Mt 15, 1-20
Lectures
bibliques : Mi 6, 6-8 ; Rm 14, 13-21 ; Mt 15, 1-20
Thématiques :
Tradition ou Parole de Dieu / le pur et l’impur.
Prédication de
Pascal LEFEBVRE[1]
/ Marmande, le 19/10/14
* Ce matin,
notre passage présente une controverse sur la question du pur et de l’impur.
Deux questions complémentaires
sont réunies qui constituent – pour les premières communautés chrétiennes –
deux grands obstacles à une communion de table entre Juifs et païens : la
façon de manger, avec les mains préalablement lavées ; et la kasherut de la nourriture, c’est-à-dire
la pureté ou non de ce que l’on mange.
Derrière ces
questions – qui ne nous concernent plus vraiment aujourd’hui… à moins de vivre
dans un foyer mixte, Juif et Chrétien – l’évangéliste Matthieu nous laisse
entendre que la vraie problématique se situe, en réalité, ailleurs… à un autre
niveau… sur un autre terrain… qui lui nous intéresse plus directement :
-
La
polémique sur le fait de se laver ou non les mains avant de manger se
transforme en controverse sur le rapport à l’Ecriture et à la tradition.
-
Et
la question de la nourriture impure susceptible de contaminer l’homme débouche
sur la question de la pureté du cœur et des pensées, plutôt que sur celle des
aliments.
A travers ce
désaccord avec les Pharisiens, Jésus se positionne en tant qu’interprète des
Ecritures. Il opère une sorte de « relativisation » – ou plutôt
de « hiérarchisation » – pour nous conduire à nous focaliser sur
l’essentiel :
-
Dans
le premier cas, il relativise la tradition des Anciens, pour nous ramener aux
prescriptions fondamentales de la Torah :
notamment, à l’amour des plus proches, à la solidarité familiale.
-
Dans
le second, il semble même relativiser la Loi sur la pureté des aliments du
Lévitique (Lv 11), pour la subordonner à un autre précepte plus
fondamental : la pureté de nos intentions, de notre cœur, de nos paroles.
Autrement dit,
ce qui est en jeu ici, ce n’est pas d’abord un problème de tradition ou de
règles religieuses, mais il est question – plus fondamentalement – de notre vie
relationnelle, de notre rapport à l’autre.
Jésus nous
montre comment accomplir la Torah
écrite… en y étant plus fidèle… en s’attachant à l’esprit des Ecritures, plutôt
qu’à la lettre.
Regardons plus
en détail les deux problématiques et voyons en quoi cela nous concerne dans
notre actualité :
* Le 1ère débat commence par une
question des Pharisiens : « Pourquoi
tes disciples transgressent-ils la tradition des anciens » en ne se lavant
pas les mains, avant de manger ?
Cette question
est, en réalité, un reproche. Les interlocuteurs de Jésus ne se préoccupent pas
vraiment des raisons de cette attitude. Ce qui les chagrine, plus sûrement,
c’est que le mauvais exemple des disciples vient contester leur autorité, celle
de la tradition qu’ils défendent et qu’ils s’attachent à conserver.
Mais, cette
question fait tout de suite réagir Jésus. Car, on voit bien ce qui se cache
derrière : En fait, les Pharisiens entendent imposer leur manière d’agir
comme étant la seule bonne, conforme et autorisée… ils prétendent détenir et
conserver le monopole de l’interprétation des Ecritures.
Jésus répond
immédiatement à ce reproche. Il affirme, au contraire, que ce sont eux – les
Pharisiens – qui transgressent le commandement de Dieu et privent de force la
Parole de Dieu, au nom d’une tradition humaine.
Le cas évoqué
porte sur la pratique du qorban – de
l’offrande (cf. Mc 7, 11) – une sorte de vœu par lequel on consacrait un objet
à l’usage exclusif de Dieu.
En vertu de
cette pratique, un fils – un homme – pouvait offrir à Dieu ce qu’il aurait
normalement dû donner à ses parents, pour leur venir en aide.
Evidemment à
cette époque, il n’y avait ni assurance vieillesse ni caisse de retraite
complémentaire. Sans aide de leur descendance, des parents âgés, incapables de
travailler, pouvaient facilement tomber dans la misère.
Jésus a donc parfaitement
raison de dénoncer cette tradition qui vient directement concurrencer le
Décalogue, qui appelle – quant à lui – à honorer, à respecter, à porter
attention et secours à ses parents (cf. Dt 5,16).
Il conteste
ainsi l’autorité des Pharisiens qui – selon lui – se sont éloignés du cœur de
la Torah. En effet, pour Jésus, les
deux plus grands commandements – l’amour de Dieu et l’amour du prochain – sont
indissociables. Il n’est donc pas question de faire une offrande à Dieu, au
détriment du prochain ou aux dépends de ses propres parents… surtout quand on
place sa confiance en un Dieu d’amour, qui aime chaque être humain, sans
condition.
Ce n’est pas la
1ère fois que Jésus participe à ce débat. Il l’avait déjà fait lors
d’une controverse au sujet du sabbat, en reprenant l’affirmation du prophète
Osée : « c’est la miséricorde (l’amour, le pardon) que je veux, non
le sacrifice » (cf. Mt 12,7 ; Os 6,6).
A travers ce
récit, nous voyons bien quel est le véritable enjeu :
Qu’est-ce qui
fait vraiment autorité sur nos vies ? A qui, à quoi, accordons-nous
confiance et autorité ?
Pour Jésus, la
réponse est claire : Les Pharisiens se sont éloignés de l’esprit des
Ecritures, à cause de la tradition des anciens, à cause de conventions
humaines.
On ne peut jamais
séparer l’amour de Dieu de l’amour du prochain (cf. Mt 22, 34-40)… car le Dieu
auquel nous croyons est d’abord et avant tout celui qui aime l’autre… un Dieu
qui se donne, par amour des êtres humains, qu’il considère comme ses enfants.
Autrement dit,
si Dieu est « Père », nous sommes « frères » et « sœurs ».
* Dans la 2ème
partie de notre passage, d’une certaine manière, Jésus va plus loin que dans la
1ère controverse :
A travers la
question du pur et de l’impur, il ne prend plus seulement le contre-pied de ce
que disent la Tradition et les Pharisiens, mais il vient établir une sorte de
hiérarchie dans les prescriptions de la Torah…
il vient subordonner certaines prescriptions des Ecritures – relatives aux interdits
et aux règles de pureté – à un principe qu’il juge plus fondamental, plus
essentiel, plus central : la pureté du cœur dans les relations avec autrui…
la conversion de notre cœur… avant les règles de pureté alimentaire.
Il faut bien
nous rendre compte de l’audace et de la liberté dont Jésus fait preuve ici, lorsqu’il
affirme : « ce n’est pas ce qui
entre dans la bouche (la nourriture) qui
rend l’homme impur; mais ce qui sort de la bouche (ses paroles), voilà ce qui rend l’homme impur »
(Mt 15, 11).
[S’il a jugé
nécessaire de prendre position contre un usage pourtant considéré comme
« sacré » ou presque – et même contre l’autorité des saintes
Ecritures – c’est que l’affaire est en réalité plus importante qu’il n’y paraît
et va beaucoup loin que l’obligation d’éviter de manger tel ou tel type de
nourriture.
Dans le Judaïsme
du 1er siècle, la pureté obéit à deux sortes de règles :
- En premier
lieu, il faut se purifier des souillures éventuelles qu'on a pu contracter dans
la vie quotidienne, notamment si on a eu des contacts avec des non-juifs. Il
faut alors éliminer ces souillures par des ablutions.
- Ensuite, il y
a les règles concernant la nourriture. Celle-ci doit être conforme à certaines
normes précisées en détail dans le Premier Testament aux livres du Lévitique
(chap. 11) et du Deutéronome (chap. 14).
Avec le temps,
il y a eu un élargissement des personnes concernées par ces règles :
Au départ, selon
le Premier Testament, les rites de purification ne concernaient que les prêtres
d'Israël au moment où ceux-ci devaient officier dans le sanctuaire ambulant du
désert ou au Temple de Jérusalem.
II s’agissait
alors qu'ils se présentent devant Dieu débarrassés de tout ce qui paraissait
indigne de lui, de tout ce qui n'appartenait pas à son domaine divin. Disons-le
: il s’agissait de se séparer de toute impureté, de tout ce qui n'était pas « sacré »,
avant de se rapprocher du Dieu saint.
Mais, par la
suite, les Pharisiens ont pensé que Dieu serait encore mieux honoré, si on
appliquait ces règles de pureté à tous les membres du peuple de Dieu dans tous
les domaines de la vie quotidienne.
Ces règles de
pureté sont ainsi devenues une loi applicable d'autorité à tout Israélite.
Elles devaient en particulier souligner ce qui faisait la particularité du
peuple juif… ce qui le distinguait des autres humains.
Bien sûr, cela
partait d'une intention tout à fait honorable, à savoir du désir que Dieu soit
honoré au maximum et à l'unanimité par l’ensemble de son peuple.
A première vue,
il n’y a rien à en redire. C’est le propre de toutes les religions de chercher
à honorer au maximum le dieu qu’elles veulent servir.
Mais, il faut
quand même examiner la question de plus près : Est-ce réellement cela que Dieu
attend de nous : le Dieu de la Bible, le Dieu dont Jésus est l’ambassadeur ?
À entendre les
prophètes, ses porte-parole - comme Esaïe, Jérémie, Michée ou d'autres - et
surtout à écouter et à regarder Jésus tel que nous le dépeint l'Évangile, on a
de très fortes raisons d’en douter.
On s’aperçoit,
en réalité, que Dieu ne réclame rien pour lui-même. Il ne demande pas qu’on lui
apporte des offrandes dignes de lui, que nous lui présentions des sacrifices,
et encore moins qu’on lui offre nos souffrances, comme certains ont pu le
proposer.
En un mot Dieu
ne fait valoir aucun des droits qu’il pourrait avoir sur ses sujets, comme y
prétendaient jadis les rois qui dominaient les peuples.
Si Dieu se met
en relation avec nous, ce n’est pas pour lui-même. C’est pour l'ensemble des
humains.
Ce qui préoccupe
Dieu, ce n’est pas lui-même, c’est toute l’humanité.
Le Dieu que nous
présente Jésus Christ n’est pas un dieu tyrannique et égocentrique, mais un
Dieu qui se souci de ses créatures et de sa création. Ce n’est pas un Dieu qui
recherche les honneurs et la gloire, mais un Dieu qui prend sur lui le péché pour
le surmonter… qui veut transformer le mal en bien… qui se rend solidaire de la
souffrance humaine… c’est un Dieu qui offre la vie et qui relève, malgré les
épreuves et malgré la mort.
S’il doit donc
se passer quelque chose entre Dieu et nous, ce ne peut pas être par des rites,
ce n'est pas par ce que nous prétendons faire pour lui, mais, c’est dans le
sens l’inverse : C’est lui qui est à l’initiative, c’est lui qui nous offre
sa grâce, c’est lui qui vient à nous, pour nous inviter à répondre à son appel.
C’est lui qui
nous donne sa Parole, afin que nous nous mettions à son écoute… que nous la
mettions en œuvre dans nos relations avec les autres humains.
Pour le reste, ce
qui va de nous à Dieu, ce sont des « traditions humaines », comme le
dit Jésus.][2]
A travers tout
l’évangile, à travers sa vie, Jésus nous rappelle que ce qui intéresse Dieu en
priorité, c’est le sort des humains, ses enfants… tous ses enfants… y compris
les plus petits, les exclus.
Dès lors, ce
qu’il attend de nous, c’est que nous changions de mentalité, pour qu’à notre
tour, nous nous intéressions au sort de nos frères et de nos sœurs… pour que
nous nous mettions à traiter les humains comme Dieu, lui-même, aime à le faire…
avec fidélité et droiture, en respectant leur liberté, leurs besoins, leur
dignité.
En d’autres
termes, ce que Dieu attend de nous, ce ne sont pas des règles à appliquer, des
rites à respecter, des sacrifices à faire, mais c’est que nous changions notre
cœur… que nous soyons justes et solidaires.
C’est la raison
pour laquelle, Jésus soutient que la pureté ou l’impureté ne sont pas liées à
notre extériorité ou notre alimentation, mais à notre intériorité, à notre cœur
(cf. Mt 15, 11.17-20 ; Mc 7, 15.21-23). C’est là qu’il faut laisser l’Esprit
du Seigneur agir, pour nous changer, nous transformer… car, c’est de là, potentiellement, que vient le
mal : du cœur de l’homme.
(Entre
parenthèses, on peut remarquer que tous les dérèglements évoqués par Jésus,
lorsqu’il parle des actions mauvaises qui viennent du cœur (cf. Mt 15, 19), ne
sont pas des dépravations dont les effets sont individuels, mais des atteintes
portées à autrui : c’est bien cela « le péché », c’est ce qui
menace une juste relation à l’autre, ce qui vient léser le prochain et lui
causer des dommages.)
Si Jésus
qualifie les Pharisiens d’« hypocrites », ce n’est pas parce qu’ils
font semblant, mais parce qu’ils portent un masque, comme les comédiens ou les
tragédiens de l’antiquité… parce que ce qui compte pour eux, c’est ce qui
paraît, ce qui se voit (cf. Mt 23,25).
Mais, aux yeux
de Jésus, ils ne s’attaquent pas aux vrais problèmes. Ils sont aveugles.
Ce qui se
voit n’est parfois qu’apparence. Ce qui importe c’est l’intérieur, c’est
notre cœur. Car c’est là le siège de nos intentions, de notre désir, de nos
motivations, de nos paroles et de nos actes.
Pour produire de
bons fruits – dira Jésus, ailleurs – il faut d’abord que l’arbre soit bon (cf.
Mt 7, 15-20).
Il ne faut pas
être exigeant ou rigoureux pour ce qui est extérieur, car tout ça est sans
importance… « traditions humaines ».
Mais il faut
d’abord se préoccuper de purifier notre être intérieur… en nous confiant à Dieu,
en le laissant régner en nous… afin que toute notre vie s’accorde à sa volonté bienveillante
pour tous les humains que nous croisons.
* Alors… pour
conclure… que peut-on faire et retenir de tout cela dans notre
aujourd’hui ?
D’abord, rester
vigilant et nous armer de l’Evangile, pour regarder le monde et faire preuve de
discernement :
Bien entendu,
les Pharisiens n’ont plus les mêmes habits qu’hier, mais il en existe toujours
– et parfois, peut-être, sommes-nous aussi de ceux-là.
Il y a toujours
des hommes et des femmes dans notre monde qui se parent de beaux vêtements, qui
prétendent défendre telle ou telle cause, tradition, religion, convention, ordre
social – parfois d’ailleurs, en excluant les autres : ceux qui ne
possèdent pas les même qualités, héritages ou propriétés qu’eux … souvent, en toute
bonne foi – mais qui, en réalité, ne soutiennent que leur autorité et leur
pouvoir, en vue de garder leur sphère d’influence, leur main mise sur autrui…
en vue de conserver leur pré-carré et leurs avantages.
Certains peuvent
même le faire au nom de Dieu, de la vérité, d’une tradition multiséculaire… de
la science… ou, au niveau politique et économique, au nom de l’intérêt général…
mais il faut toujours se demander, en fin de compte, ce qu’ils défendent
réellement (?)… Quels intérêts servent-ils ? : Ceux d’un dieu (qui
n’a rien demandé sinon l’amour), ceux d’un parti, d’une idéologie, d’une
corporation… ou peut-être leur propre place, leur ambition personnelle ou leur
porte-monnaie ?
Rares sont ceux
qui sont uniquement motivés par l’amour et l’intérêt du prochain.
En tant que croyants,
nous avons reçu les lunettes de l’Evangile pour regarder le monde, pour
débusquer les idoles contemporaines, pour démasquer et dénoncer les injustices
et les hypocrisies, pour protester pour Dieu et pour l’Homme.
La difficulté, cependant,
c’est que tout n’est pas noir ou blanc ! Il arrive que nous aussi, nous
soyons de ceux-là (à compter parmi les Pharisiens) bien malgré nous.
Il arrive de
nous laisser piéger dans des conformismes… de nous laisser entraîner,
conditionner, séduire, par des conventions humaines… au lieu de rester fidèle à
l’Evangile de l’amour de Dieu et du prochain.
Il nous arrive
aussi de nous arrêter sur des choses secondaires, superficielles et finalement
sans importance… il peut nous arriver de devenir peu à peu imperméable à
l’essentiel… de devenir aveugle et pourtant sûr du contraire.
Alors, il est
nécessaire de faire comme Jésus – de se mettre à l’écart (cf. Mt 14, 23), seul
ou avec d’autres – pour prier, pour nous replacer devant Dieu et sa Parole …
comme nous le faisons chaque dimanche et peut-être aussi chez nous.
Il est
nécessaire de nous rappeler la Bonne Nouvelle de l’Evangile, la promesse d’un
salut – non pas individuel – mais d’un salut – une guérison – destiné à
l’ensemble de l’humanité.
Puisque c’est là
ce qui nous est offert… il est bon de
nous laisser convertir et transformer par l’Esprit de Dieu, pour qu’il vienne –
par son amour – purifier notre désir, nos pensées, nos paroles… tout ce qui
chemine et sort de notre cœur… afin que nous soyons des témoins par toute notre
vie et des promoteurs du Royaume… afin que nous réalisions et que nous
proclamions que le salut des uns ne va jamais sans celui des autres… que le
salut est comme le bonheur : qu’il ne s’agit pas d’une quête individuelle,
isolée et égoïste… mais qu’il ne peut s’accueillir et se trouver qu’ensemble,
avec les autres humains.
Je crois que
c’est cela que Jésus vient nous rappeler ce matin :
Au-delà de toute
règle, de toute tradition humaine et même au-delà de l’autorité souveraine des
saintes Ecritures, chère aux Protestants, il y a la Parole de Dieu qui
t’appelle :
Ecoute, le Seigneur notre Dieu est UN. Tu
n’auras pas d’autres dieux que Celui qui t’appelle à aimer ton prochain comme
toi-même (cf. Dt
6,4 ; 5,7 ; Mt 22,39).[3]
Amen.
[1] En partie inspirée
d’une méditation de Jean Marc Babut.
[2] Toute cette partie entre
[…] reprend (avec quelques modifications) une médiation de Jean Marc Babut (Actualité de Marc, Cerf, p.139-140).
[3] Comme le souligne J-M
Babut, « Ce qui est vraiment Parole de Dieu : c’est ce qui sert le
prochain » (Actualité de Marc,
p.138).
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