dimanche 28 février 2016

Lc 5, 27-39

Lc 5, 27-39
Lectures bibliques : Mt 6, 16-18 ; Lc 5, 27-39
Thématique : accueillir le vin nouveau de l’Evangile, source de guérison et de joie
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 28/02/16

Derrière son apparente simplicité, le passage qui nous est donné de méditer ce matin est dense et riche : il nous donne de quoi réfléchir…

* Tout d’abord, cela commence avec l’appel de Lévi qui est en lui-même un récit condensé de conversion.

L’attitude de Jésus y est tout à fait remarquable. Rappelons-nous l’épisode précédent : Jésus vient d’accomplir une guérison spectaculaire. Il vient de remettre sur pieds un paralytique porté par 4 hommes à travers un toit : un événement marquant réalisé devant une foule nombreuse, totalement stupéfaite … il quitte les lieux… et là, il remarque quelqu’un à qui personne ne prête plus attention : un collecteur d’impôt assis à son bureau des taxes.

On sait que les collecteurs d’impôts étaient très mal vus à l’époque de Jésus… rien à voir avec les percepteurs d’impôts d’aujourd’hui… pourtant peu appréciés.
Ils étaient considérés comme des collaborateurs de l’occupant romain. Ils effectuaient un travail ingrat et dévalorisant… car le montant des taxes qu’ils percevaient pouvait être considéré comme pesant et injuste… De plus, ils pouvaient se rémunérer en touchant un surplus, un pourcentage sur les taxes prélevées.

La « caste » des collecteurs était méprisée par les bons Juifs pieux. Ces hommes suscitaient la crainte et la méfiance. Ils étaient vus comme « impurs » et « infréquentables » par les tenants – les puristes – de la religion instituée.

Que Jésus regarde Lévi, cet homme assis au bureau des taxes dans l’indifférence générale, est déjà en soi remarquable… qu’il lui adresse la parole… et que se noue entre les hommes un dialogue – un échange dont les évangiles ne nous ont pas transmis le contenu – est encore plus étonnant. Mais, le plus stupéfiant est l’attitude de Lévi qui – touché par le comportement et les paroles de Jésus – dans un acte de foi, quitte tout, se lève et se met à le suivre.

Vous remarquerez que pour raconter cette rencontre, cette conversion fulgurante, l’évangéliste Luc utilise le vocabulaire de la résurrection – Lévi se lève – et celui de la suivance, c’est-à-dire que Lévi devient un disciple, un adepte de l’enseignement de Jésus.

* Deuxième temps de notre passage : Lévi organise une grande fête, un festin, en l’honneur de Jésus, son hôte de marque. Il invite, bien sûr, des amis à lui, des collègues de travail – donc d’autres collecteurs d’impôts – pour leur faire connaître son nouveau compagnon, son maître : Jésus.
Mais, la rumeur se répand vite et les disciples de Jésus – qui devaient sûrement être dans les environs – reçoivent les récriminations des Religieux, des tenants de l’orthodoxie : les Pharisiens et les Scribes.

Comme au moment de l’exode, les fils d’Israël « murmuraient » contre Moïse (cf. Ex 15,24 ; 16, 2 ; Nb 11) qui leur avait fait quitter leur sécurité et leur esclavage, pour une vie de liberté nécessitant un temps de passage au désert… ici, les Religieux « murmurent » contre Jésus qui vient rompre les habitudes, en faisant bon accueil aux pécheurs et en partageant la même table avec eux.

Cette commensalité inhabituelle et intolérable avec des personnes considérées comme indignes et impures a de quoi choquer ceux qui pensent qu’on ne doit pas mélanger les « torchons » et les « serviettes », ni fréquenter ceux qui sont jugés comme des « parias ».

L’évangile nous livre alors la réponse de Jésus : « les bien-portants n’ont pas besoin de médecin, mais les malades en ont besoin. Je en suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs en vue d’une conversion » (Lc 5, 31-32).

Plusieurs enseignements peuvent être tirés de ces deux versets :
-       Premièrement, Jésus se présente comme un « médecin ». Cela signifie qu’il apporte aux hommes un salut qui est une forme de guérison, de libération, de délivrance.
-       Deuxièmement, son traitement – son enseignement – s’adresse à ceux qui acceptent de se reconnaître « malades », littéralement comme ayant un « mal » à soigner.
Cette information peut déjà nous interroger personnellement : Nous considérons-nous, d’une certaine manière, comme « malades »… comme atteints, touchés par un mal à soigner et à guérir ? Avons-nous cette humilité de cœur qui permet de se mettre à l’écoute du Christ ?
-       Troisièmement, l’appel que Jésus adresse à ceux qui se reconnaissent « pécheurs » est un appel vers une conversion, c’est-à-dire pour un changement, un retournement du cœur … en vue de la joie de la rencontre avec Dieu.

Ce changement – cette nouvelle mentalité et cette nouveauté de vie – à laquelle Jésus appelle les pécheurs peut sans doute prendre différentes formes. Tout dépend du mal qui est à soigner.

Ici, la thérapie que Jésus offre à Lévi commence par un changement personnel et radical : le péager quitte tout. Mais, elle se poursuit par le partage d’un festin. Ce n’est sans doute pas un hasard. Le mal dont souffrait le collecteur d’impôt n’était pas seulement individuel, il était aussi relationnel : c’était aussi un mal social.
Jésus répond à l’exclusion et aux préjugés dont souffrait Lévi, par l’intégration et le partage. Il répond à l’isolement, par l’accueil et la communion fraternelle.

Cela ne veut pas dire que Lévi n’a pas une conversion personnelle, un cheminement propre à accomplir… mais cela signifie que « se convertir » n’est pas seulement synonyme d’effort, de souffrance, d’austérité et de tristesse… (comme on le pense parfois)… mais plutôt de transformation, de bonheur et même de joie.

Jésus dira un peu plus loin dans l’évangile, à travers la parabole de la brebis retrouvée, qu’il y a « plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit que pour 99 justes qui n’ont pas besoin de conversion ». (cf. Lc 15,7)

Et… ailleurs… qu’ « il fallait bien se réjouir et faire la fête, car [ce] frère qui était mort est revenu à la vie… il était perdu et le voilà retrouvé » : paroles qui s’adressent au frère ainé du fils prodigue (cf. Lc 15, 32) tout autant qu’aux Pharisiens, qui semblent oublier que les collecteurs d’impôts sont leurs frères.

Bien sûr, l’attitude des Pharisiens peut nous sembler assez éloignée de notre monde d’aujourd’hui, 2000 ans plus tard.
La plupart des Religieux (à l’exception, peut-être, des intégristes et des fanatiques) ne regardent plus de haut et avec mépris les incroyants, les athées ou les infidèles. En Europe, chacun est libre et respecté dans son mode de vie et ses convictions personnelles. Et c’est heureux !
Mais, sur le fond, bien des choses restent à changer. Dans les faits, nous avons encore bien du mal à considérer chaque être humain comme un frère. Il suffit de voir la façon dont les migrants et les réfugiés sont traités ici ou là dans le monde et même en France, dans la « jungle » de Calais. Nous avons bien du mal à vivre l’accueil de façon inconditionnelle et universelle. Il y a toujours des humains qui sont traités en « sous-hommes ».

Dans notre passage… Jésus justifie son action : il est non seulement permis d’accueillir et de fréquenter les gens de mauvaise réputation…  il est même juste et bon de partager le pain et de se réjouir avec eux quand ils se convertissent… mais même, en amont…  il est bon de les côtoyer en vue de leur conversion.

C’est donc une autre approche que propose le Christ : l’accueil et l’intégration plutôt que le « chacun pour soi », le communautarisme et l’exclusion de ceux qui sont « différents ».

Il me semble que cette attitude de Jésus devrait nous faire réfléchir sur les fausses idées que nous pouvons avoir du mot « conversion ».
On associe souvent la conversion à la repentance, voire à la pénitence.
Même le carême – ce temps de conversion par excellence – est pensé comme un temps d’abstinence où il faut faire « maigre », se priver d’un certain nombre de choses… comme si le fait de se mettre en relation avec Dieu nous imposait un chemin triste, difficile et pesant.
Quelle curiosité ? Ne sommes-nous pas à l’envers de ce que fait ici Jésus ?

La conversion : terme qui désigne le fait de changer de chemin… de se retourner, pour emprunter une nouvelle route… pour marcher désormais, jour après jour, comme enfant de Dieu avec le Seigneur … devrait, au contraire, nous appeler à la reconnaissance et à la joie.

Savoir qu’avec Dieu – et avec l’enseignement de Jésus – nous pouvons progresser jour après jour dans notre évolution relationnelle et spirituelle… savoir que le Christ nous appelle à avancer, à vivre en communion avec notre Père céleste, en apprenant à aimer, en nous invitant à nous libérer de nos maux, de nos enfermements, de nos conditionnements, de notre égo… savoir que Jésus est notre médecin personnel : tout cela devrait nous réjouir !

L’Esprit du Christ nous dynamise, pour nous faire avancer et nous transformer. C’est un motif de joie !

Quelle merveilleuse nouvelle, en effet, de voir que Jésus croit en la capacité de changement de l’être humain… (alors que nous-mêmes, des fois, nous n’y croyons plus)… qu’il s’adresse à Lévi, le petit collecteur de taxes invisible et anonyme…  et que grâce à lui, Lévi va pouvoir devenir un autre homme, qu’il va pouvoir trouver libération et guérison… être relevé et même devenir disciple du Christ !

Quelle Bonne Nouvelle de savoir que Jésus appelle les pécheurs, qu’il nous appelle et nous attend sur le chemin de la conversion, sur la voie d’une transformation intérieure, jour après jour !

Pause : cantique

* Ensuite, nous trouvons un troisième temps dans ce passage de l’évangile : Luc nous fait part d’une polémique au sujet du jeûne… car contrairement aux disciples de Jean Baptiste et aux disciples des Pharisiens, les adeptes de la voie de Jésus, eux, ne jeûnent pas. Ce qui leur est reproché.

La question du jeûne est plus complexe qu’il n’y paraît. Elle interroge le sens et la motivation de cette discipline : pour quoi / pour qui jeûner ?
Aujourd’hui, certaines personnes continuent à pratiquer le jeûne dans plusieurs religions. Certains jeûnent même pour le climat.

Jésus répond à cette question dans son sermon sur la montagne (cf. Mt 6, 16-18) : Le jeûne n’est pas une affaire de forme, mais de cœur. Il concerne la relation intime entre chaque croyant et Dieu.

Au temps de Jésus, on sait que le jeûne était pratiqué en vue du Yom Kippour, du jour du grand pardon, comme le prescrit le Lévitique (cf. Lv 23, 26-32). C’était une manière de faire pénitence, de pratiquer un examen de conscience, d’expier ses péchés et de solliciter le pardon de Dieu.
Mais, au-delà de cette prescription de la Torah, les disciples de Jean et les Pharisiens appliquaient des jeûnes volontaires et des périodes d’abstinence dans un but de repentir et de perfectionnement. Certains visaient la sainteté, comme un état de performance. [1]

Jésus ne rejette pas le jeûne comme moyen de purification, synonyme d’un temps de rupture, de détachement des préoccupations matérielles et d’élévation spirituel, dans la mesure où il est accompli dans le secret.
D’ailleurs, Jésus lui-même aurait jeûné 40 jours dans le désert.
Mais, il ne s’agit pas de paraître, de faire pale figure, pour montrer aux yeux de tous sa religiosité. Au contraire, le jeûne est une affaire privée, qui ne regarde que le croyant dans sa relation personnelle à Dieu.

Ici, Jésus répond à la polémique par le symbolisme des noces.
Il justifie le fait que ses disciples ne pratiquent pas de jeûne par sa présence :
Quand le maître est là, quand l’époux est présent, les amis et les invités à la noce ne sont pas appelés à l’abstinence et à la solitude, mais à la joie de la communion fraternelle avec l’époux, pour se réjouir de sa présence et recevoir son enseignement.

Il y a un temps pour tout : Lorsque le maître est là, il s’agit de célébrer la réconciliation avec Dieu. Lorsqu’il sera enlevé à ses disciples, il sera temps de jeûner. [2]

* Notre passage se conclut enfin par une double parabole sur le vieux et le neuf.

Il y a sans doute plusieurs manières de comprendre ces paraboles : celle du vêtement neuf qu’on ne peut pas coudre sur un vieux vêtement sous peine de le déchirer, et celle du vin nouveau qu’on ne peut pas verser dans de vieilles outres sans risquer de les faire éclater.
(Seules des outres aux coutures serrées et au cuir resté souple résistent à la pression du moût qui fermente. Il faut donc mettre le vin nouveau dans des outres neuves.)

Je ne répondrai pas à la question de savoir si nous devons nous considérer comme des « outres neuves » ou de « vieilles outres » : je ne voudrais « outrer » personne. Visiblement, tout cela n’est pas une question d’âge, mais de mentalité.

Alors… comment comprendre ces petites paraboles ?

Le « vêtement neuf » qui nous est offert comme cadeau, c’est celui d’enfant de Dieu. C’est l’habit régénéré par l’Esprit du Christ. (Mais, parfois, nous tenons à garder nos vieux habits !)

Le « vin nouveau » que Jésus apporte, c’est son enseignement, la Bonne Nouvelle de l’Evangile, porté par un esprit novateur…  tout-à-fait nouveau par rapport à ce qu’enseignaient les Pharisiens et les disciples de Jean, enracinés dans les rites pénitentiels, les traditions et l’application stricte des préceptes de la Torah.

Quelqu’un a dit : respecter « la tradition, ce n’est pas conserver les cendres, c’est transmettre le feu »[3]. C’est précisément ce que n’ont pas compris – semble-t-il – les Pharisiens. Par leur conservatisme, ils ont fini par trahir et tordre le sens de la Loi, à cause de leur compréhension rigide de la relation à Dieu… et des préceptes qu’ils entendent imposer à tous, sans discernement.

Bien différemment, Jésus s’adapte à ses auditeurs. Il vient bousculer l’interprétation littéraliste de Loi… et forcément ça dérange :
il met la priorité sur l’humain face aux questions d’impureté, au stricte respect du sabbat, à un certain nombres de règles qui finissent par exclure … et monter des mûrs et des frontières entre les individus.

Jésus s’adresse aux pécheurs, à ceux qui sont éloignés de la foi traditionnelle. (Son attitude est exemplaire. Ne devons-nous pas, nous aussi, être une Eglise pour les autres… pour ceux qui sont éloignés ?) Il offre une nouvelle manière de penser la foi et de vivre en relation avec Dieu : la possibilité de vivre une relation directe et gratuite, sans marchandage (sans la médiation des sacrifices), sans conditions préalables (sans savoir si vous êtes assez purs et parfaits, si vous avez assez jeûner, si vous avez assez mérité et peiné par vos œuvres, pour vous présenter devant Dieu).

Pour Jésus, la relation avec Dieu est source de confiance, de changement, de guérison, de communion fraternelle et de joie.
Ce n’est pas l’impureté des aliments ou des convives qui nous éloigne de Dieu, mais celle du cœur.
Ce n’est pas la souffrance ou la mortification qui nous rapproche de Dieu, mais la conversion sincère et l’amour du prochain.

Autrement dit, Jésus propose d’accomplir la loi, non dans la crainte, mais dans l’amour. Il vient instiller un nouvel état d’esprit, pour nous appeler à dépasser les habitudes religieuses, qui risquent de nous enfermer et de nous scléroser.

Jésus explique cela à travers l’image du vin. Je crois qu’il faut entendre son propos de façon ironique : tant qu’on n’a pas goûté le vin nouveau, on croit toujours que le vin vieux est meilleur !
C’est une réalité bien connue : le vin ancien est réputé pour son goût plus équilibré, plus profond, plus harmonieux. Il s’améliore avec l’âge ; en principe, il murit en vieillissant.
Seulement, Jésus prévient : Les habitudes ont la vie dure. Ceux qui disent que le vieux est meilleur, c’est en général ceux qui ne boivent que du vin vieux. Parce qu’ils sont pris dans leurs routines religieuses, il n’en ont en réalité jamais gouté d’autre.

Dans ces conditions, il est probable que les Pharisiens restent avec leurs vieux vêtements… puisqu’ils ne sont pas capables d’en changer… qu’ils conservent leur vin vieux, leurs rites et leurs traditions… puisque leurs outres sont vieillies… et incapables de recevoir du vin nouveau. [4]

Pour revêtir un habit neuf… pour être à même de goûter le vin nouveau – l’enseignement de Jésus, la Bonne Nouvelle de l’Evangile – … il faut accepter de lâcher l’ancien… même si on est parfois persuadé qu’il est meilleur.  
Ce vin nouveau, il est peut-être un peu vert au début, il étonne, il bouscule, mais c’est heureux… car si on s’y habitue, ça veut dire qu’on risque de quitter la foi, pour retomber dans la religion des œuvres.

Il n’est pas étonnant, après tout, que Jésus ait été si mal compris et même rejeté par les Religieux de son temps.
Comment voulez-vous accepter que Dieu invite tous les hommes à vivre en communion avec Lui, quand vous vous jeûnez, vous faites pénitence, vous vous faites tant d’efforts religieux et que vous voyez que Jésus annonce la Bonne Nouvelle de l’amour inconditionnel de Dieu à n’importe quel premier venu… aux balbutiants de la foi… aux pécheurs et aux collecteurs d’impôts ?

Comment pouvez-vous accepter le message de Jésus quand vous apprenez que les ouvriers de la dernière heure recevront finalement le même salaire que ceux de la première heure… sans mérite de leur part (cf. Mt 20) ?
Il y a de quoi en prendre son latin !

Mais ce serait mal comprendre l’Evangile de croire que le message annoncé par Jésus est finalement plus simple que la tradition et les rites de Pharisiens.

Voyez-vous, je crois, au contraire, que l’Evangile – le vin nouveau – est certes plus accessible – dans la mesure où le Christ s’adresse à tous, aux pécheurs, et pas seulement aux bon croyants de son temps et de sa communauté – mais il est aussi plus engageant – plus exigeant – que le vieux vin de la tradition :

Avec Jésus, il n’est plus question de rentrer dans un moule d’habitudes et de préceptes ; il est question désormais de faire ses propres choix d’adultes dans la foi.
Il n’est plus question d’appliquer des rites machinalement ; il faut faire preuve désormais de conscience et de responsabilité dans chacun des actes de notre vie.

La Christ appelle les pécheurs – c’est une bonne nouvelle formidable – mais il les appelle à la conversion / non à la répétition :
cela signifie que chaque jour nous sommes appelés à marcher sur le chemin de l’amour et de la justice, à progresser peu à peu, à avancer à la suite du Christ, dans un nouvel élan.  

Nous avons, bien entendu, nous aussi, dans notre Eglise, nos temps d’accueil et de réconfort, comme les collecteurs d’impôts : nous pouvons partager la joie de l’amitié fraternelle dans notre communauté locale, la convivialité de nos fêtes paroissiales, la communion de la Ste Cène le dimanche, les pots de l’amitiés après les cultes, mais nous sommes appelés à la vigilance : nous ne devons pas en faire du vieux vin… nous ne devons pas en faire des habitudes… nous ne devons pas laisser le vin nouveau devenir du vieux vin… sans quoi nous finirons par penser que notre vin – le vin devenu vieux – est le meilleur… et nous deviendrons des Religieux, des conservateurs… sûrs de leur Eglise et de leurs traditions.

Ce matin, le mot d’ordre que nous recevons, c’est celui de « conversion ».
Il faut sans cesse nous laisser convertir : sans cesse nous sommes appelés à recevoir l’Evangile dans la nouveauté. Et c’est là – il me semble – le défi que Jésus présente à ses contradicteurs.

Loin de faire du message de Jésus une nouvelle religion, une nouvelle tradition, nous sommes sans cesse appelés à en faire un sujet d’étonnement et de joie… nous devons accueillir, partager et réjouir !

Oui… quand nous nous laissons déplacés par le message de Jésus… quand nous osons faire comme Lévi : tout quitter… lâcher nos présupposés, nos conditionnements… nous sommes remis debout et libérés par le Christ : et tout cela est, pour nous, promesse et sujet de joie.

* Pour conclure … - je sais que j’ai été trop long aujourd’hui… mais notre passage était riche et dense - …  il n’y a peut-être qu’une seule phrase à retenir pour ce jour : celle de Luc qui raconte que « Lévi se mit à suivre Jésus » (v.28).

Au fond… qu’est-ce que ça signifie pour nous… pour toi, pour moi…  « suivre le Christ » ?

Sommes-nous prêts à goûter le vin nouveau de l’Evangile… et à le partager avec d’autres ?

Amen.



[1] Cf. Lc 18, 12 : Le pharisien en question jeûne 2 fois par semaine.
[2] L’image de la noce – avec la figure de l’époux – est ici appliquée au Christ. Elle désigne habituellement l’alliance entre Dieu et son peuple. Pour l’évangéliste Luc, ces noces royales sont scellées en Christ.
[3] Le compositeur Gustave Malher aurait dit : « La tradition, c’est nourrir les flammes, pas vénérer les cendres »
[4] Fondamentalement, le message de Jésus ne peut pas être reçu par les conservateurs, les tenants de l’orthodoxie et de l’orthopraxie qui se prétendent justes et purs… qui n’ont besoin de personnes, ni de Jésus, ni de Dieu, pour être sauvés… puisqu’ils ont leurs œuvres et leurs mérites personnels.

dimanche 7 février 2016

Mc 7, 31-37

Mc 7, 31-37
Lectures bibliques : Mt 6, 5-8 ; Mc 7, 31-37
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Marmande, le 07/02/16
(Inspirée d’une méditation d’Anselm Grün)

* La Bible est plus qu’un livre d’histoires, elle doit pouvoir nous dire quelque chose aujourd’hui.
Lorsque nous entendons un récit de guérison, nous pouvons, d’une part, nous projeter sur le personnage malade et nous dire que, nous aussi, à notre manière et à notre niveau, nous avons besoin de guérison… Nous sommes parfois sourds aux autres et à Dieu… Nous sommes parfois enfermés en/sur nous-mêmes.

D’autre part, nous pouvons également observer le comportement de Jésus et discerner la façon dont il s’y prend pour accompagner le malade dans sa thérapie. Car, nous pouvons, nous aussi, essayer d’aider les autres et les soulager de leurs maux et de leurs souffrances.
Jésus appelle ses disciples à le suivre, à s’approprier ses enseignements, à faire briller la lumière de Dieu pour les humains. Voyons donc ce qui se joue dans cette rencontre entre Jésus et cet homme sourd.

Tout d’abord, vous avez sans doute remarqué que la plupart des guérisons racontées dans les évangiles concerne des maladies de la communication, qui empêchent telle ou telle personne d’entretenir des relations sociales avec d’autres, qui rejettent des individus hors du groupe social ou religieux, qui isolent et enferment les humains.
Ce sont souvent des aveugles, des sourds, des muets, des paralytiques, des lépreux, dont l’évangéliste Marc nous raconte la guérison.

* C’est précisément le cas présenté ce matin : Jésus se trouve en territoire païen. Là, des personnes lui amènent un homme sourd, qui parle difficilement.
L’homme en question n’est pas complètement muet, mais n’entendant pas ou mal ce que les autres disent, il est incapable de reproduire les sons de la voix humaine correctement ; il ne peut pas contrôler sa propre voix. Il s’agit peut-être d’un sourd-bègue, comme le notent certains commentaires.

Quoi qu’il en soit, à cause de son handicap, cet homme se trouve coupé de toute relation approfondie avec autrui. Il ne peut échanger ni nouvelles, ni idées, ni pensées personnelles, ni préoccupations avec les autres. Il est comme « enfermé » en lui-même.

Des proches du malade supplient Jésus de lui imposer les mains.

Si tel est le cas, c’est que Jésus était sans doute connu pour être un guérisseur extraordinaire, un thaumaturge exceptionnel. Il est, malgré tout, étonnant que cette réputation se soit propagée dans toute la région jusqu’en territoire païen.

Faute de pouvoir s’exprimer par ses propres moyens, c’est l’entourage de l’homme handicapé qui formule la demande d’intervention auprès de Jésus.
Cette demande est une imposition de la main : geste de prière et de puissance par lequel il est attendu que Jésus transmette sa force au malade, son énergie créatrice et transformatrice, pour le guérir de son mal.

Contre toute attente, Jésus ne s’exécute pas avec le patient comme les gens le souhaitent. Il va procéder en plusieurs étapes :

Il commence par prendre le sourd à l’écart de la foule. Il le sépare des gens qui l’ont conduit à lui. Il offre ainsi au malade un espace personnel et protégé où il est seul avec lui.
Dans cette relation à deux seulement, une relation de confiance va pouvoir se nouer, de telle sorte que le « sourd-bègue » va oser ouvrir sa bouche et ses oreilles qui sont fermées.

De même que cet homme a besoin d’un espace personnel et intime avec Jésus... pour être sûr que personne d’autre n’entende ce qui va se dire, seul à seul, dans le secret… nous aussi, nous avons besoin de la prière, de la méditation, c’est-à-dire d’un espace de relations privilégiées avec Dieu, où l’on peut écouter et se dire dans le cœur à cœur de la confiance.

C’est dans cet espace de discrétion et de confiance que Jésus va montrer au malade ce que signifie entendre et parler. Il va amener le malade à s’ouvrir à la rencontre avec les autres et avec Dieu.

Il arrive, en effet, que la maladie soit parfois un moyen développé par le corps ou la psyché pour se protéger.
En emmenant l’homme à l’écart de la foule, Jésus va le délivrer du sentiment angoissant d’être constamment menacé ou jugé… il va éveiller en lui un sentiment de sécurité.

Le théologien Anselm Grün décrit 5 étapes vers la guérison :

« A la première étape, [Jésus] met les doigts dans les oreilles du sourd, comme pour lui dire [par des gestes] : toutes les paroles que tu entends veulent entrer en relation avec toi. Tu n’as pas besoin de fermer tes oreilles de peur d’entendre des paroles négatives ou critiques. Même les paroles rudes cachent un désir de relation, tu dois y détecter ce désir en écoutant !

[En lui mettant les doigts dans les oreilles, Jésus lui donne ainsi à sentir des mains qui veulent guérir, qui cherchent à entrer doucement en relation avec lui.]

Deuxième étape : Jésus prend de sa salive et touche la langue du muet en un geste maternel. Les mères soulagent souvent les blessures de leurs enfants en y mettant un peu de leur salive et en disant : tout va bien maintenant.
Dans l’Antiquité déjà, la salive était considérée comme ayant un effet curatif.
Jésus crée donc une atmosphère maternelle dans laquelle le malade peut être lui-même, sans être jugé. C’est quand il va sentir que ses mots ne seront pas évalués qu’il va pouvoir parler de lui en toute sincérité. S’il a, au contraire, l’impression que les paroles qu’il prononce, ses pensées, ses actions et les situations dans lesquelles il se trouve sont [jugées et] réprouvées, il va se fermer. […]
Jésus s’adresse au sourd-muet comme le ferait une mère et nous pouvons assimiler son geste à un baiser par lequel il fait don de sa proximité tendre au malade.

À la troisième étape de la guérison, Jésus lève les yeux au ciel - un geste que l’on peut différemment interpréter :

Il montre au malade que lors de tout bon entretien, le ciel s’ouvre au-dessus des hommes.
Dans une conversation, les êtres n’entrent pas seulement en contact l’un avec l’autre, mais aussi, en dernière instance, avec l’indicible, le mystère qui les lie l’un à l’autre : le ciel qui resplendit au-dessus d’eux.

Mais lever les yeux vers le ciel peut aussi [faire penser à un geste d’invocation ou de prière et] vouloir dire que c’est Dieu qui guérit. […]

On retrouve ici le mot grec anablepo, qui signifie « lever les yeux » [v.34]. Jésus regarde vers le ciel. Il voit dans le malade le ciel qui est en lui. Il ne voit pas seulement son handicap, mais aussi son ouverture au ciel et à Dieu. Et parce que Jésus voit le ciel en lui, le malade peut aussi croire à ce ciel, l’espace de silence où Dieu habite en son for intérieur et où les paroles blessantes des autres hommes n’ont pas accès.

[Ce pourrait être une belle définition du « ciel » : l’espace de silence où Dieu habite. Cet espace au-delà de nous-mêmes…  extérieur à soi… mais qui peut aussi être en soi… puisque Dieu peut régner dans notre intériorité. C’est ce que Jésus fait percevoir à cet homme : le ciel est aussi en lui !]

Quatrième étape : Jésus soupire. […] Il ouvre son cœur pour [cet homme] et se met émotionnellement à sa place. Le sourd-muet ne peut exprimer ce qu’il ressent. Jésus le fait alors pour ainsi dire à sa place, pour extérioriser les sentiments que le malade a refoulés.

Cette étape représente un pas important dans l’accompagnement spirituel et thérapeutique. […]
[Il arrive, en effet, que des personnes ne parviennent pas à parler de leurs sentiments ni à les exprimer. C’est parfois l’accompagnateur qui en vient à éprouver et ressentir les sentiments qu’un patient réprime en lui-même. Parfois, un thérapeute ressent même dans son corps ou son esprit les symptômes et les blocages masqués par un patient.
En extériorisant ce que l’homme ressent en lui, sans pouvoir l’exprimer, Jésus encourage son interlocuteur à exprimer ses sentiments réels. Il invite l’homme à faire face à ce qui est en lui.]

À la cinquième étape, Jésus ordonne : Ephphata, « ouvre-toi » (Mc 7,34). [L’homme sourd] ne peut ouvrir ses oreilles et délier sa langue que dans une atmosphère imprégnée d'amour maternel, mais il lui faut encore une impulsion extérieure. Ce que Jésus a préparé avec son geste maternel, il faut maintenant le mettre en œuvre. […]
[Par sa parole, Jésus donne une impulsion, un élan, qui libère l’homme de son enfermement… qui l’autorise à franchir le pas de la parole. Il l’invite à s’ouvrir, à exprimer ce qu’il aurait continué à repousser en lui-même, si Jésus ne lui avait pas donné un élan par sa parole.]

Marc décrit ainsi l’ouverture du sourd-bègue : « Et ses oreilles s’ouvrirent, et fut dénoué le lien de sa langue, et il parlait correctement. » (Mc 7,35).
Le malade ose maintenant écouter les mots qui parviennent à son oreille. Il n’a plus peur de n’entendre que des rejets et des choses implacables.
Jésus lui a appris que les paroles veulent l’atteindre, qu’il est quelqu’un d’important pour d’autres et qu’on veut de lui comme interlocuteur. […]

Le sourd-muet se taisait parce qu’il était rendu muet ; parce qu’il avait peur de se révéler lui-même en parlant, et d’être blâmé par les autres.
Il lui faut la confiance d’autrui pour se libérer de ses chaînes intérieures ».[1]

Anselm Grün conclut en ajoutant : « Nous avons, nous aussi, besoin d’un espace de confiance pour pouvoir parler et entendre correctement ce que les autres nous disent. […] [Nous pouvons peut-être trouver cet espace auprès d’un accompagnateur spirituel, mais nous pouvons aussi] imaginer que la proximité salvifique de Dieu nous enveloppe et crée en nous un espace protecteur où nous allons oser ouvrir lentement le cadenas de notre cœur. »

* Ce récit de l’évangile de Marc nous invite donc à nous situer sur deux niveaux :
- Premièrement, il nous rappelle que nous sommes parfois comme ce « sourd-bègue » : plus ou moins sourds, bègues ou aveugles dans notre relation à Dieu. Nous sommes parfois enfermés en nous-mêmes et déficients dans notre écoute et notre parole. Jésus nous montre qu’il peut en être autrement.
- Deuxièmement, à la suite de Jésus, en tant que « disciples », Marc nous annonce que nous pouvons aussi, à notre tour, devenir des accompagnateurs des autres dans leurs peurs, leurs difficultés et leurs mal-être. Jésus nous appelle à agir comme lui, à être des médiateurs de confiance, des vecteurs d’ouverture, de libération et de guérison autour de nous.  

Mais, pour en arriver là… il nous faut d’abord travailler sur nous-mêmes. Et, peut-être, suivre les pas de cet homme que Jésus accompagne sur ce chemin de salut :

* Je résume… en guise de conclusion… ce qui me semble important :

En premier lieu, Jésus n’ignore pas cet homme, il en prend soin. Il nous invite aussi à prendre soin de nous-mêmes.

Jésus nous invite d’abord à trouver le chemin du silence intérieur où Dieu habite : le ciel qui est en nous.
Il nous appelle à prier dans le secret (cf. Mt 6,6) pour trouver la paix. Il veut nous emmener à l’écart, loin de la foule.

C’est déjà là un premier pas vers une rencontre possible avec Dieu : oser sortir du bruit de la société, des activités mondaines, du brouhaha médiatique, du bruit et de l’agitation quotidienne, pour se retrouver en vérité et découvrir « Dieu en soi »…
Commencer par essayer de faire silence en soi… par essayer de se taire… pour être attentif au doux murmure, au souffle ténu de la présence de Dieu… comme le prophète Eli l’a découvert, dans le silence de la solitude (cf. 1 R19).[2]

Ensuite, lever les yeux vers le ciel et soupirer… c’est-à-dire oser confier à Dieu le secret et la vérité de notre vie… oser lui confier notre personne, notre existence toute entière avec nos réussites et nos échecs, nos charismes et nos limites, nos élans positifs et nos parts d’ombre, nos lourdeurs : tout lui confier.

Juste avant de regarder vers le ciel, Jésus a touché les oreilles et la langue de l’homme… il s’est occupé des organes malades.
Le Christ n’hésite pas à atteindre l’autre en son point sensible… à le toucher là où ça fait mal.

Cela veut dire qu’il ne faut pas se voiler la face devant le mal… ne pas ignorer ce qui est faible, fermé ou malsain en nous-mêmes. Pour le confier à Dieu… pour le purifier… il faut, au contraire, en être pleinement conscient… afin que ce qui est malade, sclérosé ou tordu puisse être atteint par le souffle de Dieu… par son énergie positive et transformatrice.

Enfin, comme cet homme, nous pouvons recevoir cette parole de libération « Ephphata » : ouvre-toi.
Cette parole de paix et de salut nous accueille tels que nous sommes pour nous ouvrir à la lumière de Dieu…  Cette parole vient creuser en chacun un sillon pour laisser passer le souffle et la lumière de Dieu : accueillir le silence et la parole de Dieu, pour nous ouvrir à la nouveauté… pour nous laisser éveiller à une vie nouvelle : c’est ce que le Christ nous offre !

La relation au ciel nous ouvre à nous-mêmes.
Si Jésus lève les yeux au ciel, c’est pour nous aider à trouver le chemin du ciel qui en nous.

Lorsque nous découvrons le ciel en nous, nous ne sommes plus enfermés en nous-mêmes, recroquevillés sur nous-mêmes… nous ne sommes plus « sourds » ni « bègues »… nous sommes libres !… libérés des peurs, des jugements, des conditionnements… libérés de notre égo. Et c’est ce que Jésus veut pour nous : que nous soyons des hommes et des femmes libres !

Alors, frères et sœurs… osons accueillir le souffle de Dieu dans notre intériorité... en confiance, laissons-le agir… laissons-le nous ouvrir, nous libérer et nous guérir !

Amen.



[1] Anselm Grün, Jésus thérapeute, éd. Salvator, p. 137-143.
[2] Comment pouvons-nous accuser Dieu de répondre si peu à nos prières si nous ne prenons pas la peine de faire silence pour l’écouter ? Sans doute est-ce là une des fonctions de l’Eglise : offrir un espace de silence et de paix intérieure à tous ceux qui s’approchent… être un lieu d’ouverture et de ressourcement spirituel.