dimanche 30 mars 2014

Jn 4, 1-42

Jn 4, 1-42 
Lectures bibliques : Jn 4, 1-42
Thématique : De quoi avons-nous soif ? Quel est notre désir, notre préoccupation ultime ?
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 30/03/14

Ce dialogue entre Jésus et la samaritaine est bien connu des lecteurs et des auditeurs de l’évangile. Il nous est tellement familier que nous ne voyons plus toujours ce qui pourrait encore nous surprendre et nous interroger.
Et pourtant, il y en a biens des choses étonnantes… des quiproquos et des malentendus dans ce récit.

* Premier étonnement : la démarche de Jésus – un homme juif – qui prend l’initiative de la rencontre, en adressant la parole à une femme samaritaine.
Cette prise de parole est tout à fait inattendue. Car les samaritains sont largement mal considérés, voire méprisés des Juifs, et cela date depuis des siècles.

En effet, la Samarie est une région suspecte pour les juifs : On se souvient qu’en 722 avant notre ère, la population fut déportée et qu’à sa place des colons étrangers s’y installèrent, amenant avec eux leurs dieux. (Le second livre des Rois (2R 17,24s.) énumère 5 peuplades qui apportent leurs idoles.)
Ce brassage de population fit que les Samaritains eurent plusieurs fois l’occasion de marquer leurs différences en matière religieuse : Leur foi repose sur le Pentateuque (c’est-à-dire les 5 premiers livres de notre Ancien Testament) qui est, pour eux, le seul livre inspiré. Le seul prophète qu’ils reconnaissent est Moïse. Leur centre religieux n’est pas Jérusalem, mais le mont Garizim, qui est, selon eux, le seul lieu choisi par Dieu pour y avoir un sanctuaire. Ils sont dans l’attente d’un Messie, nouveau Moïse, et ils espèrent la résurrection des morts pour le jugement dernier.
Les Samaritains n’appartiennent donc pas au judaïsme proprement dit, et, sur le plan politique, ces différences religieuses ont donné lieu à des affrontements avec les Juifs.

Si les Samaritains affirment descendre de 2 tribus d’Israël (les tribus d’Ephraïm et de Manassé) et se prétendent les seuls continuateurs de la foi israélite… évidemment, les Juifs pensent le contraire. Ils les considèrent comme un peuple « mélangé », d’une certaine manière « impur ». Ils ne les fréquentent pas, de peur de se « souiller ».

En s’adressant à cette femme, Jésus transgresse donc un tabou. Il franchit une frontière, en parlant à une personne réputée infréquentable pour un Juif… d’autant qu’il est un homme… un rabbi, de surcroît.

* Le deuxième étonnement de cette scène, c’est la présence de cette femme à la sixième heure, c’est-à-dire à midi. Elle vient chercher de l’eau au puits, non pas le matin ou en fin d’après-midi comme les autres femmes, mais en pleine chaleur, en plein midi, à l’heure où tout le monde reste chez soi.
Visiblement, cela cache quelque chose. Cette femme souhaite ne rencontrer personne. Mais pour quelle raison ?
On apprend un peu plus loin qu’elle a eu 5 maris, et qu’elle vit actuellement avec un homme qui n’est pas son mari. Il y a fort à parier que dans sa situation, face à sa vie dissolue[1], elle évite de croiser le regard des autres habitants du village, parce qu’elle craint leur jugement… et le commérage à son sujet.

* Ainsi donc, Jésus ose prendre la parole. Et il le fait en toute simplicité. Il ne s’adresse pas à cette femme du haut de sa différence, parce qu’il est Juif, ni du haut son savoir, parce qu’il est rabbin. Mais, il se situe en position de demandeur… en position de faiblesse : celle d’un voyageur fatigué par une longue marche, qui a soif, tout simplement.
Et c’est lui qui interpelle la femme, en lui demandant à boire.

Il y a là, bien sûr, un renversement de situation :
Jésus… le porteur de l’Esprit de Dieu… lui, qui vit en communion avec la source d’eau vive[2], avec Dieu… c’est lui qui demande à boire à la samaritaine.

« Si tu connaissais le don de Dieu – dit-il – et qui est celui qui te dis : "Donne-moi à boire", c’est toi qui le lui aurais demandé, et il t’aurait donné de l’eau vive. » (v.10)

La femme était déjà surprise par la demande de Jésus. Mais, cette réponse suscite encore un plus grand étonnement :
« Cet homme, qui me réclame à boire – dit-elle – prétend pouvoir me donner de l’eau vive… "Serait-il plus grand que notre père Jacob, qui a construit ce puits ?" »

La référence au puits de Jacob n’est pas fortuite. Elle nous rappelle que la scène se passe dans la région où Jacob-Israël acheta un champ à Sichem (Gn 33,18s.).
C’est là que pour la 1ère fois le peuple de Dieu eut une propriété en terre promise. Jacob léguera ce domaine à son fils Joseph, qui y sera plus tard enseveli (Jos 24,32.)
La tradition chrétienne ajoute que Jacob y a creusé un puits.

Dans la symbolique de l’époque, ce puits représente donc la tradition avec tout ce qu’elle véhicule de richesse et de connaissance, mais aussi parfois de poids ou d’enfermement.

« Jésus… cet homme assis au bord du puits… peut-il être plus grand que nos pères ? … peut-il apporter quelque chose de plus vivifiant… de la nouveauté, une bonne nouvelle… face à la tradition… face à ce que nous a donné Jacob ? »
Voilà en substance l’interrogation que suscite Jésus. Ses paroles invitent la femme à se questionner et à poursuivre son enquête : Qui est donc ce Jésus qui lui parle ?

« Celui qui boira de l’eau que, moi, je lui donnerai – dit-il – celui-là n’aura jamais soif : l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau qui jaillira pour la vie éternelle. » (v.14)

Comment la samaritaine pourrait-elle comprendre ces paroles ?

Quel est donc ce don de Dieu… cette eau vive, dont Jésus est le porteur, et qu’il pourrait lui offrir ?

La suite du texte apporte la réponse : cette eau vivre, c’est l’Esprit saint, l’Esprit de Dieu.

Cet Esprit est capable de venir mettre de la lumière dans notre vie. Il est capable de nous interroger, nous éclairer, pour nous guider, nous renouveler, nous vivifier.
Et c’est bien ce qui se passe ici, quand Jésus – le porteur de l’Esprit – fait vérité sur la situation de cette femme, en lui rappelant tout ce qu’elle cachait de sa vie privée, comme une blessure ou une honte. Car cette situation, cette vie désordonnée, l’empêche de vivre des relations sociales avec les autres.
Et nous assistons à la fin du dialogue à une transformation : La samaritaine qui se tenait dans l’isolement, qui se cachait pour éviter le regard des autres femmes, va désormais oser se montrer et prendre la parole en allant au-devant des autres, pour leur annoncer sa découverte :
« Venez donc voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait. Ne serait-il pas le Christ ? » (v.29)

Si elle va prendre le risque de s’exposer – dévoilant ainsi publiquement sa mauvaise vie – ce n’est pas seulement à cause de ce que Jésus a révélé de son existence, de la vérité cachée qu’il a mise à jour. C’est aussi à cause de la suite du dialogue.

* Constatant que Jésus a une connaissance et un discernement exceptionnels – le considérant comme un prophète – la femme en profite pour le questionner au sujet de la religion : Qui a finalement raison : les samaritains, qui adore Dieu sur mont Garizim ou les Juifs qui rendent gloire à Dieu à Jérusalem ? « Où se trouve le lieu où il faut adorer ? » Quel doit être le véritable culte ?

La réponse de Jésus à de quoi la surprendre : Bien entendu, il rappelle que le salut vient des Juifs, que Dieu a fait alliance avec son peuple. Mais, en même temps, il relativise complètement la place de la tradition. Il n’est plus question d’un lieu, d’une manière de pratiquer ou de prier. Mais il est question de vérité :
Si Dieu est Esprit, alors peu importe le lieu où on lui rend gloire, il s’agit de l’adorer en esprit et en vérité. Tels sont les vrais adorateurs attendus par le Père : celles et ceux qui cherchent à faire la volonté de Dieu, qui acceptent de se laisser guider par lui, de le laisser régner sur nous… en nous… puisqu’il est Esprit, puisqu’il peut faire sa demeure en nous.

Voilà la révélation centrale de ce dialogue : Dieu n’est pas le dieu qu’on pourrait penser ou imaginer… le dieu de la religion, des rites ou des offrandes. Il n’est pas le dieu d’un pays, d’un peuple ou d’une communauté.
Dieu est Esprit.

Cette affirmation est fondamentale pour notre foi. C’est cela même qui rend l’incarnation possible.
Dieu est Esprit.
Cela veut dire que si Dieu est insaisissable, infini, au-delà de notre monde, de notre humanité, de notre réalité – si Dieu est l’Eternel, le Créateur – il peut néanmoins se rendre présent et agissant dans notre existence finie, en nous, dans ses créatures… en venant insuffler, inonder notre esprit de son Esprit, en nous permettant de boire à la source, à cet Esprit saint, à son souffle, capable de venir nous vivifier, nous donner la vie véritable, la vie en plénitude. Ce que l’évangéliste Jean appelle « la vie éternelle ».

Mais Jésus va plus loin encore dans la portée de cette révélation : Il annonce à cette femme, qu’il est, lui, le Christ, le porteur de cet Esprit. Autrement dit, qu’on peut passer par lui pour accéder au Dieu-Esprit… à ce Dieu qui se donne, en donnant son Esprit, comme une eau vive offerte à l’humanité… offerte à ceux qui acceptent de l’accueillir, de lui faire de la place dans leur existence.

Cette promesse du don de l’Esprit, Jésus la révèlera un peu tard à ses disciples :
Au chapitre 7 de l’évangile de Jean (Jn 7, 37-39), Jésus promet : « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et que boive celui qui croit en moi ». Et le texte précise : « il désignait ainsi l’Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui : en effet, il n’y avait pas encore d’Esprit parce que Jésus n’avait pas encore été glorifié. ».
Et au chapitre 20 de l’évangile de Jean (Jn 20, 22), l’Esprit est effectivement répandu sur les disciples, tel une eau vivifiante, mais seulement après la glorification, c’est-à-dire après la crucifixion de Jésus.

Alors, Comment la Samaritaine pourrait-elle demander dès maintenant ce don de Dieu ?

Elle ne le pourrait qu’en reconnaissant qui est celui qui lui parle. Et c’est bien là que ce récit nous conduit, à travers le questionnement que Jésus suscite en elle : Cet homme… « ne serait-il pas le Christ ? »

Pour demander à Dieu ce qu’il veut donner – son Esprit – Jésus nous invite à passer par lui… dans la mesure où il vient instaurer un nouveau mode de relation à Dieu « en esprit et en vérité ».
Désormais, ce n’est plus sur une montagne ou dans un sanctuaire, mais par Jésus qu’il est possible d’entrer directement en contact avec Dieu, de vivre en communion avec Lui… en nous ouvrant à son Esprit, pour qu’il vienne éclairer le nôtre.[3]

* Dans cette rencontre avec Jésus, nous ne savons pas trop si la femme a compris toute la portée des paroles du Christ, mais ce qui est sûr, c’est que son attitude a complètement changé :
Un détail le montre, c’est la cruche qu’elle abandonne aux pieds de Jésus, pour aller annoncer la bonne nouvelle de sa rencontre avec le Messie, comme pour signifier qu’elle est déjà en quête d’une autre eau, d’une autre source, celle de la vie éternelle.

Que s’est-il donc passé dans cette rencontre ?

- D’abord, cette femme a croisé un homme qui s’est approché d’elle, qui s’est porté à sa rencontre… transgressant les barrières sociales et religieuses… brisant la solitude et l’enferment où la tenait le mépris des autres.
- Ensuite, Jésus a suscité en elle un questionnement et un nouveau désir… un désir plus profond que de rechercher l’eau du puits : chercher et recevoir une eau vive, une eau qui rend véritablement vivant.
- Faisant alors vérité sur sa vie, Jésus lui a révélé que sa véritable quête était ailleurs que là où elle la plaçait jusqu’alors, dans la multiplication des aventures amoureuses avec ses différents maris, ou dans une tradition qui ne la conduisait pas sur un chemin de « vie nouvelle », mais qui la condamnait à reproduire les mêmes pèlerinages et les mêmes offrandes sur le mont Garizim.

Autrement dit, par un processus de remise en question – de sa tradition, de ses convictions religieuses, comme de sa vie conjugale – Jésus a fait œuvre de libération dans la vie de cette femme. Il est venu réorienter sa quête, son désir, sa préoccupation ultime… pour qu’elle la tourne désormais vers Dieu, plutôt que dans une vie mortifère et dissolue, qui la coupait des autres, à cause du poids des préjugés et des conformismes.

En interrogeant ainsi le désir de cette femme, Jésus lui a permis de s’orienter vers l’essentiel, vers ce qui la préoccupe fondamentalement.
Vingt siècles plus tard, ce questionnement s’adresse encore à nous, auditeurs de l’Evangile. Nous pouvons facilement nous projeter à la place de cette samaritaine… comme si Jésus se portait à notre rencontre, ce matin,… pour nous conduire à nous interroger personnellement : 
De quoi avons-nous vraiment soif dans notre vie ? Que cherchons-nous ? Sommes-nous en quête de l’eau vive de l’Esprit, que Dieu veut nous donner ?

À travers le symbole de l’eau – l’eau stagnante du puits ou l’eau vive de l’Esprit – c’est bien cela dont il s’agit : Discerner se trouve notre soif et qui est susceptible de l’étancher.

* Dans la suite du dialogue avec les disciples, Jésus élargit le symbole de la soif, du désir de Dieu… avec le symbole de la faim, de la nourriture.

Il nous appelle également à nous questionner sur notre faim :
Qu’est-ce qui nous nourrit véritablement ? Qu’est-ce qui rend notre existence consistante, apaisante, épanouissante, fortifiante ? De quoi avons-nous vraiment besoin ?

Là encore, Jésus donne la réponse à ses disciples, surpris qu’il ne mange pas.

« Ma nourriture – dit-il – c’est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et d’accomplir son œuvre ».

Voilà une réponse qui peut nous poser question :
Avons-nous la même faim que Jésus ? Sommes-nous, nous aussi, tenaillés par ce désir de vivre de la Parole de Dieu, d’accomplir sa volonté dans notre existence quotidienne ?

* Il me semble, chers amis, que c’est à cela que nous appelle l’évangile ce matin… à nous interroger sur notre soif et sur notre faim :
Avons-nous soif de l’Esprit de Dieu ? Avons-nous faim de la Parole de Dieu, pour accomplir sa volonté, pour chercher son Royaume, pour vivre de son amour et de sa justice, dans notre aujourd’hui ? (cf. Mt 5-7 ; Jn 15)

En faisant vérité sur la vie de cette femme, Jésus est venu toucher le cœur de son véritable désir. Cette samaritaine – et sans doute, sommes-nous comme elle – avait un désir fondamental d’amour.
Comme chaque être humain, elle avait besoin d’être acceptée, reconnue, aimée, désirée. Mais Jésus est venu lui révéler que ce n’est pas en essayant de combler son désir dans la répétition du même – par des mariages successifs ou des rites religieux répétitifs – qu’elle trouvera la paix et la satisfaction. C’est, au contraire, en creusant son désir et en l’orientant vers l’ultime… en s’inscrivant dans la nouveauté l’Evangile, qui nous appelle à une vie relationnelle juste et épanouie avec Dieu et avec les autres.

Alors… comment faire ?... Comment vivre et orienter ce désir qui est en nous ?

Je crois qu’il s’agit avant tout d’ouverture et d’accueil… d’oser ouvrir nos portes… pour entendre ce que Dieu veut nous offrir… et pour l’accueillir.

En parlant d’une source d’eau vive et en dévoilant son identité à la samaritaine, Jésus nous donne une piste pour trouver cet essentiel dans notre vie :
Il suffit de suivre le Christ, de vivre en communion avec lui, d’écouter sa Parole et d’accueillir son Esprit… l’Esprit de Dieu, l’Esprit d’amour.

En accueillant cet Esprit, nous nous savons acceptés et aimés tels que nous sommes. Nous n’avons plus besoin d’arracher ou de conquérir cet amour par nos efforts. Il nous est offert gratuitement. Il suffit seulement de le recevoir et d’y répondre dans la confiance.

Alors, peut-être serons-nous comme les habitants de cette ville.
Nous pourrons dire avec eux : « nous l’avons entendu… et nous savons qu’il est vraiment le sauveur du monde », celui qui vient nous guérir, nous relever, nous réconcilier et nous mettre en route, sur le chemin de la vie véritable.

Amen.




[1] Que faut-il comprendre derrière l’affirmation clairvoyante de Jésus, annonçant que la Samaritaine a eu cinq maris ?  Deux interprétations sont possibles :
- Faut-il comprendre que Jésus dévoile l’inconduite de cette femme qui viole la loi rabbinique n’autorisant que 3 mariages successifs, alors que la samaritaine en aurait eu 5 ? Dans ce cas, on peut remarquer l’attitude de Jésus qui est en dehors de tout jugement moral : Jésus ne la juge pas, ne la condamne pas (cf. Jn 8, 11), il ne lui dit pas : c’est bien ou c’est mal.
- Ou bien faut-il comprendre que cette femme samaritaine est ici la personnification de la Samarie aux multiples dieux ? On se souvient, en effet, que le mot Baal, qui désigne un dieu païen, a aussi le sens commun de mari !
Quoi qu’il en soit de ces deux interprétations, il s’agit ici d’une révélation : Devant Jésus tout est dévoilé, et la lumière, la clarté ainsi projetée sur l’homme dénonce son infidélité cachée, son opposition à la volonté de Dieu (cf. Jn 3,20).
[2] En Jr 2,13 & Jr 17,13, Dieu lui-même se définit comme « la source d’eau vive ». Jésus-Christ affirme pouvoir donner accès à cette source, à Dieu (cf. Jn 6,35).
[3] L’esprit est donné comme une eau pure (cf. Ez 36, 25-26) pour remplacer les cœurs de pierre par des cœurs de chair.

dimanche 23 mars 2014

Jn 15, 1-17 (II)

Jn 15, 1-17  (II)
Lectures bibliques : Jn 3,16 ; Jn 15, 1-17
Thématique : l’amitié fructueuse et joyeuse offerte par Jésus… fondée sur la confiance, l’écoute et la connaissance de sa Parole
Prédication de Pascal LEFEVRE / Tonneins, le 23/03/14

Voilà un passage de l’Evangile qui nous invite à envisager notre relation à Jésus Christ, de façon personnelle et intime, sous le signe de l’amitié.

C’est un thème que nous avons abordé dernièrement avec les jeunes du « cathé ».

Jésus considère ses disciples comme ses « amis ». Il leur offre son amitié, et nous invite à répondre à cette amitié.

La semaine passée, nous avons réfléchi à cette question avec les jeunes : Qu’est-ce qui caractérise une relation d’amitié ?
Quels sont les ingrédients pour construire une amitié solide ?

Plusieurs mots ont été évoqués : écoute, confiance, fidélité… dialogue, partage, solidarité… joie, plaisir et désir d’être ensemble…

Les jeunes ont tout de suite mis en avant la notion de « confiance ».
L’amitié est fondée sur la confiance. Ce qui correspond au mot « foi » qu’on utilise souvent dans l’Eglise.
Considérer Jésus comme « un ami », c’est lui faire confiance, jour après jour… c’est placer notre « foi » en lui, c’est pouvoir compter sur lui, nous en remettre à lui.

Dans la vie quotidienne, on ne fait pas confiance au « premier venu ». On choisit, en général, quelqu’un qui nous paraît fiable… en qui on peut se fier. Pour le discerner… on commence par écouter et découvrir cette personne. On voit ses intentions, ses motivations, sa bienveillance…
L’intuition ne suffit pas forcément. Il faut peu à peu apprendre à se connaître.

En ce sens… l’évangile selon Jean précise que la « confiance » est fondée sur une « écoute », sur une « connaissance ».
Ecoutons à nouveau ce que dit Jésus :
« 14Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande  [si vous m’écoutez (cf. v.10)] 
15Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur reste dans l’ignorance de ce que fait son maître ; je vous appelle amis, parce que tout ce que j’ai entendu auprès de mon Père, je vous l’ai fait connaître » (cf. Jn 15, 14-15).

Ce qui caractérise une relation d’amitié, c’est la confiance (et la confiance, c’est le contraire de la peur, de la méfiance), mais c’est aussi la connaissance de l’autre, c’est le fait de pouvoir partager du temps avec lui, pour lui faire connaître ce qui nous anime, nos intentions, nos désirs, nos projets, nos secrets.

C’est la raison pour laquelle Jésus considère ses disciples comme ses amis et pas comme des subordonnés, des serviteurs ou des esclaves, qui devraient lui obéir aveuglement :

La relation de confiance qu’il leur offre, est fondée sur une connaissance… une connaissance mutuelle l’un de l’autre (comme deux amis qui parlent ensemble et qui partagent leurs préoccupations)… et une connaissance de chacun… qui nous permet de découvrir qui est Jésus, d’où il vient où il va, ce qu’il attend, ce qui l’anime.
(Et nous le savons bien, la connaissance, c’est le contraire de l’ignorance. La connaissance nous libère. Elle nous fait sortir de l’ombre, de l’obscurantisme. Elle nous aide à faire les bons choix, à avancer dans la lumière.)

L’Evangile nous offre cette connaissance sur Jésus. Il nous révèle qui il est : le Christ, l’envoyé de Dieu, le révélateur du Père.  
Ce qui l’anime et le conduit, c’est l’Esprit de Dieu, c’est l’amour du Père.
Il est là… il parle et il agit… pour manifester le dessein de Dieu, son projet pour l’être humain.

Ce projet… avec les jeunes du « cathé »… nous avons essayé de le définir plus précisément :
Finalement… c’est quoi le projet de Dieu pour l’être humain ? Qu’est-ce que Dieu attend de nous ? Qu’est-ce qu’il veut pour nous ?
Si ce matin, quelqu’un nous posait la question, que répondrions-nous ?

L’Evangile selon Jean, l’annonce clairement et simplement : Le projet de Dieu, c’est la Vie… la vie en abondance, la vie en plénitude… ce que l’évangéliste appelle « la vie éternelle » (cf. Jn 3,16).

Dans les évangiles synoptiques (Marc, Matthieu et Luc), ce projet de Dieu est dit avec d’autres mots, notamment avec l’image du « Royaume de Dieu » :
Dieu a un projet d’amour pour l’homme, il nous demande de nous ouvrir à cet amour, de le laisser régner sur notre vie, afin que nous entrions dans son grand projet : son Royaume… afin que nous soyons des artisans de ce monde nouveau que Dieu veut pour l’humain : un monde de justice et de paix.

Pour dire ce projet de Dieu et pour parler de ce lien d’amitié entre le Christ et nous – ses disciples – Jésus utilise l’image du vigneron, Dieu ; de la vigne, le Christ ; et des sarments, des rameaux, les disciples.
1« […] Mon Père est le vigneron. […] 5Je suis la vigne, vous êtes les sarments : celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là portera du fruit en abondance » (cf. Jn 15, 1b.5).

Par cette image, il nous redit que l’objectif premier du vigneron, c’est la Vie, la fructification… c’est que sa vigne avec ses sarments portent beaucoup de fruits.

Il nous rappelle ainsi que la relation entre le Christ et les disciples, est placée sous le signe de l’alliance… puisqu’il s’agit – pour les sarments – de rester liés, de « demeurer » attachés à la vigne du Seigneur… et sous le signe de la promesse… car la relation au Christ est potentiellement féconde, synonyme de fructification… d’une récolte abondante.

« Ecouter les Paroles de Jésus », « vivre selon l’Evangile » nous fait produire des fruits.
Ce sont les œuvres de l’amour, les fruits de l’Esprit… de cet Esprit d’amour que le Christ nous a communiqué, par sa Parole, par le don de sa vie et de son amour pour nous.

Dans l’épître aux Galates, l’apôtre Paul précise quels sont ces fruits… ce que l’Esprit saint produit en nous, lorsque nous sommes attachés au Christ, au porteur de l’Esprit.

Lorsque la sève – l’Esprit d’amour – monte dans la vigne et nourrit la branche qui produit du fruit – autrement dit, lorsque nous restons connectés à Jésus – l’Esprit de Dieu irrigue et nourrit notre vie.
Les fruits de l’Esprit sont : « amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, douceur, maîtrise de soi » (cf. Ga 5, 22-23).

Cela se fait petit à petit… c’est un processus de transformation intérieure… ce que la théologie appelle « sanctification »… qui fait que l’Esprit saint peut agir en nous, nous permettre de changer, d’évoluer, de nous renouveler, de nous transformer… pour, peu à peu, donner le meilleur de nous-mêmes, pour mettre nos charismes, nos dons, nos qualités, au service du royaume et de la vigne du Seigneur, pour produire des fruits, pour les autres et pour Dieu.

Bien entendu, l’Evangile ne nous dit pas que cela est naturel, ni que c’est facile !

Il y a quelque chose… un processus… qui se fait automatiquement : la sève monte toute seule, la plante et le fruit poussent d’eux-mêmes (cf. Mc 4, 26-29). Mais, cela nécessite un préalable : Cela nécessite d’abord d’émonder, de tailler, de purifier, de nettoyer… c’est-à-dire de prendre soin et d’entretenir la vigne et ses rameaux.

C’est bien ce que Jésus précise à ses disciples :
« Déjà vous êtes émondés par la parole que je vous ai dite » (cf. Jn 15,3).

Il souligne que sa Parole a cet effet : C’est elle qui vient nous purifier… élaguer les branches inutiles ou nuisibles… pour orienter notre pousse, notre développement… pour que nous puissions croître dans la bonne direction.

Pour produire du fruit, il faut que le sarment pousse. Mais pour qu’il pousse de façon adéquate, il faut qu’il soit taillé par la Parole de Jésus, par son Evangile.

Cet Evangile, Jésus le résume ici par le commandement d’amour mutuel :
«Voici mon commandement : aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (cf. Jn 15,12).
« "Comme je vous ai aimés"… pas à votre manière, pas comme vous l’entendez, pas en choisissant d’aimer ceux qui sont aimables, ceux qui vous ressemblent, qui vous aiment ou qui vous rendront ce que vous leur donnez (cf. Lc 6, 27-35)… Mais à ma façon, dit Jésus !… C’est-à-dire, gratuitement et totalement… sans calcul, de façon inconditionnelle et désintéressée… jusqu’au don de soi » (cf. Jn 15,13 ; Rm 12,1).

Si la Parole de Jésus vient ainsi nous tailler… pour nous orienter, pour nous faire grandir et porter du fruit… elle est aussi source de joie, d’une joie profonde… comme nous le rappelle l’évangile :
10Si vous observez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, comme, en observant les commandements de mon Père, je demeure dans son amour.
11« Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite » (cf. Jn 15, 10-11).

Ainsi donc… c’est vraiment une Bonne Nouvelle que nous annonce Jésus :

Dieu ne nous laisse pas seuls, livrés à nous-mêmes, dans l’obscurité, la solitude et le non-sens.
Il ne veut pas que notre monde ressemble à une forêt tropicale ou à « une jungle », soumise à l’anomie, au désordre, à la concurrence, à la loi du plus fort et au chacun pour soi.
Mais – bien plutôt – à « un vignoble », dont nous sommes tous les sarments, solidaires les uns des autres, car attachés à la même vigne.[1]

Par cette image, Jésus nous rappelle, de façon toute simple, que Dieu a un projet de Vie, pour nous… qu’il donne aux humains les moyens de produire du fruit, de s’épanouir, de vivre dans la joie.

Cela… il veut le réaliser avec nous / à travers nous… en nous faisant connaître son projet, par l’intermédiaire de Jésus, son Fils. C’est ce que redit l’évangéliste Jean à travers cette affirmation centrale :
« Dieu a tellement aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne soit pas perdu mais qu’il ait la vie éternelle » (cf. Jn 3,16).

Ce Fils – cet envoyé de Dieu – nous offre son amitié… il nous invite à nous confier à lui, à nous considérer comme ses amis et à vivre selon son amitié.

Ainsi, en s’attachant à Jésus… en devenant « disciples », c’est-à-dire « amis » du Christ… non seulement nous avons la connaissance du projet de Dieu, mais nous pouvons y répondre : Nous pouvons nous laisser construire, orienter, émonder par sa Parole… nous pouvons laisser naître et croitre les fruits de l’amour en nous, pour apporter de la joie dans notre monde… des fruits, qui attestent de l’amour du vigneron pour les humains, qui rendent gloire au Créateur, à l’Eternel, notre Père céleste (cf. Mt 5,16).

Je vous voudrais terminer cette méditation par une question et une prière :

- Avec les jeunes du « cathé », nous nous sommes posé une question : De façon pratique, comment on fait ? Comment demeurer concrètement dans l’amour de Jésus ? Comment rester « branché » sur lui ? Que peut-on mettre en place de simple pour rester « connecté » au Christ ?
Nous avons pensé à plusieurs pistes :
-      D’abord, oser lui parler, oser nous confier à lui, par la prière… en priant Dieu, au nom du Christ… en le cherchant… en lui donnant de la place dans notre existence.
-      Ensuite, vivre dans la reconnaissance et la gratitude, en remerciant le Seigneur pour les dons qu’il nous offre chaque jour.
-      Lire l’Evangile pour connaître le plan, le projet de Dieu pour l’homme. Car pour savoir ce que Dieu attend de nous, il faut connaître sa Parole.
-      En même temps, vivre dans la confiance avec Dieu… ne pas hésiter à demander pardon ou à demander l’aide du Seigneur dans les épreuves.
-      Et lorsqu’on traverse une situation délicate ou difficile, ou un conflit relationnel, se poser la question suivante : « Que ferait Jésus à ma place ? » Quelle voie Jésus choisirait-il ? Quel chemin m’appelle t-il à suivre ? Se poser la question de la voie la plus juste, pour marcher avec Dieu – selon sa Parole, selon sa volonté – chaque jour (cf. Mt 6,33 ; Rm 12,2).[2]

- Enfin, je voudrais vous livrer une prière que j’ai trouvée dans un recueil et qui va nous permettre de rendre grâce au Seigneur, pour l’alliance et l’amitié qu’il nous offre : Prions…

« ­ Tu fais alliance avec moi, Seigneur !
Comme un ami, de jour et de nuit,
tu me donnes la main.
Avec toi, je suis plus courageux.
Avec toi, c'est plus facile de sourire
Avec toi, c'est plus facile d'être joyeux.
Avec toi, c'est plus facile de dire : Merci !

Tu fais alliance avec moi, Seigneur,
et faire alliance
n'est-ce pas se donner la main
pour avancer ensemble sur le chemin ?

Tu fais alliance avec moi, Seigneur!
Comme un ami, de jour et de nuit,
tu restes à mes côtés.
Avec toi, je suis plus solide.
Avec toi, c'est plus facile de pardonner.
Avec toi, c'est plus facile de chasser la colère
qui parfois cogne dans le cœur.
Avec toi, c'est plus facile
de dire non à l'envie de faire mal !

Tu fais alliance avec moi, Seigneur,
et faire alliance
n'est-ce pas être solidaire
pour gagner contre le mal ?

Je suis heureux, Seigneur,
d'être en alliance avec toi ! »[3]

Amen.




[1] De son côté, Paul utilisera l’image du « corps du Christ » pour parler de la solidarité entre les différents membres du corps : « vous êtes le corps du Christ et vous êtes ses membres, chacun pour sa part » (cf. 1 Co 12, 27). 
[2] Cette préoccupation de la justice est centrale dans le sermon sur la Montagne (cf. Mt 5,6.10.20 ; 6,33 ; 7, 21-23). En ce jour d’élection municipale, c’est sans doute aussi une question à nous poser. Bien évidemment, c’est toujours délicat. Nous ne sommes pas Jésus et Jésus n’est pas à notre place. Mais, l’Evangile nous donne des valeurs et une direction, pour orienter nos choix. Par exemple, quand nous entendons « Dieu est amour » ou « tu aimeras ton prochain comme toi-même » ou encore quand nous recevons la parabole du « bon samaritain », ce qui est mis en avant, c’est l’amour de l’autre (du prochain, dans sa différence, dans son altérité), la compassion, la fraternité, la solidarité. En tant que Chrétiens, nous essayons de vivre en cohérence avec cet Evangile. Sur le plan politique, il faut rappeler que tout cela ne peut pas coller avec certaines idées ou certaines thèses extrémistes, qui tendent à instiller la peur de l’autre, l’exclusion et le rejet de l’étranger, le racisme ou la xénophobie. Jésus nous appelle toujours à accueillir et à nous mettre à la place de l’autre. Pas à vivre dans l’indifférence, à faire de l’autre (de celui qui est différent ou étranger) un bouc-émissaire ou à reporter sur lui la cause de nos difficultés ou de malheurs. Ce qui serait totalement faux et injuste.
En bref, l’évangile nous appelle à changer de mentalité. (Jésus ne s’est-il pas tourné vers les petits, les exclus et les laissés-pour-compte, de son temps ?) Cela commence par un changement de regard sur le monde et sur nos frères, avec qui nous partageons un destin commun : une commune humanité… avec qui nous sommes appelés à vivre en relation et à partager (d’autant plus quand nous sommes du côté des humains les plus privilégiés)… et avec qui nous partageons aussi une terre, une planète en commun, que nous sommes appelés à protéger et à transmettre aux générations futures, comme un don précieux que nous avons reçu et dont nous sommes, pour un temps, les gérants. Il suffit de relire les quatre premiers chapitres de la Genèse, pour nous rappeler que Dieu nous confie ces responsabilités : il nous fait mutuellement gardien de la création et gardien de nos frères (contrairement à ce que pense Caïn). Cela doit nous conduire à des choix de vie, qui privilégient le partage et la confiance, plutôt que la peur, le rejet et le chacun pour soi.
[3] « Alliance », p.109, in : Livre de prières, Société Luthérienne, édition Olivetan.