire avec Bartimée. C’est, au contraire, tout faire pour la permettre… pour « favoriser » cette rencontre.

Du coup… ce passage vient questionner notre aptitude au témoignage :
Que pouvons-nous faire pour favoriser la rencontre de nos contemporains avec l’Evangile… pour permettre à nos amis, à nos voisins, à nos connaissances d’approcher Jésus, comme cet aveugle ?
Osons-nous dire que nous sommes Chrétiens et Protestants autour de nous ?
Mieux encore : Pourquoi n’oserions-nous pas proposer à une personne de notre entourage de découvrir le Protestantisme, de venir à un culte, au moins une fois, par curiosité ?
En bref… osons-nous faire entendre ce qui fonde notre espérance et notre confiance dans la vie : le fait que nous plaçons notre foi en un Dieu Vivant… en un Dieu Créateur et Sauveur.  

* Je crois, chers amis, que ce que nous redit l’Evangile de ce jour, c’est que l’accueil, le témoignage et la guérison passent par la parole.

Alors… n’ayons pas peur… n’ayons aucune crainte !
Accueillons dans nos cœurs Jésus-Christ… celui qui vient incarner la Parole de salut de Dieu… et osons faire connaître cette Parole autour de nous. Car elle est véritablement susceptible de transformer notre vie et notre monde… pour peu que nous lui donnions plus d’espace en nous et autour de nous… pour peu que nous acceptions de quitter le manteau des convenances, des apparences, des règlements, de la morale peut-être… pour recevoir et adopter celui d’enfants de Dieu.

C’est bien là, fondamentalement, ce que nous rappellent les récits de miracles : Ils manifestent l’irruption de la grâce de Dieu… Ils nous redisent que cette grâce a le pouvoir de briser les déterminismes… qu’elle permet aux hommes de franchir et de dépasser les frontières, les limites et les obstacles que les circonstances, l’histoire et les usages humains ont parfois posés de façon injuste et arbitraire.

Face à l’injustice… face à tous ce qui nous enferme et nous aveugle… l’Evangile vient nous redire que la grâce et la foi ont la capacité de faire sauter des verrous, d’ouvrir des yeux et des portes, pour nous rendre libres et vivants, à la suite de Jésus Christ.

Amen.

dimanche 19 janvier 2014

Mt 22, 1-10 - Lc 14, 15-24

Lc 14, 15-24 / Mt 22, 1-14
Lectures bibliques : Lc 14, 15-24. 25-27.33 ; Mt 22, 1-14
Thématique : quand la grâce appelle notre réponse et notre adhésion
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Marmande, le 19/01/14

* « Heureux celui qui prendra part au repas dans le Royaume de Dieu » (cf. Lc 14,15)

Cette introduction de la parabole des invités au festin en dit long sur notre façon de comprendre le message de Jésus aujourd’hui encore – ou plus exactement – sur notre manière de ne pas vouloir l’entendre.

L’homme qui partage son pain avec Jésus imagine le Royaume comme une réalité future… dans un ailleurs… un domaine privé, réservé à quelques-uns.

Or, à travers une histoire insolite, Jésus lui répond qu’il fait erreur… que le Royaume c’est déjà « maintenant ».

Jésus – par sa Parole et sa personne – vient rendre manifeste ce Royaume. Il est là… il est accessible, dès aujourd’hui… dès que l’invitation retentit.

Il nous rappelle que l’invité, c’est toi, c’est moi, c’est nous… que nous sommes tous conviés… appelés, dès maintenant, à prendre part à cette nouvelle réalité… à ce règne de Dieu sur/dans nos vies.
Car il ne s’agit pas d’un lieu, ni d’une époque, mais plutôt d’une modification complète de notre existence, de notre manière de penser et de vivre.

* Pour nous dire cela, Jésus raconte une parabole des plus extravagantes :
Un maître de maison a un projet : organiser un festin et inviter ses amis. Mais, tous les invités se récusent les uns après les autres. Devant leur refus de venir, le maître se met en colère.
Dès lors, il n’abandonne pas son projet, mais décide de l’élargir. Il choisit d’ouvrir sa table à d’autres invités, plus nombreux et différents de ceux qu’il avait initialement appelés.

Il y a au moins deux bonnes nouvelles dans cette parabole :
- la 1ère, c’est l’attente et la persévérance du maître. Malgré le refus des premiers invités, le maître ne se décourage pas. Bien au contraire, il rebondit sur leur refus, pour élaborer un nouveau projet… pour ouvrir le festin à d’autres invités pour le moins inattendus : des pauvres, des estropiés, des aveugles, des boiteux.
- La 2ème bonne nouvelle, c’est justement l’identité des convives. Ceux qui sont habituellement oubliés ou exclus de la vie sociale et religieuse… les laissés-pour-compte du fait de leur état (pauvreté, handicap, maladie, impureté)… sont désormais invités et accueillis. Jésus montre ainsi ce qui caractérise la joie du royaume : chaque événement qui abat les frontières… qui crée des contacts, des liens, de la solidarité… chaque situation où des personnes sont accueillies, reçues, pardonnées, aimées, de façon inconditionnelle… chaque situation où des personnes se rapprochent et s’entraident… sont des temps de fête.
Chacun est invité à prendre part à la communion du royaume, quelle que soit sa situation personnelle… ses qualités, ses différences.
Comme le dit l’apôtre Paul (cf. Ga 3, 28), il n’y a plus ni pauvre ni riche, « ni homme ni femme », « ni Grec ni Juif », ni malade ni bien-portant. Il n’y a plus que des invités au grand festin offert par le maître.

* Mais la parabole nous en dit plus. Derrière ces bonnes nouvelles – qui font résonner la grâce de Dieu qui s’offre à tout être humain et l’appel adressé à chacun – les évangiles nous laissent également entendre deux choses, deux exigences :

-      la 1ère relève de l’écoute, de notre capacité de répondre à l’appel (cf. Lc 14, 15-24).
-      La 2nde de l’engagement, de notre aptitude à nous accorder à l’appel du maître, en revêtant le vêtement adéquat… celui que Dieu attend de nous : la justice (cf. Mt 22, 1-10).

Regardons cela à travers les deux récits évangéliques :

* Si on relie la parabole de Luc avec ce qui suit dans son évangile (cf. Lc 14, 25-27.33), on s’aperçoit vite qu’il est question de notre liberté et de nos choix de vie :

Quelle réponse allons-nous apporter à la grâce de Dieu ? Quelle écoute, quelle attention et quelle disponibilité sont les nôtres face à l’appel qu’il nous adresse ?

Il est question de priorités et de préoccupations :
Les premiers convives ont été appelés, mais se sont dérobés pour différentes raisons. Leurs préoccupations mondaines (d’ordre pratique, économique, social ou conjugal) sont passées avant la préoccupation du Royaume.
Ne réalisant pas l’importance et l’urgence qu’il y avait à répondre à l’appel du maître, ils ont refusé son invitation, en s’excusant.
Ils se sont sans doute dit qu’ils pourraient bien y répondre plus tard. Ce n’était pas leur préoccupation du moment.

Or – dans le discours qui suit la parabole – Jésus précise qu’être disciple, implique justement d’oser quitter… d’accepter de renoncer à… nos préoccupations les plus élémentaires, les plus immédiates… pour se laisser orienter vers une préoccupation plus déterminante – une préoccupation ultime – : marcher à sa suite.
C’est ce que Matthieu résume ailleurs dans son évangile par la phrase suivante : « Cherchez d’abord le royaume et la justice de Dieu, et tout [le reste] vous sera donné par surcroit » (cf. Mt 6,33 // Lc 12, 31).

La question en jeu est celle de nos priorités… de notre « préférence » (cf. Lc 14,26), pour reprendre ce que dit Jésus : Le préférer, lui et son chemin, à tout autre chose.[1]

En d’autres termes… la réponse à l’invitation posée par le maître, relève d’un choix :
« Choisir » implique de distinguer, de discerner, d’établir des priorités, de hiérarchiser… et par là-même, de renoncer à ce qui est second, pour s’orienter vers l’ultime.

Jésus précise qu’il ne s’agit pas là seulement de quelque chose d’important – d’essentiel – mais d’une réalité urgente.
Il y a, en effet, une urgence à répondre à l’invitation que Dieu nous adresse pour entrer dans son règne, pour y prendre part, pour en être les invités et les artisans.  

Si nous voulons que les choses changent autour de nous… si nous voulons que notre monde (traversé par tant de misères, de convoitises et d’injustices) se transforme, qu’il soit salé au gout de l’Evangile… nous ne pouvons plus attendre, nous dérober, nous excuser, renvoyer notre participation à plus tard… en vue d’un hypothétique lendemain… d’un royaume post-mortem.

Evidement… comme les personnages de la parabole, on aurait – encore au 21e siècle – sans doute chacun de bonnes raisons – de bonnes excuses – pour repousser une fois de plus son invitation :
« Je ferai ça quand j’aurais le temps… je m’en occuperai quand je serai à la retraite… quand j’aurai réglé mes affaires courantes… celles qu’en réalité, on n’a jamais fini de régler ni dans le présent ni dans le futur… car il a toujours à faire ».

Mais, le problème crucial, pour nous auditeur de l’Evangile, c’est que Jésus parle d’un Royaume pour ici et maintenant !
Et c’est la raison pour laquelle, il appelle tous ceux qui désirent le suivre à se positionner, à répondre dans le présent :
Le repas est prêt, l’invitation est lancée. Le dîner ne peut plus être reporté.
Jésus a besoin de nous, dès aujourd’hui, pour faire entendre la Bonne Nouvelle de son Evangile… pour propager la nouvelle mentalité et les valeurs du Royaume.

Alors, bien sûr… on peut toujours entendre dans notre passage une sorte de menace pesante, destinée à nous persuader : Il y aurait, pour chacun, un risque à refuser ou à différer l’invitation, car la fête aura quand même lieu. Elle aura lieu de toute façon… avec ou sans nous… Mais avec et grâce à tous ceux qui répondront.

Quoi qu’il en soit, la question n’est pas là. Jésus nous appelle… et c’est là l’essentiel !
Il veut que la maison soit pleine. Il veut que nous fassions partie des convives, pour gouter à la joie de la fête.

Dans notre société contemporaine où règne, à la fois, un certaine indifférence (chacun s’occupant de ses propres problèmes) et une explosion de la communication via Internet, les Médias et les réseaux sociaux (ne permettant plus réellement de dégager l’essentiel, de l’accessoire et du superflu), il est important de prendre le temps d’écouter et de réentendre l’appel que Jésus nous adresse :
Il souhaite vraiment que nous y répondions. Il demande notre participation active.
Jésus compte sur nous – sur ses disciples – pour participer à la réalisation du projet de Dieu… pour prendre part à ce règne de justice et de paix que Dieu veut pour les humains.
Et c’est la raison pour laquelle il invite avec insistance tous ceux qui entendent son message… tous ceux qui veulent le suivre.

* La 2nde exigence que nous laisse entendre l’évangile, c’est Matthieu qui la fait résonner, dans la mesure où il a ajouté une fin à la parabole, à travers l’histoire d’un homme qui ne porte pas de vêtement de noce.

Sans entrer dans le détail, il faut dire que le contexte où apparaît la parabole est très différent de l’évangile de Luc.
Matthieu utilise la parabole de Jésus comme une allégorie qui présente l’histoire du salut :
Un roi organise des noces pour son fils et envoie ses serviteurs pour convier ses invités. Le refus de ces derniers s’accompagne du meurtre à l’encontre des serviteurs (Cf. Mt 21,35 et 23, 37) provoquant la vengeance du roi, en particulier l’incendie de leur ville.
Cela fait bien sûr allusion au refus historique des prophètes (et de Jésus) par une partie du peuple Juif et à la destruction de la ville de Jérusalem.
Ce rejet inaugure alors l’ouverture du repas à d’autres convives (v. 10) – aux Païens – pour lesquels une robe de noce est exigée, faute de quoi l’accès à la salle de noces est interdit (v. 11-13).

L’histoire de cet homme expulsé du grand festin par le roi, parce qu’il n’a pas revêtu d’habit de noce, a fait couler beaucoup d’encre.
Pour tenter une interprétation, il faut se souvenir qu’à l’époque de Jésus, on vous donnait un bel habit pour vous vêtir à l’entrée de la noce (si vous n’en aviez pas). Ce n’est donc pas une question de moyens si l’homme ne l’a pas revêtu, contrairement aux autres convives.

En réalité, dans la Bible, le vêtement est un signe d’identité. Il révèle le statut d’une personne. Il exprime ce que l’on est, l’état d’esprit dans lequel on se situe.
Rappelez-vous, par exemple, ce qui se passe à la fin de la parabole dite « de l’enfant prodigue » (cf. Lc 15,11-32). Le premier réflexe du père, est de revêtir son fils cadet en haillons de sa plus belle tunique, pour manifester clairement qu’il est son fils et qu’il le reste.
L’apôtre Paul utilise aussi l’image du vêtement en ce sens, lorsqu’il parle de « revêtir le Christ » (cf. Ga 3,27 ; Rm 13,14 ; Ep 4,24 ; Col 3,10), comme pour exprimer l’adoption d’une nouvelle identité que nous recevons en Jésus Christ… en vivant en communion avec le Ressuscité.

Alors, on peut se demander ce que l’évangéliste veut ici exprimer à travers ce vêtement manquant.
En bon lecteur de l’évangile, vous avez sans doute remarqué que « la justice et les œuvres de justice » constituent une préoccupation dominante chez Matthieu (cf. Mt 5,6.10 ; 5,16-20 ; 6,33 ; 7,21-23).
Il est donc probable que l’habit de noce manquant à cet homme soit le symbole de la justice, de cette vie juste que le Seigneur veut nous donner par son Esprit et qu’il nous appelle à vivre et à mettre en pratique.

Au niveau de la parabole, cela signifierait que l’homme en question avait certes répondu à l’appel de Dieu, mais sans réellement en prendre la mesure, sans s’y engager, sans que cela ne change quoi que ce soit dans sa vie.

S’il n’a pas changé de vêtement, c’est précisément qu’il n’a rien changé, qu’il ne s’est pas laissé transformer par l’appel de Dieu, par sa grâce… que cela n’a finalement eu aucun impact dans son existence.
Il est finalement resté étranger à la fête des noces offerte pour le fils.

C’est justement ce que semble nous montrer Matthieu dans la suite de la parabole :
Quand le roi interroge l’homme sur sa tenue incorrecte, celui-ci reste muet, sans voix. Ce silence indique son incapacité à entrer en relation avec celui qui l’a invité.

S’il s’avère incapable de répondre quoi que ce soit, c’est vraisemblablement qu’il n’a rien compris au sens de l’appel du Seigneur… qu’il n’en a tiré aucune conséquence dans sa vie.
Il y a peut-être répondu, mais sans reconnaître le don qui lui a été fait… sans que cela ne modifie réellement quelque chose dans son existence et ses relations avec les autres… Autrement dit, sans prendre la grâce au sérieux.

Ce dernier élément de la parabole nous donne une information importante :
L’invitation de Dieu est certes gratuite et nous sommes invités à y répondre… mais elle est aussi exigeante[2] :

Répondre à l’invitation, ce n’est pas seulement dire « oui », c’est réellement s’y engager (cf. Mt 7, 21-23 ; 22, 28-32), c’est franchir un pas décisif qui nous ouvre à une nouvelle identité – celle de frères et sœurs de Jésus Christ – à un changement d’orientation, pour réellement faire route avec Jésus, « pour chercher le règne et la justice de Dieu » dans notre vie (cf. Mt 6,33).

* Voilà … chers amis… ce que nous pouvons retenir de cette méditation :

La parabole du maître qui convie largement au festin, nous redit l’invitation qui nous est adressée :
Nous sommes tous appelés à participer au Royaume de Dieu… à ce règne de justice, de paix et de joie qu’il attend pour nous. C’est un cadeau qui nous est fait, une grâce qui nous est offerte.

Pour autant… Jésus nous rappelle que cette invitation attend une réponse concrète de notre part ! Pas un « non… excuse moi… je n’ai pas le temps »… pas non plus un « oui » du bout des lèvres… Mais une vraie réponse, synonyme d’engagement et de responsabilité. Car « suivre le Christ » – ou « revêtir le Christ » – implique des choix, des changements, de nouvelles priorités.

Alors… n’hésitons plus… répondons, en toute confiance !
Puisqu’un nouvel habit nous est offert – un habit de noce – comme un vêtement à revêtir au-dessus de l’autre (cf. 2 Co 5, 1-3) pour vivre une vie nouvelle… Osons porter ce nouvel habit, comme signe de notre identité d’« enfants de Dieu ».
Osons revêtir le vêtement de la confiance, de l’amour, du pardon, de la justice, de la paix… pour prendre part au royaume… pour en être des artisans… et pour nous réjouir avec le Seigneur.
Amen.




[1] Le grec rend toute la radicalité de cette « préférence », puisque Jésus parle de venir à lui, en haïssant le reste, y compris sa famille. Le verbe grec parle de « haïr » (cf. Lc 14,26).
[2] C’est en ce sens qu’on peut dire (à la suite de Bonhoeffer) que la grâce a un prix. Car si elle nous est offerte, elle nécessite notre réponse, elle attend notre adhésion.
C’est précisément là que réside l’élection, que Matthieu distingue de l’appel :
Tous sont appelés, mais tous n’osent pas répondre, tous n’osent pas s’engager.

dimanche 12 janvier 2014

Mc 5, 25-34

Mc 5, 24-34
Lectures bibliques : Lv 15, 25-31 ; Mc 5, 21-43
Thématique : sauvé(e) par la foi / Quand la loi exclut… la foi transgresse, sauve et libère
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 12/01/14
Inspirée en partie de J.M Babut, Actualité de Marc.

* Ce matin, je vous propose de laisser de côté l’épisode de la fille de Jaïros, pour porter notre attention sur la rencontre inopinée entre Jésus et une femme souffrant d’hémorragies – ou plutôt de métrorragie – depuis 12 ans.

L’évangéliste Marc aurait certainement pu classer l’histoire de cette femme dans la catégorie des récits de croyances magiques et superstitieuses, et pourtant, il a décidé de l’inclure dans son évangile pour nous parler de la foi… d’une foi qui a permis à cette femme de rencontrer Jésus et d’obtenir la guérison.

Alors, comment comprendre le comportement de cette femme et la réaction de Jésus ? Quelle Bonne Nouvelle… quel message de salut… ressort de cette rencontre ?

Tout d’abord, Marc brosse le portrait de cette femme… un portrait peu flatteur : La femme est malade et souffre depuis 12 ans. Elle est pauvre et anonyme. (On ne connaît pas son nom.) Sa souffrance et sa pauvreté, elle les doit à sa maladie, mais aussi aux médecins qu’elle a côtoyées en nombre, sans résultat positif. Au contraire, son état s’est plutôt dégradé et elle n’a maintenant plus aucune ressource pour recourir à de nouveaux soins. La précarité est venue s’ajouter à la maladie.

Par ailleurs, cette femme vit dans l’exclusion et la marginalité : Dans la société juive de son temps, le sang qu’elle perd la rend impure en permanence. Le livre du lévitique est tout à fait clair sur ce point[1]. Tout ce que cette femme touche devient « impur » et rend « impurs » ceux ou celles qui y toucheraient à leur tour.
Or, pour un Israélite, être « impur », c’est être exclu de la synagogue et de la vie communautaire, c’est en quelque sorte être temporairement excommunié.
Tout le drame de cette femme est que la cause de son impureté ne cède à aucun traitement. Elle se trouve ainsi dans l’impasse… condamnée à rester en marge de sa communauté de vie, de façon permanente.

Mais voilà qu’un événement se produit. La femme a entendu parler de Jésus, sans doute comme d’un homme capable de guérir les malades. Elle saisit alors l’occasion de son passage comme une chance à ne pas manquer.
Elle, la femme « impure », qui ne doit toucher personne, entend profiter de la situation. Malgré l’interdit qui pèse sur elle, elle se glisse, anonyme, au milieu de la foule, avec le fol espoir d’arracher une guérison, en touchant Jésus ou plutôt son vêtement.[2]

Subrepticement, furtivement, elle vient par derrière, un peu comme une voleuse, et touche le manteau de Jésus (v.27).
« Aussitôt – nous dit Marc – sa perte de sang fut séchée et elle su dans son corps qu’elle était guérie de son mal » (v.29)
Que s’est-il passé ?
L’évangéliste Marc ne le précise pas. D’ailleurs comment pourrait-il le savoir ? Comment peut-il savoir que la guérison a réellement lieu à cet instant précis ? Seule la femme pourrait le dire.
Il tente bien sûr de nous donner une explication (une explication cohérente avec le niveau de connaissances de son époque) : « une force serait sortie de Jésus »…  un magnétisme, une sorte de puissance, aurait guéri la femme au moment où elle touchait le manteau de Jésus (v.30).
Il faut bien avouer que ce genre d’explication satisfait difficilement nos esprits modernes et rationnels du 21e siècle.
Quoi qu’il en soit… avouons que même la science d’aujourd’hui est loin de tout savoir et de tout maîtriser. Il y a là une part de mystère qui indique que ce n’est pas sur la guérison en elle-même que le lecteur de l’évangile doit se focaliser… mais sur la rencontre entre la femme et Jésus. Car c’est seulement à la fin de leur entretien que Jésus prend acte de la guérison et renvoie la femme en paix.

La suite du récit nous montre que Jésus s’est aperçu de ce qui vient de se produire.
C’est là un fait étonnant : Alors que la foule le presse de tous côtés et le bouscule, Jésus, lui, ressent que quelqu’un l’a touché autrement, de façon intentionnelle.

Un père de l’Eglise – Ephrem de Nisibe (du 4e siècle) – dans un commentaire sur ce passage de l’évangile relève justement la chose. Voilà ce qu’il écrit :
« "Qui m'a touché?" demande Jésus. Les disciples répondent : "La foule te presse de tous côtés et tu demandes qui t'a touché !"
Les disciples indiquaient à Notre Seigneur que toute la foule le touchait, et Notre Seigneur indiqua aux disciples qu'une seule parmi tous l'avait touché.
Tous le touchaient à cause de la bousculade des gens : une seule, cependant, dans sa douleur, l'avait réellement touché.
Les disciples avaient voulu indiquer à Notre Seigneur combien les gens le touchaient physiquement, mais Notre Seigneur montra aux disciples que c'est la foi qui l'avait touché.
Beaucoup le touchaient à ce moment, mais en tant qu'homme, alors qu'une seule l'avait touché en tant que [Fils de] Dieu. »[3]

Ainsi, démasquée par Jésus, la femme vient révéler sa fraude. Elle a enfreint la loi. Son espérance et sa confiance l’ont poussé à toucher le vêtement de Jésus, en surmontant l’interdit posé par la loi… l’interdit qui l’excluait, qui faisait d’elle une paria de la société, une mort-vivante, depuis 12 ans.

Dès lors, elle se jette aux pieds de Jésus, pour révéler la vérité, sa vérité… la démarche qui l’a conduit à ce geste fou : croire au salut… croire que les choses peuvent changer grâce à Jésus… croire que Jésus peut la guérir… et par là-même, la faire sortir de son état de souffrance et d’exclusion.

Face à cet aveu… à cette vérité dévoilée… qui vient mettre en lumière son désir et sa démarche de foi… l’audace et le courage, qui lui ont permis de briser le tabou de la loi, pour s’en sortir… pour être enfin restaurée dans sa véritable identité de fille de Dieu … Jésus n’a plus qu’à se plier à sa volonté. C’est ce qu’il laisse entendre dans ses paroles finales : « Fille, ta foi t’a sauvée. Va en paix et sois guérie de ton mal [sois délivrée de ta souffrance]» (v.34).

* Ce récit peut nous étonner sur bien des points. Quelle est donc cette foi qui sauve ?

La foi de cette femme, ce n’est évidemment pas sa croyance superstitieuse. C’est tout simplement ce qui l’a portée vers Jésus, c’est cette confiance qui l’a conduite à lui… qui l’a amenée à bouger, à se déplacer, en surmontant les barrières de la loi qui la retenait captive, condamnée à l’impureté.

Bien entendu… ce n’est là qu’un commencement.
D’autres passages de l’évangile nous font découvrir que la foi doit devenir un engagement pour Jésus et son message de salut… un engagement à ses côtés.
Mais ce que nous montre ici notre passage, ce sont les premiers pas de la foi… c’est cette attente confiante et active, qui nous met en mouvement vers Jésus, dans l’assurance qu’il peut changer les choses dans notre vie… qu’il apporte la clé du salut pour nous et notre monde… un monde où bien souvent des lois ou des intérêts humains nous assignent et nous enferment dans des places figées, dans des comportements réducteurs ou sclérosants.

(Malheureusement… l’actualité internationale nous le montre encore :
- Il suffit, par exemple, de penser à la situation dramatique des femmes afghanes ou pakistanaises, qui se trouvent sans aucun droit, privées de toute liberté… qui peuvent être violentées ou défigurées impunément par leur mari – certaines ont eu les lèvres fendues ou le nez coupé – simplement pour avoir refusé (par la dénonciation ou la fuite) la tyrannie et la loi du silence dictées par des hommes… qui utilisent, en vain, la religion ou le nom de Dieu, pour imposer leur pouvoir et leur domination sur des femmes.
- On peut également penser aux employés du secteur « textile » précarisés du Cambodge… où quatre travailleurs viennent d’être tués par la police, parce qu’ils manifestaient pour réclamer une revalorisation de leur salaire, pour pouvoir vivre dignement… eux qui travaillent pour des sous-traitant de grandes marques occidentales, telle que Gap, Adidas, Nike ou Puma.
Oui… à coup sûr – aujourd’hui encore – notre monde a besoin de conversion et de salut. A coup sûr, il y a encore des pouvoirs et des lois iniques à transgresser et à réformer… pour trouver le chemin de la liberté… à l’image de cette femme !) 

C’est en ce sens qu’on peut entendre les paroles conclusives de Jésus, lorsqu’il annonce à la femme : « Ta foi t’a sauvée ».

Ce qui a sauvé ou guéri la femme, ce n’est pas la force de sa conviction, dont on se rend vite compte qu’elle est ambiguë.
En effet, souvenons-nous des paroles qu’elle prononce intérieurement : « si seulement je touche ses vêtements, [alors] je serai sauvée » (v.28).
On voit, ici, combien cette foi est discutable, tant elle est mêlée de croyance, de fétichisme et de superstition… comme si le manteau de Jésus était imbibé d’un pouvoir, d’une sorte de fluide vital, capable de la guérir.
Or, la foi ne relève pas de la magie ! Ce n’est pas parce qu’elle a touché le manteau de Jésus que cette femme s’est trouvée guérie. En réalité, ce qui l’a sauvée, c’est d’avoir pu rencontrer Jésus !
C’est cette rencontre qui a suscité en elle suffisamment de courage, d’espérance et de confiance pour la mettre en mouvement. C’est cette rencontre qui lui a permis de sortir de l’enfermement dans lequel la loi la maintenait esclave, faisant d’elle une malade « impure » et contagieuse, condamnée à un isolement définitif.

La foi qu’elle a placée en Jésus a été, pour elle, le chemin qui lui a permis de trouver la guérison. C’est ce que Jésus salue dans sa démarche (quand il lui dit « ta foi t’a sauvée ») :
Par son courage et sa foi, la femme sans nom a pu quitter la place qu’on lui imposait, pour s’approcher de Lui, en toute confiance. Elle s’en est trouvée libérée et justifiée, grâce aux paroles accueillantes et apaisantes de Jésus, qui lui a donné raison.

Je crois que c’est bien en ce sens qu’on peut entendre son approbation finale :
« Ce que tu as fait – semble-il vouloir lui dire – ce n’est pas un péché. Si, sans rien demander et sans solliciter aucune permission, tu as fait de toi-même ce geste dont tu avais besoin pour vivre, c’est un signe de ta confiance. C’est précisément ce que Dieu veut. C’est ainsi qu’il comprend la "foi" : vaincre la honte et l’angoisse qui peuvent fausser et détruire la vie jusqu’à la maladie. Oui, sa volonté est que nous vivions, même si la lettre de la loi paraît souvent la contredire. Va donc, ta foi t’a sauvée. »[4]

* En d’autres termes… ce que nous montre ce récit de guérison, c’est le travail de libération que permet la foi.
Portée par la confiance, suscitée par la rencontre de Jésus, la femme a découvert cette liberté en transgressant l’interdit de loi qui la considérait – à tort – comme une dangereuse « impure », susceptible de propager l’impureté autour d’elle.

Or, en rendant public son geste, Jésus prend un risque et s’expose au jugement des gens autour de lui. (En réalité, c’est pour lui une occasion de changer les mentalités.)
Il montre qu’il n’a pas peur de se laisser toucher par une intouchable. Il montre combien il est libre vis-à-vis de la loi, quand son application stricte et sans mesure, risque d’enfermer les humains, au lieu de les aider à vivre leur liberté.

Ainsi, il permet à la femme de s’exprimer publiquement et il rend son geste exemplaire : là, où la loi peut exclure (quand elle est appliquée aveuglément), la foi, elle, peut sauver.

Autrement dit, Jésus montre qu’avec la foi, ce n’est plus l’impureté qui est contagieuse, mais la Vie. Avec la foi, la vie et la liberté peuvent prendre le dessus et vaincre nos souffrances et nos enfermements, aussi bien que nos angoisses et nos hontes.

Avant sa rencontre avec Jésus, la femme était socialement, affectivement et religieusement morte, du fait de sa maladie.
Par sa guérison, elle est restaurée dans son identité. Elle retrouve toute sa place dans la société. En un mot, elle est relevée, ressuscitée, libérée… rendue à elle-même.

Ce que veut nous montrer Marc, à travers ce récit, c’est que la grâce de Dieu, dont Jésus est le porteur et le révélateur, a la capacité de briser les fatalités… de libérer des déterminismes.

* Pour conclure notre méditation… je vous propose de nous arrêter sur une petite annotation apparemment anodine, qui explique l’étonnante hardiesse de cette femme :
Tout ce qui va se passer pour elle, a pu avoir lieu, parce que – nous dit l’évangéliste – « Elle avait appris ce qu’on disait de Jésus » (v.27). C’est ainsi que l’espoir impossible était né tout d’un coup pour elle.
On ne sait pas trop ce qu’elle pouvait avoir entendu au sujet de Jésus… sans doute qu’il était un thaumaturge, un guérisseur. Cela peut évidemment nous paraître un peu court… mais c’est justement ce dont elle avait besoin.

Or, cette petite annotation peut nous interroger pour aujourd’hui :
Nos contemporains… qu’ont-ils entendu dire de Jésus ? Que savent-ils de lui ?
Sans doute peu de chose ! Pour la plupart d’entre eux, Jésus n’est que l’emblème d’une religion. Ce qu’il a dit, ce qu’il a fait, la majorité de nos contemporains l’ignorent.
Même les quelques bribes d’information sur Jésus dont certains disposent, il faut se demander de qui ils les tiennent : de quelques clichés véhiculés par des médias, qui ne connaissent pas grand chose à l’Evangile ? ou d’ailleurs ?

Alors, dans cette histoire de transmission… quelle est notre part de responsabilité, à nous, Chrétiens ?
Osons-nous témoigner de Celui qui nous révèle le visage du Père ?… qui nous manifeste un Dieu d’amour… qui a un projet pour l’être humain… qui nous appelle à prendre part à son règne, à chercher sa justice ?

C’est sans doute dans la vie de tous les jours, par le bouche-à-oreille, que cette femme a entendu parler de Jésus. Même si les renseignements qu’elle a reçu sont partiels et plus ou moins tronqués, c’est quand même l’information de personne à personne – le témoignage personnel – qui a le plus fort accent de vérité.

Entre parenthèses, c’est bien ce que dit Paul dans sa lettre aux Romains. Je cite :
« "Quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé". Or, comment l’invoqueraient-ils, sans avoir cru en lui ? Et comment croiraient-ils en lui, sans l’avoir entendu ? Et comment l’entendraient-ils, si personne ne le proclame ? » (cf. Rm 10, 13-14).

Ainsi… qu’allons-nous faire pour que nos contemporains entendent, eux aussi, parler de Jésus ? Et si possible qu’ils en entendent parler correctement.
Quel est l’essentiel à leur communiquer pour qu’ils puissent, eux aussi, trouver la guérison et la paix dans leur vie ?
Aucun de nous – me semble-t-il – ne devrait passer sur ces questions, sans réaliser qu’elles nécessitent notre engagement et notre témoignage.

Pour autant – avouons-le – « témoigner » n’est pas toujours simple ! Cela implique, au préalable, de nous poser quelques questions personnelles : pour moi, quel est le message que j’entends résonner dans l’Evangile et qui me touche ? Qu’est-ce qui me paraît le plus important ? Quelle est la Bonne Nouvelle qui me rend vraiment vivant ?
Nous avons besoin d’être au clair sur ce qui est central pour nous-mêmes… pour pouvoir en parler à d’autres.

* Ce matin, notre passage peut nous aider à répondre à ces questions. Nous pouvons au moins en retenir trois choses :
- La 1ère, c’est son message de salut : Pour le monde et pour chacun d’entre nous, il y a une guérison, un salut, auprès de Jésus.

- La 2ème, c’est que Jésus se laisse chercher et trouver, sans s’arrêter à la qualité de notre foi… comme il ne s’est pas arrêté aux croyances plus ou moins magiques contenues dans la foi de cette femme. Ce qu’il a souligné, au contraire, chez elle, c’est son engagement : Elle n’est pas restée à distance. Elle a montré audace et courage, car elle a cru en Jésus (plutôt qu’en une loi), elle a placé toute sa confiance en lui.
Ainsi, sa foi est devenue mouvement… elle lui a permis d’aller de l’avant, de bouger, de changer, de faire place à quelque chose de nouveau.
Je crois que c’est aussi ce que Jésus attend de nous : que nous placions notre confiance en Lui, pour que sa Parole nous libère et nous permette d’avancer dans la vie… pour nous ouvrir à la nouveauté.

- Enfin, la 3ème chose à retenir, c’est que – si nous sommes persuadés que Jésus possède le pouvoir de guérir et de libérer notre monde et ceux qui l’habitent – il faut le dire aux autres. Cette conviction n’a de sens que si nous la partageons, comme une Bonne Nouvelle à annoncer.  

Amen.




[1] Cf. Lv 12,7 ; 15,25-33 ; 20,18.
[2] Ou « la frange de son vêtement », comme en Mt 9,20.
[3] In: Commentaire du Diatessaron, SC 121, Le Cerf 1966, p. 139-145.
[4] Cf. Eugen Drewermann, « la parole et l’angoisse », Desclée de Brouwer, p.115.