Mt 9,35 - 10,16 (2ème
partie)
Lectures
bibliques : Mt 9,35 - 10,16
Thématique :
La mission (2ème partie) : Comment être « les envoyés »
de Jésus ?
Prédication de
Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 16/03/14 – culte + A.G.
Largement inspirée
d’une prédication de Jean-Marc Babut
Il y a quinze
jours, nous avons commencé à méditer ce passage de l’Evangile au temple de Marmande.
Je vous propose ce matin… pour l’assemblée générale de notre association
cultuelle à Tonneins… de reprendre et de poursuivre la réflexion… puisque les
questions de mission et d’évangélisation constituent un sujet fondamental et un
thème propice à notre rassemblement d’aujourd’hui.
* Tout d’abord,
je commencerai par un petit résumé des échanges que nous avons eu la semaine
passée :
- En méditant ce
passage, nous nous sommes arrêtés sur la signification du mot
« apôtre » qui vient du grec « apostolos » qui veut simplement dire « envoyé ».
Ainsi, la
première chose que nous apprenons au sujet des disciples, c’est que Jésus les
envoie.
En réalité… Jésus
ne regroupe autour de lui des disciples que
pour les envoyer. C’est là leur mission et leur raison d’être : prendre le
relai de son message et de son action… proclamer l’Evangile – la Bonne Nouvelle
du salut – en paroles et en actes.
- 1er
point que nous avons essayé d’éclaircir : Pourquoi Jésus veut-il envoyer
des disciples ? D’où vient cette nécessité ?
L’évangile le
dit clairement : C’est l’amour et la compassion qu’éprouve Jésus, qui le
poussent à agir ainsi.
Voyant les
foules « fatiguées
et abattues comme des brebis qui n’ont pas de berger », Jésus est pétri de compassion, « ému aux entrailles »,
face à la désorientation, au malheur et à la souffrance humaine.
Alors,
il agit : il enseigne… il proclame la Bonne Nouvelle du règne de Dieu sur
nos vies, il annonce la délivrance… Et il rend ce salut réel, présent et
concret : il guérit, il libère, il relève les hommes et les femmes qu’il
rencontre.
Pourtant, face à
l’ampleur de la tâche, devant l’affliction d’un très
grand nombre, Jésus se rend vite compte qu’il ne peut pas agir seul… qu’il a
besoin de relais… de cœurs, de bras et de mains… pour amplifier, pour
démultiplier son action.[1]
C’est
la raison pour laquelle il demande au Maître de la moisson (cf. Mt 9, 38), au
Seigneur, d’envoyer un nombre plus important d’ouvriers, d’artisans du royaume
de Dieu.
- 2ème
point, 2ème question traitée : Quel est le rôle attendu des
disciples ? Pourquoi sont-ils envoyés, pour quoi faire ?
L’évangile
répond avec précision : Pour agir à la suite de Jésus, pour faire la même
chose que lui, grâce à l’autorité qu’il décerne à ses disciples.
Les
« apôtres » sont envoyés dans le monde – dans leur famille, leur
village, leurs lieux de vie – pour poursuivre l’action du Christ :
-
pour proclamer que le
Royaume – le monde nouveau de Dieu – est déjà là, à portée de main ;
-
pour changer les mentalités… pour appeler les humains à se
« convertir », à se retourner, à changer d’orientation (de façon de
voir et d’agir) ;
-
pour libérer et pour guérir, pour ouvrir les cœurs et renouveler
les corps, face à tout ce qui nous étouffe, tout ce qui nous réduit ou nous
enferme : maladies ou démons.
Nous
le savons bien, encore aujourd’hui – il
suffit d’ouvrir le journal télévisé, pour nous en rendre compte – l’homme
est facilement enclin à écouter ses mauvais démons… à se laisser séduire et
animer par ses « mauvais désirs » : orgueil, égocentrisme,
convoitise, pouvoir, domination, violence, racisme, indifférence, etc.
Voilà
tous les mauvais esprits, tous les mauvais démons, qui viennent encore hanter
et diviser les humains, quand ils n’écoutent pas la voix du Dieu d’amour (de ce
Dieu que Jésus Christ nous a révélé).
C’est
en ce sens qu’il faut envisager « l’autorité » que Jésus confère à
ses disciples : il leur donne pour mission de « chasser les démons »,
c’est-à-dire de libérer les humains de toutes les forces d’oppression qui les
accablent, qui les enferment ou les rendent esclaves… que ces forces d’oppression soient culturelles,
économiques, politiques ou même religieuses.
En définitive… ce
que vise Jésus, c’est la guérison et la paix pour tous les humains. C’est ce
que précise notre passage, à travers la mission des disciples :
« Quand vous entrerez dans une maison,
dites : “La paix soit avec vous.” Si la maison est digne, que votre paix vienne
sur elle ; mais si elle n’est pas digne, que votre paix retourne vers
vous » (cf. Mt 10,12-13).
« Être
envoyé » veut dire « être artisan de paix », « être porteur
de paix »… Ce n’est pas n’importe quelle paix. Ce n’est pas la
tranquillité ou la sécurité, c’est la paix véritable : une paix qui agit
de l’intérieur, qui passe par l’écoute de la Parole, par l’accueil de
l’Evangile (cf. Mt 10, 12-14).
Jésus ne dit pas
aux hommes « je
vous fiche la paix », mais « je
vous laisse la paix, je vous donne ma paix » (cf. Jn 14, 27). C’est
une paix qui découle d’une transformation intérieure… grâce à l’accueil de
l’Evangile… par l’appropriation de la Bonne Nouvelle de l’amour de Dieu, dans
notre vie.[2]
* Si
j’ai ainsi résumé les deux premières questions traitées par ce passage… c’est
pour pouvoir aborder, avec vous, une troisième et dernière question… une
question qui nous intéresse ce matin : Comment être « des envoyés »
de Jésus dans notre monde ?
- Tout
d’abord, les disciples reçoivent un conseil : « Ne vous éloignez pas dans un chemin de païens ». Autrement dit
« Ne prenez pas la route des
nations » (cf. Mt 10,5).
Il y
a bien ici une limitation de la mission à l’intérieur des frontières d’Israël,
à l’image du ministère historique de Jésus, qui s’adressait surtout aux Juifs,
aux Croyants de son temps.
Mais,
il faut également entendre le conseil donné aux disciples comme une évocation
de l’invitation prophétique de Jérémie, qui dit la chose suivante :
« N’apprenez pas la voie des nations / Ne
vous conformez pas à leurs mœurs » (cf. Jr 10,2).
Il
s’agit d’une mise en garde contre l’adoption de la conduite de ceux qui ne
vivent pas dans la foi.
Il
est évident qu’une mission auprès des nations court le danger de finir par
prendre certaines caractéristiques culturelles ou comportementales, qui
demeurent pourtant incompatibles avec les valeurs de l’Evangile.
C’est
dans le même sens que l’apôtre Paul dira : « Ne vous conformez pas au monde présent, mais soyez transformés par le
renouvellement de votre intelligence, pour discerner quelle est la volonté de
Dieu » (cf. Rm 12,2).
Le
danger de s’adresser aux nations (à ces hommes et ces femmes qui ne placent pas
leur confiance en Dieu, mais seulement en eux-mêmes ou dans leurs biens), c’est
d’adopter peu à peu leurs comportements et leurs valeurs.
Or,
l’idolâtrie, la convoitise, la course effrénée à « toujours plus »
d’avoir et de pouvoir, de confort, de plaisir ou de sécurité… toutes ces choses
que l’on trouve fréquemment dans le monde… restent des valeurs contraires à
l’Evangile… pas simplement pour des raisons morales… mais, d’un point de vue
relationnel … parce qu’en oubliant souvent le prochain, elles génèrent de l’injustice
et du malheur.
L’« envoyé »
ne doit donc pas se laisser séduire par les sirènes de Mamon ou les « valeurs » de ce monde. Il doit, au
contraire, faire pénétrer celles de l’Evangile dans le monde, pour le saler… pour
lui donner le goût du Royaume.
- La
deuxième recommandation porte sur les notions de gratuité et de pauvreté
matérielle (cf. Mt 10, 8-10) :
Jésus
rappelle que la mission des disciples doit avant tout être animée par un
sentiment de gratuité : « vous
avez reçu gratis, donnez gratis » (cf. Mt 10,8). Cette gratuité n’est
pas seulement une condition extérieure. C’est une composante intrinsèque de
l’annonce du Royaume.
Si l’on
ne donne pas gratuitement… la transmission de ce que l’on a reçu – qui relève
de la Grâce – est impossible.
La
recommandation de ne prendre et de n’accepter ni or ni argent (cf. Mt 10,9),
est inhérente à la qualité de l’annonce : On ne peut que transmettre de façon gratuite, ce qu’on a reçu gratuitement.
Par
ailleurs, il y a une autre raison à ce parti pris de la pauvreté, à cette
recommandation de Jésus de « ne rien
prendre pour la route », ni sac, ni tunique supplémentaire[3] :
Il
doit être clair que les envoyés – les ambassadeurs du monde nouveau de Dieu[4] – ne
doivent dépendre de personne, d’aucun pouvoir humain… pour être pleinement
libres, pour ne subir aucune pression, aucune influence.
Bien
entendu, ils peuvent être soutenus par quelques dons généreux, mais, fondamentalement,
ils ne dépendent que du Seigneur, de Celui qui les envoie.
D’autre
part, cette simplicité, cette pauvreté est aussi un moyen de faire passer un
message. Cela évite tout malentendu :
Les
disciples de Jésus ne doivent pas laisser croire que ce qu’ils apportent relève
de quelques nouveaux secrets, de ce que les humains appellent « la
réussite » : aisance, prospérité, pouvoir, considération.
Non !
Ce qu’ils apportent à l’humanité, c’est la voie d’un salut, d’une libération.
Et ils l’apportent en priorité aux plus démunis.
Ils
portent un appel à recevoir ce salut d’un Autre et à le faire passer dans la
vie. C’est cela qui doit être évident dans le style de vie simple des envoyés de Jésus :
Tout
est offert par grâce, par amour. C’est cela même qui nous appelle à nous
inscrire dans la gratuité et la reconnaissance.
-
Troisième recommandation : Jésus met en avant la liberté laissée à chacun…
à ceux que les envoyés rencontrent.
« Si l’on ne vous accueille pas et si l’on
n’écoute pas vos paroles, en quittant cette maison ou cette ville, secouez la
poussière de vos pieds » (cf. Mt 10,14).
Pas
de publicité accrocheuse, pas de propagande, pas de contrainte qui entraîne l’adhésion,
à force de marteler des slogans… pas de manipulations, pas de racolage !
C’est
librement que les gens rencontrés doivent se décider « pour » ou « contre »
le message du monde nouveau de Dieu.
Leur
responsabilité doit être respectée.
Il
faut simplement que les envoyés de Jésus aient donné à leurs vis-à-vis tous les
moyens de prendre leur décision.
Ensuite,
s’ils se heurtent à un refus, ils doivent pouvoir dire qu’ils ne leur doivent
plus rien.
Pour
bien marquer qu’ils sont ainsi parfaitement « quittes » envers eux – qu’ils
sont libérés de la mission qu’ils devaient accomplir – les envoyés secoueront
alors la poussière qui s’est attachée à leurs pieds, comme pour dire : « Nous n’emportons de chez vous pas le moindre
grain de poussière ; nous vous avons donné et transmis tout ce que nous
avions reçu… désormais, nous ne vous devons plus rien ».[5]
-
Enfin, dernière recommandation : Jésus appelle ses disciples à être, à la
fois, confiants et rusés.
Jésus
n’est pas naïf. Il sait très bien que c’est une entreprise « de longue
haleine » de vouloir changer les mentalités… que ce n’est pas toujours
facile d’oser faire place à la nouveauté. C’est pourquoi, il donne un conseil
aux disciples :
« Soyez donc rusés comme les serpents et
candides comme les colombes » (cf. Mt 10,16)
Ici,
la ruse du serpent est représentative du rapport avec les humains, avec les
nations… tandis que la simplicité de la colombe est représentative du rapport
avec Dieu.
Dans
un Midrash – le Midrash Rabba – à
propos de l’expression « ma colombe » du Cantique des Cantiques (cf.
Ct 2,14), on trouve l’explication suivante :
« Que veut dire "ma colombe" ?
Le saint – béni-soit-il – veut dire ceci : Avec moi ils sont simples comme
une colombe, mais avec les peuples du monde ils sont rusés comme des serpents.
»[6]
Dans
le contexte de l’évangile, c’est une invitation à ne pas être naïfs devant des
oppositions prévisibles, sans pourtant rien perdre de la simplicité qui découle
de l’expérience de la grâce de Dieu.
* Un dernier mot pour
conclure :
[A
travers les recommandations laissées par Jésus, nous voyons bien que la mission
d’Evangélisation – de proclamation de Bonne Nouvelle, en paroles et en actes –
prend du temps… qu’elle nécessite courage, confiance et détermination.
C’est
en ce sens que l’on peut comprendre le conseil que Jésus adresse à ses
disciples :
« Quand vous arriverez dans une ville ou un
village, cherchez qui est digne de vous recevoir et restez chez cette personne
jusqu’à ce que vous quittiez l’endroit » (cf. Mt 10,11).
Bien sûr, il y a
un moment où l’Evangile aura été annoncé… où les ambassadeurs du monde nouveau
de Dieu (que Jésus nous appelle à être) en auront terminé. Mais, en attendant,
les disciples ne peuvent se contenter de passer ici ou là, à toute vitesse,
comme des météores.
Le message de
salut que les envoyés de Jésus ont à faire entendre au monde, appelle à de trop
grands bouleversements de la mentalité humaine, pour qu’on s’imagine que tout
sera gagné en un instant, en un tour-de-main.
Jésus lui-même,
n’a-t-il pas mis un certain temps à former ses disciples ? ]
La consigne
donnée aux envoyés est donc de veiller au suivi de leur mandat, avec patience
et persévérance… sachant que cela demande du temps, sachant aussi qu’ils ne
sont pas seuls et que tout ne relève pas de leur action.
En effet… comme
Jésus le dit lui-même, ailleurs : « le vent souffle où il veut […] mais tu ne sais ni d’où il vient ni où
il va » (cf. Jn 3, 8)… ainsi en est-il du souffle de l’Esprit.
En
première et dernière instances, les disciples doivent s’en remettre à l’action
de l’Esprit saint, seul susceptible de convertir les cœurs en profondeur.
Pour
autant, cela ne nous empêche pas de prier et d’agir, comme Jésus nous y invite.
Alors, chers amis, « prions le Maître de la moisson d’envoyer des ouvriers dans sa
moisson » (cf. Mt 9,38)… et demandons aussi au Seigneur – pour les
ouvriers que nous sommes, nous-mêmes – d’ouvrir toujours plus grand notre cœur
et notre esprit à son Evangile, pour que son message d’amour, de justice et de
paix, illumine notre vie et celles des hommes et des femmes que nous
rencontrons chaque jour.
Amen.
[1] Voir aussi Jn 15, 1-17
avec l’image de la vigne : Jésus est la vigne ; les disciples (ses
amis) sont les sarments. Les sarments doivent restés attachés à la vigne, et la
vigne a besoin des sarments pour produire du fruit.
[2] Il ne faut donc pas
confondre « la paix » et « la sécurité » (surtout en cette
période d’élection !). La première est fondée sur la confiance ; la
seconde sur la méfiance. C’est ce que précise Dietrich Bonhoeffer dans son
commentaire du Psaume 85, 9-13 : « Il n'y a pas de paix possible sur la voie de la sécurité,
car la paix est une audace, c'est une aventure qui ne va pas sans risques. La
paix, c'est le contraire de la sécurité. "Sécurité" signifie méfiance
qui à son tour entraîne la guerre. Chercher la sécurité signifie vouloir se
protéger soi-même, alors que la paix implique la confiance face aux
commandements de Dieu ».
[3] Cf. Mt 10, 9-10. Voir aussi Mc 6, 8s.
[5] Secouer la poussière de ses pieds, c’est se déclarer
« quitte », c’est aussi un moyen d’affirmer qu’« on n’a plus rien en commun avec ceux qui ne
souhaitent pas adhérer à l’Evangile » (cf. Ac 13,51).
[6] Voir Un mondo di grazia. Letture
dal midrash sui Salmi, présenté par A. MELLO, Bose, 1995, p. 147.
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