Mt 9,35 - 10,16 (1ère
partie)
Lectures
bibliques : Mt 9,35 - 10,16
Thématique :
La mission (1ère partie) : Pourquoi Jésus envoie-t-il des « disciples » ?
Pour quelle mission ?
Prédication de
Pascal LEFEBVRE / Marmande, le 02/03/14 – culte + A.G.
Largement inspirée
d’une prédication de Jean-Marc Babut
Nous poursuivons
notre lecture de l’évangile selon Matthieu.
Ce matin, pour
l’assemblée générale de notre association cultuelle à Marmande – voyez cela comme un « hasard » ou
comme un signe de la « Providence » – il est question de
mission et d’évangélisation.
* On intitule
souvent le passage que nous venons d’entendre « la mission des Douze ».
Mais il faut bien avouer que ce titre est un peu réducteur, car il pourrait
nous faire croire que la mission d’évangélisation – de proclamation de la Bonne
Nouvelle du Royaume, du règne de Dieu (cf. Mt 9,35 ; 10,7) – est réservée
aux douze apôtres et qu’elle ne nous concerne pas.
Une lecture
attentive de l’Evangile nous montre que nous aurions tort de penser ainsi, pour
plusieurs raisons :
- D’abord, il
faut souligner que Jésus choisit ses apôtres parmi des gens de conditions
différentes : pécheurs, collecteur d’impôts, zélote, Galiléens ou Juifs de
la diaspora[1].
Parmi eux, se
trouve celui qui le reniera et celui qui le trahira. Il ne s’agit donc pas
initialement de super-héros, de super-juifs ou de super-chrétiens, mais de
personnes de conditions variées, qui viennent de différents univers
professionnels et culturels.
En choisissant
ces gens-là plutôt que d’autres, Jésus fait ressortir que le mouvement qu’il
rassemble autour de lui est un mouvement largement ouvert, qui dépasse les
clans et les appartenances sociales ou religieuses, tout le contraire d’une
secte ou d’un club réservé à quelques élites ou quelques puristes.
- Ensuite, le
chiffre douze est avant tout symbolique. Les quatre évangiles ne sont pas
forcément d’accord sur les prénoms ou l’identité des douze[2]. Mais, le
chiffre rappelle le nombre des tribus d’Israël. C’est en cela que les Douze
sont un symbole. Ils représentent l’embryon de tout le peuple de Dieu renouvelé
par la Parole du Christ. Ils sont, en quelque sorte, l’avant garde des autres
disciples, et pas du tout ces personnages situés au sommet d’une hiérarchie.
De toute façon,
dans le mouvement de Jésus, il n’y a pas de hiérarchie.
- Enfin, il faut
s’arrêter sur le mot « apôtre » utilisé par Matthieu (cf. Mt 10,2) pour
désigner les disciples. En grec, ce mot « apostolos » veut simplement dire « envoyé ».
La première
chose que nous apprenons donc au sujet des disciples, c’est que Jésus les
envoie. C’est là la définition des « disciples - apôtres » : il
sont « envoyés ».
En tant que
« disciples » du 21e siècle, c’est ce que nous devons
retenir : nous sommes, nous aussi, envoyés.
* Alors… ce matin…
nous n’étions peut-être pas venus pour
entendre cela… mais c’est pourtant ce que l’évangile vient nous redire :
Être disciple de
Jésus, c’est – bien sûr – reconnaître en lui le Christ, le bon berger, Celui
qui vient nous apporter le salut, la lumière de Dieu, pour nous guider, nous
éclairer… mais c’est aussi accepter d’être son envoyé.
Jésus ne
regroupe autour de lui des disciples que
pour les envoyer.
Peut-être que
cette idée – d’être envoyé en mission dans le monde, de la part du Seigneur, pour
annoncer son règne qui vient – peut nous remplir d’appréhension, face à la responsabilité
que ça représente. Mais, cela ne veut pas forcément dire « être
parfait » ni « être envoyé à l’autre bout du monde ».
L’essentiel,
c’est d’abord de se savoir envoyés « tels que nous sommes », avec ce
que nous sommes – nos qualités, nos charismes et nos fragilités, nos défauts – avec
l’assurance que nous ne sommes pas seuls, que l’Esprit du Seigneur nous
accompagne, dans cette mission d’envoyés (cf. Mt 10, 19-20).
Ensuite, ce
n’est pas forcément « partir au loin », c’est « être
témoin » là où est notre vie… « envoyé de Jésus » dans notre
famille, sur nos lieux d’activités – professionnelle ou associative – dans
notre quartier… « envoyé de Jésus » parmi les gens que nous côtoyons
chaque jour.
De toute façon, il
faut savoir que nous témoignons toujours de quelque chose ou de quelqu’un… que
nous le voulions ou non :
Dès l’instant que nous sommes connus, ici ou là, comme
membres d’une Église chrétienne, nous sommes regardés, par les autres, comme
des envoyés. En tout cas, c’est à travers nous que les gens se font une idée –
vraie ou fausse – de l’Évangile.
Il
est vrai que, lorsqu’on examine justement ce que la plupart des gens croient
savoir de Jésus et de l’Evangile, on peut être pris d’inquiétude sur le
témoignage des envoyés que nous sommes.
De
quoi témoignons-nous ? Que laissons-nous transparaître (par nos paroles et
nos actes) de cet Evangile qui nous anime ?
Serions-nous
capables de donner une réponse claire, simple et fondée, si quelqu’un nous
demandait un jour : « Mais en fin de compte, qu’est-ce que c’est que
l’Evangile ?... cet Evangile auquel tu crois ! »
Pour
cela… il faut être au clair avec le message de Jésus… avec ce qui est
véritablement central, pour nous, dans l’Evangile, la Bonne Nouvelle du salut
que Jésus vient nous apporter de la part de Dieu.[3]
C’est
précisément ce que nous essayons de faire et de vivre dimanche après
dimanche : Ouvrir et lire l’Evangile, pour laisser le Christ nous éclairer,
nous changer, nous transformer… pour nous laisser guider par la Bonne Nouvelle
de l’amour de Dieu, pour en vivre et en témoigner.
Pour
aller un plus loin… je voudrais m’arrêter, avec vous, sur quelques questions
que soulève notre passage, ce matin :
*
Premièrement, pourquoi Jésus veut-il envoyer des disciples, prioritairement –
nous dit Matthieu – en direction des brebis perdues de la maison
d’Israël ?
L’évangile
nous donne une réponse claire : par amour, par « compassion »…
justement parce les brebis sont perdues, sans berger pour les guider.
Ecoutons
à nouveau ce passage : « Voyant
les foules, Jésus fut saisi de compassion pour elles, parce qu’elles étaient
fatiguées et abattues comme des brebis qui n’ont pas de berger » (cf.
Mt 9,36 ; voir aussi 1 R 22,17 ; Ez 34,5s ; Nb 27, 16-17).
On
retrouve plusieurs fois le même terme dans différents passages (miracle,
guérison, parabole)[4] : Jésus est « ému aux
entrailles » devant le malheur, la désorientation et la souffrance
humaine.
A
l’origine de chaque mission – de la prédication évangélique, comme de
l’activité thérapeutique – il y a un sentiment viscéral de compassion. La vue
de la souffrance, de la fatigue, de l’abattement des foules… comme de chaque
être humain… provoque l’action.
Mais,
devant l’ampleur de la tâche, devant l’affliction d’un très grand nombre, Jésus
se rend vite compte qu’il ne peut pas agir seul… qu’il a besoin de relais, de
courroies de transmission… de cœurs, de bras et de mains, pour relayer, pour amplifier,
pour démultiplier son action.
Dès
lors, l’observation et la compassion laissent place à la prière : celle
adressée au Maître de la moisson (cf. Mt 9, 38)[5], au
Seigneur, pour qu’il envoie un nombre plus important d’ouvriers, de
« sympathisants », d’artisans… porteurs de la joyeuse annonce de
l’advenue du règne de Dieu dès maintenant (cf. Mt 10,7).
* Ce
constat nous entraine dans une deuxième question : Quel est le rôle
attendu des disciples, des apôtres ? Pourquoi sont-ils envoyés, pour quoi
faire ? pour quelle mission ?
Ici encore
la réponse est claire : pour agir à la suite de Jésus, pour faire la même
chose que lui, grâce à l’autorité qu’il décerne à ses disciples.
Ecoutons
ce que dit l’évangile au sujet de l’action de Jésus :
« Jésus parcourait touts les villes et les
villages, il y enseignait dans leurs synagogues, proclamant l’Evangile (la
Bonne Nouvelle) du Royaume et guérissant toute maladie et toute faiblesse »
(cf. Mt 9,35).
Ecoutons
maintenant ce qui est attendu des disciples :
« Ayant appelé ses douze disciples, Jésus leur
donna autorité sur les esprits impurs, de façon à les chasser et guérir toute
maladie et toute faiblesse. […] Il les envoya… en disant : Proclamez que
le Royaume des cieux s’est approché. Guérissez les malades, réveillez les
morts, purifiez les lépreux, jetez dehors les démons, ce que vous avez reçu
gratuitement, donnez [le] gratuitement » (cf. Mt 10, 1.7-8).
On
voit bien que les disciples sont envoyés pour poursuivre l’action du Christ [6] :
Cela
commence par la proclamation du message de Jésus, à savoir que le monde nouveau
de Dieu est déjà là – pas pour demain, mais pour aujourd’hui, pour maintenant –
qu’il est à portée de main, pour qui veut bien le recevoir et y prendre part.
S’ensuit
un appel à changer de mentalité… à entrer et à agir dans la gratuité, pour
adopter la nouvelle mentalité, qui a cours dans le royaume, le monde nouveau de
Dieu.
Pour
cette mission… il est précisé que Jésus donne son autorité à ses disciples… et
que cette autorité a un pouvoir libérateur : Elle ouvre les verrous et les
portes des existences de celles et ceux qui l’acceptent… Elle est capable de
guérir, d’élargir les cœurs et de renouveler les corps, pour que tout ce qui
nous étouffe, tout ce qui nous réduit, nous sclérose, nous enferme, puisse en
sortir : maladies ou démons.
C’est
là sans doute, pour nous, hommes et femmes du 21e siècle, l’action
la plus surprenante qui attend les envoyés de Jésus : « chasser les
démons » (cf. Mt 10,1.8).
Pour
l’évangéliste Matthieu – comme pour Marc – cette expulsion des démons est un
aspect important de l’action de Jésus et des disciples. C’est un signe que le
salut est en train d’advenir… C’est une illustration immédiate de l’approche du
monde nouveau de Dieu.
Aujourd’hui,
dans notre Occident rationnel et technico-scientifique, on ne croit plus guère
à ces esprits maléfiques et invisibles, à qui on attribuait autrefois les
malheurs restés inexplicables, notamment certaines maladies en apparence
incurables du corps ou de l’esprit.
Pourtant,
au-delà de ce genre de croyance, je crois qu’il y a toujours quelque chose de
vrai derrière ce jargon, ces mots : « esprits impurs » ou « démons ».
Dans
l’Evangile, les démons apparaissent comme des forces d’asservissement, comme ce
qui nous rend esclave ou ce qui nous divise. C’est d’ailleurs l’étymologie du
mot « diabolos ».
Bien
qu’on ne croie plus chez nous à l’existence de ces esprits maléfiques, il est
évident que nombre d’humains continuent d’être asservis par des forces plus ou
moins inavouées et secrètes.
Les
démons ont changé de visage, ils ont changé de nom, mais, sous d’autres formes,
ils sont toujours là.
Ce
sont « les mauvais désirs » (nos mauvais démons) qui viennent parfois
nous séduire, nous animer, nous dévorer ou nous diviser : orgueil,
égocentrisme, convoitise, pouvoir, domination, violence, racisme, indifférence,
etc.
Ce
n’est pas pour rien qu’avec les gens de son temps, Matthieu leur donnait le nom
« d’esprits impurs » (cf.
Mt 10,1). Dans la Bible, ce qui est qualifié d’« impur » est incompatible
avec Dieu.
C’est
pourquoi tout ce qui enferme et maintient les humains dans des situations sans
issues (blocages ou exclusions) – que ces forces d’oppression soient
culturelles, économiques, politiques ou religieuses – tout cela reste comme un
défi lancé aux disciples de Jésus.
Il
s’agit donc d’un combat… d’une lutte qui peut parfois être violente… même si
cette violence n’est pas le fait de Jésus, ni de ses disciples.
En
effet, Jésus ne donne pas aux siens une sorte de « contre-pouvoir »
capable de faire plier les démons. Il leur donne une « autorité » (cf. Mt 10,1), sa propre
autorité : une force, un mot, dont la racine « augere » signifie « augmenter, faire croître, faire grandir »,
tout en laissant libre.
Jésus
donne sa propre autorité à ses disciples… une autorité qui s’inscrit dans l’amour
et la confiance… une autorité qui libère… car il est assuré de la victoire finale
du monde nouveau de Dieu sur toutes les forces qui asservissent et divisent les
humains.
Nous
apprenons, un peu plus loin dans notre passage, ce qu’a le pouvoir de réaliser
cette autorité offerte aux disciples : Elle procure la paix.
« Être
envoyé » veut dire « être porteur de paix » !
Le
salut Juif que les disciples sont invités à partager n’est pas une simple
formalité. C’est un « shalom…
shalom’alekem » qui signifie « paix sur vous », « paix
sur cette maison » (cf. Mt 10, 12-13 ; Lc 10,5).
Autrement
dit, c’est une bénédiction offerte de la part de Dieu à celui qui accepte de
recevoir son envoyé, d’écouter sa parole, à celui qui se montre digne d’accueillir l’Evangile. Cela le
conduira sur le chemin de la paix et de la réconciliation.
* Enfin,
je voudrais terminer cette méditation par une troisième et dernière
question : Comment être des envoyés de Jésus ?
Sans
entrer dans le détail – cette question
sera l’objet d’une prochaine méditation – retenons quelques éléments
énoncés par Jésus :
-
Être « des disciples », c’est rester fidèles à l’Evangile, c’est
garder sa confiance au Seigneur, face aux dangers, face à un monde, parfois
indifférent, parfois même hostile au message de Jésus. C’est en ce sens qu’on
peut entendre la recommandation donnée aux apôtres de « ne pas s’éloigner dans un chemin de païens »,
de « ne pas prendre la route des
nations » (cf. Mt 10,5).
Cela
rejoint, d’une certaine manière, l’exhortation de l’apôtre Paul : « Ne vous conformez pas au monde présent, mais
soyez transformés par le renouvellement de votre intelligence, pour discerner
quelle est la volonté de Dieu » (cf. Rm 12,2).
- Être
« des disciples », c’est inscrire son action dans la gratuité et la
simplicité. Car il s’agit de témoigner de l’Evangile de la Grâce, et cela ne
peut se faire que gratuitement (cf.
Mt 10, 8-10).
Ainsi,
face au message de Jésus, chacun est placé devant sa liberté et sa
responsabilité d’accueillir ou non la Bonne Nouvelle qui lui est offerte (cf.
Mt 10,14).
-
Enfin, dernière recommandation de Jésus : Être « des disciples »,
c’est être, à la fois, confiants et rusés… Ingénus et simples avec Dieu, comme
des enfants (cf. Mt 18,3)… Avisés et habiles avec les humains et les nations,
pour trouver les meilleurs moyens de faire passer le message et les valeurs de
l’Evangile dans le monde (cf. Mt 10,16).
* Un dernier mot pour
conclure :
De
nos jours… périodiquement… nos Eglises rediscutent d’évangélisation.
Le
récit d’aujourd’hui nous rappelle qu’évangéliser n’est pas l’affaire de
quelques spécialistes lors de campagnes exceptionnelles, mais l’affaire de
simples disciples de Jésus dans la vie quotidienne.
Evangéliser,
ce n’est pas non plus recruter pour nos églises ou nos chapelles. C’est
simplement transmettre – en paroles et en actes – le message de salut apporté
par Jésus sur notre terre.
Il
suffit pour cela de faire confiance au Christ… de laisser son message résonner
dans notre vie… pour faire transparaître sa lumière autour de nous (cf. Mt 5,
14-16).
Amen.
[1] Philippe et André sont
des prénoms grecs.
[2] Les noms des « douze envoyés » sont les mêmes en Marc et en Matthieu,
mais pas en Luc, et encore moins en Jean où ils ne sont même pas douze. A noter
que seul le premier évangile précise que Matthieu est « l’exacteur, le
collecteur de taxes » et donc ce même personnage dont on raconte la
vocation en Mt 9, 9 s. En Marc, Lévi fils d’Alphée n'a rien à voir avec l’apôtre
Matthieu.
[3] A ce propos… j’ouvre une parenthèse… au sujet de la journée témoignage
« je crois, comment le dire ? » qu’organise notre église au
niveau du consistoire… le 29 mars prochain à Clairac… […].
[4] Cf. Mt 9,36 ;
14,14 ; 15,32 ; 18,27 ; 20,34.
[5] Ici, le peuple juif est comparé à un champ d’épis de blé prêts pour la
moisson, et cela signifie l’attente messianique d’Israël, qui est arrivée à
maturité. Il ne manque que de lui envoyer un nombre convenable d’ouvriers.
[6] Pour ce faire, les
disciples vont être investis de la même « autorité » que celui qui
les a envoyés. Le principe rabbinique est que « l’envoyé est égal à celui
qui l’envoie » : il en est le représentant physique (cf. Mt 10,
24-25).
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