dimanche 26 novembre 2023

Audace, courage et confiance

Lecture biblique : Marc 10, 32-52 (voir en bas de cette page)

Thématique : audace, courage et confiance

Prédication de Pascal LEFEBVRE - 26/11/23 – Bordeaux (temple du Hâ)

(Partiellement inspirée d’une méditation sur Mc 10, 46-52 d’Anselm Grün)



J’ai rencontré cette semaine une personne assez éloignée des Églises chrétiennes, nous avons eu un échange intéressant… à un moment donné, la conversation s’est orientée sur une question spirituelle : qu’est-ce que la foi ? comment la définir ?

Je ne sais pas ce que vous auriez répondu d’emblée à cette question fondamentale… peut-être que chacun d’entre vous aurait proposé une réponse personnelle… et peut-être que nos réponses auraient été complémentaires… Du coup, j’ai eu envie d’explorer un peu cette question avec vous ce matin…  


* Qu’est-ce que la foi ?


Certains pensent que c’est un don de Dieu : dans ce cas, nous n’y sommes pour rien ! C’est une pure grâce. Mais encore faut-il accepter le cadeau…

D’autres pensent que c’est une décision ou un acte de la volonté : dans ce cas, nous y sommes pour tout ! Ce serait le résultat d’un effort humain.  


Mais est-ce tout ou rien ? Ne s’agit-il pas de s’ouvrir à la Grâce offerte ?

Et n’avons-nous pas tendance à mélanger la foi et la croyance ?


Est-ce que la foi, ce serait, par exemple, croire ceci ou cela… croire qu’il y a quelque chose après la mort ?... croire que Dieu est comme ceci… que Jésus ou Bouddha sont comme cela ?


Dans la religion, la notion de foi a parfois été dévoyée… on a pu parler de la foi, comme un acte de connaissance, comme un acte de volonté ou encore comme un sentiment.

On a même parlé de « l’obéissance de la foi » : un terme ambigu qui peut être compris de différentes manières… et qui a pu signifier, dans certaines situations, une idée de soumission à un ordre, une institution ou une doctrine : la soumission à l’ordre de croire, tel que le voudrait la prédication apostolique ou le crédo de la sainte église universelle. 


Mais la foi se commande-t-elle ?

Cette manière de penser n’a-t-elle pas tendance à réduire la foi à un acte de la volonté ou à un contenu ? 


La foi précède forcément toute notion d’obéissance ; sinon elle serait contrainte et non confiance. 

Aucun commandement de croire, ni aucune volonté de croire, ne peuvent engendrer la foi. La foi doit inévitablement précéder n’importe quel acte de volonté, sinon ce n’est pas la foi. 


Le théologien Paul Tillich en parle comme le fait d’être saisi par « une préoccupation ultime »… un absolu… par une profondeur… une antériorité… une Grâce originelle. 

Quelque chose ou quelqu’un me précède… qui s’offre à moi… et interroge mon âme : qui suis-je vraiment ? qu’est-ce que je fais là, jeté dans cette existence ? pourquoi suis-je « moi » et pas un autre ? Pourquoi y a-t-il quelque chose et non rien ? 


Y a-t-il une réalité… un fondement… une dynamique… infinie, ultime, éternelle… quelque chose d’inconditionné (dans ce monde de la relativité)… une « réalité » derrière la scène et le spectacle qui se joue devant moi ? 

Quelque chose saisit mon âme…  m’appelle et m’interroge de façon ultime : Qui es-tu ? Où vas-tu ? 


Quelque chose qui s’offre comme une question… et aussi comme un amour, une confiance, un élan…

Si quelque chose me précède et m’interroge… m’appelle et m’envoie… alors, je ne suis pas seul… quelqu’un m’accompagne… une force, un souffle, une confiance m’est offerte… quelque chose m’est donné !


Si la foi est donnée, cela signifie qu’elle se reçoit. 

C’est vrai d’ailleurs pour l’existence tout entière : notre vie nous a été donnée… c’est à nous de la recevoir, de nous l’approprier… et d’en faire quelque chose de bon… 

De même, une confiance nous est offerte… celle de Dieu, de la Vie, de l’Univers… il nous est possible de la découvrir, de l’accepter, de la recevoir… et de la laisser nous transformer. 


Si la foi n’est pas un contenu, une croyance… mais, avant tout, une confiance offerte, qui nous interroge et nous bouscule… alors, n’est-elle pas liée au courage ?… au courage d’accepter cette grâce, malgré les incertitudes… au courage d’entrer dans cette confiance, malgré les risques, malgré les doutes et les questions. 


* Je voudrais ce matin que nous explorions la foi comme courage :

Le courage d’être… d’être soi dans tous ses dimensions… c’est-à-dire un corps, une âme, un esprit… puisque nous avons été créé à l’image de Dieu… ce qui signifie que Dieu a mis en nous son Esprit…

Le courage de choisir de réaliser nos potentialités, d’être qui nous voulons être, malgré les difficultés et les incertitudes inhérentes à cette existence terrestre, si fragile et éphémère…

Le courage de vivre en relation… aussi… malgré les faiblesses, les blessures, les trahisons… car nous sommes tous issu d’une même Source, enfants d’un même Père.


Peut-on penser la foi comme le courage d’être, malgré les risques de l’existence ?… malgré les obstacles, les peurs et les échecs ou même l’absurde… car la foi est bien quelque chose qui nous permet de déplacer les montagnes de problème. 


* Voyons de quoi il en retourne dans cet épisode de l’évangile que nous avons entendu, avec l’aveugle Bartimée (cf. Mc 10, 46-52) :


Marc nous dit que cet homme aveugle fut sauvé par sa foi : Qu’en est-il ?


Qu’en est-il aussi pour nous-mêmes ?

Est-ce que « la confiance » peut nous sauver ? 

Nous sauver… mais de quoi… de quel salut avons-nous besoin ?


Initialement, la situation de cet homme qui a perdu la vue, ne semble pas très brillante : A cause de son handicap, cet homme vit comme un exclu… il est réduit à survivre de la mendicité, et se retrouve enfermé dans la marginalité, du fait de son infirmité. 


Souvenons-nous, en effet, qu’à l’époque de Jésus, la maladie ou le handicap étaient vus, par les Juifs pieux, comme une sorte de malédiction divine (ou même une punition personnelle) liée au péché. De fait, les personnes invalides ou porteuses d’un handicap étaient exclus de la communauté des bons croyants (bien comme il faut), qui, eux, pouvaient accéder au temple.  


Mais Bartimée, qui souffre de cette situation, n’a pas dit son dernier mot : Ayant entendu parler de Jésus de Nazareth, et apprenant son passage à proximité, il saisit sa chance – malgré la foule – et fait preuve d’un courage extraordinaire :


  • - Premier étonnement : un homme qui crie pour se faire remarquer !  Bartimée s’écrie « Fils de David, aie pitié de moi ». Mais les disciples voient ce comportement dérangeant d’un mauvais œil. Ils s’irritent et veulent le faire taire. Ils voudraient bien s’entretenir avec Jésus et le garder pour eux seuls, mais voilà que le cri de ce mendiant les perturbe. 


Ici, les disciples symbolisent le conformisme ou la pression du groupe : vous savez… ceux qui sont toujours là – autour de nous – pour nous rappeler la règle… ce qui se fait ou ne se fait pas… ceux qui voudraient nous enfermer dans des comportements fixes, adéquats et acceptables… et nous enjoindre ou nous contraindre à l’obéissance ou à la discipline.


Ils lui ordonnent donc de se taire, mais Bartimée n’en crie que plus fort. Cet indice – qui montre la ténacité de l’homme – peut déjà nous impressionner. Car, bien souvent, nous nous comportons à l’inverse : quand une demande d’aide ou d’assistance est mal reçue ou rejetée, nous avons tendance à faire machine arrière, à nous retirer et à nous persuader qu’il faut mieux essayer de nous débrouiller par nous-mêmes. Il peut alors en rester une certaine amertume… Et c’est vrai que les disciples ne sont pas très « cool » ! En tout cas, pas très compatissants !


Bartimée, lui, ne cesse pas de crier, en dépit de la résistance des autres ; il réclame la parole… et affirme son désir de voir enfin, et d’être vu. 


C’est alors que Jésus s’arrête ; il entend cette détresse. 

A cet instant, elle a plus d’importance pour lui que l’entretien avec la foule. 

A travers son audace et sa persévérance, il sent que cet aveugle désire vraiment être guéri et sauvé. 


Il le fait venir à lui, et voilà que les gens sont comme transformés. 

Ce retournement – raconté par Marc – est troublant : la voix du maître change les comportements. 

Jésus l’ayant appelé, ils cessent d’être irrités… et on lui dit même : « courage ! lève-toi, il t’appelle ! »


  • - Bartimée jette alors son manteau, il bondit et vient à Jésus. 


C’est là aussi quelque chose de surprenant. Je ne sais pas si vous avez déjà vu une personne aveugle bondir ou courir… mais ça semble plutôt risqué pour quelqu’un qui n’y voit rien ! Et pourtant c’est ce que fait Bartimée. 


Dès qu’il est appelé… une confiance d’autant plus forte est mobilisée en lui… et il n’a plus peur de rien… Malgré les incertitudes, en dépit des risques de chutes, il y va carrément ! 


Marc précise qu’il rejette alors son manteau. Ce détail a son importance : Le vêtement est souvent le symbole de l’identité. 


Ce manteau dont il s’était enveloppé, il n’en a plus besoin. Il se défait ainsi du masque et du rôle derrière lequel il était enfermé et contraint de dissimuler la vérité de son être. 


C’est débout et sans protection qu’il aborde Jésus avec toute sa détresse, mais aussi tout son courage. 

Il tend son être vers lui, tel qu’il est. Car il a dû sentir qu’avec Jésus les apparences n’ont aucune importance. On peut être accueilli et aimé, comme on est. 


  • - Troisième étape de cette rencontre : Jésus ne le guérit pas aussitôt, mais l’interroge : « que veux-tu que je fasse pour toi ? » 

Le lecteur de l’évangile – comme le témoin de la scène – est à nouveau surpris. 

C’est un évident ! Un aveugle n’attend qu’une chose : il voudrait voir enfin ! Quelle question étonnante !


Mais si Jésus pose la question, c’est qu’il en appelle à la volonté de l’aveugle : il doit exprimer lui-même ce qu’il désire du plus profond de son âme.  


C’est la même chose pour nous… nous devrions, nous aussi, écouter notre âme… pour en découvrir les véritables désirs… non pas les désirs de l’égo, ou ceux que la société nous vend… mais les vrais désirs de notre cœur…

Prenons-nous vraiment le temps d’écouter notre âme ? Parvenons-nous véritablement à percevoir ses désirs ? 

Au fond de nous, que voulons-nous en vérité ? Quelle est notre préoccupation ultime ? le savons-nous vraiment ?


Cette question peut resurgir lorsque nous traversons une épreuve… dans l’adversité se pose la question du sens de l’existence.

Elle peut aussi apparaitre en plein milieu de la vie : c’est ce qu’on appelle, parfois, la crise de la quarantaine… quand on se pose la question de l’orientation ou la réorientation de notre vie… mais cette question peut aussi venir à nous dans la prière. 


Par exemple… lorsqu’un pasteur accompagne une personne, il arrive parfois qu’à la fin d’un entretien pastoral, après un échange bien nourri, il demande à cette personne si elle souhaite partager un temps de prière, pour conclure cette rencontre… et, si tel est le cas, il l’invite à formuler et à exprimer ce qu’elle voudrait vraiment demander à Dieu ?

Car c’est important d’être au clair sur nos véritables souhaits, nos vrais désirs… un entretien pastoral ou un dialogue amical sert parfois à cela : à faire émerger ce qui est au fond de nous… ce que nous avons sur le cœur… à permettre d’exprimer ce que nous voudrions voir venir, changer ou évoluer dans notre vie. 

Où en sommes-nous ? Que voulons-nous ? 

De quoi avons-nous besoin ? et pour aller où ?


La prière peut être une façon de laisser monter à la conscience nos véritables attentes… de discerner qu’elles sont les ressources que nous avons déjà en nous pour aller dans la direction que nous souhaitons prendre… et ainsi de mobiliser la confiance qui est en nous… le courage qui s’y trouve… et la responsabilité qui est la nôtre face à notre destin personnel. 


C’est exactement ce que fait Jésus en posant cette question a priori évidente à Bartimée : 

Dans la confiance, il mobilise son désir et ses propres ressources, vers le but exprimé par son âme : 

« Rabbouni – dit-il – que je retrouve la vue ! » 


« Rabbouni » ne signifie pas seulement « maître », mais « mon maître ». 

Il adresse la parole à Jésus sur un mode personnel ; il montre ainsi qu’il a confiance en lui. 

Car Jésus a pris le temps de s’arrêter, l’a fait appeler, et maintenant il le prend pleinement au sérieux et le considère comme une personne avec toute sa dignité. 


Le verbe « voir » - anablepso en grec – signifie « recouvrer la vue », mais également « regarder vers le haut », « lever les yeux vers le ciel ». 

Ce vœu manifeste que l’aveugle ne désire pas seulement voir les hommes et les choses, mais aussi le ciel. Sa vision veut être aussi celle de la foi, du ciel ouvert au-dessus de sa vie. 


Il n’y a de vraie vision pour le croyant, qu’une vision élargie… que si l’on voit toutes choses : les êtres, les évènements vécus, la nature, en y percevant aussi l’invisible, la présence spirituelle de Dieu. 


  • - Quatrième et dernière étape : après avoir ranimé le courage et le désir de Bartimée, Jésus exauce le souhait de l’aveugle : « Va – lui dit-il – ta confiance ta sauvée » !


La foi était donc la condition nécessaire de la guérison et déjà le premier pas vers elle. 


Mais n’est-ce pas la même chose pour nous ?


Lorsque nous allons voir un médecin, nous avons en nous une confiance… la confiance qu’il peut nous guider et nous accompagner dans un processus de guérison ou de mieux-être. 

Lorsque nous adressons à Dieu une prière, nous avons également en nous une confiance… la confiance qu’il est à notre écoute, qu’il entend les désirs de notre âme… sans doute mieux que nous-mêmes… et qu’il peut nous apporter son inspiration et nous permettre de trouver la force de surmonter les obstacles.


N’est-ce pas cela la foi ? Cette confiance que des ressources sont déjà disponibles en nous… que d’autres peuvent nous aider à les mobiliser… et qu’ainsi quelque chose de nouveau va pouvoir advenir. 


Car, à proprement parler, ce n’est jamais un thérapeute ou un médecin qui nous guérit, mais c’est un processus intérieur qui s’accomplit… C’est notre confiance qui nous met en contact avec les forces curatives de notre âme, de notre être… de sorte que nous participons nous-mêmes au processus de guérison. 


Bartimée recouvre donc la vue, et c’est en voyant qu’il va suivre Jésus. 


Contrairement à d’autres (comme, par exemple, le possédé / le démoniaque de Marc 5), Jésus ne le renvoie pas. Il lui permet de le suivre jusqu’à Jérusalem, jusqu’à la Passion, à la croix. 


Alors que Jésus vient d’annoncer sa mort prochaine… alors qu’il vit lui-même intensément dans la confiance en son Père, malgré les risques inhérents à sa mission… malgré les épreuves qui sont devant lui : le rejet, la trahison, la mort qui l’attendent… les disciples, eux, n’ont toujours rien compris. Ils sont restés aveugles. 


Bartimée, au contraire, suit désormais Jésus les yeux ouverts, et il sera le seul, lors de la Passion, à voir l’envers des choses : 

Jusque dans la pire souffrance le ciel qui reste ouvert et le Père qui accompagne encore son fils… 

Dans les ténèbres de la mort, la lumière rédemptrice de Dieu qui est prête à poindre, comme l’aube d’un matin de Pâques… 

Dans la défaite de la croix, le surgissement du triomphe sur le mal et les démons… 

Et dans la tombe fermée puis ouverte, la vie nouvelle du Ressuscité.


Pour Marc, Bartimée devient le véritable voyant de l’Evangile : 

Par son courage et sa foi, il est devenu capable de lever son regard vers le Ciel… et c’est ce nouveau regard qui lui permet de suivre Jésus – l’homme de foi – qui assume pleinement sa mission et sa destinée, malgré les risques et le chemin qu’il devra traverser. 


Désormais, il sait voir la Passion, sans désespérer, parce qu’il y découvre que Dieu n’abandonne jamais son enfant, même dans la nuit. 


Ce récit nous montre que Bartimée est devenu un homme de foi : c’est-à-dire qu’il a trouvé en lui cette confiance, ce courage et cette audace… qui ne s’arrête pas à ce qui est… et qui ne se laisse pas infléchir par les vents contraires et les résistances… mais qui veut voir plus loin… voir, derrière le décor, la Grâce originelle de Dieu, toujours à l’œuvre, quoi qu’il arrive. 


Et si c’était ça la foi ? Croire avec audace, courage et confiance que la Grâce de Dieu est là… que Dieu nous donne les ressources pour surmonter toute chose, car il agit déjà en nous, dès que nous nous ouvrons à lui !


* Encore un mot pour conclure… Une maxime bien connue énonce que « la chance sourit aux audacieux », mais ne devrait-on pas dire plutôt que « la Grâce sourit aux audacieux » ?


Bartimée est comme la femme hémorroïsse de l’évangile (en Marc 5)… ou comme le femme cannaéenne (de Matthieu 15) : il est de ceux qui inventent et apprennent à se frayer un chemin, face à l’adversité … il fait partie des audacieux de l’évangile !


L’audacieux est celui qui écoute son cœur, en dépit des influences extérieures et qui ose emprunter un chemin neuf. 

L’audacieux est un pionnier. 


Suivre le Christ, ce n’est pas tenter d’en devenir un pâle imitateur… comme tous ceux qui suivent un Gourou… 

Mais c’est accepter de vivre à neuf… d’inventer. 

C’est oser découvrir – comme Bartimée – le courage et la confiance que Dieu a mis en nous. 


C’est cela que Dieu veut pour nous : que nous découvrions… au creux de notre âme… la magnifique image qu’il a de nous… et que nous osions exprimer toutes les grâces et les potentialités qu’il nous offre.


Il réclame seulement de notre part… audace, courage et confiance… pour vivre notre vocation d’enfants de Dieu. 


Qu’il en soit ainsi !  Amen.  



Texte biblique : Marc 10, 32-52


Troisième annonce de la Passion et de la Résurrection

32 Ils étaient en chemin et montaient à Jérusalem, Jésus marchait devant eux. Ils étaient effrayés, et ceux qui suivaient avaient peur. Prenant de nouveau les Douze avec lui, il se mit à leur dire ce qui allait lui arriver : 

33 « Voici que nous montons à Jérusalem et le Fils de l’homme sera livré aux grands prêtres et aux scribes ; ils le condamneront à mort et le livreront aux païens, 

34 ils se moqueront de lui, ils cracheront sur lui, ils le flagelleront, ils le tueront et, trois jours après, il ressuscitera. »


La demande de Jacques et de Jean

35 Jacques et Jean, les fils de Zébédée, s’approchent de Jésus et lui disent : « Maître, nous voudrions que tu fasses pour nous ce que nous allons te demander. » 

36 Il leur dit : « Que voulez-vous que je fasse pour vous ? » 

37 Ils lui dirent : « Accorde-nous de siéger dans ta gloire l’un à ta droite et l’autre à ta gauche. » 

38 Jésus leur dit : « Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire, ou être baptisés du baptême dont je vais être baptisé ? » 

39 Ils lui dirent : « Nous le pouvons. » Jésus leur dit : « La coupe que je vais boire, vous la boirez, et du baptême dont je vais être baptisé, vous serez baptisés. 

40 Quant à siéger à ma droite ou à ma gauche, il ne m’appartient pas de l’accorder : ce sera donné à ceux pour qui cela est préparé. » 

41 Les dix autres, qui avaient entendu, se mirent à s’indigner contre Jacques et Jean. 

42 Jésus les appela et leur dit : « Vous le savez, ceux qu’on regarde comme les chefs des nations les tiennent sous leur pouvoir et les grands sous leur domination. 

43 Il n’en est pas ainsi parmi vous. Au contraire, si quelqu’un veut être grand parmi vous, qu’il soit votre serviteur. 

44 Et si quelqu’un veut être le premier parmi vous, qu’il soit l’esclave de tous. 

45 Car le Fils de l’homme est venu non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude. »


Guérison de l’aveugle Bartimée

46 Ils arrivent à Jéricho. Comme Jésus sortait de Jéricho avec ses disciples et une assez grande foule, l’aveugle Bartimée, fils de Timée, était assis au bord du chemin en train de mendier. 

47 Apprenant que c’était Jésus de Nazareth, il se mit à crier : « Fils de David, Jésus, aie pitié de moi ! » 

48 Beaucoup le rabrouaient pour qu’il se taise, mais lui criait de plus belle : « Fils de David, aie pitié de moi ! » 

49 Jésus s’arrêta et dit : « Appelez-le. » On appelle l’aveugle, on lui dit : « Courage, lève-toi, il t’appelle. » 

50 Rejetant son manteau, il se leva d’un bond et il vint vers Jésus. 

51 S’adressant à lui, Jésus dit : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » L’aveugle lui répondit : « Rabbouni, que je retrouve la vue ! » 

52 Jésus dit : « Va, ta foi t’a sauvé. » Aussitôt il retrouva la vue et il suivait Jésus sur le chemin.

dimanche 12 novembre 2023

Guéris et libérés pour faire du bien

Lectures bibliques : Lc 4, 14-30 ; Lc 5, 27-32

Thématique : guéris et libérés, pour faire du bien

Prédication de Pascal LEFEBVRE – Bordeaux, le 12 /11/23 = voir après les lectures 

(Dernière partie inspirée d’une méditation de Dominique Hernandez)


Lectures bibliques : Lc 4, 14-30 ; Lc 5, 27-32


Lc 4, 14-30 

14 Alors Jésus, avec la puissance de l’Esprit, revint en Galilée, et sa renommée se répandit dans toute la région. 

15 Il enseignait dans leurs synagogues et tous disaient sa gloire.


16 Il vint à Nazara où il avait été élevé. Il entra suivant sa coutume le jour du sabbat dans la synagogue, et il se leva pour faire la lecture. 

17 On lui donna le livre du prophète Esaïe, et en le déroulant il trouva le passage où il était écrit :

 

18 L’Esprit du Seigneur est sur moi
parce qu’il m’a conféré l’onction
pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres.
Il m’a envoyé proclamer aux captifs la libération
et aux aveugles le retour à la vue,
renvoyer les opprimés en liberté,

19 proclamer une année d’accueil par le Seigneur.

20 Il roula le livre, le rendit au servant et s’assit ; tous dans la synagogue avaient les yeux fixés sur lui. 

21 Alors il commença à leur dire : « Aujourd’hui, cette écriture est accomplie pour vous qui l’entendez. » 

22 Tous lui rendaient témoignage ; ils s’étonnaient du message de la grâce qui sortait de sa bouche, et ils disaient : « N’est-ce pas là le fils de Joseph ? » 

23 Alors il leur dit : « Sûrement vous allez me citer ce dicton : “Médecin, guéris-toi toi-même.” Nous avons appris tout ce qui s’est passé à Capharnaüm, fais-en donc autant ici dans ta patrie. » 

24 Et il ajouta : « Oui, je vous le déclare, aucun prophète ne trouve accueil dans sa patrie.

 

25 En toute vérité, je vous le déclare,
il y avait beaucoup de veuves en Israël aux jours d’Elie,
quand le ciel fut fermé trois ans et six mois
et que survint une grande famine sur tout le pays ;

26 pourtant ce ne fut à aucune d’entre elles qu’Elie fut envoyé,
mais bien dans le pays de Sidon, à une veuve de Sarepta.

27 Il y avait beaucoup de lépreux en Israël au temps du prophète Elisée ;
pourtant aucun d’entre eux ne fut purifié,
mais bien Naamân le Syrien. »

28 Tous furent remplis de colère, dans la synagogue, en entendant ces paroles. 

29 Ils se levèrent, le jetèrent hors de la ville et le menèrent jusqu’à un escarpement de la colline sur laquelle était bâtie leur ville, pour le précipiter en bas. 

30 Mais lui, passant au milieu d’eux, alla son chemin.


Lc 5, 27-32


27  Après cela, il sortit et vit un collecteur d’impôts du nom de Lévi assis au bureau des taxes. Il lui dit : « Suis-moi. » 

28 Quittant tout, il se leva et se mit à le suivre.

29 Lévi fit à Jésus un grand festin dans sa maison ; et il y avait toute une foule de collecteurs d’impôts et d’autres gens qui étaient à table avec eux. 

30 Les Pharisiens et leurs scribes murmuraient, disant à ses disciples : « Pourquoi mangez-vous et buvez-vous avec les collecteurs d’impôts et les pécheurs ? » 

31 Jésus prenant la parole leur dit : « Ce ne sont pas les bien portants qui ont besoin de médecin, mais ceux qui ont mal (les malades). 

32 Je suis venu appeler non pas les justes, mais les pécheurs pour qu’ils se convertissent. »


Prédication


Nous avons bien besoin des textes de ce jour, pour retrouver confiance… pour nous redonner du courage… et pour ouvrir notre espérance, dans le contexte international si pesant qui est le nôtre aujourd’hui. Et face auquel nous nous sentons si impuissants. 

Nous avons bien besoin du Seigneur pour nous éclairer… 


* Et justement, Jésus l’affirme « Les bien-portants n’ont pas besoin de médecin, mais ceux qui ont mal. »

« Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs pour une conversion » (cf. Lc 5, 31-32). 


Jésus expose les bases de sa théologie : il est venu prioritairement pour ceux qui ont mal (traduction littérale) ou qui sont malades… c’est-à-dire pour ceux qui éprouvent un besoin, un déséquilibre, une difficulté, un manque, un mal-être ou une souffrance. 


Et il est venu pour proposer un secours, une conversion, une transformation, c’est-à-dire pour apporter un changement, un nouvel état d’être ou d’esprit, pour ouvrir un chemin nouveau. 


Mais, cette transformation nécessite d’abord un changement de regard sur Dieu :

Pour Jésus, Dieu n’est pas un juge qu’il faut craindre… mais il est comme un « Dieu médecin » qui veut nous apporter son salut, c’est-à-dire sa guérison. 


C’est déjà une affirmation théologique de premier plan :

Si Jésus est bien le Messie de Dieu, son envoyé… et s’il est venu pour ceux qui sont malades ou en souffrance… cela indique bien que, pour lui, Dieu est comme un médecin… il est Celui qui peut nous permettre de retrouver un équilibre, une forme de guérison, de bien-être, de liberté et de paix intérieure. 

Nous sommes donc invités à nous connecter à Lui et à Lui faire confiance. 


Cela veut dire aussi – et c’est rassurant pour chacun de nous – que Dieu n’est pas Celui qui s’intéresserait aux plus forts, qui sélectionnerait les meilleurs, les plus méritants, les plus parfaits, les plus justes ou dociles… en abandonnant les autres… mais, qu’à l’inverse, il est Celui qui veut prendre soin de ceux qui en ont le plus besoin… comme le ferait un médecin urgentiste à l’hôpital : il veut venir en aide d’abord aux plus faibles et porter secours aux plus fragilisés.


C’est une manière de dire que Dieu nous connait et adopte le point de vue de chaque personne. Dieu croit en chacun de nous et, s’il nous passe au « scanner » de son amour… c’est pour nous relever, nous « requinquer », nous remettre en chemin avec Lui. 


Alors si, parfois, il peut nous arriver de ne plus nous sentir nous-mêmes, d’être à côté de la plaque (c’est que la théologie a appelé « le péché »), de regretter certaines choses, et peut-être, de nous sentir mal ou coupable pour telle ou telle raison… en réalité, ce n’est pas le problème de Dieu… parce que le Père céleste se situe au-delà de toute question morale (cf. Mt 5, 45) : La question n’est pas de savoir s’il nous arrive de décevoir l’espérance que Dieu… car l’espérance de Dieu est certainement beaucoup plus large que la nôtre. 


Non, si Dieu est un « Dieu médecin », sont urgence c’est notre être, notre vie, notre âme… Sa priorité, ce sont les personnes qui ont mal - nous dit Jésus - qu’elle qu’en soit la raison… 


Que cela se manifeste par la douleur… la douleur du corps qui souffre, la douleurs psychologique, l’inquiétude, la peur ou l’angoisse, ou encore la douleur de relations souffrantes… Dieu veut être à nos côtés, par Jésus-Christ, pour nous apporter réconfort, soulagement, soin, paix et vitalité. 


C’est là le regard que porte Jésus Christ sur Dieu… et c’est une Bonne Nouvelle !

Dès qu’une personne se porte mal, elle devient une priorité pour Dieu – puisque Dieu est compassion – comme pour toute personne qui a du cœur. (Note 1)


Il faut ajouter que ce « Dieu médecin » ne s’impose pas à nous. Il nous laisse notre libre arbitre. 

Encore faut-il oser et accepter de nous tourner vers lui, quand nous en avons besoin… quand nous reconnaissons que notre vie serait peut-être plus équilibrée, plus vivante, plus épanouie, plus rayonnante… grâce à Lui… 


Et ce n’est pas si évident de faire appel à un médecin… surtout quand il ne s’agit pas seulement de notre corps, mais aussi de notre âme, de notre esprit… alors, il est bon d’avoir cette humilité, qui est à la base de toute foi : accepter de lâcher-prise… être capable de s’abandonner à la bienveillance d’un Dieu de grâce… reconnaitre, en toute confiance, que nous avons besoin d’une aide extérieure, de l’aide de Dieu, pour avancer et progresser. 


*L’autre passage de Luc que nous avons entendu (au chapitre 4) va dans le même sens. Car le mot « salut » ne signifie pas seulement « guérison », il veut dire aussi « libération »… libération du bien et du bon qui est en chacun de nous.  


Dans cet épisode, Jésus présente son programme, sa mission… sa feuille de route à la synagogue… et ce qui se passe est emblématique de toute la destinée de Jésus :


  • Jésus se présente comme celui qui vient annoncer la Bonne Nouvelle de Dieu
  • Cette Bonne Nouvelle est destinée autant aux non-Juifs qu’à Israël
  • L’Écriture est accomplie en Jésus
  • Ce message salvateur et universaliste provoque l’indignation des Juifs pieux et leur inspire un désir de mort
  • De manière énigmatique, Jésus échappe à la mort… car son heure n’est pas encore venue. 


Intéressons-nous ici à la prédication inaugurale de Jésus :

Nous apprenons que Jésus fréquente régulièrement la synagogue, qu’il est un rabbi inspiré, et qu’en ce jour du sabbat, c’est lui qui se lève pour lire l’Écriture. 

Et comme par hasard – ou plutôt comme le raconte Luc ou le veut la Providence – ce jour-là, la lecture prévue est celle du livre du prophète Esaïe. Au cours de cette lecture, Jésus choisit de s’arrêter sur un extrait du chapitre 61 : 


Le rôle de l’Envoyé, du Messie, prophétisé par Esaïe est de faire disparaitre les misères et les souffrances qui affectent le peuple – je cite : « L’Esprit du Seigneur DIEU est sur moi.
Le SEIGNEUR, en effet, a fait de moi un messie,
il m’a envoyé porter joyeux message aux humiliés,
prendre soin de ceux qui ont le cœur brisé,
proclamer aux captifs la libération,
et dire aux prisonniers que leurs chaînes vont tomber » (cf. Es 61,1)


Cette action salutaire réalise l’idéal de l’année du Jubilé, qui est décrite dans le livre du Lévitique (cf. Lv 25, 8-54).  

Selon ce qui était prévu, tous les 50 ans, devait avoir lieu une année exceptionnelle de la libération générale. Cette année-là, les terres aliénées ou gagées devaient être rendues, les dettes ou les peines remises, et les esclaves libérés. C’était la fin de l’exploitation d’autrui. Et cela permettait à chacun de repartir pour une vie nouvelle, sans être écrasé à vie, par le poids ou les dettes du passé.


Or, Jésus annonce qu’avec lui « aujourd’hui, cette écriture est accomplie ». Il affirme qu’il réalise cette libération générale prévue autrefois l’année du Jubilé. 

Et il rend attentif aux signes que ses auditeurs peuvent déjà percevoir et qui annoncent le surgissement de quelque chose de vraiment nouveau. 


Le lecteur de l’évangile, lui, sait que Jésus a reçu l’onction de l’Esprit lors de son baptême. Il sait également que la libération des captifs, la guérison des aveugles, et la délivrance des prisonniers, se concrétiseront dans la suite des évènements, à travers les gestes thérapeutiques de Jésus, les pratiques de guérison et d’exorcisme que l’évangéliste Luc va décrire dans les chapitres suivants.  


Mais cette annonce de la réalisation d’une prophétie ancienne suscite un grand étonnement et bien des questions pour ses auditeurs.  

Comment « le fils de Joseph » (un homme simple du pays) peut-il annoncer que l’ère eschatologique de la grâce et du salut, prédite par Esaïe, est advenue ?  


Certains accueillent cette nouvelle avec une opinion favorable et lui rendent témoignage. Mais d’autres semblent demander une preuve pour y croire. 


Jésus anticipe cette demande par un commentaire, qui, en réalité, va déclencher leur colère. Il ironise, en appuyant ce besoin de preuve, sur une tournure proverbiale : un médecin ne devient vraiment crédible que s’il applique son art à lui-même. Or, faire des miracles dans sa patrie ne servirait à rien, car « aucun prophète » n’est jamais accueilli dans sa terre natale. 


Cette généralité est appuyée par deux exemples tirés des Écritures :

Les prophètes Eli et Élisée ont porté secours, non à des Juifs, mais à des étrangers. 

Ces épisodes sont racontés dans les livres des Rois (1 R 17 et 2 R 5) : 

Une veuve de Sarepta, en territoire païen, a été bénéficiaire d’un miracle de générosité (dans son cas, farine et huile ne tarissaient jamais). Et son fils mort a été rendu à la vie (cf. 1 R 17). 

Quant à Naamân l’Araméen, il a été guéri de la lèpre, au détriment de Guéhazi l’Israélite, qui lui avait extorqué argent et vêtements (cf. 2 R5). 


Ces deux précédents montrent que le salut de Dieu est parfois mieux reçu en terre païenne. 

En tout cas, ils ouvrent une brèche dans l’exclusivisme israélite du salut, en démontrant que des païens sont bénéficiaires de la grâce divine, plutôt que le « peuple élu ». 

Eli et Élisée préfigurent ainsi – pour l’évangéliste Luc – le rejet qu’Israël va opposer à son Messie – dans la personne de Jésus – et l’accueil plus favorable que lui réserveront les nations.  


Mais les interlocuteurs de Jésus reçoivent cette parole avec colère :

L’évocation des bienfaits accordés par Dieu à des non-Juifs, au détriment du peuple d’Israël, motive – dans cet épisode – la volte-face des auditeurs, qui refusent cette lecture des évènements et qui jettent Jésus hors de la ville, dans une intention homicide (comme ils le feraient pour un faux prophète : Cf. Dt 17,2-7 ; Dt 13, 2-12). 

C’est alors que, de façon énigmatique, Jésus leur échappe et s’en va… Le temps de la passion n’est pas encore venu. 


On peut s’attarder quelques minutes – ce matin – sur cette prophétie d’Esaïe. En quelques mots, que dit-elle ? 


Le livre d’Esaïe peut être découpé en trois parties, qui sont sûrement des écrits de trois auteurs successifs. 

La fin du livre dresse une sorte de grande fresque finale, annonçant le rétablissement de Sion, Jérusalem, avec la perspective d’une reconstruction de la ville et son repeuplement. Le renouveau de Sion est le thème central du 3ème Esaïe (Es 56-66), sans doute autour de l’œuvre de Néhémie. Néhémie est une des figures marquantes d’Israël sous la domination perse. Il sera, avec Esdras, l’organisateur du retour de l’Exil.


Cette prophétie est alors comprise comme un encouragement, car le retour de l’exil de Babylone à Jérusalem est difficile. 

Les exilés revenus (peut-être 50 ans après l’exil ?) et ceux qui étaient restés à Jérusalem ne s’accordent pas. Les premiers sont considérés comme des usurpateurs et les seconds comme s’étant trop éloignés de l’alliance. 

Face à ces difficultés et un à véritable effondrement de l’espoir, le prophète introduit, aussi bien des mises en garde contre l’injustice, que l’annonce d’une restauration et d’un grand rassemblement, dont l’Éternel (le Seigneur) sera l’architecte… restauration au bénéfice de toutes les nations. (Note 2)


A l’époque de Jésus, le contexte a changé. Mais les besoins de libération et de justice sont toujours là : 

 

Le peuple d’Israël vit sous l’occupation romaine, et si le temple de Jérusalem (le second temple) a été splendidement reconstruit, c’est Rome qui brille de tous ses feux et impose au monde méditerranéen une paix armée. 

Le rétablissement du peuple n’est pas réalisé. L’espérance bouillonne, mais Rome veille à maintenir sa domination.


Dans ce contexte d’occupation, des hommes et des femmes vivent encore et toujours (comme aujourd’hui d’ailleurs) dans la pauvreté, dans la misère…Il y a des captifs, des exclus, des aveugles, des opprimés. 


Pour Jésus, c’est d’abord à eux que pensait Ésaïe et c’est pour eux que Jésus veut parler, agir et vivre.


Et aujourd’hui… partout dans notre monde… et notamment dans les pays en conflits (que ce soit à Gaza en Palestine, en Israël, mais aussi en Ukraine, en RDC, au Yémen, en Arménie, ou ailleurs) … c’est eux que nous avons en tête…  eux, des hommes, des femmes, des enfants… pas des catégories (pas des membres de telle ou telle nation, de telle ou telle religion, de ceci ou de cela, les biens-nés ou les pas-comme-il-faut)… mais des personnes qui vivent, qui éprouvent une expérience de souffrance, d’altération de leur humanité, une contrainte, un amoindrissement, un empêchement d’être et de vivre. Un manque d’horizon et de liberté, un manque de confiance et de reconnaissance.


Il y a des captifs, des pauvres, des aveugles, des opprimés, également ici, autour de nous,… et même en chacun de nous, des parts aveugles, des parts captives, opprimées, pauvres, c’est-à-dire nécessitant une aide venant d’ailleurs que de nous-mêmes.


Jésus ne se lance pas en quête de coupables à qui demander des comptes. Il n’est pas dans le jugement. Il ne cherche pas les responsables de toute cette misère humaine (bien qu’il ne soit pas dupe), mais il veut seulement offrir une libération, pour chacun.  


Par sa prédication, il annonce que ces situations ne sont pas des fatalités, et que ce n’est pas la peine d’attendre : l’année de grâce a commencé. 

L’année de faveur, de bienveillance, de réconciliation, d’accueil (le terme grec ouvre large) est ouverte à tous. Ce n’est pas pour plus tard, c’est pour maintenant.


Et nous y sommes toujours !


Entrer dans l’année de grâce qui vient à nous, accueillir la libération et le salut venus de l’Éternel entraîne une transformation de celles et ceux qui en bénéficient, une transformation intérieure… quelles que soient les situations de vie.


La suite de l’évangile le montre : Ce qu’annonce Jésus, c’est un débordement de grâce, une bienveillance surabondante en excès de toutes les discriminations, toutes les séparations, toutes les catégories instituées par quelque régime ou logique que ce soit.


Et la question qui se pose, c’est qu’est-ce que cela produit ?

Qu’est-ce que ce temps de grâce, de faveur, de bienveillance, de réconciliation provoque ? Que sauve-t-il, que libère-t-il en l’être humain, lorsqu’il ne se crispe pas en rejet ?


Cela libère l’espérance, le courage et la bonté… même dans l’obscurité, même dans la pauvreté, même dans l’oppression. 


Cela libère d’abord l’espérance d’un autre possible, loin de toute résignation. 

Personne ne devrait être cantonné ou assigné à un rôle, à part celui qu’il choisirait lui-même d’expérimenter provisoirement… personne ne devrait être réduit par autrui dans son humanité. 


Cela libère aussi le courage… le courage d’être soi… le courage d’affirmer ses détresses ou ses désirs… le courage d’user de sa propre volonté (inspirée par Dieu)… pour devenir celui ou celle qu’on choisit d’être. 


Cela libère enfin la bonté… la bonté de n’être plus réduits à des catégories qui enferment, et qui, même lorsqu’elles sont confortables, relèvent quand même d’une logique de classement et de mérite. 


Pour le dire autrement, l’année du Jubilé devient un temps de jubilation devant l’accomplissement de la grâce. Et cette jubilation emporte les divisions que dressent les religions, les systèmes politiques ou les intérêts économiques. 

L’année de grâce transforme le regard posé sur soi, sur autrui, et sur les situations humaines.

La libération de la bonté signifie aussi que chacun est désormais rendu capable d’être bon, d’être bienveillant, d’agir en faveur d’autrui.


C’est cela ce que fait Jésus dans l’Evangile : à chaque rencontre, il retourne les existences et transforme les cœurs. 

Jésus ne réfrène pas seulement le mal, il fait quelque chose de bien plus grand : il opère une libération du bien… par une restauration de la confiance.


Et c’est toujours vrai aujourd’hui !


Ce qui se passe dans l’accomplissement proclamé par Jésus, c’est qu’au moment où nous accueillons l’Esprit du Christ dans notre existence, le bien, le bon enfoui en nous, parfois sous des couches de douleurs ou d’indifférence, sous des strates d’égoïsme ou de pensée de clan, sous des blocs de peurs ou de croyances paralysantes… ce bien, ce bon est libéré… et tout cela nous bouscule… ainsi que notre entourage. 


Le bien, le bon étouffé dans la pauvreté, lorsque l’humain est dévalorisé ou amoindri par des regards réducteurs portés sur lui… le bien incarcéré dans la captivité, dont l’humain n’est pas toujours conscient… le bien obscurci dans l’aveuglement de raisonnements étroits… le bien écrasé sous l’oppression des pouvoirs d’injustice… tout ce bien est libéré… la source du bon est ouverte.


La prédication de Jésus à Nazareth est porteuse d’une espérance qui dépasse ce qui est seulement là… une espérance qui permet de retrouver le contact avec son âme… et qui déplace dans une nouvelle manière d’être, dont les centres de gravité sont la justice, la reconnaissance et la bonté.


Ce temps de grâce, de faveur, de bienveillance venu de Dieu fait naître, en celui ou celle qui le reçoit, une confiance en soi, qui n’est pas l’affirmation d’un « moi » dominant, mais une confiance en soi qui correspond à la paix… au dépôt de l’inquiétude pour soi… une confiance en soi qui est désir de devenir… qui est responsabilité d’être là, en vérité… dans une singularité qui n’a pas besoin de s’imposer à qui que ce soit.


Et la conséquence de cela … si le Christ a le pouvoir de libérer en nous le bien… c’est que nous ne sommes pas impuissants, en réalité :

Nous pouvons exprimer cette bonté, nous pouvons faire du bien. 


Nous ne sommes pas impuissants, ni réduits à rien, dans les temps d’aveuglement ou d’oppression… ces temps obscurs où l’on ne distingue pas encore comment la paix pourrait se frayer un chemin, sous les pluies d’obus, sous les vagues des offensives armées… au travers des haines entretenues, en Israël et en Palestine, en Ukraine et en Russie, et dans bien d’autres conflits oubliés.


Si nous ne pouvons rien faire là-bas, au loin… même si nous sommes accablés par le malheur d’autrui… nous pouvons être, ici et maintenant, des signes de grâce, des acteurs de bonté, des artisans de justice et de paix. 


Nous pouvons faire du bon, du bien, c’est cela qui est mobilisé par la confiance et l’espérance… par la foi en ce bon, dont la source est ouverte en nous… par la foi en ce OUI divin, qui acquiesce à notre être dans le monde, puisque Dieu croit toujours en nous, qu’il nous inspire et nous guérit. 


Si nous ne pouvons rien faire là-bas, là où la haine, la violence et la déshumanisation de l’autre, hurlent, en couvrant toute autre voix, nous pouvons tenir ici notre position d’humains, en répondant par la bonté, en résistant à la propagation de ce qui altère l’humanité… des slogans ou des images atroces ou racistes qui sidèrent la pensée… des injures ou invectives qui empêchent le dialogue… des essentialisations des uns et des autres ou des simplifications outrancières… tout ce qui susceptible de nourrir la haine et la violence. 


En nous mettant à l’écoute de cette bonté que le Christ ouvre en nous, nous pouvons rompre les spirales de violence… d’abord en nous, car toute violence suscite la nôtre… et ne pas laisser le champ libre à la violence autour de nous… mais faire place à du bon, à du bien, à de la fraternité.


Car le malheur, les catastrophes, les épreuves ne sont pas les seules caractéristiques, ni les seules composantes d’aucune existence humaine.

Puisque nous nous sommes entrés dans l’accomplissement des promesses de libération, de guérison, de grâce… le salut est toujours devant nous, à portée de main…


Le Christ vient nous redire qu’il y a de l’espérance, des possibilités de vivre autrement qu’en se laissant aller à la violence et à la haine, à la vengeance et à l’esprit de clan ou de nation ou de n’importe quel groupe.


Nous sommes capables de faire du bon, du bien, pour affirmer, là où nous vivons, qu’il est possible de vivre autrement que dans la brutalité, la rancune ou l’injustice. 


Parce que cette Écriture est accomplie : l’année de grâce de la part du Seigneur est commencée et toujours d’actualité pour nous… Amen. 


NOTES


Note 1 : Ceci dit, cette affirmation nous pose quand même une question personnelle : 

Nous reconnaissons-nous malades ? Sommes-nous à l’écoute de nous-mêmes ?

Sommes-nous de celles ou ceux qui reconnaissent avoir besoin d’un « Dieu médecin », susceptible d’apporter une transformation dans notre vie ? Ou pensons-nous pouvoir nous débrouiller tout seul, par nos propres forces, sans aide extérieure ?



Note 2 : Sans vouloir entrer dans une polémique, figurez-vous que ces derniers jours, cette prophétie a resurgit de façon inattendue dans notre actualité… par un détournement de sens et un usage politique… de la part du premier ministre d’Israël : Benjamin Netanyahu. 


Ce dernier a utilisé cette prophétie pour tenter de justifier l’invasion de Gaza et le massacre des membres du Hamas, quel qu’en soit le prix… y compris au prix de la vie des populations civiles palestiniennes de la bande de Gaza. 


Dans ses propos, il qualifie Israël comme le camp du bien, le peuple de la lumière… et ses adversaires, comme le peuple des ténèbres, le camp du mal. Et, bien sûr, la lumière va triompher des ténèbres. Il faut donc écraser l’ennemi, prendre d’assaut son territoire, pour obtenir une victoire écrasante, afin de maintenir l’éternité du peuple Juif. Ainsi se réalisera la prophétie d’Esaïe et la venue du Messie. 


Personnellement, j’ai été choqué par cette déclaration pour plusieurs raisons :


- D’abord, ce genre de déclaration entretient volontairement une confusion :


Le judaïsme, en tant que religion, doit être distingué de la politique de l’État d’Israël, qui est un état laïque. Il faut admettre le bien fondé de toute liberté religieuse et condamner fermement tout acte antisémite : c’est ce que nous devons faire absolument ! Chacun a le droit de pratiquer la religion de son choix ou celle de ses ancêtres : c’est une évidence ! / Cet aspect doit être complètement distingué du fait d’approuver ou de critiquer la politique d’un pays : l’état d’Israël. Le fait est que l’état d’Israël a actuellement à sa tête un gouvernement extrémiste et raciste. Affirmer cela ne constitue pas une critique religieuse, mais une opinion politique. Il faut absolument distinguer ces aspects. 


- Ainsi, en citant la Bible hébraïque, une confusion est volontairement entretenue par un responsable politique du gouvernement israélien. Elle vise à légitimer des actions totalement démesurées et disproportionnées… au point qu’on ne sait plus s’il s’agit de répondre et de se défendre… ou d’un acte de domination visant à conquérir un nouveau territoire. 


La réalité, c’est que ce type de déclaration du premier ministre semble répondre à un projet politique, fondé sur un messianisme politique. Ici, ce messianisme politique rejoint l’ultranationalisme apocalyptique. Dans cette perspective, les évènements actuels sont lus, non seulement comme une catastrophe, mais comme une opportunité, annonçant la venue d’un Messie. Mais derrière ce type de discours, il s’agit, en réalité, d’une tentative de légitimation d’actes de guerre, par un usage détourné de la religion… d’un livre biblique, hors de tout contexte, et d’une lecture caricaturale et manichéenne d’une prophétie, pour tenter de justifier des actions violentes. 


Malheureusement, la violence actuelle des deux côtés (d’abord contre Israël le 7 octobre et aujourd’hui, depuis plusieurs semaines, dans la bande de Gaza) est insupportable. 

On peut constater – avec compassion et effroi – que les attentats sanglants et terroristes du Hamas à l’encontre d’Israël, ont été, certes, choquants, horribles et odieux … mais que cette violence ne permet aucunement de justifier, ni d’encourager une réponse – une vengeance – totalement disproportionnée… qui s’abat actuellement sur des civils palestiniens – notamment des enfants et des femmes innocents – qui se trouvent être piégés… otages, à la fois, du Hamas et d’Israël. 


On dénombre déjà plus de 11 000 morts, dont plus de 4500 enfants et des dizaines de milliers de blessés graves et d’estropiés. La communauté internationale (dans sa grande majorité) demande - à raison - un cessez-le-feu immédiat des frappes israéliennes sur la bande de Gaza. Tout cela ressemble désormais plus à une épuration ethnique qu’à un conflit entre groupes armés… au point qu’un groupe de plusieurs centaines d’avocats internationaux viennent de déposer une plainte collective à la cour pénale internationale pour « génocide » contre les Palestiniens.


On peut être stupéfaits qu’au XXIème siècle, connaissant l’histoire du monde depuis plus de 3000 ans, certains tentent encore d’utiliser la religion, pour justifier une guerre ou une invasion. D’autant que cette prophétie annonce, en réalité, l’advenue du salut de Dieu… une ère de paix et d’amour, après la venue du Messie, où une vie en harmonie sera enfin possible. 


Comment des personnes, aujourd’hui encore, plus de 25 siècles après la rédaction de cette prophétie, peuvent croire sérieusement – dans une vision messianique ou eschatologique – que leurs actes violents et insensés vont favoriser ou accélérer la venue d’un Messie ? 

Quel orgueil, face à la souveraineté de Dieu ! 

Et quel détournement frauduleux de la tradition juive ! … quelle instrumentalisation fondamentaliste, totalement déconnectée du contexte d’écriture des pages de la Bible !

Pardonnez-moi, mais si ce n’est pas de la manipulation ou de la propagande, je ne vois pas ce que c’est ?


Nous devons retenir de tout cela, qu’il est toujours dangereux d’utiliser des passages si anciens de la Bible (hébraïque ou chrétienne), mais aussi du Coran… qui ont été écrit – il y a tant de siècles – dans un contexte particulier et totalement différent du nôtre … pour tenter de justifier l’injustifiable. 


Et il faut voir que si les évangélistes ont eux aussi utilisés les Écritures pour essayer d’expliquer la Révélation et ce qui se jouait avec la venue de Jésus-Christ (plusieurs siècles après la rédaction du livre d’Esaïe), ils ne l’ont jamais fait pour légitimer des actes violents, mais, au contraire, pour illustrer et affirmer la venue du salut de Dieu, à travers les paroles (de bonne nouvelle) et les actes (thérapeutiques) de Jésus.