dimanche 22 juillet 2012

Jn 15, 1-17

Jn 15, 1-17 

Lectures bibliques : Es 5, 1-7 ; Jn 15, 1-17 ; Mt 25, 14-30
Thématique : Demeurer en Christ, s’enraciner dans la Parole et l’amour de Dieu, pour porter du fruit

Prédication = voir ci-dessous, après les lectures

Lectures : Es 5, 1-7 ; Jn 15, 1-17 ; Mt 25, 14-30 

- Es 5, 1-7

Que je chante pour mon ami,
le chant du bien-aimé et de sa vigne :
Mon bien-aimé avait une vigne
sur un coteau plantureux.

2Il y retourna la terre, enleva les pierres,
et installa un plant de choix.
Au milieu, il bâtit une tour
et il creusa aussi un pressoir.
Il en attendait de beaux raisins,
il n'en eut que de mauvais.

3Et maintenant, habitants de Jérusalem et gens de Juda,
soyez donc juges entre moi et ma vigne.

4Pouvais-je faire pour ma vigne
plus que je n'ai fait ?
J'en attendais de beaux raisins,
pourquoi en a-t-elle produit de mauvais ?

5Eh bien, je vais vous apprendre
ce que je vais faire à ma vigne :
enlever la haie pour qu'elle soit dévorée,
faire une brèche dans le mur pour qu'elle soit piétinée.

6J'en ferai une pente désolée,
elle ne sera ni taillée ni sarclée,
il y poussera des épines et des ronces,
et j'interdirai aux nuages
d'y faire tomber la pluie.

7La vigne du SEIGNEUR, le tout-puissant,
c'est la maison d'Israël,
et les gens de Juda sont le plant qu'il chérissait.
Il en attendait le droit,
et c'est l'injustice.
Il en attendait la justice,
et il ne trouve que les cris des malheureux.

- Jn 15, 1-17 

« Je suis la vraie vigne et mon Père est le vigneron. 2Tout sarment qui, en moi, ne porte pas de fruit, il l'enlève, et tout sarment qui porte du fruit, il l'émonde, afin qu'il en porte davantage encore. 3Déjà vous êtes émondés par la parole que je vous ai dite. 4Demeurez en moi comme je demeure en vous ! De même que le sarment, s'il ne demeure sur la vigne, ne peut de lui-même porter du fruit, ainsi vous non plus si vous ne demeurez en moi. 5Je suis la vigne, vous êtes les sarments : celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là portera du fruit en abondance car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire. 6Si quelqu'un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors comme le sarment, il se dessèche, puis on les ramasse, on les jette au feu et ils brûlent. 7Si vous demeurez en moi et que mes paroles demeurent en vous, vous demanderez ce que vous voudrez, et cela vous arrivera. 8Ce qui glorifie mon Père, c'est que vous portiez du fruit en abondance et que vous soyez pour moi des disciples.

9Comme le Père m'a aimé, moi aussi je vous ai aimés ; demeurez dans mon amour. 10Si vous observez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, comme, en observant les commandements de mon Père, je demeure dans son amour.11« Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite.

12Voici mon commandement : aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. 13Nul n'a d'amour plus grand que celui qui se dessaisit de sa vie pour ceux qu'il aime. 14Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande. 15Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur reste dans l'ignorance de ce que fait son maître ; je vous appelle amis, parce que tout ce que j'ai entendu auprès de mon Père, je vous l'ai fait connaître. 16Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, c'est moi qui vous ai choisis et institués pour que vous alliez, que vous portiez du fruit et que votre fruit demeure : si bien que tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous l'accordera. 17Ce que je vous commande, c'est de vous aimer les uns les autres.

- Mt 25, 14-30

« En effet, il en va comme d'un homme qui, partant en voyage, appela ses serviteurs et leur confia ses biens. 15A l'un il remit cinq talents, à un autre deux, à un autre un seul, à chacun selon ses capacités ; puis il partit. Aussitôt 16celui qui avait reçu les cinq talents s'en alla les faire valoir et en gagna cinq autres. 17De même celui des deux talents en gagna deux autres. 18Mais celui qui n'en avait reçu qu'un s'en alla creuser un trou dans la terre et y cacha l'argent de son maître. 19Longtemps après, arrive le maître de ces serviteurs, et il règle ses comptes avec eux. 20Celui qui avait reçu les cinq talents s'avança et en présenta cinq autres, en disant : “Maître, tu m'avais confié cinq talents ; voici cinq autres talents que j'ai gagnés.” 21Son maître lui dit : “C'est bien, bon et fidèle serviteur, tu as été fidèle en peu de choses, sur beaucoup je t'établirai ; viens te réjouir avec ton maître.” 22Celui des deux talents s'avança à son tour et dit : “Maître, tu m'avais confié deux talents ; voici deux autres talents que j'ai gagnés.” 23Son maître lui dit : “C'est bien, bon et fidèle serviteur, tu as été fidèle en peu de choses, sur beaucoup je t'établirai ; viens te réjouir avec ton maître.” 24S'avançant à son tour, celui qui avait reçu un seul talent dit : “Maître, je savais que tu es un homme dur : tu moissonnes où tu n'as pas semé, tu ramasses où tu n'as pas répandu ; 25par peur, je suis allé cacher ton talent dans la terre : le voici, tu as ton bien.” 26Mais son maître lui répondit : “Mauvais serviteur, timoré ! Tu savais que je moissonne où je n'ai pas semé et que je ramasse où je n'ai rien répandu. 27Il te fallait donc placer mon argent chez les banquiers : à mon retour, j'aurais recouvré mon bien avec un intérêt. 28Retirez-lui donc son talent et donnez-le à celui qui a les dix talents. 29Car à tout homme qui a, l'on donnera et il sera dans la surabondance ; mais à celui qui n'a pas, même ce qu'il a lui sera retiré. 30Quant à ce serviteur bon à rien, jetez-le dans les ténèbres du dehors : là seront les pleurs et les grincements de dents.”


Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 22/07/12

« Demeurer en Christ », « porter du fruit »… qu’est-ce que cela signifie ? Qu’est-ce que Dieu attend de nous précisément ? Et qu’est-ce que ce passage de l’évangile peut nous dire, aujourd’hui, de notre condition de croyants ?

En employant la métaphore de la vigne, déjà utilisée dans l’Ancien Testament, le rédacteur de l’évangile de Jean recourt à un symbole très connu dans tout le Proche-Orient ancien.

S’il reprend cette image – d’une façon nouvelle – c’est pour nous expliquer que la vie chrétienne se situe dans un tissu relationnel, dans un réseau de relations :
D’une part, il expose la relation fondamentale qui lie le vigneron [Dieu], la vigne [le Christ] et les sarments [les disciples]. Et, d’autres part, il établit un rapport vital entre les sarments et la vigne : entre les disciples et le Christ.
C’est ce lien… cet attachement vital… entre les sarments et la vigne qui permet aux disciples de ne pas se dessécher (v.6) et de porter du fruit (v.5).

Alors… quel est le rôle des différents éléments dans cette image de la vigne ?

- le vigneron
En qualifiant Dieu de vigneron, Jésus en fait le propriétaire de la vigne. Il affirme ainsi sa dépendance vis-à-vis de Dieu.
Comme dans « le chant de la vigne » du livre d’Esaïe (Es 5), l’activité de Dieu consiste dans son jugement.
Bien souvent, nous n’aimons pas trop cette idée de jugement.
Pourquoi ? Peut-être parce qu’elle nous fait peur… ou peut-être parce que nous ne la comprenons pas.
Si nous avons du mal à concilier l'image d'un Dieu Amour avec celle d'un Dieu Juge, c'est parce que nous ne voyons pas toujours que ce jugement est connecté à l'amour... qu'il porte sur l'amour (cf. Mt 25, 31-46). 
Si nous avons du mal à accepter la pensée d’un Dieu Juge, c’est parce que nous ne faisons pas forcément de lien entre la volonté, le projet du vigneron et son jugement, son action.
Or, tout jugement, dont on ne sait pas sur quoi il repose, sur quelle loi il se fonde, demeure incompréhensible.
Ici, Jésus nous montre que ce jugement n’est pas celui d’un maître partial, d’un juge arbitraire, mais qu’il dépend de l’adéquation – ou de l’inadéquation – des sarments à la volonté du vigneron … de la réponse des sarments à la sollicitude du viticulteur.
Jésus nous donne l’image d’un viticulteur qui aime sa vigne… qui s’occupe d’elle avec soin. Il opère la taille. Il détermine la formation des sarments sur le cep, pour une bonne productivité.
Le rôle du vigneron est d’enlever les sarments improductifs et d’émonder (c’est-à-dire de purifier, de nettoyer, d’élaguer) ceux qui sont productifs, afin qu’ils produisent plus de fruits.
Le dessein de Dieu est donc la fructification. Son action a pour but d’obtenir davantage de fruits. Son jugement répond à cette volonté de croissance.
C’est en portant un fruit abondant que les sarments [les disciples] rendent gloire au vigneron.

- la vigne
En se présentant comme la « vraie vigne », le Christ occupe la même place qu’Israël dans la tradition biblique (cf. Es 5). Pour Jean, cela signifie que le Christ est objet de l’élection divine. Il appartient à Dieu ; il a été choisi par lui ; il est en relation étroite avec lui.
Il est le lieu de la présence de Dieu. Comme la vigne révèle le travail du vigneron, le Christ révèle l’agir de Dieu.

- les sarments
Les sarments – les rameaux verts, les jeunes pousses de la vigne – sont la figure des croyants.
D’une part, ils appartiennent à la vigne ; de l’autre, ils en sont distingués.
Les sarments [les disciples] portent du fruit, dans la mesure où ils restent attachés à la vigne [au Christ], où ils se nourrissent en elle, où ils puisent en elle la sève de la vie.
Cet attachement nécessaire des sarments à la vigne est une image adressée aux disciples, afin qu’ils demeurent en Christ.

A travers cette métaphore, l’évangéliste Jean entend dénoncer l’illusion de l’autonomie ou de l’autosuffisance du croyant, qui croit qu’il peut être chrétien tout seul dans son coin, en ne s’appuyant que sur lui-même.
(Des Chrétiens isolés, des croyants solitaires, qui prétendent pouvoir se passer des autres ou d’une église… on en connaît un certain nombre autour de nous.)
Pour Jean, c’est une erreur. Le croyant, qui pense pouvoir porter du fruit tout seul, en ne comptant que sur ses propres forces, est condamné à la sécheresse et à l’échec.

Mais essayons d’aller plus loin. Que veut dire ici ce « demeurer en Christ » qui permet de « porter du fruit » ?

« Demeurer en Christ », cela signifie recevoir la parole proclamée et réalisée par le Christ (v.3), s’enraciner fidèlement dans cette parole (v.7a) et dans la relation à Dieu, par la prière (v.7b).
Cette prière est promise à l’exaucement, dans la mesure où elle orientée par le Christ (v.7), faite en son nom (v.16).

Il s’agit donc – et avant tout – de recevoir, dans la foi, dans notre existence, la parole communiquée par Jésus.

Mais comment comprendre précisément cette affirmation : « Déjà, vous êtes purs – émondés – à cause de la parole que je vous ai dite » (v.3) ?...  et qu’est-ce que cela veut dire exactement de vivre dans la fidélité à la parole de Jésus (v.7a) ?

En parlant de ce qui « purifie » les disciples, Jésus désigne quelque chose qui est déjà réalisé (v.3).
La pureté – permettant l’accès à Dieu et la communion avec lui – résulte du don de la parole de Jésus, le Révélateur de Dieu.
La pureté ne dépend pas d’un acte cultuel ou d’un rite à accomplir. Mais elle nous est donnée. Elle consiste dans le fait de recevoir la parole, comme un don offert… et d’accepter de s’ancrer en elle.

La « parole » désigne ici « une parole en actes », une parole créatrice et agissante (cf. Jn 1)… une parole qui fait ce qu’elle dit. C’est la Parole de Dieu – son dessein de salut – qui se révèle en Jésus Christ.
Le Christ demande de demeurer fidèle à sa parole, qui est une parole d’amour réalisée.

Plus loin, dans notre passage, Jésus fait allusion aux œuvres d’amour inhérentes à la foi, à la fidélité en son enseignement, à son commandement d’amour mutuel, qui a son fondement et son modèle dans le Christ lui-même, qui s’est totalement donné par amour (v. 12 & 13).

Si Jésus peut donner ce commandement à ses disciples, s’il peut leur demander de rester attachés à sa parole (v.7), de demeurer dans son amour (v.9), c’est parce que lui-même réalise et accomplit cette parole, c’est parce qu’il donne ce qu’il commande.
Ainsi… en restant attachés au Christ… les disciples sont sûrs de demeurer dans l’amour de Dieu… dans l’amour que le Christ a reçu de Dieu et transmis autour de lui, par sa parole agissante, par sa vie, par le don de soi.

En d’autres termes, « être purifié », c’est recevoir la parole qui s’offre en Jésus Christ… c’est se laisser travailler et émonder … se laisser tailler et sculpter… par cette parole.
« Vivre en Christ », c’est demeurer uni à lui dans son amour, pour continuer son œuvre… puisque la vigne et les sarments ont la même mission : porter du fruit, pour glorifier le Père… pour que l’amour de Dieu soit rendu manifeste à travers nos œuvres, pour que Dieu soit honoré dans le monde, grâce à l’action commune du Christ et des disciples.

Les disciples ne sont donc pas invités à atteindre un but particulier ou une performance religieuse, mais à rester attachés dans la durée – dans le présent de la foi – à la relation que le Christ a noué avec eux par le don de la parole (par la parole qu’il a dite et réalisée par le don de lui-même).
Les fruits apparaîtront en abondance dans la mesure où les croyants demeureront fidèles à cette parole, à l’ensemble de l’enseignement de Jésus, à son commandement d’amour du prochain.

La relation entre le Christ et les disciples est donc placée sous le signe de la promesse. La relation au Christ est synonyme de fécondité. Les fruits de l’Evangile sont les œuvres de l’amour.

La deuxième partie de notre passage nous révèle ce qui fonde exactement ces œuvres d’amour (v.9-17). 
Il ne s’agit pas seulement d’être fidèle à une valeur éthique générale (ou humaniste) qui serait l’amour, mais d’accepter de fonder son existence sur l’amour de Dieu, dont le Christ a été le bénéficiaire… qu’il a transmis et manifesté au monde… et dont tous les hommes, à leur tour, ont été les bénéficiaires.

Ce qui fonde le lien entre la vigne et les sarments… ce qui fonde l’amour de Jésus pour ses disciples… c’est l’amour du vigneron… l’amour de Dieu, l’amour que le Christ a lui-même reçu de Dieu et transmis aux siens (v.9).

Ce qui fonde le lien entre les sarments, entre les disciples, entre nous… ce qui fonde le commandement d’amour mutuel, les uns pour les autres… c’est le « comme je vous ai aimé » de Jésus Christ (v.12)… c’est l’amour que le Christ a manifesté par le don de lui-même… jusqu’à donner sa vie par amour pour ses amis.

L’image de la vigne décrit donc une chaîne d’amour qui passe du vigneron [de Dieu, le fondement et le modèle de l’amour], à la vigne [c’est-à-dire au Christ], pour atteindre les sarments [les disciples], lesquels produisent les fruits de l’amour, qui rendent gloire au vigneron.

Les rapports « vigneron – vigne » [Père – Fils] et « vigne – sarments » [Fils – disciples] sont fondés sur l’amour qui vient du vigneron (v.9).
En faisant de Jésus son Révélateur, l’objet et le sujet de son amour, Dieu révèle son visage… sa volonté de salut pour les hommes : sa sollicitude, sa bonté, sa générosité.
Jésus Christ appelle les disciples à demeurer dans cet amour qui vient de Dieu.

L’évangile de Jean nous livre donc une image positive du vigneron, en mettant l’accent sur la volonté bonne de Dieu – la fructification – et en rappelant que Dieu donne aux disciples les moyens de connaître et d’accomplir sa volonté, en écoutant la Parole, en demeurant en Christ.
Ce qui motive le jugement du vigneron – amené à enlever les sarments improductifs et à tailler les sarments productifs – c’est l’amour de Dieu pour sa vigne, pour le Christ et les disciples qui lui sont attachés (cf. Jn 15, 9 ; 16, 27).
Cela indique que la justice du vigneron – sa manière d’agir, sa faculté de discernement et de jugement – est inséparable de son amour… de sa volonté de voir fructifier partout cet amour.

* Cette réflexion sur l’image du vigneron me permet d’ouvrir une parenthèse :

A côté de ce passage de l’évangile de Jean, nous avons aussi entendu la parabole des « serviteurs » – ou parabole des « talents » – dans l’évangile de Matthieu (cf. Mt 25, 14-30).
Je crois qu’on peut utiliser cette métaphore de la vigne pour mieux comprendre la parabole.

Dans cette histoire des deux serviteurs fidèles et du mauvais serviteur, on a parfois du mal à saisir le jugement du maître : pourquoi celui-ci enlève-t-il finalement le seul talent qui avait été confié au serviteur craintif, pour le donner à celui qui en a déjà reçu dix ?
Cela peut nous paraître contestable ou injuste à vue humaine.

Pour comprendre la réaction du maître à son retour, il faut se fier à sa volonté, à ce qui est attendu des serviteurs.
Si le maître remet un capital aux serviteurs, c’est pour qu’il ne reste pas improductif, c’est pour qu’ils le fassent fructifier.
Le maître fait œuvre de confiance vis-à-vis de ses serviteurs en leur confiant son patrimoine.

Le problème du mauvais serviteur, du serviteur inutile, c’est qu’il n’a pas compris le dessein du maître. Il n’accepte pas le don qui lui est fait. Il a peur du maître ; il est paralysé par la crainte du jugement.

Au moment de rendre des comptes, au moment où il rend au maître son unique talent, on voit qu’il s’est mépris sur l’intention profonde dans laquelle la somme lui avait été confiée.
Il n’a eu confiance ni dans la confiance du maître, ni en lui même. Il s’est complètement trompé au sujet de son maître. Il n’a pas compris qu’elle était sa volonté – la multiplication des talents confiés : de l’amour qu’il devait faire croître – et c’est pour cela qu’il n’a pas agit dans le bon sens, qu’il n’a pas fait un bon usage du don confié.
En réalité, au lieu de spéculer sur son maître, il aurait mieux fait de se renseigner, pour agir conformément à sa volonté.

A la fin, si l’unique talent confié lui est retiré, c’est en vue de le remettre à un autre qui aura répondu positivement à son maître, et qui saura le faire fructifier.

C’est donc la réponse – ou la non réponse – des serviteurs qui conditionne le jugement : Parce qu’il n’a rien fait, le serviteur inutile s’est lui-même privé de ce qu’il avait.
[Parce qu'il n'a pas voulu être un sarment productif attaché à la vigne du Seigneur, il s'est lui-même sclérosé et desséché.]

La logique de la parabole se porte en réalité sur ce qui est attendu par Celui qui donne à tous ses talents : les dons sont confiés à chacun dans le but de la multiplication des fruits de l’amour.
Dieu souhaite récolter du fruit en abondance. Il offre à l’homme de s’inscrire dans cette volonté de croissance et de surabondance de l’amour. Mais si l’homme ne répond pas à la volonté de Dieu, à sa volonté de démultiplication de l’amour, Dieu se réserve la possibilité de confier ses talents à d’autres, à ceux qui s’accordent à sa volonté : à ceux qui mettent tout en œuvre pour faire progresser le Royaume, le monde nouveau de Dieu.

La question que soulèvent nos deux passages – l’image de la vigne (Jn 15, 1-17) et la parabole des talents (Mt 25, 14-30) – relève de la connaissance et de l’obéissance (de la mise pratique des commandements de Dieu).
Comment obéir à Dieu si on ne sait pas qui il est, si on ne connaît pas sa volonté ?
Concrètement… comment connaître la volonté de Dieu… comment découvrir son amour et porter du fruit ?
Jésus nous donne la réponse : grâce à lui, grâce à sa parole, qui nous permet de garder les commandements du Père, d’obéir à Dieu.

Je ferme ici cette parenthèse avec la parabole des talents.
Avant de conclure….écoutons encore ce passage de l’évangile de Jean.*

« Si vous observez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour […].
Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite.
Voici mon commandement : aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés.
Nul n’a d’amour plus grand que celui qui se dessaisit de sa vie pour ceux qu’il aime » (Jn 15, 10-13).

L’évangéliste nous révèle ce que signifie « demeurer dans l’amour du Christ » (v.10).
« Demeurer dans l’amour » consiste à être fidèle aux commandements de Jésus.
Le contenu des commandements est ramené à l’essentiel : il s’agit de l’exigence de l’amour mutuel (v.12 & 17).

Jésus rappelle qu’il s’agit d’un commandement… c’est-à-dire d’une attente de la part de Dieu… d’un appel… qui implique une réponse, un changement d’être, une transformation de notre vie relationnelle. En même temps, il précise que cette attitude nouvelle (cf. Jn 13, 34), cet amour mutuel est générateur de joie.
En transmettant l’amour du Christ, qui émane de Dieu, les disciples sont appelés à joie (v.11), à la joie véritable qui se découvre dans l’amitié fraternelle.

Enfin, dans notre passage, l’évangéliste nous livre une des caractéristiques fondamentales de l’amour selon Jésus. L’amour s’exprime dans le don, le don de soi (v.13).

Le Christ qui s’est donné par amour… [amour qui a rencontré l’hostilité et la peur des autorités religieuses et politiques qui l’ont condamné à mort sur la croix] … le Christ est le modèle de ce que l’homme vivant en communion avec Dieu peut faire par amour.
Le don de soi, jusqu’au don suprême de sa vie, est une manifestation de l’amour de Dieu… de la puissance de cet amour… de l’Esprit d’amour dont Jésus Christ était le porteur.

Ce que l’exemple du Christ rappelle aux auditeurs de l’Evangile – à nous, ce matin – c’est qu’il n’y a pas d’amour véritable sans engagement en faveur de l’autre, sans don de soi.
Le Christ nous invite à placer notre existence dans cet élan et dans cette perspective : celle de l’amour… du don… de l’engagement en faveur du prochain.

Conclusion : Alors, pour conclure, qu’est-ce que ce passage de l’évangile nous a appris de notre condition de croyants ?

L’existence croyante ne consiste pas dans l’adhésion abstraite à un dogme, mais dans un engagement existentiel à demeurer en Christ, qui s’exprime dans l’amour des autres.

Pour l’évangéliste Jean, « porter du fruit » et « aimer » sont indissociables.

Demeurer en Christ – dans son amour – consiste à ce que les paroles de Jésus demeurent vivantes et actives en nous.
La fidélité, la relation de foi repose sur la Parole. Elle se tisse par l’entremise d’un langage qui exprime la volonté de Dieu et qui est destiné à être entendu et compris.
Cela signifie que nous devons sans cesse prendre appui sur la Parole libératrice de Dieu ; nous en imprégner, nous en nourrir, pour la vivre pleinement.

Autrement dit, la lecture et la méditation de l’évangile ne sont pas facultatives pour les disciples du Christ. Elles sont nécessaires pour demeurer fidèlement attaché au Christ (venu révéler et accomplir la Parole de Dieu).
Jésus affirme que la connaissance de la volonté de Dieu fait de nous des enfants, des collaborateurs, des mandataires de Dieu, et non plus seulement ses serviteurs (v.14 & 15).
C’est en nous appuyant sur la Parole, que nous pourrons porter du fruit en abondance, pour glorifier notre Père, pour rendre visible le dessein de Dieu : sa volonté d’amour et de salut pour le monde.

Chers amis… Frères et Sœurs… Dieu le Père, le vigneron, a décidé de faire de nous ses enfants, les sarments de sa vigne… il nous a choisi pour produire du fruit en abondance… pour rendre sa vigne féconde.
Alors… qu’il nous soit donné de nous enraciner dans la Parole et dans l’amour de Dieu, pour puiser à la source la sève de la vie, afin de produire autour de nous les fruit de l’amour, qui ont le goût de la joie. 
Amen.

dimanche 15 juillet 2012

Joie, prière et gratitude

Joie, prière et gratitude (1 Th 5, 1-18)

Lectures bibliques : Jn 15, 5-12 ; Rm 8, 35-39 ; 1 Th 5, 1-18 [1] 
Volonté de Dieu : Ph 4, 4-7
Thématique : « Soyez toujours dans la joie, priez sans cesse, rendez grâce en toute circonstance » (1 Th 5, 16-18)

Prédication = voir ci-dessous, après les lectures

Jn 15, 5-12 ; Rm 8, 35-39 ; 1 Th 5, 1-18

- Jn 15, 5-12

Je suis la vigne, vous êtes les sarments : celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là portera du fruit en abondance car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire. 6Si quelqu'un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors comme le sarment, il se dessèche, puis on les ramasse, on les jette au feu et ils brûlent. 7Si vous demeurez en moi et que mes paroles demeurent en vous, vous demanderez ce que vous voudrez, et cela vous arrivera. 8Ce qui glorifie mon Père, c'est que vous portiez du fruit en abondance et que vous soyez pour moi des disciples. 9Comme le Père m'a aimé, moi aussi je vous ai aimés ; demeurez dans mon amour. 10Si vous observez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, comme, en observant les commandements de mon Père, je demeure dans son amour.

11Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite. 12Voici mon commandement : aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés.

- Rm 8, 35-39

Qui nous séparera de l'amour du Christ ? La détresse, l'angoisse, la persécution, la faim, le dénuement, le danger, le glaive ? 36selon qu'il est écrit : A cause de toi nous sommes mis à mort tout le long du jour, nous avons été considérés comme des bêtes de boucherie37Mais en tout cela, nous sommes plus que vainqueurs par celui qui nous a aimés. 38Oui, j'en ai l'assurance : ni la mort ni la vie, ni les anges ni les dominations, ni le présent ni l'avenir, ni les puissances, 39ni les forces des hauteurs ni celles des profondeurs, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu manifesté en Jésus Christ, notre Seigneur.

- 1 Th 5, 1-18

Quant aux temps et aux moments, frères, vous n'avez pas besoin qu'on vous en écrive. 2Vous-mêmes le savez parfaitement : le jour du Seigneur vient comme un voleur dans la nuit. 3Quand les gens diront : « Quelle paix, quelle sécurité ! », c'est alors que soudain la ruine fondra sur eux comme les douleurs sur la femme enceinte, et ils ne pourront y échapper. 4Mais vous, frères, vous n'êtes pas dans les ténèbres, pour que ce jour vous surprenne comme un voleur. 5Tous, en effet, vous êtes fils de la lumière, fils du jour : nous ne sommes ni de la nuit, ni des ténèbres. 6Donc ne dormons pas comme les autres, mais soyons vigilants et sobres. 7Ceux qui dorment, c'est la nuit qu'ils dorment, et ceux qui s'enivrent, c'est la nuit qu'ils s'enivrent ; 8mais nous qui sommes du jour, soyons sobres, revêtus de la cuirasse de la foi et de l'amour, avec le casque de l'espérance du salut.

9Car Dieu ne nous a pas destinés à subir sa colère, mais à posséder le salut par notre Seigneur Jésus Christ, 10mort pour nous afin que, veillant ou dormant, nous vivions alors unis à lui. 11C'est pourquoi, réconfortez-vous mutuellement et édifiez-vous l'un l'autre, comme vous le faites déjà.

12Nous vous demandons, frères, d'avoir des égards pour ceux qui parmi vous se donnent de la peine, veillent sur vous dans le Seigneur et vous reprennent ; 13ayez pour eux la plus haute estime, avec amour, en raison de leur travail. Vivez en paix entre vous.

14Nous vous y exhortons, frères : reprenez ceux qui vivent de manière désordonnée, donnez du courage à ceux qui en ont peu ; soutenez les faibles, soyez patients envers tous. 15Prenez garde que personne ne rende le mal pour le mal, mais recherchez toujours le bien entre vous et à l'égard de tous.

16Soyez toujours dans la joie, 17priez sans cesse, 18rendez grâce en toute circonstance, car c'est la volonté de Dieu à votre égard dans le Christ Jésus.


Prédication de Pascal LEFEBVRE / Marmande, le 15/07/12  / Culte avec baptême

Nous méditons aujourd’hui sur le thème de la « joie ». C’est un thème difficile à aborder à cause de l’image qu’on plaque généralement sur les Chrétiens et en particulier sur les Protestants, souvent perçus comme des gens tristes, austères, sévères ou rigoureux.
Si on prend au sérieux cette réputation… qui a peut-être quelques fondements… il faut nous demander d’où vient notre manque de joie… tient-il au fait que nous sommes Chrétiens ou au fait que nous ne le sommes pas assez ?

Précisément… c’est à la joie que nous sommes appelés :
« Soyez toujours dans la joie, priez sans cesse, rendez grâce en toute circonstance » – dit l’apôtre Paul (1 Th 5, 16-18).
Mais peut-on véritablement exhorter quelqu’un, une personne ou une communauté, à être joyeux ?
La joie ne se commande pas. Comment Paul peut-il nous demander d’être « toujours dans la joie » ? … comme s’il était possible d’être joyeux en toutes circonstances.

Pour tenter de répondre à cette question, il faut comprendre de quelle « joie » parle l’apôtre.

La joie à laquelle Paul appelle la communauté de Thessalonique et à laquelle il nous appelle aujourd’hui, en ce jour de baptême, n’est pas forcément ce que nous mettons habituellement derrière le mot « joie ».
Ce n’est pas un sentiment de gaieté, de bonne humeur ou d’optimisme béat.
Ce n’est pas la joie d’un instant de franche rigolade.
Ce n’est pas non plus une émotion liée à la satisfaction d’un désir.

Pour comprendre la « joie » profonde et véritable à laquelle Paul nous appelle, il faut envisager le contexte de cette lettre adressée aux Thessaloniciens.

L’apôtre vient de fonder cette église, mais il a dû partir précipitamment pour ne pas être arrêté (cf. Ac 17). Pour ne pas laisser la toute jeune communauté, seule, au milieu des épreuves et des persécutions, Paul lui envoie Timothée, afin de l’affermir et de l’encourager dans la foi.
De retour, Timothée fait un compte rendu réjouissant de la foi et de l’amour fraternel que vit cette communauté (1 Th 2, 17 – 3, 13).

Cependant, des questions et des préoccupations animent les membres de cette nouvelle église (1 Th 4 & 5).
Dans l’enseignement qu’il avait transmis aux Thessaloniciens, Paul avait annoncé la venue prochaine du Seigneur, sa parousie. Mais, en entre temps, durant cette longue attente, certains membres de la communauté sont morts. Alors une question brûlante se pose à elle : Qu’adviendra-t-il de ceux qui viennent de mourir ? Sont-ils morts trop tôt ? Seront-ils réunis au Seigneur lors de sa venue ? Seront-ils sauvés ?
D’autre part, si des proches, des frères et des sœurs, sont décédés avant que n’intervienne la parousie (la venue du Seigneur), celle-ci viendra-t-elle effectivement ? Faut-il toujours l’attendre ?

Le contexte de cette lettre est celui d’une communauté confrontée à la question de la mort… une communauté ébranlée, fragilisée, face à l’épreuve du deuil… une communauté qui s’interroge sur son espérance.

Paul répond à ces interrogations. Il rappelle l’espérance chrétienne de la résurrection des morts, à la suite de celle de Jésus Christ (1 Th 4, 13-18). Cette espérance, c’est celle de demeurer toujours en communion avec le Seigneur (1 Th 4, 17).
Dans l’attente du jour du Seigneur (de sa venue), il appelle la communauté à rester vigilante (1 Th 5, 1-11)… Il invite ses membres à s’édifier et à se réconforter mutuellement (1 Th 4, 18 ; 5, 11).

C’est dans ce contexte d’insécurité et d’interrogations…alors que Paul redoute, pour lui-même, la persécution et la mort… que l’apôtre des nations s’attache à soutenir la jeune communauté en rappelant le fondement de son espérance.

Devant les épreuves, devant la mort, au fond du désespoir, un choix s’impose : renoncer, abandonner, se laisser sombrer… ou espérer en Dieu, confesser le Christ Ressuscité, croire contre toute espérance… croire malgré les angoisses et les épreuves… croire en l’agir de Dieu, en son amour manifesté en Jésus Christ… en cet amour dont rien ne peut nous séparer… pas même la mort (Rm 8, 35-39).

En témoignant de son espérance, Paul finit sa lettre par quelques exhortations : il demande aux membres de la jeune église de « donner du courage à ceux qui en ont peu », de « soutenir les faibles », … de « demeurer dans la joie », de « prier sans cesse » et de « rendre grâce » (1 Th 5, 14-18).

En regardant le cadre dans lequel Paul écrit cette lettre, on devine que la « joie » dont il parle, ne correspond pas à une émotion ou un sentiment de satisfaction personnelle. Ce n’est pas une joie solitaire.
C’est une « joie » à partager, qui s’adresse au « nous » collectif de la communauté.

Alors, ce matin, je voudrais que nous prenions quelques instants pour réfléchir à ce qui peut bien fonder et motiver cette « joie » évangélique à laquelle Paul appelle les disciples du Christ.

(1) La première chose qu’on peut remarquer – on vient de le dire – c’est que cette « joie » doit être partagée. Ce n’est pas une joie égoïste. Elle n’est pas liée à la satisfaction d’un plaisir personnel.
La véritable joie n’a pas un caractère individualiste ; elle ne surgit pas dans notre petit coin, tout seul. Elle a une dimension plus large. Elle est liée à notre relation avec Dieu et avec notre prochain.

Pour illustrer cette affirmation, je vous propose de sortir un instant de cette épître de Paul et de prendre appui sur la parabole dite du « fils prodigue » ou « des deux fils ». Dans cette histoire bien connue, comme dans beaucoup d’autres, la joie surgit dans la relation à l’autre, au moment où le père retrouve son fils perdu. Et là… un peu comme Paul avec les Thessaloniciens… le père de la parabole exhorte son autre fils à accueillir cette joie, à changer de regard, à s’ouvrir à la compassion, à la miséricorde et à l’amour.
« Il fallait bien faire la fête et se réjouir, car ton frère que voici était mort, et il a repris vie ; il était perdu, et il a été retrouvé ! » (Lc 15, 32).
Le Père appelle ici son fils aîné à se réjouir, à rendre grâce à Dieu… un peu comme Paul exhorte la communauté de Thessalonique à demeurer dans la joie et l’action de grâce.

(2) La deuxième chose – la plus essentielle concernant cette « joie » – c’est de rappeler ce qui la fonde.
(2a) Le fondement de la joie du chrétien est extérieur à lui-même. Ce fondement, c’est l’espérance du salut (1 Th 5, 8).

La joie évangélique, ce n’est pas la joie du « naïf » qui croit que rien ne peut lui arriver, parce qu’il n’est jamais tombé, parce qu’il a toujours échappé à toutes les épreuves de l’existence.
Ce n’est pas la joie de celui qui se croit protégé de tout, par l’action de la chance, de la bonne fortune ou d’un « dieu parapluie » qui le protégerait de l’adversité.

La joie évangélique, ce n’est pas non plus la fausse joie du « résigné », de celui qui se persuade de rester « zen » et « joyeux » alors qu’en réalité, il s’est résigné au malheur, il a abandonné, il a renoncé à la « joie », en se laissant écraser sous le poids des épreuves, en cessant d’espérer l’advenue de quelque chose d’autre dans sa vie.

Paul ne nie pas la réalité des épreuves, la réalité des persécutions et de la mort, mais il invite ses frères et sœurs à voir plus loin… à voir au delà du malheur qui nous accable, à croire en un dépassement possible de cette réalité.
Ce qui rend ce dépassement possible… ce qui fonde la possibilité de la « joie », c’est l’espérance.

On le voit clairement dans cette lettre, parce que Paul oppose la « joie » de ceux vivent dans l’espérance (1 Th 4, 18 ; 5, 8-11.16-18) à la « tristesse » de ceux « qui n’ont pas d’espérance » (1 Th 4, 13).

Cette espérance qui ouvre la possibilité de la « joie » véritable, c’est l’espérance que Dieu agira quoi qu’il arrive, qu’il aura le dernier mot par-delà l’épreuve à traverser… c’est l’espérance que rien, qu’aucune situation, ne peut nous séparer de l’amour de Dieu (cf. Rm 8, 35-39).

Cette espérance relativise toutes les situations, et les rend, d’une certaine manière, provisoires. Même là où un malheur paraît définitif, il ne constitue pas la réalité dernière, mais une réalité avant-dernière, au regard de la possibilité de l’agir divin.
Seule l’action de Dieu a une importance ultime et éternelle.

(2b) Alors… si la « joie » est fondée sur « l’espérance »… on peut aller plus loin… et se demander sur quoi repose elle-même cette espérance (?)

L’ espérance du salut (1 Th 5, 8-11) repose sur la foi du Christ.
Elle est fondée sur la confiance en Dieu, sur la confiance que vivait Jésus en celui qu’il appelait son Père.
Confesser le Christ, vivre « en Christ », c’est prendre part à cette confiance du Christ… à la confiance que Jésus avait en son Père.

Pour Paul, la résurrection atteste du bien-fondé de l’espérance chrétienne. Elle constitue la justification de cette confiance du Christ.
La résurrection signifie que Jésus a eu raison de faire confiance à Dieu. Elle confirme le bien fondé de la foi du Christ en la justice providentielle de Dieu.

Parce que Dieu le Père a révélé sa puissance de vie et de résurrection en Jésus Christ, parce qu’il a relevé de la mort cet homme juste qui avait mis toute sa confiance en Lui (en aimant jusqu’à la croix), nous pouvons, nous aussi, nous enraciner dans la même confiance.
En suivant les pas du Christ, en vivant dans la même confiance en Dieu, nous partageons la même espérance que Jésus. Nous vivons dans l’assurance du croyant : celle que Dieu a le pouvoir de transformer les situations et les êtres… celle que Dieu justifiera, légitimera, confirmera… qu’il rendra justice à tous ceux qui placent en Lui leur foi et leur espérance.

Pour Paul, c’est cette espérance qui est le fondement de la « joie » véritable. C’est la « joie » de se savoir en communion avec Dieu… aimé et pardonné sans condition… et c’est la « joie » de répondre à l’amour de Dieu dans la foi.

- pause musicale -

(3) La joie est donc ancrée dans « la foi » et « l’espérance ». Mais est-ce suffisant pour atteindre la joie dans toute sa profondeur ?

Le passage de l’évangile de Jean que nous avons entendu, nous donne indication supplémentaire et vient compléter la triade paulinienne – foi, espérance et amour – en mettant en relief « l’amour » sans lequel il n’y a pas de « joie ».

« Comme le Père m'a aimé, moi aussi je vous ai aimés ; demeurez dans mon amour. Si vous observez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, comme, en observant les commandements de mon Père, je demeure dans son amour.
Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite » (Jn 15, 9-11).

Pour Jean, vivre dans la « joie », c’est demeurer dans l’amour du Christ, c’est observer la volonté de Dieu, ses commandements.
Autrement dit… c’est chercher d’abord le Royaume et la justice de Dieu (Mt 6, 33).
La joie est intrinsèquement liée à l’amour du prochain (Jn 15, 11-17 ; voir aussi 1 Th 4, 9). Elle est le fruit de l’amour.

Comme l’amour, la joie se reçoit et se transmet… la joie demande à être partagée…. elle est contagieuse.
Partager, transmettre la joie, c’est être porteur de foi, d’espérance et d’amour.

Mais être porteur de la Bonne Nouvelle de l’Evangile dans un monde encombré de mauvaises nouvelles est une chose difficile. Cela implique de changer notre regard… de voir plus loin… au-delà des apparences… de regarder le monde avec les lunettes de l’Evangile.
« La lampe du corps c’est l’œil. Si ton œil est sain, ton corps tout entier sera dans la lumière » (Mt 6, 22).
Pour Jésus, tout dépend de la manière dont nous regardons les choses… les évènements et les êtres qui traversent notre existence.

Encore une fois, il ne s’agit pas de nier la réalité, mais de la regarder dans une perspective plus large… pour ne pas s’arrêter à elle… pour viser plus loin… en s’attachant à ce qui la fonde et à ce qui peut l’orienter.
Regarder la vie avec les yeux de la foi nous permet de ne pas nous scléroser dans la peur, de ne pas nous immobiliser dans la répétition.
La foi est cette dynamique qui permet de continuer à cheminer… en prenant en compte la réalité… en l’intégrant et en la surmontant pour la transformer, grâce à l’appui de Dieu.

Vivre dans la foi… en cultivant l’espérance… en transmettant l’amour de Dieu autour de nous… c’est le chemin de la joie que nous propose l’Evangile… afin d’atteindre notre vocation véritable : l’accomplissement de ce que nous sommes réellement… par-delà les épreuves, les soucis et les séductions du monde, qui nous retiennent captifs à la surface des choses (cf. Mt 13, 18-23).
C’est en cherchant dans la profondeur, en dépassant la superficialité – la surface apparente des choses – qu’on trouve la force de l’espérance, qu’on découvre les vrais motifs de la joie.[2]

Pour Jésus, comme pour Paul, la joie est la forme pleine de la vie. Elle se découvre dans la foi et dans l’amour… dans la quête et l’accomplissement du sens de la vie.

La joie est l’expression de notre accomplissement central. Cet accomplissement est lié à notre « être relationnel », à l’apprentissage que nous faisons, tout au long du chemin, pour vivre en communion avec Dieu et avec nos frères.

Lorsque Paul adresse cette exhortation « Réjouissez-vous toujours », il ne demande rien d’autre que d’enraciner notre existence dans une dimension plus profonde… une dimension qui donne à la vie son véritable sens. Il nous appelle à « passer de ce qui nous semble réel, à ce qui est réellement réel »[3], lorsque nous vivons dans la relation à Dieu et dans l’amour du prochain.

(4) Alors… tout cela peut nous sembler un peu théorique.
Concrètement… comment trouver et cultiver cette joie ?

(4a) Pour cultiver la joie, Paul nous donne une piste qui a toute sa pertinence dans le monde d’aujourd’hui, où nous courrons sans cesse partout et en tout sens, en restant bien souvent dans l’immédiateté et la superficialité, sans prendre le temps de respirer, de nous ressourcer spirituellement, d’explorer la profondeur de nos attentes, de nos pensées, du sens de notre existence.

Pour demeurer dans la joie véritable… la joie du Christ… il nous faut cultiver « la reconnaissance ».
« La gratitude » est un chemin de joie.
Ceux qui savent dire « merci », contempler et discerner les bonnes et belles choses de la vie sont déjà dans la joie.

Mais, dans notre vie quotidienne, prenons-nous le temps de la contemplation et de la prière ? Prenons-nous réellement le temps de nous émerveiller devant la splendeur de la création, la chaleur de l’amitié, la tendresse de l’amour… prenons-nous réellement le temps de la gratitude dans notre for intérieur ?

(4b) « Soyez toujours dans la joie, priez sans cesse, rendez grâce en toute circonstance » (1 Th 5, 16-18).

Ce qui est intéressant dans l’exhortation de Paul, c’est le lien qu’il fait entre la « joie », la « prière » et la « gratitude ».
En unissant ces trois termes, il nous propose de les envisager comme les trois mouvements d’une même partition, comme les temps d’une même respiration.
En inscrivant la joie dans la dynamique de la relation à Dieu, Paul soutient que la prière n’est pas destinée à entretenir une forme de tristesse, mais, au contraire, à nous rendre joyeux, dans l’action de grâce.
La véritable joie n’est pas quelque chose qui nous enferme sur nous-mêmes, mais qui se découvre dans l’ouverture, comme le fait la prière, en nous ouvrant intérieurement à une extériorité.

Cette relation entre la joie, la prière et la gratitude, nous enseigne que la vie spirituelle doit être joyeuse, mais, plus encore, que la prière peut nous permettre de découvrir la joie disponible… la joie qui nous est offerte comme un don… et qu’il nous suffit d’accueillir.

En nous appelant à la joie, Paul nous invite à prendre conscience des dons que Dieu nous offre, de l’amour qu’il nous donne, du bonheur qu’il veut pour nous.
Il nous invite à vivre de la grâce de Dieu… à nous inscrire à notre tour dans le don et la gratuité avec les autres.

Prier, c’est se mettre à l’écoute de tout ce que Dieu nous donne… de la vie et de la joie qu’il nous offre… c’est accepter de nous inscrire dans cette relation d’amour avec Dieu… et c’est accepter de changer notre regard sur les autres, notre vision des personnes et des situations, en tenant compte du regard d’amour que Dieu lui-même porte sur chacun de ses enfants.

Pour Paul, la joie est liée à cet accueil que réalise la prière.
Elle s’apparente à « un état de l’être » : un état de « gratitude silencieuse »[4].

Par la prière, l’apôtre nous propose de nous inscrire à tout moment, et « en toute circonstance », dans la relation à Dieu.
Ainsi, nous sommes conscients de sa présence à chaque instant, et, dans un état de gratitude silencieuse, nous faisons l’expérience d’une élévation de la vie. Nous demeurons ouverts et présents à Dieu, et cela nous conduit du chemin de la reconnaissance aux sentiers de la joie.

(4c) Pour finir sur la notion de gratitude… et avant de conclure… il reste à nous interroger sur l’exhortation de Paul : peut-on vraiment se réjouir « en toute circonstance » ?

Précisément… Paul dit « rendez grâce en tout… en toute circonstance », et non pas « rendez grâce pour tout ».
Les occasions de gratitude sont sans limites, par contre, les choses pour lesquelles remercier sont, elles, limitées.
Il existe des situations pour lesquelles il est impossible de rendre grâce.
Il ne faut pas nier que des difficultés, des épreuves – des accidents, des maladies – viennent parfois nous frapper (nous ou nos proches) et que nous aurions évidemment préférer les éviter.
Paul ne nous demande pas d’être masochistes ou hypocrites, de rendre grâce pour ce qui est une cause de souffrance.

Les psaumes et le livre de Job nous montrent que nous pouvons nous adresser à Dieu, dans la prière, en adéquation avec les sentiments que nous éprouvons. Lorsqu’un événement surgit dans notre existence, nous pouvons aussi bien exprimer à Dieu notre reconnaissance, que notre incompréhension ou notre colère. Ce qui compte c’est d’être sincère et honnête dans notre relation à Dieu.

Ce que nous demande Paul – de « rendre grâce en toute circonstance » – n’est donc pas toujours faisable dans l’immédiateté.
La gratitude nécessite parfois du temps… un délai de maturation.
Il se peut que nous rencontrions une situation de malheur ou de souffrance pour laquelle il n’est pas question de remercier, mais de plutôt crier vers Dieu… comme le fait le psalmiste.
Cependant rien n’est figé. Quand une telle situation se débloque, nous pouvons faire l’expérience que ce qui ne laissait place qu’au mal est devenu plus tard du bien. C’est seulement là, a posteriori, que la gratitude devient possible.

Nous n’avons donc pas à nous culpabiliser si dans telle ou telle situation la gratitude nous semble impossible. Il existe plusieurs façons d’« être en relation »… de dire ou de crier notre espérance.
La gratitude nécessite parfois du temps… elle ne peut se dire qu’a posteriori.

Conclusion … Alors, pour conclure, Frères et Sœurs, que pouvons-nous retenir de cette méditation ?

L’apôtre Paul nous propose de nous enraciner dans la joie.
Cette joie n’est pas à construire par nos propres moyens, mais à recevoir.[5]
Elle est du même ordre que la foi : elle est un don… un don qui nous est offert, mais qui nous reste à accepter, à apprendre et à vivre dans le concret de notre existence.

Ce qui fonde cette joie véritable, c’est l’espérance… l’espérance du salut… fondé sur la confiance en Dieu… sur la confiance infinie en sa providence, en sa bonté, en sa justice.

Cette joie qui repose sur la confiance, se découvre et se cultive dans la prière et la gratitude.
C’est là, dans la relation à Dieu, qu’elle apparaît peu à peu, en nous guérissant de nos ennemis intérieurs, que sont la peur, l’angoisse ou la culpabilité. 

Cette joie évangélique est la forme pleine de la vie. Elle se reçoit dans l’accomplissement de notre vie relationnelle avec Dieu et avec notre prochain.
Elle s’inscrit dans la vie communautaire, dans la communion au Christ, dans l’accueil de la Bonne Nouvelle du salut, dans le partage de la fraternité.

En ce jour de baptême où nous accueillons Jérémy, comme Dieu l’a déjà accueilli… nous pouvons réentendre la promesse du Seigneur pour les siens, à travers ce passage du livre d’Esaïe :
« N’aie pas peur dit l’Eternel, car je t’ai appelé par ton nom : tu es à moi.
Si tu traverses les eaux je serai avec toi… du fait que tu as du prix à mes yeux… et que je t’aime » (Es 43, 1-4a).
Voilà la Parole qui fonde notre joie : l’assurance d’être aimé de Dieu.
Amen.


[1] Autre texte possible : Ph 4, 11b-13.
[2] La joie véritable n’a rien à voir avec la joie partielle ou superficielle obtenue par la satisfaction de nos désirs. La joie va bien au-delà du plaisir.
[3] Cf. Paul Tillich, « Le sens de la joie », in : L’Etre Nouveau, éd. Planète, p.191.
[4] Cf. Paul Tillich, « Rendez grâce en toutes choses », in : L’Eternel maintenant, éd. Planète, p.209.
[5] Ce n’est pas en nous-mêmes, ni dans le monde, que nous trouvons les motifs d’être toujours joyeux, mais en Christ, par qui nous sommes en communion avec Dieu. 

dimanche 8 juillet 2012

Lc 12, 13-21

Lc 12, 13-21 
Lectures bibliques : Lc 9, 23-27 ; Lc 18, 18-30 ; Lc 12, 13-21 
Thématique : la convoitise et le désir mimétique… choisir le bon modèle : imiter Dieu, à la suite de Jésus.

Prédication = voir plus bas, après les lectures

Lc 9, 23-27 ; Lc 18, 18-30 ; Lc 12, 13-21

- Lc 9, 23-27 

Puis [Jésus] dit à tous : « Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il se renie lui-même et prenne sa croix chaque jour, et qu'il me suive. 24En effet, qui veut sauver sa vie, la perdra ; mais qui perd sa vie à cause de moi, la sauvera. 25Et quel avantage l'homme a-t-il à gagner le monde entier, s'il se perd ou se ruine lui-même ? 26Car si quelqu'un a honte de moi et de mes paroles, le Fils de l'homme aura honte de lui quand il viendra dans sa gloire, et dans celle du Père et des saints anges. 27Vraiment, je vous le déclare, parmi ceux qui sont ici, certains ne mourront pas avant de voir le Règne de Dieu. »

- Lc 18, 18-30 

Un notable interrogea Jésus : « Bon maître, que dois-je faire pour recevoir la vie éternelle en partage ? » 19Jésus lui dit : « Pourquoi m'appelles-tu bon ? Nul n'est bon que Dieu seul. 20Tu connais les commandements : tu ne commettras pas d'adultère, tu ne commettras pas de meurtre, tu ne voleras pas, tu ne porteras pas de faux témoignage, honore ton père et ta mère. » 21Le notable répondit : « Tout cela, je l'ai observé dès ma jeunesse. » 22L'ayant entendu, Jésus lui dit : « Une seule chose encore te manque : tout ce que tu as, vends-le, distribue-le aux pauvres et tu auras un trésor dans les cieux ; puis viens, suis-moi. » 23Quand il entendit cela, l'homme devint tout triste, car il était très riche.

24Le voyant, Jésus dit : « Qu'il est difficile à ceux qui ont les richesses de parvenir dans le Royaume de Dieu ! 25Oui, il est plus facile à un chameau d'entrer par un trou d'aiguille qu'à un riche d'entrer dans le Royaume de Dieu. » 26Les auditeurs dirent : « Alors, qui peut être sauvé ? » 27Et lui répondit : « Ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu. »

28Pierre dit : « Pour nous, laissant nos propres biens, nous t'avons suivi. » 29Il leur répondit : « En vérité, je vous le déclare, personne n'aura laissé maison, femme, frères, parents ou enfants, à cause du Royaume de Dieu, 30qui ne reçoive beaucoup plus en ce temps-ci et, dans le monde à venir, la vie éternelle. »

- Lc 12, 13-21

(13) Quelqu’un lui dit du milieu de la foule : Maître, dis à mon frère de partager l’héritage avec moi. (14) Mais celui-ci lui dit : Homme ! qui m’a établi juge ou répartiteur parmi vous ? (15) Puis il s’adressa à eux : Faites attention et gardez-vous de toute cupidité, parce que, pour quelqu’un qui est dans l’abondance, la vie ne dépend pas de ses propres biens.

(16) Il leur dit une parabole, en ces termes : Le domaine d’un homme riche prospéra. (17) Il se disait en lui-même et s’adressait ces propos : Que ferai-je, puisque je n’ai pas où amasser mes produits ? (18) Et il dit : Voici ce que je ferai ; je démolirai mes greniers et j’en construirai de plus grands et j’amasserai là tout mon blé et mes biens (19) et je dirai à mon âme : Mon âme, tu possèdes beaucoup de biens, en dépôt, pour beaucoup d’années ; repose-toi, mange, bois, fais bombance ! (20) Mais Dieu lui dit : Insensé, cette nuit même ton âme t’es réclamée. Alors, ce que tu as préparé, à qui sera-t-il ? (21) Ainsi en va-t-il de celui qui récolte des trésors pour soi et ne s’enrichit pas en Dieu. 


Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 08/07/12

L’évangile nous fait réfléchir aujourd’hui à nos comportements humains les plus habituels, les plus fondamentaux.
Dans le passage que nous avons entendu nous avons deux parties distinctes : d’abord, un précepte, une sentence de Jésus, avec une mise en garde (v.13-15), puis une parabole avec sa conclusion (v.16-21).
Ces deux parties se rejoignent autour d’une même préoccupation : celle du sens de notre vie… de l’orientation que nous choisissons de lui donner.
Comment vivre ? Que doit-on chercher dans la vie ? Qu’avons nous à y semer… à y récolter ? Dans quel but ? Quelle doit être notre quête ? notre direction ? notre visée ?

(1) Le dialogue entre Jésus et un homme qui l’interpelle du milieu de la foule, répond à cette question en suscitant en nous une interrogation : De quoi… de qui dépend notre vie ? qu’est-ce qui la garantie ? Qu’est-ce qui la fonde ? (cf. Lc 12, 15)

Jésus est interpellé par un anonyme qui visiblement rencontre des difficultés pour faire valoir son bon droit, pour obtenir le partage de l’héritage familial avec son frère.
On imagine un désaccord entre deux frères au sujet des modalités de partage de l’héritage paternel.
Ce genre de situation n’est pas exceptionnel. Il s’agit d’une affaire banale et malheureusement encore fréquente aujourd’hui. Combien de familles se disputent et se divisent au moment d’un héritage ? Nous connaissons peut-être des situations analogues dans notre entourage.

L’homme qui interpelle Jésus souhaite son intervention afin de régler en sa faveur le différent qui l’oppose à son frère. Mais Jésus refuse d’intervenir et de jouer les arbitres dans ce litige, car ce qu’il veut c’est le partage et non la division.
Le refus intransigeant de Jésus laisse entendre que ce qui motive l’attitude d’un des frères est de l’ordre de la convoitise.
C’est précisément cette convoitise – le fait de se mettre au centre, de vouloir tout s’accaparer, tout ramener à soi – qui est à l’origine de la division fraternelle.

Ce qui se cache derrière le mot très fort de « cupidité » employé par Jésus, c’est le désir de possession, la soif de dominer, d’avoir plus que l’autre… quitte à usurper, à s’emparer du bien de l’autre.
Or, la convoitise c’est l’attitude que le dixième commandement proscrit. Car elle aboutit toujours à la violence : « Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain, tu ne convoiteras ni sa femme, ni son serviteur, ni sa servante, ni son boeuf, ni son âne, ni rien qui lui appartienne » (Ex 20, 17 ; Dt 5, 21).

Pour expliquer la jalousie et la rivalité entre les hommes, le philosophe René Girard parle du « désir mimétique »[1]. Le désir mimétique ce n’est pas seulement le désir de faire comme les autres, mais c’est le désir d’avoir ce que les autres possèdent, c’est le désir de s’accaparer ce que les autres désirent, c’est le désir qui désire au même endroit que l’autre… qui désire l’objet que l’autre désire… car c’est le désir de l’autre qui rend cet objet d’autant plus désirable.

Comme la convoitise, la cupidité est de l’ordre du désir mimétique. Mais puisqu’il s’agit d’un désir égoïste, excessif et mal orienté… il aboutit nécessairement à la jalousie, au ressentiment et à la division. En ce sens, on peut dire que le mimétisme conflictuel est « diabolique »… car il génère le plus souvent des comportements agressifs, des haines, des divisions, qui se résolvent dans la violence faite à autrui.
Là où mon prochain peut avoir ou désirer quelque chose, je le veux moi aussi, mais je prétends me positionner en première position, avoir la première place, y avoir droit plus que lui. C’est cette prétention prioritaire, possessive et dominante, synonyme de cupidité, qui aboutit à la rivalité entre frères.

Pour sortir de cet engrenage, du cercle de la rivalité, Jésus nous invite à changer de mentalité… à changer de quête, de désir… à ne plus prendre notre prochain comme modèle de nos désirs, mais à s’appuyer sur Dieu lui-même… à nous inscrire dans la dépendance vis-à-vis de Dieu.

Ce n’est pas par nous-mêmes, par nos propres forces, nos biens et nos possessions, que nous garantissons notre vie. Notre « être » ne dépend pas de notre « avoir » (cf. Lc 12, 15).
Ce n’est pas à nous d’arracher… de conquérir la valeur de notre existence, par notre avoir, notre pouvoir.

Jésus nous montre que nous pouvons vivre plus simplement, dans la vérité… en acceptant de lâcher prise, d’abandonner notre désir de toute-puissance… en acceptant de dépendre de Dieu, de vivre dans la confiance en Dieu. C’est là – et non en nous-mêmes, ni en nos biens – que nous avons à chercher notre véritable sécurité.
Ce n’est pas quelque chose que nous avons à posséder ou à conquérir, en convoitant le bien de l’autre, en désirant du même désir que l’autre, mais c’est l’acceptation de quelque chose qui nous est donné gratuitement : d’une grâce qui nous est offerte sans condition.

Pour nous détourner des rivalités mimétiques, pour nous enraciner dans cette nouvelle mentalité – dans la gratuité qui caractérise l’amour de Dieu – Jésus nous invite à le suivre, à l’imiter lui-même.
On retrouve cet appel dans plusieurs épisodes de l’évangile. Il est notamment adressé à un notable, un jeune homme riche : « une seule chose te manque encore – lui dit Jésus – tout ce que tu as vends-le, distribue-le aux pauvres et tu auras un trésor dans les cieux ; puis viens, suis-moi » (Lc 18, 22 ; voir aussi Lc 9, 23).

On peut légitimement se poser la question : pourquoi Jésus nous appelle-t-il à le suivre ? Sur quoi l’imitation de Jésus Christ doit-elle porter ?
Ce n’est pas sur ses façons d’être ou ses habitudes personnelles. Ce n’est pas non plus sur une règle de vie ascétique qu’il faudrait adopter. Ce que Jésus nous invite à imiter c’est son propre désir, c’est l’élan qui le dirige vers le but qu’il s’est fixé : ressembler le plus possible à Dieu le Père.

L’évangile nous montre que c’est le but auquel Jésus à consacrer toutes ses forces : imiter Dieu, devenir l’image parfaite de Dieu, l’homme nouveau à la ressemblance de Dieu… le « fils » à l’image du « Père »… car c’est là la véritable vocation de l’être humain créé à l’image de Dieu (cf. Gn 1, 26-27).
En nous invitant à le suivre, Jésus nous appelle à imiter sa propre imitation… à faire ce qu’il fait lui-même.

Autrement dit… quitte à vivre dans le désir mimétique… Jésus nous invite à choisir le bon modèle… à prendre la même orientation que lui… à orienter notre désir vers l’ultime, vers ce qui constitue le fondement et l’aboutissement, l’alpha et l’oméga de notre existence : Dieu le Père.
Jésus nous appelle à mettre notre confiance uniquement là où elle peut être placée en toute sécurité : ni en nous-mêmes, ni en nos biens, mais en Dieu le Père… le fondement… le modèle de toute imitation.

Mais cet appel à imiter Dieu – que Jésus adresse à ses disciples – n’est pas sans question (cf. Lc 6, 36 ; Mt 5, 48). Précisément… qu’est-ce qui nous autorise à penser que Dieu soit un meilleur modèle pour nous que notre prochain ? Pourquoi Jésus regarde-t-il le Père et lui-même comme les meilleurs modèles pour tous les hommes ?
Parce que – contrairement à ce qui se joue dans l’histoire de l’homme anonyme qui interpelle Jésus… révélant une certaine cupidité autour de l’héritage familial – ni le Père, ni le fils, ne désirent avidement, égoïstement.
Dieu « fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons » (cf. Mt 5, 45). Il donne aux hommes sans compter, sans marquer entre eux la moindre différence. Il laisse les mauvaises herbes pousser avec les bonnes jusqu’au temps de la moisson (Mt 13, 24-30 ; 36-43).

Si nous imitons ainsi le désintéressement et la gratuité de l’amour de Dieu, jamais le piège des rivalités mimétiques ne se refermera sur nous, jamais nous ne succomberons au mauvais mimétisme, au mimétisme conflictuel, qui conduit l’homme de la convoitise à la haine et à la violence.

A travers l’histoire de l’anonyme en quête de sa part d’héritage et de la parabole du « riche insensé », une des questions que nous pose aujourd’hui l’évangile pourrait être formulée de la manière suivante : Qu’est-ce qui nous conduit à remplir de blé nos greniers… à sans cesse vouloir amasser, accumuler, thésauriser ?
- est-ce la peur du manque ?
- est-ce l’idée que le bonheur se situerait dans l’assouvissement illimité de tous nos désirs ?
- ou est-ce le désir mimétique de faire comme notre prochain, notre voisin ?
Il y a sans doute plusieurs facteurs qui déterminent l’orientation de notre désir.
Si nous nous arrêtons ce matin quelques instants sur cette notion de « désir mimétique », c’est pour éveiller notre attention et notre liberté dans les choix que nous faisons…
Sommes-nous vraiment libres ou nous laissons-nous orienter… manipuler ?

Posons-nous simplement la question :
Qu’est-ce qui constitue pour chacun d’entre nous la référence en matière de désir ? Quel est le modèle de notre désir ? Qu’est-ce qui motive et oriente fondamentalement nos choix ?
- Pour orienter notre désir, devons-nous recourir aux hommes qui nous entourent ? Sommes-nous condamner à emprunter leurs désirs ?
- Sommes-nous soumis aux puissances de ce monde qui organisent les rivalités mimétiques ? Sommes-nous les esclaves de notre monde, de notre société, qui d’un côté nous appelle à la consommation, pour profiter des soldes et relancer la croissance, et de l’autre, nous invite à la méfiance et aux économies en période de crise économique… de crise de confiance ?
- Au contraire, pouvons-nous faire usage – contre le monde, les médias et la publicité – de notre liberté chrétienne, pour orienter notre désir vers le Royaume de Dieu, vers ce monde nouveau fondé sur la justice de Dieu et l’amour du prochain ?

N’est-ce pas à nous – à la suite de Jésus – d’impulser une nouvelle mentalité, une autre manière de voir et de vivre dans le monde, pour que chacun puisse trouver un autre modèle à son désir… une autre référence que celle de la course au « toujours plus » – à  l’avoir et à la possession – qui reste le modèle dominant pour beaucoup de nos contemporains ?

(2) Pour tenter de répondre à ces questions, Jésus nous offre une parabole… la parabole du riche insensé... qui doit justement nous servir de contre modèle.

L’histoire commence avec un propriétaire, riche et prospère. L’homme pronostique une nouvelle récolte exceptionnelle.
Mais il s’interroge car il n’a pas assez de place dans ses greniers pour engranger tout le blé à venir. La parabole nous livre le monologue intérieur qui anime la réflexion du propriétaire et qui le conduit à prendre une décision. L’homme décide de détruire ses greniers pour en bâtir de plus grand, afin de rassembler l’ensemble de son avoir, et de pouvoir se reposer, faire bombance et vivre dans l’insouciance pour de longues années.

Pour nous faire part de la réflexion de cet homme et exposer son programme de vie, la parabole nous présente une sorte de débat intérieur entre le propriétaire et son âme. Cette exposition met en avant le repli de l’homme sur lui-même et sa solitude, car celui-ci n’a finalement aucun autre interlocuteur, aucune autre compagnie que son âme.
Tout se concentre dans cette petite histoire sur le vis-à-vis de l’homme avec ses biens. Il espère un bien-être qui ne dépend que lui-même, de son avoir et de ses propres décisions, et en aucun cas de sa relation aux autres, ni de sa relation à Dieu.

C’est alors que survient la surprise, le vis-à-vis inattendu avec Dieu, que le riche propriétaire avait complètement oublié.
Concentré sur son avoir, enfermé dans son projet qui devait lui permettre de jouir, seul, de ses biens, voici que surgit un tiers, un Autre qui s’adresse à lui, en le rappelant à la réalité de la finitude humaine… en lui réclamant ce qui lui avait été confié : son âme, sa vie.
Et c’est là que surgit toute l’absurdité de la situation : la vanité et la futilité du projet humain… de celui qui amasse un trésor pour lui-même… au lieu de s’enrichir auprès de Dieu (Lc 12, 20-21).
La parabole nous laisse en suspend sur une interrogation :
Que restera-t-il de ce projet ? Qu’adviendra-t-il de tous ces biens désormais inutiles ?
Qu’a-t-il fait cet homme des talents qui lui ont été confiés ? Les a-t-il mis à disposition des autres ? les a-t-il fait fructifier dans le sens voulu par Dieu ? ou les a-t-il conservés égoïstement pour lui ?

L’intervention de Dieu dans cette parabole met le doigt au moins sur deux choses :
- D’une part, le caractère proprement « insensé » de la situation. Comme le dit Jésus dans un autre passage que nous avons entendu : « à quoi sert-il a un homme de gagner le monde entier, s’il se perd lui-même et subit une perte ? » (Lc 9, 25). 
- D’autre part, la parabole pointe la présence de Dieu en relation avec les hommes. Le Dieu qu’elle montre n’est pas un dieu manipulateur, ni un dieu qui viendrait tout arranger au dernier moment (un deus ex machina). C’est le contraire. C’est un Dieu qui révèle la liberté offerte à l’homme et la responsabilité qui doit l’accompagner.
Qu’on le souhaite, qu’on le regrette ou qu’on le refuse, l’homme est libre… libre d’agir comme il l’entend, mais il n’est jamais seul. Dieu est là, même lorsqu’on l’oublie et qu’on ne l’attend plus.

Toute la question posée par cette parabole est celle du projet de l’homme face au projet de Dieu : son Royaume.
Dans cette histoire, l’homme n’a jamais su accorder son violon – sa volonté – avec celle de Dieu. Il représente clairement l’attitude irresponsable, à ne pas adopter.

L’échec du projet de ce riche propriétaire met en lumière son intention coupable.
Mais quelle est précisément l’erreur commise par cet homme ?
Son erreur vient de son choix : entraîné par la logique du profit, il a voulu couronner le succès de son entreprise par l’agrandissement de ses entrepôts.
En soi, il n’y a rien de mal à cela. Mais ce que la parabole nous laisse entendre c’est qu’à aucun moment l’homme n’a songé à partager ce qu’il avait pourtant en abondance.

Ici encore, ce qui manifeste la nature pécheresse du projet humain, c’est la convoitise, la cupidité de l’homme.
Le riche propriétaire a beaucoup reçu de la nature et vraisemblablement beaucoup obtenu par son travail – il ne faut pas croire que les patrons se la coulent douce, bien au contraire – mais, devant les dons reçus, il n’a jamais su répondre par le don… il n’a répondu que par l’accaparement.
Alors que Dieu offre ses dons sans compter, lui refuse de partager.

Autrement dit… il s’est laissé orienter dans ses choix par le mauvais mimétisme : celui de la course au profit maximum que propose notre société matérialiste et individualiste. Au lieu d’imiter Dieu (de partager), il s’est laissé séduire par les puissances de ce monde.

L’égarement est suggéré dans la parabole par deux points :
- D’une part, il apparaît dans le projet de démolition des granges pour en construire de plus grandes. L’homme est visiblement grisé par sa réussite ; il en veut toujours plus. Ce qui lui convenait jusqu’alors, le laisse désormais insatisfait. Au lieu de songer à partager ce qu’il a en abondance, l’homme est pris dans une sorte de soif insatiable.
C’est cette quête excessive, cette attitude exclusive et égoïste, qui est qualifiée d’« insensée », d’aberrante, de folle par Jésus.
- D’autre part, le but du projet est révélé dans le monologue de l’homme avec son âme : l’homme désire capitaliser… engranger le maximum de blé, afin de pouvoir se reposer, manger, boire et faire bombance. Son but est de pouvoir vivre dans l’insouciance et la tranquillité personnelle… dans un repos hédoniste et narcissique.

En d’autres termes, l’homme vise le « carpe diem ». Son but est de pouvoir profiter de l’instant présent comme le suggère le poète Horace : « Cueille le jour présent sans te soucier du lendemain ». Mais le « carpe diem » compris de la sorte n’a rien d’évangélique.
Il oublie l’éthique, la volonté de Dieu et la misère des autres.

Si Jésus en appelle aussi au « carpe diem » : à ne pas nous faire de soucis pour notre nourriture ou nos vêtements, ce n’est pas pour vivre dans la passivité, l’insouciance et l’égoïsme, mais c’est pour nous rendre disponible pour les autres, pour chercher d’abord le Royaume et la justice de Dieu. (cf. Lc 12, 22-34 ; Mt 6, 25-34).

Conclusion : Alors… pour conclure… que pouvons nous retenir de cette méditation ?

Cette parabole du riche insensé a, à la fois, une visée éthique et exhortative.
Elle considère la vie comme une vie en relation avec Dieu et avec nos frères… une vie dont l’homme n’est pas le propriétaire, mais le responsable.
Elle nous présente un Dieu qui n’est pas un tyran ou un juge inique, mais le Dieu bon de la création et de la providence, qui attend de ses créatures une vie responsable au service des autres et de son Royaume.

En nous rappelant notre condition humaine, la réalité de notre finitude, Jésus nous engage à bâtir notre vie en tenant compte de la mort, en définissant notre identité en relation avec Dieu, en mettant le souci du prochain au cœur de notre existence.

Ce n’est pas en capitalisant pour soi, en amassant égoïstement des biens que l’homme découvre le sens de son existence – ce n’est pas non plus ainsi qu’il se constitue un avenir – mais c’est en vivant dans la confiance sous le regard de Dieu, en donnant et en se donnant, car c’est ce qu’on partage – c’est la relation aux autres – qui nous enrichit véritablement « en » Dieu.

Ce matin l’Evangile nous confronte donc à un choix de vie… un style de vie… une orientation existentielle :
- continuer à engranger et à accumuler des biens à la manière du monde. Ce n’est rien d’autre que de répondre à la logique économique du profit maximum, de choisir la simplicité en orientant notre désir selon le mimétisme dominant qui nous conduit à la convoitise.
- ou penser à la manière du Christ, qui s’est donné en proclamant l’Evangile du Royaume, pour partager l’héritage paternel en le distribuant aux autres (Lc 9, 23-25 ; 12, 33-34), en mettant en pratique le commandement d’amour du prochain (Lc 10, 25-37). C’est prendre appui sur un autre modèle qui s’enracine dans la gratuité et la bonté providentielle de Dieu. C’est choisir la difficulté, mais c’est aussi choisir la vie, en cherchant la justice et le Royaume de Dieu.

Le pari de Jésus… la voie dans laquelle il nous invite à le suivre, c’est l’imitation de Dieu… c’est la conviction que le don est la meilleure façon de gagner et de recevoir la vie (Lc 9, 24)… c’est l’assurance que ce nouveau style de vie, ce bon mimétisme est aussi contagieux et qu’il fera des disciples.

Alors… frères et sœurs… que l’Esprit saint nous conduise dans la voie de ce bon mimétisme… qu’il fasse de nous – pour nos frères – des imitateurs de Dieu le Père.
Amen.


[1] Voir, par exemple, René Girard, Je vois Satan tomber comme l’éclair, Grasset, 1999.