Le bonheur selon
l’Ecclésiaste
« Culte autrement » sur le thème
du « Bonheur » proposé par Pascal LEFEBVRE
Lectures bibliques :
-
Culte 1 : Ec 2, 4-26 ; 3, 9-15 ;
8, 15 ; Rm 4, 7-9. 23-25 ; 5,1
-
Culte 2 : Mt 5, 1-12
2 prédications :
-
L’Ecclésiaste (Ec 2, 4-26 ; 3,
9-15 ; 8,15) : le 14/09/14 = voir plus bas, ci-dessous
-
Les Béatitudes (Mt 5, 1-12) : le
12/10/14 = voir ici
Introduction au thème du « culte
autrement » :
Qui ne cherche
pas à vivre heureux ? Qui n’est pas intéressé par la quête du
bonheur ? D’une manière ou d’une autre, nous aspirons tous à ce désir. Nous
sommes tous concernés par l’idée ou l’idéal du bonheur.
Pour introduire
notre thème de ce matin – celui du bonheur – je commencerai par mettre en
perspective deux idées. Il y en aurait évidemment d’autres à formuler :
-
Pour
certains, le bonheur est une quête. Pour être heureux, je dois construire mon
bonheur. Je dois le chercher à tout prix. Le bonheur est un absolu à atteindre,
un idéal. Si les Anciens et les philosophes ont d’abord lié le bonheur à la
recherche de la sagesse, de la vérité, de la beauté ou du bien, cette quête
s’est peu à peu transformée en course au plaisir, en désir d’épanouissement
personnel. « Etre heureux », c’est être proche du « Paradis sur
terre », pouvoir assouvir au maximum ses désirs et profiter de la vie.[1] C’est
avoir « tout », faire « le plein », pouvoir « jouir » de
ce que je veux, sans contrainte, ni limitation. C’est, d’une certaine manière,
être « comme des dieux »… pouvoir jouir de tous les arbres de la
création, sans frein, sans frustration, sans insatisfaction. C’est le bonheur du
confort, de la richesse, de l’opulence… de l’argent qui permet tout, qui peut
tout acheter.
Mais
ce bonheur existe-t-il ? Est-il un vrai bonheur ? Et qu’aurais-je
encore à désirer si mon désir est sans cesse comblé, assouvi dans l’immédiateté ?
A
contrario, puis-je être heureux en acceptant les limites inhérentes à la
condition humaine ?… sans les refuser, comme Adam et Eve.
Si
le bonheur est cet idéal, quelle place reste-t-il à ceux qui ne répondent pas à
ces critères : aux pauvres, à ceux qui souffrent, aux malades, à ceux qui
ont vécu un échec… l’accès au bonheur leur est-il fermé à tout jamais ?
La
quête d’un tel bonheur n’est-elle pas fondamentalement égoïste ?
N’est-elle pas éloignée de tout agir solidaire et responsable ?
-
Pour
d’autres, le bonheur n’est pas une quête (une quête désespérée), ni un but (un
but impossible à atteindre), mais « un chemin ». Ce n’est pas
seulement ce qu’on cherche, c’est aussi – ou plutôt – ce qui vient à notre
rencontre, c’est la bonne surprise, l’inattendu du présent… c’est ce qu’on peut
accueillir, quand ça passe, à l’occasion favorable.
Pour
accueillir ce bonheur de passage, il faut savoir le remarquer, se laisser
étonner et vivre dans la disponibilité et la reconnaissance de ce qui est
offert.
Mais
est-ce si simple ? Que faire lorsque des événements malheureux prennent
trop de place ? Peut-on encore accueillir ce bonheur transitoire lorsque
des épreuves surgissent, lorsque des nuages viennent boucher l’horizon…
lorsqu’il pleut averse sur une route détrempée ?
Alors, le
bonheur est-il à construire ou à accueillir ? Est-il une quête ou un
chemin ?
Quelques questions pour entrer dans le
thème / participation de chacun :
Avant de tenter
d’y répondre, je vais distribuer des post-it.
Nous entrerons dans le thème de la façon suivante :
1)
Post-it : 3 mots ou 1 phrase que j’associe au
terme « bonheur »[2], en
réfléchissant à qu’est-ce qui me rend heureux dans la vie ? Et qu’est-ce qui
peut faire barrage ou obstacle au bonheur ?[3]
2)
Discuter
avec son voisin ou ensemble :
-
Selon
moi, le bonheur dépend-il de conditions extérieures et/ou intérieures ?
des évènements, des autres / ou de moi ?
-
Le
bonheur est-il à construire / ou à accueillir ?
-
Est-il
une quête / ou un chemin ? [4]
Deux passages bibliques pour méditer (sur
2 dimanches) :
J’ai choisi deux
textes pour notre méditation : L’Ecclésiaste et les Béatitudes, dans
l’évangile selon Matthieu. Pourquoi ces textes ? Quel point commun entre
les deux ?
Une dialectique
du bonheur et du malheur… le constat que les jours fastes ne vont jamais sans
jours néfastes. L’expérience concrète nous révèle qu’il n’y a pas de bonheur
pur, de bonheur absolu… pas de bonheurs exempts de traces de difficultés, de
contretemps ou de luttes (cf. Ec 9, 11-12).
Dans nos deux passages,
l’idée d’« un bonheur nu » est mise à l’épreuve du réel. Qu’il se
comprenne comme un moment favorable à accueillir ou comme une attitude
permettant un dépassement – le dépassement d’un malheur passé – le bonheur est
toujours un bonheur « malgré »… un bonheur possible « en dépit
de » quelque chose… en dépit des limites inhérentes à la condition
humaine… en dépit de l’injustice encore présente et qui appelle à protester.
- Pour l’Ecclésiaste,
il y a un bonheur à accueillir dans la vie présente… il y a de quoi se réjouir,
malgré le non-sens de bien des aspects de l’existence (Ec 2,24-26 ; 3,
12.22 ; 5, 17-19 ; 8,15).
- Pour Jésus, il
y a un bonheur promis, un bonheur en marche (Mt 5, 3-13)… un bonheur auquel
nous pouvons participer – prendre part – dans la mesure où nous nous
considérons pauvres, en défaut, en manque… un bonheur qui se découvre avec
l’autre, dans la recherche du Royaume et de la justice de Dieu (Mt 6,33)… dans
la justesse de la relation à Dieu et aux prochains (Mt 22, 34-40).
Aujourd’hui,
nous lirons un extrait du livre de l’Ecclésiaste et un court passage d’une
lettre de Paul. Lors d’un prochain culte, nous méditerons sur les Béatitudes.
Lectures bibliques : Ec 2, 4-26 ;
3, 9-15 ; 8, 15 ; Rm 4, 7-9. 23-25 ; 5,1
Prédication (Tonneins, le 14/09/14)
* Le maître de
sagesse s’interroge et nous questionne : quelle réponse réaliste l’homme
peut-il apporter devant le côté transitoire de la vie et devant l’avenir
incertain ?
Le plaisir
humain qui procure du bonheur, est une de ces réponses-là.
Pour
l’Ecclésiaste, se réjouir de la vie est cette issue favorable – la part – dont
l’homme dispose en propre, malgré l’environnent de vanité, de fragilité qu’il
constate autour de lui… malgré la mort qui plane à l’horizon.
En premier lieu,
l’Ecclésiaste tire un bilan décevant de l’effort humain (Ec 2,11-23) :
Face au caractère éphémère de la vie humaine… que restera-t-il du travail que
nous accomplissons « sous le soleil » ? A quoi cela sert-il de
se fatiguer et de travailler, puisqu’il risque de ne pas subsister grand-chose
de nos efforts ? C’est le découragement qui semble prévaloir face à la
vanité de nos activités et de nos œuvres, qui sont condamnées à disparaître et
à sombrer dans l’oubli, tôt ou tard, avec nous.
Ce constat
désabusé débouche sur une découverte (Ec 2, 24-26) : le bonheur ne se
trouve pas au bout d’efforts surhumains. Il ne se construit pas – ou du moins,
pas seulement – par nos propres forces. Il se cueille dans le présent, comme le
fruit tangible d’un don de Dieu à recevoir.
Le vrai bonheur,
selon l’Ecclésiaste, se laisse entrevoir au cœur de la vie humaine, même la
plus affectée par les difficultés ou la souffrance.
Cette souffrance
peut être liée, en premier lieu, à notre condition humaine, que nous avons bien
du mal à accepter : notre finitude, notre faiblesse, notre non-maîtrise, nos
limites… celles de notre corps… celle de la durée de notre vie – comme celle de
ceux que nous aimons – qui se voit limitée… aussi bien que les limites de notre
connaissance.
Pour autant, ces
limites ne doivent pas nous enfermer, mais, au contraire, nous ouvrir à ce que
la vie nous offre :
Même s’il est
incapable de connaître l’ampleur de l’œuvre de Dieu (Ec 3, 9-11), et même s’il
ignore l’avenir, l’homme peut – malgré tout – « se réjouir et faire le
bien durant sa vie » (Ec 3, 12).
« Tout
homme – dit-il – qui mange, boit et au goûte au bonheur en toute peine [en tout
son travail], cela est un don de Dieu » (Ec 3, 13).
Se réjouir est
un don de Dieu que l’homme est en mesure de recevoir.
Pour le maître
de sagesse, il semble que le bonheur dépende en bonne partie de l’attitude de
l’homme – d’une disposition intérieure, d’un état d’esprit – face à la vie et à
son caractère fragile et transitoire :
Bien qu’il ne
maîtrise rien en terme de temps et de durée, bien que le plan éternel de Dieu
lui échappe complètement, l’homme peut avoir « part » au bonheur. Cette
« part » (Ec 3,22 ; 5,17.18 ; 9,9), il y accède en
acceptant ses limites : son non-savoir et sa non-maîtrise du temps et des
événements. Cette « part », c’est sa capacité d’apprécier les bons
côtés de la vie (Ec 3, 12-13), en jouissant des bonnes choses que lui procure
son travail (Ec 2,24 ; 3, 13.22 ; 5,17 ; 9,7-10) dans le
présent… indépendamment de ce qui adviendra dans l’avenir.
Devant
l’immensité de l’œuvre de Dieu dont il ignore tout, l’Ecclésiaste insiste sur
cette voie de sagesse qui consiste à prendre acte des moindres instants de
plaisir et à s’en réjouir.
Pour lui, c’est
ainsi que nous pouvons goûter au bonheur : en accueillant la gratuité de
la vie… en sachant saisir l’instant présent dans toute sa qualité… en goûtant toutes
les joies concrètes de l’existence quand l’occasion se présente (manger, boire,
se réjouir)… même au milieu de nos efforts ou de nos peines.
C’est presque un
bonheur opportuniste auquel il convie ses lecteurs :
Il y a lieu de
savoir se réjouir aujourd’hui, à travers ce que nous pouvons vivre, en
accueillant les fruits de notre travail, comme « un don de Dieu »
(cf. Ec 2,24 ; 3,13 ; 5,18 ; 9,1)… grâce à ce que nous possédons
(Ec 5,17-18 ; 9,7) et ce que nous pouvons partager (Ec 11,2)… Car un jour
ou l’autre tout peut disparaître (Ec 5, 12-16 ; 9,10 ; 11,2).
Alors,
accueillir tout cela avec gratitude, comme ce que Dieu nous offre (Ec
8,15 ; 9,9), c’est savoir goûter le bonheur qui se présente ici et
maintenant (cf. Ec 9, 7-10)… c’est savoir reconnaître et profiter des bienfaits
de Dieu (Ec 7,14).
Cette conception
du bonheur peut nous interroger : Dans le monde qui est le nôtre où nous
vivons toujours à 300 kilomètres /heure, où nous sommes toujours pressés, en
train de courir partout, d’enchainer les activités… prenons-nous le temps
d’être heureux ?... ne faudrait-il pas « ralentir » pour accéder
à cette « part » de bonheur ?
Plus
fondamentalement… Sommes-nous réellement disponibles… à même d’accueillir et de
vivre ces instants simples de bonheur lorsqu’ils se présentent… lorsqu’ils sont à portée de main ?
Sommes-nous prêts
à nous laisser étonner et surprendre, à marquer des pauses, pour accueillir
petits et grands bonheurs ?... bonheur du partage, bonheur de la
rencontre.
Pour
l’Ecclésiaste, c’est cette ouverture et cette attention à la grâce qui passe, qui
donne du goût à la vie !
Le bonheur peut
se découvrir dans le quotidien, dans une confiance gratuite et offerte… une
confiance… une ouverture à la transcendance, qui n’empêche pas une grande
lucidité : le constat de la vanité de toute chose.
En bref… Qohéleth
nous rappelle que le bonheur ne consiste pas à « cultiver son
jardin » en fuyant le monde… mais qu’il se découvre en investissant le
monde, en y œuvrant (cf. Ec 9,10)… malgré les misères et les difficultés qu’on
peut rencontrer :
Pour lui, le
bonheur est d’abord une attitude, un art de vivre au jour le jour dans la
disponibilité et la reconnaissance, en accueillant la vie comme elle vient,
comme un don de Dieu, tout en gardant les pieds sur terre.
* A côté de cette
réflexion, qui resitue le bonheur dans le présent – dans une sorte de « carpe diem » (cf. Ec 3, 10-13),
nous pouvons recevoir un autre éclairage dans le Nouveau Testament, à travers
l’extrait de la lettre de Paul que nous avons entendu :
Pour sa part,
l’apôtre nous invite à placer notre existence sous le signe de la confiance et de
l’espérance : la confiance pour aujourd’hui ; l’espérance pour
demain.
Il nous rappelle
qu’il n’y a pas de bonheur possible sans confiance, sans foi à la promesse de
vie offerte par Dieu. C’est là la Bonne Nouvelle de l’Evangile :
Se savoir
« aimés de Dieu », nous délivre de la préoccupation de nous-mêmes, de
devoir justifier notre existence ou de mériter notre salut. La vie nous est
donnée comme un don, comme un cadeau, par amour du Créateur… un point c’est
tout !
Cette confiance en
l’amour de Dieu, nous libère. Elle nous délivre de ce qui pourrait faire obstacle
au bonheur : je parle de l’inquiétude, de la peur, de l’angoisse, de la
culpabilité.
Se sachant
« enfant de Dieu », le croyant est délivré du souci de lui-même, de
toute crainte devant l’incertitude de la vie, de toute angoisse devant
l’inconnue de la mort. Où qu’il soit, quelle que soit sa situation, celui qui
place sa confiance en Dieu, se sait « aimé », en relation, sous sa
grâce.
Dès lors, il a
sa place en ce monde, il est même partout à sa place, partout chez lui… parce
que partout chez Dieu. Il ne lui reste plus qu’à poursuivre son bonhomme de
chemin en essayant d’accueillir ce/ceux qu’il croise sur sa route, avec bonheur,
amour et bienveillance.
Amen.
[1] En ce sens, John Locke
– Essai sur l’entendement humain (II,
21, 42) – présente une conception hédoniste du bonheur : « le bonheur
donc, dans toute son étendue, est le plaisir maximal dont nous soyons
capables ». Cependant, il affirmera que cette conception subjective du
bonheur exige une norme extérieure, une loi religieuse, pour éviter la démesure
liée à la quête individuelle du plaisir.
[2] Par exemple, joie,
béatitude, plénitude, félicité, quiétude, communion, salut, bien-être,
satisfaction, épanouissement, plaisir, chance, etc.
[3] Par exemple, la peur,
l’angoisse, l’inquiétude, la culpabilité, les problèmes de santé, la maladie,
etc.
[4] Autres questions
possibles (non-posées) :
-
Y
a t-il des moyens, des conditions au bonheur ?
-
Pour
goûter au bonheur, faut-il viser toujours plus haut, plus grand – et y mettre
les moyens nécessaires, pour y parvenir – ou savoir se contenter de ce qu’on a
et prendre le parti d’en jouir pleinement ?
-
Puis-je
être heureux, malgré nombre d’insatisfactions ?
-
Le
bonheur, se constate-t-il dans le présent ou plus tard, de façon
rétroactive ?
-
Le
bonheur, peut-il être durable ou est-il forcément éphémère ? Peut-on le
retenir ?
-
Le
bonheur est-il seulement un idéal ou peut-il être un état de fait ?
-
M’arrive-t-il
de confier mes moments de bonheur / ou de malheur/ à Dieu ? de crier vers
lui, pour lui dire ma joie et ma gratitude / ou mon incompréhension et lui
demander son aide ?
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