dimanche 30 août 2015

Mt 19, 16-29

Mt 19, 16-29 
Lectures bibliques : Mt 19, 16-29 ; Lc 12, 13-21
Thématique : accepter de lâcher prise, pour entrer dans la nouvelle mentalité du règne de Dieu
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 30/08/15.

* Ce récit bien connu retrace l’histoire d’un jeune homme riche qui est en quête spirituelle, en quête de salut. Il souhaite trouver le juste chemin, le chemin de la justice sous le regard de Dieu, le chemin d’une certaine élévation humaine et spirituelle.

Tout naturellement et de façon traditionnelle, Jésus lui rappelle que ce chemin commence par le respect des commandements de la Torah, plus particulièrement du Décalogue. Il faut déjà commencer par là ! Mais l’homme souhaite aller plus loin que l’obéissance à la Loi. Cela ne lui paraît pas suffisant pour atteindre la voix, la perfection qu’il recherche, en vue d’accéder à la vie en plénitude. Il demande donc à Jésus ce qui lui manque encore, ce qu’il peut faire de plus, de mieux.

Mais les choses se corsent, lorsque Jésus répond à sa soif de perfection en lui indiquant que la voix d’un véritable accomplissement passe par un lâcher-prise, un abandon, un dépouillement : celui de ses biens, de ses possessions qui sont susceptibles de constituer – aux yeux de Jésus – un obstacle à la réalisation de son salut… un salut qu’il ne s’agit pas de construire par soi-même, par son « faire », ses propres forces ou ses richesses, mais qui est à recevoir d’un Autre.

La conséquence, c’est que l’homme s’en va tout triste, car, visiblement, il ne s’attendait pas à cela. Il n’est pas prêt à consentir à un tel abandon, lui qui possède de grands biens.

La voix de la perfection tracée par Jésus lui paraît, tout à coup, trop ardue, trop exigeante, car elle impliquerait pour lui un changement de vie trop important, trop radical… et l’homme n’est pas prêt à accepter de lâcher tous ses biens pour vivre ce changement de vie.

A la vue de la réaction de l’homme riche, Jésus prend à part ses disciples et conclut (v.23) qu’il est vraiment difficile à un homme riche d’entrer dans le Royaume des cieux.

Cette conclusion peut nous interroger : Qu’est-ce que Jésus veut dire par là ? Qu’entend-il par cette entrée dans le Royaume, le règne de Dieu ?

Et il insiste sur ce point : « Je vous le répète (dit Jésus), il est plus facile à un chameau de passer par un trou d’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu » (v.24).

« Entrer dans le royaume de Dieu » : c’est entrer en relation avec Dieu. C’est aussi adopter la manière de voir de Dieu que Jésus décrit à travers de nombreuses paraboles.
Cela veut dire entrer dans la nouvelle mentalité du règne de Dieu, dans le monde nouveau de Dieu : celui du don et de la gratuité.

Evidemment, la possession de grands biens, avec les préoccupations et les soucis qui vont de pair, peut être un obstacle à l’entrée dans cette nouvelle mentalité…. Celui qui possède beaucoup peut devenir, d’une certaine manière, prisonnier ou « esclave », c’est-à-dire dépendant de ses avoirs et possessions.

« Etre sauvé » au contraire, c’est entrer dans cette nouvelle mentalité du règne de Dieu. C’est acquérir un détachement, une liberté intérieure vis-à-vis de toutes préoccupations matérielles, pour centrer sa vie sur d’autres richesses, sur les relations humaines, sur le don et le partage, l’amour du prochain et la gratuité.

En agissant ainsi, en entrant dans cette nouvelle mentalité qui place l’humain au premier plan, plutôt que les biens et les richesses matérielles, Jésus affirme que le disciple acquiert une sorte de « trésor dans le ciel ».

L’expression peut nous étonner ! Elle signifie simplement que la vraie richesse, du point de vue de Dieu, réside dans le don (le don de soi ou de ses biens) et non dans la possession ou l’accaparement.

Le paradoxe soulevé par Jésus, c’est que la richesse dans les cieux passe par un dépouillement, un abandon, un lâcher-prise sur la terre.
Autrement dit, que nous ne sommes riches – du point de vue du ciel, de Dieu – que de ce que nous donnons de nous-mêmes dans cette vie.

* On retrouve cette idée et une expression similaire dans la parabole du riche insensé (cf. Lc 12, 16-21). La conclusion de la parabole laisse entendre une sorte de morale : « Voilà ce qui arrive à celui qui amasse un trésor pour lui-même au lieu de s’enrichir auprès de Dieu »… au regard de Dieu (v.21).

L’opposition porte ici sur l’égoïsme, l’égocentrisme de l’homme riche de la parabole qui parle à son âme et ne pense qu’à lui-même : à emplir ses greniers, pour finalement manger, boire et faire bombance, dans le confort, tout seul, dans son coin.
Et, d’autre part, le fait qu’il n’a, à aucun moment, mis à profit ses richesses pour le bien d’autrui. Finalement, d’un point de vue humain – comme d’un point de vue céleste (celui de Dieu) – il a raté sa cible, en refusant le manque et le partage… il n’a rien fait de constructif pour les autres avec ses talents, avec les dons qu’il avait reçus.

* Nos deux passages bibliques peuvent nous faire penser à une actualité. En fait, l’évangile a trouvé un écho particulier cette semaine avec l’histoire de cet homme milliardaire québécois juif – Steve Maman – qui a décidé depuis quelques mois de dilapider une partie de sa fortune personnelle, pour racheter des femmes et des enfants mis en esclavage par l’état islamique en Irak. Un tel comportement – pour le moins inattendu – a fait le buzz et suscité la polémique sur le net.

- D’un côté, certains ont estimé l’action de cet homme tout à fait remarquable, dans la mesure où – par son initiative et avec son argent – il a sauvé un certain nombre de femmes de l’emprise de Daesh qui les avait transformés en esclaves sexuelles.
On estime aujourd’hui qu’environ 5000 femmes ont été réduites en esclavage par Daesh.

- De l’autre, on a reproché à cet homme de faire ainsi le jeu des islamistes, en finançant ainsi indirectement l’état islamique, même s’il semble qu’il rachète les jeunes esclaves à des civils, et non à des combattants.

Dans les fait, Steve Maman serait parvenu à négocier la libération de plus de 120 jeunes filles Chrétiennes et Yédizdies âgées de 17 à 22 ans. Il paye environ 2000 dollars pour libérer chaque jeune femme des griffes de Daesh.

Suite à ces premières libérations, le Canadien a décidé de se consacrer à plein temps à cette initiative. Il a créé une ONG et lancé une campagne de financement participatif, pour récolter des fonds supplémentaires et donner plus d’ampleur à son action.

Ce qui me semble remarquable dans cette initiative, c’est le caractère totalement gratuit et altruiste de cette action. En agissant ainsi – juste par humanité, par compassion, pourrait-on dire – ce milliardaire ne tire aucun bénéfice personnel. Il met juste sa fortune, ses moyens au service d’un intérêt supérieur : le salut et la libération d’autres êtres humains injustement traités à cause du fanatisme de certains hommes, embrigadés dans leur radicalisme religieux.

Bien sûr, on peut regretter que cet argent atterrisse ainsi indirectement dans les mains des terroristes, mais on peut surtout se réjouir et applaudir cet acte gratuit – qui à mon sens correspond exactement au contraire de l’attitude du riche insensé de la parabole qui ne pense qu’à lui et à son confort personnel.

En d’autres termes, la question ne se pose pas.
Voilà un homme qui – pourrait-on dire – est entrée dans la nouvelle mentalité du règne de Dieu : celui du don et de la gratuité. Un homme qui a décidé d’agir parce qu’il a été ému et touché, face au sort injuste de ces jeunes femmes pour lesquelles personne ne semblait rien faire.

Du point de vue de l’évangile, on peut dire qu’en agissant de la sorte, à coup sûr, ce milliardaire acquiert « un trésor dans le ciel », bien plus précieux que celui qu’il avait auparavant à la banque ou en bourse.

* Mais revenons au dialogue de Jésus avec les disciples :

« A ces mots, les disciples étaient très impressionnés et ils disaient : "Qui donc peut être sauvé ?" Fixant sur eux son regard, Jésus leur dit : "Aux hommes c’est impossible, mais à Dieu tout est possible."» (v.25-26)

Jésus affirme ici que la nouvelle mentalité du royaume n’appartient qu’à Dieu. C’est pour cela qu’il précise qu’à Dieu tout est possible, mais qu’aux hommes c’est impossible. La mentalité du royaume de Dieu ne correspond pas à la mentalité traditionnelle et ancestrale des hommes.

Pour entrer dans le règne de Dieu, le monde nouveau de Dieu, il faut donc adopter une nouvelle mentalité… il faut renoncer à la manière habituelle de penser, qui consiste le plus souvent à ramener toute chose à soi-même, à calculer et agir selon son intérêt personnel… et désormais se laisser porter par l’Esprit de Dieu, par une nouvelle manière de voir les choses et la vie, qui nous resitue face à nos priorités, nos engagements, nos comportements, de façon nouvelle…. qui nous fait accéder à une nouvelle échelle de valeurs.

Autrement dit, il me semble que ce que Jésus propose à l’homme riche en abandonnant sa fortune au profit des pauvres, ce n’est pas seulement un acte un peu fou – le fait de se déposséder de ses biens en faveur d’autrui – c’est en réalité un appel à entrer dans une nouvelle logique, qui consiste à ne plus se mettre au centre, à se décentrer de soi-même, pour se situer comme un être humain en relation avec Dieu et avec les autres, pour se mettre au service d’autrui et de Dieu, en agissant d’abord par amour…. et pas en vue d’acquérir un bien pour lui-même… serait-ce « la vie éternelle ».

Pour Jésus, cette suivance, cette nouvelle manière d’agir est source de vie et de promesse :
« Quiconque aura laissé maisons, frères, sœurs, père, mère, enfants ou champs, à cause de mon nom, recevra beaucoup plus et, en partage, la vie éternelle » (v.29).

La promesse de Jésus, c’est que celui qui entrera dans cette nouvelle mentalité du don, cette nouvelle manière de vivre et d’agir, recevra en fait bien davantage que celui qui n’ose pas s’y engager.
Certes, ça ne sera pas un long fleuve tranquille (dans l’évangile de Marc, Jésus parle même de difficultés et de persécutions : cf. Mc 10, 30), mais Jésus présente ce chemin comme étant celui de la vie – la vie en plénitude (qu’il appelle la vie éternelle).

Autrement dit, Jésus annonce que ce chemin du lâcher-prise (du don de ses richesses, du partage, du don se soi) est en réalité la seule voix de salut (de libération, d’accomplissement) pour l’humanité… pour une humanité où chacun est appelé à sortir de la préoccupation de lui-même, en devenant solidaire du sort de ses frères.

* Conclusion : Encore quelques mots… pour conclure, que peut-on retenir de cette brève méditation ?

A travers le dialogue avec l’homme riche, Jésus enseigne qu’il ne s’agit pas de faire quelque chose de plus pour mériter son paradis, pour « acquérir » la vie éternelle (v.16), mais qu’il s’agit de consentir au manque, d’accepter de se déposséder, de se dé-préoccuper, de se décentrer de soi-même… pour s’abandonner dans les mains de Dieu… pour vivre une vie en plénitude – fondée sur la relation à l’autre – ici et maintenant.

Au fond, ce qui manque à l’homme riche, c’est d’accepter le manque !

Cette rencontre nous permet de mieux comprendre ce que Jésus dit ailleurs dans l’évangile, à savoir que pour sauver sa vie, il faut d’abord accepter de la perdre, de la risquer, de l’offrir, en s’inscrivant dans le don de soi (cf. Mc 8,35).

Il ne s’agit donc pas – comme le demandait le jeune homme riche – de « faire » d’acquérir, de mériter… mais de « se défaire », d’abandonner, de « quitter » : de quitter nos enfermements, nos habitudes, nos fausses richesses, nos sécurités illusoires… pour suivre le Christ… pour vivre libre… pour s’enraciner dans la confiance.

Pour autant, ce passage de l’évangile ne doit pas être source de malentendu :
La pauvreté à laquelle Jésus appelle cet homme n’est pas une fin en soi. Ce n’est pas le renoncement aux possessions en lui-même qui a un sens ou qui sauve. Et ici, la préoccupation de Jésus ne relève pas d’abord d’une question de justice sociale.

Le dépouillement demandé est un moyen nécessaire pour que l’homme riche puisse changer, se détacher de ses enfermements et se détourner de ses préoccupations narcissiques.

Le but particulier que vise Jésus, en demandant à cet homme riche de solder tout son avoir, c’est de lui permettre de se libérer des pièges de l’auto-suffisance et de l’appropriation, par lesquelles il prétend (d’une manière ou d’une autre) faire son salut par lui-même, par ses propres moyens (par son avoir ou par son obéissance à la Loi)…. Il veut ainsi l’inciter à entrer dans une autre logique, une autre économie : celle du don et de la confiance… en passant de l’avoir (qu’il soit matériel ou spirituel) à l’être.

En se dépouillant ainsi, en acceptant de vivre dans le manque, Jésus appelle cet homme à se rendre vraiment disponible à la grâce, à se mettre dans une situation où il devient possible de croire, de faire confiance à un Autre que soi-même pour son salut… Il l’invite à entrer dans la nouvelle mentalité du règne de Dieu.

La réaction du jeune homme qui s’en va tout triste montre combien il est difficile d’entrer dans cette nouvelle mentalité du royaume. Mais la Bonne Nouvelle de l’Evangile, c’est que Dieu – à qui tout est possible – nous offre son Esprit d’amour et de confiance, pour nous inciter inlassablement à adopter cette nouvelle manière d’envisager la vie.

Alors, chers amis, puissions-nous, chacun et ensemble, entendre cet appel que le Christ nous adresse : osons lâcher-prise…  départissons-nous de notre volonté de faire notre salut par nous-mêmes, en confiant cette tâche à Dieu, pour qui tout est possible.

En même temps, inscrivons-nous dans cette nouvelle mentalité du don et de la gratuité, source de vie nouvelle et de relations fraternelles. 

Amen.