dimanche 22 janvier 2023

Recherchez la justice

 Lectures bibliques : Es 1, 12-18 ; Es 58, 6-8 ; Pr 21,15 ; Mt 25, 31-46 (voir en bas de page)

Thématique : « Apprenez à faire le bien, recherchez la justice » (Es 1, 17)


Prédication de Pascal LEFEBVRE - 22/01/23 – temple du Hâ - Bordeaux. 

(Thématique proposée par un groupe de chrétiens des États-Unis dAmérique constitué par le Conseil des Églises du Minnesota / dans le cadre de la semaine de prière pour l'unité des Chrétiens.)



La thématique proposée dans le cadre de la semaine de prière pour l’unité des Chrétiens est extraite du livré d’Esaïe : « Apprenez à faire le bien, recherchez la justice » (Es 1,17). 

C’est à raison que cette thématique revient cette année, car la recherche de la justice est un leitmotiv de la Bible… une exhortation que reçoit chaque croyant qui se met à l’écoute du Seigneur. 


En effet, quelle que soit l’image que nous pouvons avoir de Dieu : celle d’un Père, d’un Berger… ou encore celle d’un Roi, d’un Juge… ou encore une image moins humaine, moins anthropomorphique, celle d’une Force de vie positive et bienveillante : Dieu est Esprit, Dieu est amour, Dieu est lumière… ce qui est certain – ce que nous pensons – c’est que Dieu est une réalité Juste. La justice est le premier attribut de Dieu. 


Et si Dieu est juste – pensons-nous – croire en Lui, c’est croire en sa justice… et être son disciple, c’est rechercher la justice, dans notre vie. 


C’est pour cette raison que de nombreux auteurs bibliques exhortent les croyants à s’engager dans cette mission. Nous retrouvons cela, par exemple, dans le livre des Proverbes (Pr 21,15) : « Agir selon le droit fait la joie de la personne honnête, et frappe d'épouvante le malfaiteur ».

Ou chez le prophète Michée (Mi 6,8) : « On t’a fait connaître, ô homme, ce qui est bien, ce que le SEIGNEUR exige de toi : Rien d’autre que respecter le droit, aimer la fidélité et t’appliquer à marcher avec ton Dieu. »

Ou encore dans le 1er Esaïe (Es 1,17) : « Apprenez à faire du bien, cherchez l'équité, redressez l'oppresseur, rendez justice à l'orphelin, défendez la veuve », ainsi que dans le 3ème Esaïe (Es 58, 6-8) : « Le jeûne que je préfère, n’est-ce pas ceci : dénouer les liens provenant de la méchanceté, détacher les courroies du joug, renvoyer libres ceux qui ployaient […] N’est-ce pas partager ton pain avec l’affamé ? Et encore : les pauvres sans abri, tu les hébergeras, si tu vois quelqu’un nu, tu le couvriras […] ». 


De son côté, le Nouveau Testament reprend aussi à son compte cette quête de la justice qui doit nous animer, à travers ces paroles de Jésus : (cf. Mt 5,10) « Heureux ceux qu'on persécute à cause de leur combat pour la justice, car le royaume des cieux est à eux ! » ; (Mt 6,33) « Cherchez d'abord le règne de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera donné par surcroît » ; ou encore (Mt 7, 21) : « Ce ne sont pas tous ceux qui me disent : « Seigneur ! Seigneur ! » qui entreront dans le royaume des cieux, mais celui-là seul qui fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux ».


La recherche du droit – de la voie la plus juste – devrait, en réalité, orienter notre vie et être au centre de nos préoccupations quotidiennes. Pourtant, nous le savons, bien des injustices subsistent dans le monde. 


La question est de savoir, en premier lieu, ce qu’il faut entendre par cet appel à la justice. 


Il y a plusieurs moyens d’y répondre en examinant les passages de ce jour. 


Au chapitre 25 de l’évangile selon Matthieu – un récit bien connu – le mythe du jugement dernier – qui appartient au genre apocalyptique – met en scène la figure du Fils de l’homme. Celui-ci a pour mission de séparer les élus, ceux qui seront appelés « les bénis de mon Père », et qui seront invités à s’approcher de Dieu et à se réjouir dans son Royaume ; des autres, de ceux qui seront repoussés au loin, et qui seront conduits à s’éloigner du Seigneur. 


Sans rentrer dans le détail (pour ne pas être trop long), on peut dire que le récit du jugement dernier, qui résonne comme un mythe, nous apprend plusieurs choses très importantes :


  • - D’abord, que nous sommes tous un, tous unis. Il nous enseigne que nous ne pouvons pas séparer Dieu et le Christ, ni le Christ et chacun des êtres humains. Il y a une unité de destin : à chaque fois que nous faisons quelque chose de bon au plus petit parmi les frères, c’est comme si nous le faisions au Christ, ou à Dieu lui-même… et donc à nous-mêmes, en réalité. Puisque tout cela n’est pas sans effet. Nous apprenons – au contraire – qu’il existe une sorte de retour, de rétribution, en rapport à ce qui a été donné. (Puisque celui qui a semé quelque chose de positif recevra lui-même, au final, quelque chose de positif). Ainsi, la relation aux frères revêt la même importance que la relation à Dieu : on ne peut pas mettre, d’un côté, la relation au divin, au spirituel, et, de l’autre, celle aux frères… puisque l’Esprit de Dieu habite en chacun de nous. 


  • - Deuxièmement, le texte nous révèle que le critère du jugement n’est pas quelque chose de grandiose, d’insurmontable… Ce ne sont pas des mérites extraordinaires qu’il faudrait acquérir…. ni le bon dépôt de la foi qu’il faudrait posséder… A vrai dire, ce n’est même pas quelque chose de précis à faire, ni une série de règles morales, où il y aurait le bien, d’un côté, et le mal, de l’autre. Non… le critère du jugement, c’est simplement l’amour… l’amour pour chacun, et en particulier pour les plus petits parmi nos frères. Celui-ci se manifeste dans le texte par le « care » (take care), le « prendre soin » : nourrir les affamés, donner à boire aux assoiffés, accueillir et recueillir les étrangers, vêtir ceux qui n’ont rien, visiter les malades ou les prisonniers. Ce sont des gestes simples et accessibles qui révèlent la mise en œuvre d’une certaine compassion, d’un altruisme, d’une fraternité du quotidien, d’une attention portée à autrui. 


  • - Ces gestes et ces paroles de fraternité ont pour but de surmonter le malheur ou le dénuement éprouvé par les malheureux, de lutter contre l’injustice, l’isolement, la faim, la soif, l’exclusion, la discrimination… dont peuvent être victimes les plus pauvres, les plus démunis, les prisonniers, les malades ou les étrangers… et la réalité, c’est qu’à un moment ou un autre de notre vie, nous pourrions très bien être l’un d’eux. Car personne n’est à l’abri du malheur… et nous sommes des êtres vulnérables. C’est pourquoi la solidarité est présentée comme une expression nécessaire de la fraternité, du lien qui nous unit, puisque nous sommes tous enfants du même Père, tous fragiles et tous interdépendants. 


  • - La justice, comme « prendre soin », comme acte de solidarité, consiste donc à remettre debout (c’est une sorte de « résurrection »), à réparer une injustice, en restaurant la dignité de vie, et le lien avec celles et ceux qui sont sur le point de devenir des « sous-citoyens » – des exclus de la société – si personne ne fait rien, si tout le monde les laisse tomber. Et d’ailleurs, l’attitude qui est condamnée indirectement – à travers ce texte – c’est l’indifférence, c’est l’insouciance, c’est l’égoïsme, c’est le manque de conscience de ceux qui ne font rien : ignorent-ils le lien qui nous unit ?  Réalisent-ils le lien invisible – mais pourtant réel – qui relie les humains entre eux et avec le Seigneur ? Pourquoi n’ont-ils pas pris le temps de la compassion ?


  • - Enfin, le texte fonctionne comme un mythe, un langage qui dit une vérité sous la forme d’une histoire extraordinaire (plus ou moins légendaire) … un mythe qui parle de la fin, au lieu de parler des origines… Mais en écoutant cette histoire, le lecteur est désormais informé (il ne peut plus dire qu’il ne savait pas) et il est appelé à agir et à se trouver du côté de ceux qui prennent soin d’eux-mêmes et soin des autres. Il apprend sur quoi se fonde la justice de Dieu : sur la bonté, la douceur, la compassion, le soutien, l’entraide, le partage, la solidarité. Toutes ces valeurs qu’on retrouve dans les Béatitudes. 


Au-delà de ce texte du N.T., on peut également apprendre ce qu’est cette « justice » que Dieu attend de nous à travers le livre d’Esaïe. 


On peut se souvenir d’abord que mot hébreu « mishpat » (justice, droit, équité, rectitude) signifie « justice réparatrice », ce qui implique d’agir pour changer quelque chose, pour rétablir le lien, pour transformer une situation. 

Précisément pour réparer une situation injuste, il faut défendre celles et ceux dont la voix n’a pas été prise en compte ni entendue. Et cela implique d’être à l’écoute, de dénoncer les injustices, de manifester pour Dieu et pour l’homme, en contestant l’ordre établi, en tentant de démanteler les structures qui créent et entretiennent l’injustice, et en en construisant de nouvelles, afin de promouvoir et de garantir que chacun puisse recevoir un traitement équitable, en ayant accès aux droits qui lui sont dus. 


Ce travail doit s’étendre, bien évidemment, au-delà du cercle de nos amis, de notre famille et de nos communautés, à l’ensemble de l’humanité. 

Les chrétiens sont ainsi appelés à aller en mission vers les autres et à écouter les cris de tous ceux qui souffrent, afin de mieux comprendre leurs souffrances et leurs traumatismes et d’y trouver une réponse. C’est un appel que nous lancent les Prophètes de la Bible hébraïque et le Christ, dans les évangiles. 


Le pasteur Martin Luther King – en suivant l’exemple de Gandhi ou en mettant en pratique la désobéissance civile non-violence telle que l’avait décrit décrite Henry David Thoreau – reste un exemple inspirant pour beaucoup de croyants, en particulier aux États-Unis : 

Celui une personnalité qui a incarné la lutte pour l’égalité raciale, l’égalité des droits civiques et la liberté… contre l’exclusion et la pauvreté. Il a beaucoup marqué les américains, parce les questions de racisme, de ségrégation, d’apartheid, d’exclusion, y ont été très présentes… et ne sont pas totalement résolues. 


Il rappelait que personne ne manifeste pour rien : Pour lui, « une émeute est le langage de ceux qui ne sont pas entendus ». Lorsque des protestations ou des troubles ont lieu dans la population, c’est souvent parce que les voix des révoltés ne sont pas écoutées.  


Or, dans cette question – celle de faire entendre la voix de ceux qui souffrent – les Églises ont un rôle à jouer. 

Dans bien des occasions, si les Églises élevaient leurs voix avec celles des opprimés (comme a pu le faire le pasteur Martin Luther King), leurs cris de justice et de libération seraient amplifiés. Ils auraient plus d’impact. 

Les Églises et leurs membres – individuellement et collectivement - ont une responsabilité : un rôle de veilleur, pour dénoncer le mal, les inégalités et les abus… et un rôle dans la recherche d’une plus grande justice, ainsi que dans le secours apporté aux opprimés. 


Le livre d’Esaïe nous fait entendre aujourd’hui cet appel à la justice :


Le prophète Esaïe (le 1er Esaïe) vécut et prophétisa en Juda au cours du VIIIe siècle avant notre ère, et fut un contemporain d’Amos, de Michée et d’Osée. Ce fut une période de grande expansion économique et de stabilité́ politique pour Israël et la tribu de Juda, où tout allait bien, avant que les « superpuissances » voisines de l’époque, l’Égypte et l’Assyrie, ne se manifestent violemment ensuite. Toutefois, à ce moment-là, c’était aussi une époque où l’injustice, l’iniquité et les inégalités étaient fort répandues dans les deux royaumes. 


En ce temps-là, la religion prospérait en tant qu’expression rituelle et formelle de la croyance en Dieu, concentrée sur les offrandes et les sacrifices au Temple. Elle était présidée par les prêtres, qui bénéficiaient des largesses des riches et des puissants. En raison de la proximité́ physique et des relations existantes entre le palais royal et le Temple, le pouvoir et l’influence étaient presque entièrement entre les mains du roi et des prêtres. Mais, aucun d’eux – semble-t-il – ne prenait la défense des victimes de l’oppression et des injustices. 


À cette époque – et du reste, comme cela fut fréquent tout au long des siècles – les riches et ceux qui faisaient de nombreuses offrandes étaient considères comme bons et bénis de Dieu, tandis que les pauvres qui ne pouvaient offrir de sacrifices, étaient tenus pour mauvais et maudits de Dieu. Les indigents étaient souvent dénigrés pour leur incapacité matérielle à participer pleinement au culte du Temple. 


C’est dans ce contexte que s’exprime Esaïe, en tentant d’éveiller la conscience du peuple de Juda face à la réalité de cette situation. Au lieu d’honorer la religiosité de l’époque comme une bénédiction, le prophète la voit comme une plaie qui suppure et comme un sacrilège devant l’Éternel. L’injustice et l’inégalité́ ont conduit à la fragmentation et à la désunion. 


Ses prophéties dénoncent les structures politiques, sociales et religieuses et l’hypocrisie qui consiste à offrir des sacrifices, tout en opprimant les pauvres. Il s’élève vigoureusement contre les dirigeants corrompus et prend position en faveur des défavorisés. Il enseigne que Dieu exige de nous tous droiture et justice, à tout moment et dans tous les domaines de la vie.


Le langage du prophète à l’égard de la religiosité de l’époque est féroce : « Cessez d’apporter de vaines offrandes : la fumée, je l’ai en horreur... Quand vous étendez les mains, je me voile les yeux » dit-il de la part de Dieu (v. 13, 15). 

Après avoir prononcé ces condamnations cinglantes, mettant en évidence ce qui ne va pas, Esaïe présente le remède à ces iniquités : 

Il ordonne au peuple de Dieu de se laver, de se purifier, d’ôter de sa vue leurs actions mauvaises, de cesser de faire le mal (cf. v. 16). 

En d’autres termes, il prescrit un changement radical, une conversion, un changement de mentalité et de manière de vivre. 


Mais pour vouloir changer, il faut d’abord reconnaitre qu’on s’est fourvoyé, qu’on s’est trompé de chemin. 


En conseillant aux habitants de Juda de rechercher la justice (v. 17), Esaïe les pousse d’abord à reconnaitre l’existence de l’injustice et de l’oppression dans leur société. Il implore le peuple de Juda de renverser le statu quo. 


Car rechercher la justice nous oblige à sortir de notre zone de confort et à faire face à ceux qui font du mal aux autres. Ce n’est pas une tâche facile. Cela peut mener à des tensions et des conflits. 


Mais, de son côté, Jésus nous assure que défendre la justice face à l’oppression, conduit au Royaume des cieux. « Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice : le Royaume des cieux est à eux » (Mt 5,10). 


Le problème – et la réalité – c’est que les Églises, au cours de l’histoire, n’ont pas toujours été exemplaires en ce domaine. 

Elles ont même été infidèles à cette Parole du Seigneur ou des Prophètes. 


Dans de nombreuses régions du monde, les Églises doivent reconnaître qu’autrefois, elles se sont trop souvent conformées aux normes sociétales (même quand celles-ci maintenaient des privilèges injustes) et elles ont gardé le silence face à des situations inacceptables… elles ont même parfois été activement complices de l’injustice : qu’on pense aux croisades, à l’inquisition, à la colonisation, à l’esclavage, à la ségrégation, aux idéologies toxiques du nazisme ou du racisme, que certaines Églises ont tardé à condamner. 


Il faut reconnaitre que les Églises ont bien souvent fait preuve de conservatisme, en défendant des valeurs patriarcales, des préjugés raciaux ou sexistes. 

En Amérique du Nord, des idéologies telles que la suprématie blanche ont été l’une des causes de la division des chrétiens. 

L’Église a également défendu, d’une manière ou d’une autre, une inégalité entre les sexes en son sein ou au sein de la société, sur la base d’arguments théologiques contestables. 


Par ailleurs, lorsque des problèmes systémiques ont été progressivement découvert dans l’église catholique, en lien avec la pédophilie (qui ont vraisemblablement concerné 200 à 300 000 enfants ou adolescents), elle a tardé à reconnaitre les faits, à agir et à réparer. Et elle tarde encore à indemniser les victimes. 


Bien sûr, ces problèmes ne constituent pas une réalité équivalente pour toutes les églises. Mais, il faut accepter de regarder en face ces injustices et reconnaitre toutes ces défaillances : 

Les églises qui sont supposées, en premier lieu, être à l’écoute de la Parole de Dieu, ont bien souvent été à côté de la plaque et infidèles à la Parole. 

Dans bien des situations, elles auraient dû, au contraire, être prêtes à bouleverser les structures en place, sources d’oppression, et plaider pour la justice.


Pour autant, leur infidélité ne les disqualifie pas définitivement. 

Comme on dit : « il ne faut jeter le bébé avec l’eau du bain ». 


Aujourd’hui, les Églises sont – malgré tout – des lieux d’écoute de la Parole de Dieu…  il y a un retour aux sources : un retour à l’Evangile de Jésus Christ. Alors, oui, les Églises ne sont certainement pas parfaites… et sans doute que certaines s’en sortent mieux que d’autres… 

Mais, en nous permettant de lire collectivement la Bible et de prier ensemble, en demandant l’éclairage et l’inspiration du St Esprit, les Églises nous encouragent à vivre notre foi et à discerner la volonté de Dieu pour notre vie et notre monde. C’est capital ! Puisqu’Être chrétien signifie être un disciple du Christ. 


Cette volonté de Dieu pour les humains, les textes de ce jour, nous l’affirment : c’est l’unité (dans la diversité), c’est l’écoute, la bienveillance, la compassion, l’entraide, la solidarité. 


Toute division s’enracine dans le péché, c’est-à-dire dans des attitudes et des actions qui vont à l’encontre de l’unité que Dieu désire pour l’ensemble de sa création. 

Et il ne peut y avoir d’unité sans justice. On en revient donc à cette question primordiale de la recherche de la justice, qui est au cœur du message chrétien. 


Cela signifie que nous ne pouvons pas rester passifs, indifférents ou inactifs, face à certaines situations. 

Au contraire, nous devons prendre fait et cause pour nos frères et sœurs opprimés (démunis, souffrants, exclus, discriminés ou torturés, …) en interpellant ceux qui sont au pouvoir et, quand cela est nécessaire, en défendant leur cause afin qu’ils puissent vivre en paix. 


Rechercher la justice, c’est d’abord dénoncer et contester les choses inacceptables et frapper au cœur des pouvoirs, malgré les résistances… C’est faire de la place pour l’ordre juste et la sagesse éternelle de Dieu dans un monde trop souvent insensible à la souffrance. 


Pour conclure, je dirais que, si cette mission peut sembler difficile, elle est juste. C’est pourquoi, au final, elle peut être source de joie. 


C’est ce qu’affirme le livre des Proverbes, qui dit qu’il y a de la joie à faire ce qui est juste : « L’exercice du droit est une joie pour le juste, mais c’est une calamité pour le malfaiteur ».


Il y a de la joie à emboiter les pas de Jésus et à se mettre en quête de justice pour les enfants bien-aimés de Dieu qui sont opprimés, dominés ou exploités. 


Il y a de la joie à rechercher la réconciliation avec d’autres chrétiens, afin de mieux servir la proclamation du Royaume. 


Alors…. Chers amis, frères et sœurs… demandons au Seigneur son appui : 


Que cette joie puisse se manifester au milieu de nous, par cet appel que le Seigneur nous adresse… dans toutes les rencontres que nous pouvons faire au quotidien… que nous ayons à cœur de rechercher ce qui est juste et bon…. 


Que le partage et la solidarité soient les signes de notre amour fraternel… avec la certitude de la présence de Dieu parmi nous, sur les chemins connus et inconnus où Dieu marche à nos côtés vers la guérison, la réconciliation et l’unité offerte en Christ. 


Amen.


Lectures bibliques 


Es 1, 12-18 (au moment de la confession du péché)

12 Quand vous venez vous présenter devant moi,
qui vous demande de fouler mes parvis ?

13 Cessez d’apporter de vaines offrandes : la fumée, je l’ai en horreur !
Néoménie, sabbat, convocation d’assemblée…
je n’en puis plus des forfaits et des fêtes.

14 Vos néoménies et vos solennités, je les déteste,
elles me sont un fardeau, je suis las de les supporter.

15 Quand vous étendez les mains, je me voile les yeux,
vous avez beau multiplier les prières, je n’écoute pas : vos mains sont pleines de sang.

16 Lavez-vous, purifiez-vous.
Ôtez de ma vue vos actions mauvaises, cessez de faire le mal.

17 Apprenez à faire le bien, recherchez la justice,
mettez au pas l’exacteur, faites droit à l’orphelin, prenez la défense de la veuve.

18 Venez et discutons, dit le SEIGNEUR.
Si vos péchés sont comme l’écarlate, ils deviendront blancs comme la neige.
S’ils sont rouges comme le vermillon, ils deviendront comme de la laine.


Ga 3, 23-29 & Ep 2, 14-22 (au moment de la volonté de Dieu)
23
Avant la venue de la foi, nous étions gardés en captivité sous la loi, en vue de la foi qui devait être révélée. 

24 Ainsi donc, la loi a été notre surveillant, en attendant le Christ, afin que nous soyons justifiés par la foi. 

25 Mais, après la venue de la foi, nous ne sommes plus soumis à ce surveillant. 

26 Car tous, vous êtes, par la foi, fils de Dieu, en Jésus Christ. 

27 Oui, vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ. 

28 Il n’y a plus ni Juif, ni Grec ; il n’y a plus ni esclave, ni homme libre ; il n’y a plus l’homme et la femme ; car tous, vous n’êtes qu’un en Jésus Christ. 

29 Et si vous appartenez au Christ, c’est donc que vous êtes la descendance d’Abraham ; selon la promesse, vous êtes héritiers.


14 C’est Jésus-Christ, en effet, qui est notre paix : de ce qui était divisé, il a fait une unité. Dans sa chair, il a détruit le mur de séparation : la haine. 

15 Il a aboli la loi et ses commandements avec leurs observances. Il a voulu ainsi, à partir du Juif et du païen, créer en lui un seul homme nouveau, en établissant la paix, 

16 et les réconcilier avec Dieu tous les deux en un seul corps, au moyen de la croix : là, il a tué la haine. 

17 Il est venu annoncer la paix à vous qui étiez loin, et la paix à ceux qui étaient proches.

18 Et c’est grâce à lui que les uns et les autres, dans un seul Esprit, nous avons l’accès auprès du Père. 

19 Ainsi, vous n’êtes plus des étrangers, ni des émigrés ; vous êtes concitoyens des saints, vous êtes de la famille de Dieu. 

20 Vous avez été intégrés dans la construction qui a pour fondation les apôtres et les prophètes, et Jésus Christ lui-même comme pierre maîtresse. 

21 C’est en lui que toute construction s’ajuste et s’élève pour former un temple saint dans le Seigneur. 

22 C’est en lui que, vous aussi, vous êtes ensemble intégrés à la construction pour devenir une demeure de Dieu par l’Esprit.


Es 58, 6-8 (au moment des lectures bibliques)

6 Le jeûne que je préfère, n’est-ce pas ceci :
dénouer les liens provenant de la méchanceté, détacher les courroies du joug,
renvoyer libres ceux qui ployaient, bref que vous mettiez en pièces tous les jougs !

7 N’est-ce pas partager ton pain avec l’affamé ?
Et encore : les pauvres sans abri, tu les hébergeras,
si tu vois quelqu’un nu, tu le couvriras :
devant celui qui est ta propre chair, tu ne te déroberas pas.

8 Alors ta lumière poindra comme l’aurore, et ton rétablissement s’opérera très vite.
Ta justice marchera devant toi  et la gloire du SEIGNEUR sera ton arrière-garde.


Pr 21,15

L’exercice du droit est une joie pour le juste,
mais c’est une calamité pour le malfaiteur.


Mt 25, 31-46

31Quand le Fils de l'homme viendra dans sa gloire avec tous les anges, il siégera sur son trône royal. 

32 Tous les peuples de la terre seront assemblés devant lui et il séparera les gens les uns des autres comme le berger sépare les moutons des chèvres ; 

33 il placera les moutons à sa droite et les chèvres à sa gauche. 

34 Alors le roi dira à ceux qui seront à sa droite : “Venez, vous qui êtes bénis par mon Père, et recevez en héritage le royaume qui a été préparé pour vous depuis la création du monde. 

35 Car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger ; j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire ; j'étais étranger et vous m'avez accueilli chez vous ; 

36 j'étais nu et vous m'avez habillé ; j'étais malade et vous m'avez visité ; j'étais en prison et vous êtes venus me voir.” 

37Ceux qui ont fait la volonté de Dieu lui répondront alors : “Seigneur, quand t'avons-nous vu affamé et t'avons-nous donné à manger, ou assoiffé et t'avons-nous donné à boire ?  38 Quand t'avons-nous vu étranger et t'avons-nous accueilli chez nous, ou nu et t'avons-nous habillé ? 

39 Quand t'avons-nous vu malade ou en prison et sommes-nous venus te voir ?” 

40 Le roi leur répondra : “Je vous le déclare, c'est la vérité : chaque fois que vous l'avez fait à l'un de ces plus petits d'entre les miens, c'est à moi que vous l'avez fait.”

41 Ensuite, le roi dira à ceux qui seront à sa gauche : “Allez-vous-en loin de moi, maudits ! Allez dans le feu éternel qui a été préparé pour le diable et ses anges ! 

42 Car j'ai eu faim et vous ne m'avez pas donné à manger ; j'ai eu soif et vous ne m'avez pas donné à boire ; 

43 j'étais étranger et vous ne m'avez pas accueilli ; j'étais nu et vous ne m'avez pas habillé ; j'étais malade et en prison et vous ne m'avez pas visité.” 

44 Ils lui répondront alors eux aussi : “Seigneur, quand t'avons-nous vu affamé, ou assoiffé, ou étranger, ou nu, ou malade, ou en prison et ne t'avons-nous pas secouru ?”  45 Le roi leur répondra : “Je vous le déclare, c'est la vérité : chaque fois que vous ne l'avez pas fait à l'un de ces plus petits, vous ne l'avez pas fait à moi non plus.” 

46 Et ils subiront la peine éternelle, tandis que ceux qui ont fait la volonté de Dieu iront à la vie éternelle. »

dimanche 15 janvier 2023

Ne nous laisse pas entrer en tentation

Lectures bibliques : Gn 2, 7-9 ; Gn 3, 1-7 ; (Rm 5, 12-19) ; Mt 4, 1-11 (voir en bas de page)

Thématique : laissez passer les tentations illusoires, en remettant Dieu au centre. 


Prédication de Pascal LEFEBVRE / Bordeaux, temple du Hâ, le 15/01/23

(Partiellement inspirée d’une méditation de Jean Besset)


Introduction : 


Nous allons entendre ce matin le récit des tentations du Christ - que vous connaissez sans doute. Ce récit est intéressant à bien des égards, car il nous rappelle sans naïveté que notre monde est confronté au mal. 


Dans ce contexte, il souligne que Jésus était un homme, comme nous, et qu’il n’a pas échappé, lui non plus, à la tentation. Ce qui fait de lui notre semblable, notre frère en humanité. 


Seulement, ce que passage révèle, c’est qu’il a su trouver les moyens appropriés, le bon état d’esprit et les mots justes, pour répondre et renvoyer le tentateur à ses propres paroles. 


Mais, à propos, qui est-il donc ce « tentateur », dont nous parle l’évangéliste Matthieu ? 


Il faut l’avouer… le personnage du « diable » ne colle plus vraiment avec notre rationalité du 21e siècle… et pourtant ce mot « diable », du grec diabolos, est assez parlant : il signifie « ce qui divise » (qui défait du lien, qui dissocie) ou mieux « ce qui détourne », qui sépare de Dieu.

Par extension, ce qui divise, signifie aussi ce qui rend confus, ce qui sème la confusion.

Le mot « diable » remplace un terme hébreu plus ancien : « Satan » (v.10) qui signifie « l’adversaire, l’opposant », « l’accusateur », c’est-à-dire « celui qui se met en travers », « qui empêche le lien ».


Selon de multiples témoignages (divers et variés au cours de l’histoire), l’expérience de « ce qui divise » peut arriver au moment où l’intensité de la relation avec Dieu est à son comble ; elle vient alors brusquement interroger cette union à Dieu.

C’est le cas ici, pour Jésus, puisque l’épreuve de la tentation survient au cœur de sa vocation… alors qu’il est conduit par l’Esprit au désert (v.1), Jésus est en proie à un combat intérieur, qui tente de mettre en branle son unité avec Dieu.  


C’est, en effet, un phénomène spirituel dont un certain nombre de grands mystiques ont pu se faire l’écho : c’est au moment où le croyant s’isole pour vivre une communion spirituelle avec l’Éternel, c’est là que peut surgir aussi l’épreuve de la tentation. Un adversaire intérieur – notre ego, notre mental, notre corps – peut venir se manifester et faire barrage. 

C’est comme si quelque chose voulait empêcher cette pleine communion. C’est ce qui est arrivé à Jésus … et cela peut aussi être un indicateur pour nous :


C’est lorsque nous pouvons entrer dans une démarche de spiritualité, de méditation ou de prière profonde, et vivre un cœur à cœur avec Dieu, que des obstacles peuvent se présenter : 

il faut simplement savoir les laisser passer…. et ne pas s’y attacher… Car c’est ainsi que Jésus a traversé cette épreuve… il a gardé les yeux fixés sur l’amour de Dieu, sans succomber ni à la peur, ni à l’orgueil, ni à la distraction, ni au désir d’autre chose. … Écoutons ce récit… 


Lectures bibliques : Mt 4, 1-11 / et Gn 2, 7-9 ; Gn 3, 1-7 (voir lectures en bas de page) 


Prédication :


Alors, ce matin, chers amis… regardons ensemble ce récit de Matthieu… et explorons sur le fond ces différentes tentations telles qu’il nous les présente. Car cet épisode nous indique comment surmonter les obstacles et discerner la volonté de Dieu dans chaque situation. 


D’abord, un exposé rapide du texte nous montre les différents stratagèmes utilisés par le tentateur : 


  • - Celui-ci tente d’abord briser la foi, la confiance : « si tu es fils de Dieu…dit-il… alors, tu peux avoir ceci ou faire cela ». La tentation est dans le « si ». Il vient semer le doute et remettre en question une évidence… une parole reçue au sujet de la filiation de Jésus…. Car précisément, Jésus a reçu cette parole, un peu plus tôt, au moment de son baptême, où il accueille l’Esprit saint. C’est là qu’il reçoit cette promesse d’être pleinement choisi et adopté comme « fils bien aimé de Dieu »… Et c’est aussi cette parole que nous avons reçu lors de notre baptême. 


Le tentateur vient en premier lieu instiller le doute et la méfiance, face à la grâce et à la confiance offertes. 


Mais pourquoi Jésus aurait-il besoin de prouver quoi que ce soit ? ou de vérifier la véracité de cette Parole offerte, par des actes merveilleux ou miraculeux ? 

Avons-nous besoin de preuves, de garanties, ou de choses spectaculaires pour croire en Dieu et savoir que nous sommes ses enfants ? 

La vie en elle-même et l’amour de Dieu ne sont-ils pas déjà des dons extraordinaires. Que faut-il de plus ? 


Dans la situation de Jésus, les choses vont même plus loin. Car le tentateur voudrait pousser Jésus à prendre la place de Dieu. 

En effet, si Jésus est « fils de Dieu », il pourrait user de tous ses pouvoirs… il pourrait même être « dieu » à la place de Dieu… alors pourquoi ne pas le faire ? … et pourquoi ne l’a-t-il pas fait ? 


Satan cherche la faille…  Et il révèle certainement des questions posées par des contemporains de l’évangéliste Matthieu : 

En effet, si Jésus est bien le « fils de Dieu », pourquoi n’a-t-il pas usé de son pouvoir divin pour faire cesser illico toute pauvreté ? Pourquoi n’a-t-il pas non plus montré ses pouvoirs aux autorités du Temple ou aux peuples du monde ? 


S’il ne l’a pas fait… c’est peut-être que, finalement, il n’est pas celui qu’il prétend être. D’ailleurs n’est-il pas mort sur la croix ? 


A ces trois tentations, Jésus oppose la Parole de Dieu, c’est-à-dire le dessein du Père. 

Il montre ainsi que la « manifestation » du Fils de Dieu ne s’appuie pas sur le merveilleux, les anges, ou tout autre pouvoir. Mais sur la foi, la fidélité et l’obéissance au Père céleste. 


Et la volonté de Dieu n’est pas de s’imposer, par la violence, le pouvoir ou la force. Mais d’offrir un chemin de salut, qui passe par d’autres voies : le partage, l’humilité et la recherche de la justice. 


  • - Par la suite, le tentateur use d’un 2ème stratagème, il cite une parole de la Bible, mais il en tronque, en réalité, une partie. Il détourne les Écritures, en modifiant leur sens. 


Vous remarquerez, en effet, qu’il y a ici comme une dispute herméneutique, un conflit d’interprétation entre Jésus et le tentateur, où tout se joue sur ce qui « est écrit » (v.4.6.7.10). 


Dans la 2ème tentative du tentateur, l’adversaire cite un extrait du Psaume 91 (90 LXX). Mais il omet délibérément quelque chose. Le texte intégral serait le suivant :

« A ses anges il donnera des ordres pour toi de te garder en toutes tes voies. Sur leurs mains ils te porteront, pour que ton pied ne heurte pas sur la pierre » (v. 11-12).


Ce psaume promet à chaque croyant une protection angélique (c’est-à-dire divine). Mais « en toutes tes voies » veut dire dans l’existence ordinaire de l’homme, dans son quotidien, et pas seulement dans des situations périlleuses, ni dans une sorte de confiance béate en des solutions miracles… confiance qui laisserait penser que tout est possible, comme « Satan » voudrait le faire croire.


Jésus lui répond à nouveau par une citation du Deutéronome, qui remet Dieu au centre de sa préoccupation ultime : 

« Tu ne mettras pas à l'épreuve le SEIGNEUR ton Dieu … » (cf. Dt 6, 16).


Cette tentation nous montre que le Mal n’est pas en dehors de la sphère « religieuse ». Au contraire, il peut s’y trouver et user de la Parole de Dieu – comme un prétendu connaisseur – et même la manipuler, pour susciter la confusion et la méprise. 


Il faut toujours s’interroger lorsque le « diable » tente de se faire l’avocat du « bon Dieu ». Et cela doit attirer notre attention sur les effets pervers du littéralisme qui se meut bien souvent en fondamentalisme : toute citation biblique n’est pas forcément « parole d’Evangile ». Il est toujours possible de se fonder sur la lettre de l’Écriture, pour la détourner ou la déformer.


  • - Enfin, dans la 3ème manche, le tentateur tente de jouer sur la corde sensible des humains : l’avidité, la convoitise, le désir d’en avoir toujours plus : plus d’avoir et de pouvoir, pour se sentir exister et tout-puissant. 

Mais, Jésus rejette cette tentation, car nous savons bien que la gloire et la fortune ne sont pas ses objectifs…. Puisqu’il recherche, avant tout, le règne de Dieu et sa justice (cf. Mt 6,33). 


Mais surtout, Jésus discerne parfaitement que ces promesses sont conditionnelles, car pour obtenir les royaumes du monde et leur gloire, il faudrait rendre un culte et adorer une autre réalité que Dieu le Père. Ce qui ne serait, ni plus ni moins, que de l’idolâtrie…  Et ce serait, bien sûr, contraire à la Loi de Dieu, rapportée par Moïse. 


(De toute façon, on peut douter que le tentateur possède réellement ce qu’il prétend pouvoir offrir : les royaumes du monde et leur gloire.)

 

Ainsi donc, en rapportant cet épisode au désert, il semble que Matthieu nous montre la foi de Jésus en exemple :

Si Jésus n’a pas trébuché quand le mal s’en est pris à lui, il est certain qu’il sera pour nous d’un profond secours, quand nous subirons, à un moment ou un autre de notre vie, les effets de la tentation. 

Car bien des tentations nous guettent continuellement… nous le savons. 


Et ces tentations, quelles sont-elles… sinon d’être liées à nos propres attachements ?


La tentation de la toute-puissance (et donc le refus de la limite)… d’user du pouvoir ou de la force pour obtenir satisfaction… ou encore la tentation de l’autosuffisance… la prétention de pouvoir se passer de Dieu… ou de prendre sa place… 


Tout cela peut nous rappeler le fameux récit de la Genèse où le serpent tentateur assure l’être humain d’une fausse promesse… pour le détourner d’une existence placée sous le signe de la confiance en Dieu. 


Et nous savons bien que ce sont des tentations réelles de notre nature humaine : l’orgueil, l’avidité, le désir de toute puissance, la soif de posséder… 

C’est bien ce qui pousse l’homme à écraser l’autre pour obtenir ce qu’il désire… en oubliant ses limites, sa vulnérabilité et la fraternité. 


C’est bien pour cela que ce récit est important pour nous. Il nous invite à considérer notre vie de foi, en tenant compte de toutes les situations où nous sommes nous-mêmes tentés. 


Et puisqu’il nous est dit que Jésus a supporté lui aussi ces mêmes épreuves, il est particulièrement fondé et apte à nous aider. 


Et d’ailleurs, si vous relisez attentivement le texte à la maison, vous constaterez que les épreuves qui peuvent nous attendre, sont de trois natures, selon Matthieu : 


- Elles concernent en premier lieu le pain, c’est-à-dire la sphère économique, nos soucis matériels. Et, il faut l’avouer, nous aimerions bien que Dieu nous donne un petit coup de pouce, de temps en temps… et fasse tourner la chance en notre faveur.


Il en fut peut-être de même pour Jésus. On pourrait facilement le comprendre s’il jeûne depuis 40 jours dans le désert, comme le raconte l’évangéliste. 


La première tentation relève de ses besoins matériels : Jésus a faim. Il a besoin de pain : « Ordonne que ces pierres deviennent du pain » recommande le tentateur. 


Il est alors tenté d’agir comme si la faim (FAIM) pouvait justifier les moyens. Il est tenté de succomber à la fatalité de la nécessité et de s’approprier le pain dont il a besoin, sans se soucier du fait que l’on n’acquiert pas ce dont on a besoin, sans respecter certaines règles naturelles et éthiques… 


Et il n’est pas question, pour Jésus, de se servir de Dieu, pour ses propres besoins… ni de faire un « chantage » au Père céleste, pour obtenir satisfaction. 


2000 ans plus tard… nous pouvons faire face à la même tentation : répondre à notre faim et soif, à n’importe quel prix…  Et de la tentation de Jésus à la nôtre, il n’y a qu’un pas. Nous voilà renvoyés à notre situation de consommateurs du XXIe siècle. 


Précisément, on ne peut pas consommer pas à n’importe quel prix, même quand on peut payer, car tout doit se faire en référence à Dieu. 


C’est ce que dit Jésus dans sa réponse au tentateur, lorsqu’il affirme qu’il faut chercher, en Dieu seul, la cause de notre action. : 

« L’homme ne vivra pas de pain seulement mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu ». 


Cela veut dire que nos actions et nos décisions devraient toujours être prises en connaissance de cause… nous devrions les envisager en prenant le temps de consulter Dieu, en nous conformant à sa Parole… autrement dit, en cherchant sa volonté, son règne et sa justice. 


Car, en réalité, c’est Dieu et le don de Dieu qui valorisent les choses. 

Et il y a des choses qui, devant Dieu, peuvent prendre un tout autre prix. 


Il parait que le pain du pauvre fait partie de ces choses-là. 

Le pain que nous croyons manger légitimement aujourd’hui, a parfois le goût amer des choses qui ont trop de prix ou qui ont n’ont pas de prix, au point que l’on peut avoir l’impression d’être coupable quand on en consomme… si l’on sait, par exemple, que la production de ces biens a pu créer du malheur, de l’exploitation ou de la souffrance (qu’elle soit d’ailleurs, humaine ou animale). 


A quoi cela nous servirait-il de consommer tel ou tel bien, réalisé ou confectionné à l’autre bout du monde dans des conditions misérables ou inhumaines… si cela nous pousse à nous écarter de ce que Dieu veut pour les humains ? 


(On se souvient, par exemple, il y a quelques années (en 2013), de cette usine qui s’est écroulée sur plus de 1000 travailleurs pauvres et exploités à Dacca, au Bangladesh. Bien sûr, des multinationales peu scrupuleuses profitaient de cette force de travail à bas coût… sans assurer de vigilance sur les normes et conditions de travail des sous-traitants malmenés et exploités.)


N’y a t-il pas aujourd’hui moyen de vivre sans porter préjudice à autrui ? 


C’est toute la société de consommation qui se trouve ici interrogée.  

La faim ne justifie pas les moyens. La bonne conscience ne s’achète pas… encore moins au détriment d’autrui. 


On ne peut pas transformer des pierres en pain… sans que quelqu’un risque d’en payer le prix. 

C’est une réalité !


- Un autre type d’épreuve (la 2ème) peut également nous concerner dans notre relation à Dieu. Il est symbolisé par la sphère religieuse et le pinacle du temple. 


Car il est vrai que nous avons tous besoin de reconnaissance. Et – si nous pensons être de « bons croyants » – nous aimerions bien que Dieu nous sauve, nous distingue ou nous récompense, d’une manière ou d’une autre, à cause de notre foi ou de nos mérites, et qu’il nous gratifie d’un sort particulier réservé – pensons-nous – aux élus et aux fidèles. 


D’ailleurs, si nous faisons partie « des justes », il est légitime de penser que Dieu prendra soin de nous… et nous protégera en toute situation. 


Et d’ailleurs, si Jésus était bien le « fils de Dieu », et un « juste » (le « Juste » parmi les justes), comment se fait-il que son Père l’ait laissé tomber et mourir sur une croix ? 

Dieu n’est-il pas supposé protéger les siens, comme l’annonce le Psalmiste ?

Ou alors, cela signifie-t-il que Jésus n’était pas vraiment le fils de Dieu ? 

Telles étaient peut-être les questions des contemporains de Matthieu. 


La tentation consisterait ici, pour Jésus, à sortir de la simple confiance, et à vouloir prouver qu’il est bien le fils de Dieu. 

Et il pourrait facilement le faire en sautant du haut du toit du Temple… et en arrivant sain et sauf en bas… grâce à l’intervention miraculeuse de Dieu, à l’assistance de ses messagers et ses anges.


Mais, en même temps, se mettre en danger, tout en sollicitant le secours de Dieu, ne serait-ce pas simplement une provocation : une manière de mettre à l’épreuve Dieu et sa Parole ? 


En laissant passer cette tentation sans y répondre, Jésus revoie en fait chaque croyant à la responsabilité de sa propre vie. 

Car ce serait trop facile – sous couvert de la foi – de convoquer les services de Dieu… et de le mettre au service de notre irresponsabilité… 


C’est un peu comme si je traversais la rue sans regarder, en pensant que Dieu me protège…. Ou si je prenais tel ou tel risque inconsidéré, tout en me reposant sur un Autre, et en demandant à Dieu de garder ma vie en sécurité. 


Ce serait, à la fois, irresponsable et contradictoire. Car on ne peut pas attendre de Dieu d’endosser une responsabilité que nous refuserions nous-mêmes d’assumer. 

Chacun est responsable de sa propre vie. Et nous ne pouvons pas solliciter inconsidérément le secours d’un Dieu-interventionniste pour tout et n’importe quoi. 


Certes, Dieu nous aime ; il nous donne la vie et sa grâce. Mais c’est à nous d’en prendre soin. Nous ne pouvons pas tout lui demander et tout attendre de lui, si nous nous mettons nous-même en danger. 


Et pourtant… il faut l’avouer, c’est bien ce qu’il nous arrive de faire… individuellement ou collectivement. 

A cause de notre inconséquence, nous créons bien souvent des situations impossibles et malheureuses…  et nous développons ensuite l’espoir que Dieu nous en sorte. 


Il suffit de voir dans quel état est le monde et notre planète… la violence et les conflits…ou encore les contrastes saisissants entre tant de gâchis et tant de pauvreté. 

On a parfois l’impression que l’être humain est en train de se suicider à petit feu… 

Face à tout cela… doit-il attendre que Dieu nous en sorte comme par magie… ou doit-il, lui-même, prendre sa destinée en mains ?


En nous rappelant cette parole : « Tu ne tenteras pas le Seigneur, ton Dieu », Jésus recentre la responsabilité de la vie qui nous est donnée, sur chacun d’entre nous. 

On ne peut pas convoquer Dieu à notre guise, et nous servir de lui. Chacun est appelé à prendre soin de lui-même et soin des autres. 


- Enfin, il y a encore une troisième et dernière tentation – symbolisée par les royaumes de ce monde – et la sphère politique, c’est le désir du pouvoir. 


Pourquoi Jésus n’a-t-il pas usé du pouvoir pour devenir un Messie triomphant ?

Autrement dit, pourquoi a-t-il refusé le pouvoir ?


La réponse de Matthieu est simple : parce tel n’était pas le dessein de Dieu. (Parce que Jésus a obéi à son Père.)

Parce le contraire aurait fait de lui un idolâtre, un disciple de Satan. 


Cette tentation du pouvoir et de l’abus du pouvoir, nous pensons facilement y échapper.

Et c’est vrai… bien peu parmi nous, sans doute, cherchent à faire partie des élites et à dominer les autres. 


Mais est-il vrai – pour autant – que nous soyons si désintéressés par le pouvoir que nous confère, par exemple, l’argent et que cela ne nous fascine pas ? 

Car il y a différentes manières d’obtenir du pouvoir. 


Quelle liberté avons-nous par rapport à l’argent et au pouvoir de consommer qu’il nous donne ? 

Mettons-nous une partie de ce que nous gagnons, ou ce que nous possédons, à la disposition de la gloire de Dieu et au service de nos frères, ou commençons-nous plutôt à le mettre de côté, pour notre seule disposition, en profitant de ce qu’on appelle le pouvoir d’achat ?


Le pouvoir d’achat – nous le savons – c’est le pouvoir de l’argent qui nous permet de consommer selon nos besoins et désirs, selon ce que nous avons pu gagner ou capitaliser… Mais cela ne justifie pas d’aduler l’argent… ni d’en faire une idole. 

C’est pourtant un problème central de l’humanité : en vouloir toujours plus… sans mettre de limite à cette soif. (Car c’est bien ce que font Adam et Ève : ils refusent la limite.)


C’est bien ce qui risque aujourd’hui de perdre cette humanité, qui exploite la terre et ses ressources sans scrupule et sans frein… au risque de voir disparaitre la biodiversité et de générer des pollutions toujours plus grandes.


Jésus vient donc nous avertir : on peut facilement confondre la fin et les moyens… et finir par vouer sa vie (et donc à rendre un culte) à ce qui en réalité reste éphémère, fragile et provisoire :  les royaumes de ce monde… l’argent, l’avoir, le pouvoir, le confort ou le luxe…  


Il conviendrait davantage de remettre tout cela en perspective : nous appartenons à Dieu… et lui seul mérite notre adoration. 


Et c’est finalement cette même Parole que Jésus rappelle face aux trois tentations qui se présentent à lui : 

il remet Dieu au centre de sa vie… face à toutes ces tentations qui ne sont que des impasses.  


Jésus nous appelle :

  • - A vivre de la Parole de Dieu… et à dépasser nos seules préoccupations matérielles 
  • - A ne pas se servir de Dieu… mais plutôt à se mettre au service de son règne. 
  • - A sortir de l’avidité qui nous rend esclave… et à remettre Dieu au cœur de toute chose. 


Ces trois formes de tentations se rejoignent, car elles consistent, toutes les trois, à satisfaire notre égo et à le mettre en valeur. 

Face à cela, Jésus nous appelle à lâcher un peu nos préoccupations habituelles et nos mentalités courantes… et à laisser passer le tentateur et ses appels factices… pour permettre à Dieu être Dieu en soi. 


Car si Dieu nous donne son Esprit, son Souffle… pour autant que nous mettions à son écoute… nous saurons bien – comme Jésus – laisser passer toutes ces tentations qui ne sont, en réalité, que des illusions. 


Dieu met en nous assez de sagesse pour que nous sachions discerner où est la vérité qui nous concerne. C’est ce que Jésus nous rappelle : 


Rien ne peut se faire de bon, sans que nous l’ayons consulté. 

C’est à son contact que nous apprenons à réaliser ce qui est juste. 

Nous pouvons même agir, en courant le risque de nous tromper, car nous savons que nous sommes au bénéfice de son amour et son pardon… puisque nous sommes ses enfants.  


La pire des tentations serait certainement de croire que nous sommes indignes… ou que nous ne sommes pas des êtres de discernement, libres et responsables… ce serait de croire que nous sommes incapables de faire la part des choses et de distinguer ce qui rend vivant, libre et humain… ou, au contraire, ce qui nous enferme, nous rend esclave et nous pétrifie.  


Tout cela est possible, mais à une seule condition : la présence constante de Dieu dans notre vie. 

Notre vie ne peut être en harmonie avec Lui que si nous prenons le temps de mener notre existence et de prendre nos décisions sous son regard. 

Car c’est bien cela que Jésus nous indique : envisager toute chose sous le regard bienveillant de Dieu. 


C’est là tout un art qui consiste à vivre selon l’Evangile. 

Et il a fallu beaucoup de patience… beaucoup de foi, d’espérance et d’amour à Jésus, pour l’enseigner aux hommes…  


Alors, pour nous, c’est encore cet appel de l’Evangile qui résonne aujourd’hui : 

il nous invite à marcher à la suite de Jésus… et à adopter cette nouvelle mentalité, ce nouvel état d’esprit… qui nous permet d’entrer dans la vie nouvelle avec Dieu.   


Car être « fils de Dieu », c’est accepter de vivre une relation de confiance avec le Père… C’est accepter d’être totalement dépendant de Lui et de ne pas vouloir se faire un nom par soi-même. 


Amen. 


Lectures bibliques 


Mt 4, 1-11


1Alors Jésus fut conduit par l’Esprit au désert, pour être tenté par le diable2Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il finit par avoir faim. 3Le tentateur s’approcha et lui dit : « Si tu es le Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains. » 4Mais il répliqua : « Il est écrit : Ce n’est pas seulement de pain que l’homme vivra, mais de toute parole sortant de la bouche de Dieu. » 5Alors le diable l’emmène dans la Ville Sainte, le place sur le faîte du temple 6et lui dit : « Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas, car il est écrit : Il donnera pour toi des ordres à ses anges et ils te porteront sur leurs mains pour t’éviter de heurter du pied quelque pierre. » 7Jésus lui dit : « Il est aussi écrit : Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. » 8Le diable l’emmène encore sur une très haute montagne ; il lui montre tous les royaumes du monde avec leur gloire 9et lui dit : « Tout cela je te le donnerai, si tu te prosternes et m’adores. » 10Alors Jésus lui dit : « Retire-toi, Satan ! Car il est écrit : Le Seigneur ton Dieu tu adoreras et c’est à lui seul que tu rendras un culte. » 11Alors le diable le laisse, et voici que des anges s’approchèrent, et ils le servaient.



Gn 2, 7-9 ; Gn 3, 1-7 


 7Le SEIGNEUR Dieu modela l’homme avec de la poussière prise du sol. Il insuffla dans ses narines l’haleine de vie, et l’homme devint un être vivant. 8Le SEIGNEUR Dieu planta un jardin en Eden, à l’orient, et il y plaça l’homme qu’il avait formé. 9Le SEIGNEUR Dieu fit germer du sol tout arbre d’aspect attrayant et bon à manger, l’arbre de vie au milieu du jardin et l’arbre de la connaissance de ce qui est bon ou mauvais.

[…]

1Or le serpent était la plus astucieuse de toutes les bêtes des champs que le SEIGNEUR Dieu avait faites. Il dit à la femme : « Vraiment ! Dieu vous a dit : “Vous ne mangerez pas de tout arbre du jardin”… » 2La femme répondit au serpent : « Nous pouvons manger du fruit des arbres du jardin, 3mais du fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : “Vous n’en mangerez pas et vous n’y toucherez pas afin de ne pas mourir.” » 4Le serpent dit à la femme : « Non, vous ne mourrez pas, 5mais Dieu sait que le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux possédant la connaissance de ce qui est bon ou mauvais. »

6La femme vit que l’arbre était bon à manger, séduisant à regarder, précieux pour agir avec clairvoyance. Elle en prit un fruit dont elle mangea, elle en donna aussi à son mari, qui était avec elle, et il en mangea. 7Leurs yeux à tous deux s’ouvrirent et ils surent qu’ils étaient nus. Ayant cousu des feuilles de figuier, ils s’en firent des pagnes.