Mt 14, 22-33
Lecture
biblique : Mt 14, 22-33
Thématique :
foi et salut… ne pas « se tromper de foi »
Prédication de
Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 05/10/14
* Ce matin l’évangile
fait résonner un texte qui peut nous plonger dans l’embarras ou la perplexité :
On ne sait pas trop quoi faire, ni trop quoi penser devant ce récit qui nous raconte
un miracle de la nature… qui présente, plus ou moins, Jésus comme un « super-héros »,
un « demi-dieu » capable de marcher sur les eaux.
Alors, faut-il
se contenter d’une lecture littérale de ce passage – une lecture au 1er
degré, qui vient buter contre notre perception habituelle de la réalité et
notre rationalité – et finalement se retrouver comme les disciples, peut-être
bloqués, troublés, affolés même, devant le pouvoir hors du commun de
Jésus ?… ou faut-il plutôt essayer de décrypter le sens de ce passage,
d’une autre manière, à travers une lecture plus symbolique et
métaphorique ?
C’est ce que je
vous propose de faire, en nous posant deux questions :
-
Premièrement,
pourquoi l’évangéliste Matthieu nous raconte-t-il cet événement ? Que
veut-il signifier en affirmant que Jésus marche sur la mer ?
-
Et,
deuxièmement, que faut-il penser de la demande de Pierre qui veut faire la même
chose que Jésus ? Mais qui échoue dans sa tentative ?
* Le début du
passage plante le décor. L’évangéliste précise que Jésus se retire, seul, sur
la montagne, pour prier. Ce détail n’est pas sans importance : L’élévation
sur la montagne et la prière symbolisent la proximité de Jésus avec Dieu.
D’emblée, Jésus
est présenté comme celui qui vit en communion avec l’Eternel.
A contrario, les
disciples sont dans une barque sur la mer, c’est-à-dire, symboliquement, sur un
lieu de danger.
En effet, pour
les contemporains de Pierre – pour les gens de l’époque – la mer représente le
lieu des profondeurs inconnues, de l’abyme et même de la mort.
Les disciples
sont donc confrontés à une situation d’insécurité… en pleine nuit, placés en
terrain incertain… en proie au danger.
* Nous avons
alors le premier épisode du récit : Alors que la barque dans laquelle se
trouvent les disciples, est tourmentée par les vagues, à cause du vent
contraire – on a souvent associé l’image de la barque à celle de l’église, de
la communauté menacée – Jésus, lui, marche sur les eaux, pour les rejoindre.
Déjà, une telle
affirmation a de quoi nous étonner. Mais, essayons de dépasser le sens propre,
pour y déceler une affirmation christologique :
En disant que
Jésus marche sur la mer et domine le vent…
l’évangéliste Matthieu cherche à nous dire quelque chose de l’identité
de Jésus : Il affirme, tout simplement, que Dieu est présent et agissant
en Jésus… qu’une présence divine permet à l’homme Jésus de dominer les
éléments.
Dans l’Ancien
Testament, Yahvé est celui qui a autorité sur les éléments, la mer et les
océans.
En affirmant que
Jésus marche sur la mer, l’évangile nous révèle – sans ambages – que Jésus est
revêtu d’une autorité qui lui vient de Dieu… que cette autorité divine lui
permet de dominer la mer, donc symboliquement les dangers et même la mort.
Est-ce une
manière de préfigurer la résurrection – la capacité que Dieu donnera à Jésus de
vaincre la mort ? Peut-être ! C’est, en tout cas, une manière de dire
que Dieu est présent et agissant en Jésus… qu’il se manifeste par Jésus, comme
il avait agi autrefois par Moïse, qui avait permis à Israël de passer la mer à
pied sec (cf. Ex 14-15).
Mais, le récit
présente aussitôt les conséquences de cette manifestation, de cette
christophanie : cet événement, pour le moins surprenant, stupéfiant, suscite la
crainte, la peur et l’angoisse.
Ce qui est alors
susceptible de redonner confiance, de rassurer, d’apporter la paix dans le cœur
des disciples, c’est la Parole… la parole du Christ : « Ayez confiance, c’est moi, n’ayez pas peur ».
* Nous avons
ensuite la deuxième étape de ce récit, avec la demande de Pierre de marcher sur
les eaux.
Jésus l’autorise
et Pierre commence alors à s’engager sur la mer.
Mais, rapidement,
il a peur à cause du vent et commence à s’enfoncer. Il crie alors vers
Jésus : « Seigneur,
sauve-moi » et Jésus le saisit.
Alors, comment
interpréter cette demande Pierre ? cet échec de marcher sur les
eaux ? et le reproche que Jésus lui adresse ? Quel est réellement le
problème de l’apôtre ?
Il y a deux
niveaux… deux manières de comprendre ce passage :
- Dans une
première lecture – selon la plupart des commentateurs – l’apôtre Pierre
présenterait une bonne volonté – celle de suivre Jésus (c’est ainsi qu’on peut
comprendre sa demande de faire comme Jésus) – mais une foi défaillante.
Pierre est
l’image du disciple fonceur, un peu fougueux, qui a confiance en lui. Aussi,
s’engage-t-il à suivre Jésus. Mais, au moment où le vent vient à souffler,
lorsqu’un évènement extérieur inattendu survient et vient secouer le disciple,
cela crée en lui une grande incertitude… une inquiétude, une peur, qui vient
ébranler sa foi.
Finalement,
Pierre prend conscience de sa fragilité, de sa vulnérabilité… et se met à
couler.
C’est seulement
dans un deuxième temps que l’apôtre consent réellement à s’abandonner dans la
confiance, à s’en remettre à Jésus pour sa vie.
Au moment où il
commence à s’enfoncer… là, au cœur de l’épreuve… enfin, il lâche prise. Il crie
vers Jésus et s’en remet pleinement à lui.
Qu’est-ce que
nous montre ce passage ? Que la confiance en soi ne suffit pas pour
surmonter les épreuves de la vie. Que la foi, c’est autre chose que la
confiance en soi ou une vague confiance en Dieu.
Comme le montre
Pierre, la confiance en soi est certes nécessaire, mais pas suffisante. En
réalité, Pierre n’a pas fait totalement confiance en Jésus. Il a voulu garder
la maîtrise de la situation, d’une certaine manière, la dominer… au lieu de
s’abandonner à Jésus.
Il a fallu un
deuxième temps, le surgissement d’un événement extérieur, pour que Pierre
accepte réellement de remettre sa vie entre les mains de Jésus.
Cette foi, cet
abandon, il l’exprime à travers son cri : « Seigneur, sauve-moi ! ».
Ainsi, selon ce
premier niveau de lecture, notre passage nous montre que nous sommes, nous-mêmes,
souvent à l’image Pierre, la figure du disciple par excellence.
Face au discours
de notre société qui nous invite à être pleinement autonomes et indépendants, qui
nous appelle à nous construire par nous-mêmes, à réussir par nos propres
forces… nous avons bien du mal à accepter de lâcher prise, à accepter de dépendre
d’un Autre, à confier la maîtrise de notre vie à quelqu’un d’autre, à nous
abandonner dans la confiance en Jésus Christ.
Il faut parfois
que nous nous retrouvions dans une situation difficile ou même extrême, au cœur
d’une situation éprouvante, parfois même désespérée, pour qu’enfin, nous
acceptions de lâcher-prise et de nous en remettre à Dieu.
Ce récit nous
permet ainsi de mieux comprendre ce qu’est la foi :
La foi, ce n’est
pas seulement vouloir suivre Jésus, d’essayer de faire comme lui ou de l’imiter…
mais c’est réellement lui faire confiance et nous en remettre à lui pour notre
vie... c’est oser remettre son destin, son salut entre ses mains.
- Alors, à côté
de cette première interprétation, nous trouvons un deuxième niveau de lecture,
peut-être plus fondamental :
Pour le
découvrir, il faut s’appuyer sur la remarque que Jésus adresse à
Pierre, en disant : « homme
de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? » Quel est le doute de
Pierre ?
Une lecture plus
approfondie révèle que le doute de Pierre porte, en fait, sur l’identité de
Jésus… et que l’obstacle à sa foi, vient
de sa volonté de domination, de son désir de rester maître de la situation.
En effet,
comment Pierre pourrait-il faire confiance à Jésus s’il ne sait pas vraiment
qui il est ? Et s’il n’accepte pas sa condition de disciple ?
C’est bien la
question – l’hypothèse – qu’il laisse en suspens, face à Jésus, qu’il prend d’abord
pour un fantôme : « Seigneur, si
c’est bien toi (?) – dit-il – ordonne-moi de venir vers toi sur les
eaux ».
Cette phrase
traduit deux choses :
-
D’une
part, Pierre doute de l’identité de Jésus. En tout cas, il insinue un doute :
« si c’est bien toi (?)… demande-t-il » un peu comme le diabolos – le tentateur – dans le récit
de la tentation de Jésus au désert : « si
tu es fils de Dieu… ordonne que ces pierres deviennent du pain » (cf.
Mt 4,3)… « si c’est bien toi,
Seigneur… ordonne-moi de venir vers toi sur les eaux » (cf. Mt 14,28).[1]
-
Et,
d’autre part, la demande de Pierre de venir sur les eaux – d’avoir autorité sur
les éléments comme Jésus – trahit, en réalité, le désir de Pierre – on pourrait
dire son orgueil, son « péché » – celui de vouloir dominer la
situation, en occupant la même place que Jésus… son désir de se mettre à la
première place… on pourrait dire, son désir d’être dieu à la place de Dieu.
Dans
sa prétention à vouloir rejoindre Jésus, d’une certaine manière, Pierre
instrumentalise le Christ, en le mettant au service de son propre pouvoir. Ce
qu’il cherche ici ce n’est pas à être le disciple de Jésus, à être au service
de Dieu, mais à devenir un maître comme Jésus. Il utilise Jésus pour conquérir
un privilège, une domination sur les éléments.
En d’autres
termes, le manque de foi de Pierre, ce n’est pas seulement de ne pas avoir
assez confiance en Jésus pour marcher sur les eaux, mais, c’est,
fondamentalement, de vouloir marcher sur les eaux.
Le manque de
foi, c’est d’abord de « se tromper de foi » : C’est de vouloir
avoir le même pouvoir que Jésus… ou d’essayer de se servir de lui pour
conquérir un pouvoir surhumain… au lieu de lui faire confiance, de se fier à sa
Parole : « c’est moi, n’ayez
pas peur, confiance ! » dit le Christ.
La demande de
Pierre et sa tentative infructueuse nous montrent que l’apôtre est à côté de la
plaque… qu’il a confondu la foi comme abandon consenti, avec le pouvoir que
pourrait procurer la foi :
Au lieu de
s’abandonner dans la confiance, il a cru que la proximité de Jésus pourrait lui
procurer une puissance particulière, lui permettre de dépasser sa condition
humaine, pour être comme Dieu… à la manière d’Adam et Eve, qui, écoutant le
serpent de la convoitise, pensaient pouvoir être comme des dieux, à la place de
Dieu (cf. Gn 3,4-5).
Ainsi, cet
épisode nous rappelle ce qu’est la véritable foi : Ce n’est pas croire ou demander
à Dieu le moyen de dépasser notre finitude, notre fragilité… la capacité de
surmonter les abîmes et la mort, par nous-mêmes… Mais, c’est accepter de nous
en remettre à lui pour notre vie.
C’est, au fond,
accueillir et faire sienne cette parole de confiance (v.27) que le Christ nous
adresse, pour venir apaiser nos craintes au cœur même de la tempête, pour nous
inviter à nous confier pleinement à lui, quoi qu’il arrive… dans la certitude
qu’il vient à notre secours, qu’il nous apporte le salut… qu’il nous l’offre…
et donc que nous n’avons besoin de vouloir l’arracher ou le conquérir.
Et c’est en cela
que la foi nous libère… de notre peur de l’inconnu, de l’angoisse de la mort,
de notre besoin de tout maîtriser : Dans la foi, nous sommes libres pour
vivre l’instant présent et construire l’avenir avec les autres… car nous sommes
libérés de la préoccupation de notre propre salut.
Conclusion :
* Pour conclure,
je voudrais revenir un instant sur la problématique que j’ai soulevée en
introduction :
J’ai souligné la
difficulté légitime que nous pouvons ressentir face à ce type récit ... à cause
de son caractère « irrationnel »… à cause du miracle opéré par Jésus…
qui nous empêche, d’une certaine manière, d’envisager cet épisode comme le
compte rendu d’un fait historique.
N’y a t-il pas
une manière de contourner cette difficulté ?
Peut-être !
Pour cela, il faut se demander à quel moment de la vie du Christ cet épisode a
t-il pu avoir lieu ? S’est-il passé avant ou après la résurrection ?
Bien sûr, nous
n’avons pas la réponse… et Matthieu l’intègre en plein milieu de son évangile,
suggérant ainsi l’activité extraordinaire et miraculeuse du Jésus terrestre.
Cependant,
compte tenu que les récits et les paroles concernant Jésus ont d’abord été
véhiculés par la tradition orale, avant d’être rassemblés dans les évangiles… il
n’est pas du tout certain que cet événement ait eu lieu au moment précis où
Matthieu le situe.
Dans le texte, un
indice troublant – qui précise que les disciples, en voyant Jésus marcher
sur la mer, le prennent pour un fantôme (v.26) – peut nous interroger en ce
sens (Voir également Jn 20,19.26) et, au contraire, nous orienter vers un
épisode qui aurait eu lieu après Pâques.
Si tel est le
cas, cela expliquerait pourquoi Pierre a du mal à reconnaître et à identifier
Jésus.[2] Et cela
donnerait sens à l’affolement et à la peur des disciples.
Cela
signifierait que nous n’avons pas affaire ici à l’homme Jésus marchant sur les
eaux, mais à une apparition du Christ glorifié, après sa mort… qui est perçu
par ses disciples, comme un « fantôme ».
En effet, nous
devons nous souvenir que les évangiles sont une relecture post-pascale de la
vie publique de Jésus. C’est en raison de l’événement de Pâques – de
l’apparition de Jésus Christ vivant, après sa mort sur la croix – que les
disciples sont revenus à la foi envers le maître qu’ils avaient abandonné,
renié ou trahi.
On peut donc se
demander, si ce récit n’est pas, en réalité, et originairement, un récit
d’apparition post-pascale.[3]
* Dans cette
hypothèse, notre passage aurait un autre sens : Outre l’annonce de la
résurrection… il permettrait d’établir un contraste, de nous rappeler la
différence fondamentale qui existe entre l’attitude du maître, Jésus, et celle
des disciples :
Alors que Pierre
n’a pas soutenu son ami et maître, Jésus… qu’il l’a laissé tomber face au
danger… à la menace d’un jugement et la condamnation à mort qui attendait
Jésus. Ici, le Christ réagit à l’opposé de l’apôtre : Face au péril, au
risque de la mort, Jésus se rend pleinement solidaire de son ami Pierre… il se
porte à son secours, pour le sauver.
Et si c’était
cela, le cœur du message de cet épisode ?
En réalité, ce
n’est pas tant le manque de foi de Pierre qui nous intéresse, que de savoir que
le Christ nous offre le salut.
Ce que nous
enseigne ce récit, c’est la manière dont nous sommes aimés par le
Seigneur :
Alors qu’il peut
nous arriver d’être infidèles, de laisser tomber ceux qui pourtant comptent sur
nous… alors que face aux difficultés, aux tempêtes de la vie, nous avons
parfois le réflexe de fuir ou peur de nous engager (même pour nos proches)…
l’Evangile nous adresse une Bonne Nouvelle et nous rappelle que le Dieu de
Jésus Christ fait tout le contraire… qu’il reste fidèle.
Dieu se rend
solidaire de celui qui coule sous les difficultés. Il est le Dieu qui n’a cesse
de venir nous sauver quand nos pas sont incertains ou quand nous sommes
submergés par les épreuves.
Cette Bonne
Nouvelle de l’amour inconditionnel de Dieu, qui offre son soutien à tous ceux
qui crient vers lui, ne peut que nous porter à la confiance et la
reconnaissance.
Nous pouvons –
encore et à nouveau – nous réjouir, de nous savoir aimés de Dieu, tels que nous
sommes et quoi qu’il arrive !
Alors, face à
cette main tendue… il ne nous reste finalement qu’à ouvrir la nôtre… à nous
tourner vers lui… en lui offrant notre confiance.
Amen.
[1] Autrement dit,
l’initiative de Pierre reflète, d’une certaine manière, une volonté de mettre
le Seigneur à l’épreuve, d’en révéler la présence, de le contraindre à se
découvrir.
[2] Nous avons noté que
Pierre doute de la présence réelle de Jésus : « si c’est
véritablement toi… ».
[3] On peut d’autant plus
penser qu’il s’agit d’une christophanie pascale que le récit semble être modelé
sur le passage de la mer par Moïse et Israël (cf. Ex 14-15) lors de la Pâque
juive. Il faut repérer les nombreux échos : la peur des disciples et le « n’ayez
pas peur » // Ex 14,13 ; le vent violent // Ex 14,21 ; la fin de
la nuit, la veille du matin // Ex 14,24 ; etc.)
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