Mc 4, 10-12. 21-25
Lectures bibliques : 2 Co 1,
19-22 ; Mc 4, 1-12. 21-25
Thématique :
Évangile ou énigme ? Un appel :
écouter !
Prédication de
Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 12/02/17
(Largement
inspirée de deux méditations de Jean-Marc Babut)
* Dans le premier
passage que nous venons de lire… en écoutant la traduction habituelle de ce
texte dans la version courante… nous entendons les versets suivants : « À vous le mystère du règne de Dieu
est donné, mais pour ceux du dehors tout devient énigme, pour que, tout en
regardant, ils ne voient pas et que, tout
en entendant, ils comprennent pas, de peur qu’ils ne se convertissent et qu’il
leur soit pardonné ».
On rencontre là
une idée assez insupportable et même indéfendable :
quel est donc ce
Dieu qui choisirait et sélectionnerait quelques privilégiés, capables de
comprendre les paraboles de Jésus et son message de salut, pour mieux perdre
les autres : ceux qui n’y entendent rien ?… comme si l’objectif de
Jésus – en racontant des paraboles – serait de rendre incompréhensible son
message à un certain nombre de ses auditeurs… en vue de les perdre.
Tout cela ne
tient pas debout : disons le clairement ! Comment imaginer que le
langage de Jésus, en paraboles, réponde à une double mission : d’une part,
faire découvrir à certains le royaume, le monde nouveau de Dieu, qu’il est venu
apporter sur la terre. Et, d’autre part, dans le même temps, rendre un peu plus
opaque à tous les autres le mystère de ce royaume, afin de les maintenir
dehors ?
Cette manière de
comprendre ce passage ne colle absolument pas avec le message et l’attitude de
Jésus partout ailleurs.
On voit, en
effet, dans l’évangile de Marc, un Jésus qui proclame la proximité du règne de
Dieu, dans lequel il invite tous ses auditeurs à entrer, en changeant de
mentalité.
On voit un Jésus
qui parle de Dieu comme un père bien-aimant, miséricordieux et plein de
compassion : il nous présente un Dieu qui cherche le salut et le bien-être
des humains, ses enfants… alors, comment pourrait-il vouloir exclure une partie
de ses auditeurs par quelques langages énigmatiques ?
Cela ne colle ni
avec ce que Jésus dit et fait dans l’Évangile, ni avec ce que l’apôtre Paul dit
aussi au sujet de Jésus Christ. Je cite : « le Christ Jésus n'est pas venu pour être « oui » et « non
». Au contraire, il est le « oui » de Dieu, … il est le « oui » qui confirme toutes
les promesses de Dieu » (2 Co 1, 19-20).
L’explication
est simple : nous devons revoir la traduction habituelle de ce passage
dans nos Bibles, pour y découvrir un autre sens et une autre interprétation.
Il y a, en
effet, une petite particule grecque, que nos versions traduisent par
« pour que » ou « afin que ». Or, cette particule peut
aussi avoir la valeur d’un « de sorte que » : ce qui change
complétement le sens du verset.
On peut lire
alors : « … pour ceux du dehors
tout devient énigme, de sorte que, tout en regardant, ils ne voient pas, et
que, tout en entendant, ils ne comprennent pas. Ainsi, ils ne se tournent pas
vers Dieu et ne trouvent pas le pardon ».
On comprend
mieux, dès lors, que ce n’est pas l’intention de Jésus de cacher, de rendre
opaque ou mystérieux son message : Jésus est celui qui prononce le
« oui » de Dieu. Mais, c’est en fait une possibilité qui peut venir
des récepteurs de son message. Le « non » ne peut venir que des
auditeurs.
Autrement dit,
c’est un constat que Jésus dresse : Autour de lui, il y a des hommes et
des femmes qui ont accueilli le message du monde nouveau de Dieu, le message
d’un Dieu gratuit, bien-aimant et accessible, qui appelle les humains à un
changement de mentalité, à la confiance, à la gratuité, au pardon, à l’amour
inconditionnel. Il y a des personnes qui ont accepté son message de salut
offert à tous, aux bons comme aux méchants, aux purs comme aux impurs, aux
fidèles comme aux infidèles : tous sont appelés à entrer dans le règne de
Dieu. Mais, il y en au d’autres – ceux du dehors, comme les appelle Jésus – qui
refusent d’entrer dans cette nouvelle mentalité : qui n’acceptent pas que
Dieu puissent aimer et accepter aussi bien les bons croyants que ceux qui
seraient pécheurs, indignes ou inacceptables… Il y en a qui refusent de sortir
des systèmes de récompense, de mérite, de salut promis uniquement aux croyants
pieux et aux religieux fidèles.
Alors quand
Jésus appellent ses auditeurs à accomplir des actes bons, à aimer leurs
prochains plutôt qu’à respecter le jour du sabbat et les règles de la religion
instituée… quand il explique, par des paraboles que les premiers risquent
d’être les derniers… cela ne plait pas à tout le monde.
Des gens se
trouvent soudain placés devant une logique nouvelle, totalement
déconcertante : la logique de l’amour et de la gratuité du monde nouveau
de Dieu n’est pas celle du mérite, instituée par la religion des règles, de la
loi et des rites.
« Pour ceux
du dehors » qui ne sont pas encore entrés dans cette nouvelle mentalité du
royaume, tout devient énigme. Et la triste conséquence, c’est que ces gens
laissent apparaître au grand jour leur incompréhension, leur surdité, leur
aveuglement ou leur refus.
C’est eux-mêmes
qui, refusant le message de salut annoncé par Jésus, se trouve hors du lieu où
ils trouveraient un vrai pardon et une vie nouvelle, avec plus de liberté et de
confiance : une confiance en Dieu, plutôt que dans la loi ou la religion.
Tout change avec
cette autre manière de traduire ces versets : on comprend que rien n’est accordé
à certains et refusé à d’autres : Le message du salut adressé par Jésus
est offert à tous.
Mais, Jésus
constate avec la parabole du semeur que dans 3 cas sur 4, c’est un échec. Les
humains n’entendent pas, oublient ou n’adhérent pas à son Évangile.
Seule, 1 fois
sur 4, la semence tombe dans la bonne terre, et là, c’est un miracle : les
fruits produits sont nombreux et abondants.
Malgré ces 75 %
d’échecs, Jésus continue d’espérer et de semer. Il appellent ses disciples
(ailleurs dans l’Évangile) à continuer semer à sa suite, même si tous les
interlocuteurs n’accueillent pas le monde nouveau de Dieu.
Y entrer, en
effet, implique un tel changement de mentalité et de logique, un style de vie
si différent de nos habitudes – un nouveau mode de relations aux autres,
fondées sur la gratuité plutôt que sur l’échange ou le donnant-donnant – que peu
osent réellement adopter le nouveau comportement promu par Jésus.
Très nombreux
sont ceux qui préfèrent rester dans les modes de penser ou les comportements
pratiqués par tout le monde depuis toujours, fondés sur un salut de type
« individualiste », « chacun pour soi », lié au mérite ou à
la domination sur autrui.
Ce n’est pas
pour rien que Jésus parle de « mystère
du monde nouveau de Dieu ». Cela ne signifie pas que ce soit un secret
réservé à quelques privilégiés. Mais, la vie qu'on y mène tranche tellement
avec les convictions ancestrales et les comportements habituels de l'humanité
qu'aucun de nous n'est naturellement prêt à rompre avec ce qui nous apparaît
comme bien connu et sûr, pour risquer de s’aventurer dans ce qui ressemble à
quelque chose de totalement nouveau, dont on n’ignore encore le résultat… ou
dont on a peur, parce que cela nécessiterait de remettre en cause toutes nos habitudes,
nos manières de penser et d’agir.
C’est
précisément pour nous faire percevoir cette nouveauté du règne de Dieu – ce
monde nouveau de Dieu – que Jésus emploie des paraboles, des images, des
comparaisons, des analogies. Il veut nous appeler à regarder notre réalité,
notre monde et nos relations aux autres de façon différente et nouvelle. Il
nous invite à une transformation.
Pour Jésus, ce
monde nouveau est offert. Il est à notre portée. C’est un cadeau et une
promesse : là où ce cadeau est reçu, là où un simple grain tombe dans la
bonne terre, le monde nouveau de Dieu prend pied dans l’humanité, le salut qu’il
apporte se met à l'œuvre et fait éclater toutes les prévisions. Jésus parle
d’une fécondité et d’une croissance extraordinaires.
* Ensuite, dans le
deuxième passage que nous avons entendu ce matin, Jésus nous donne des pistes
pour accéder à ce règne de Dieu. Le mot d’ordre, c’est « écouter ».
« Si quelqu'un a des oreilles pour
entendre, qu'il entende! »
Et Marc appuie cette première recommandation de Jésus par une seconde : « Faites attention à ce que vous
entendez »
Nous voilà donc
prévenus : il y a là, dans ce que dit Jésus, quelque chose qui vaut la
peine d'être entendu, quelque chose qui vaut la peine « d' écouter ».
Si l’Évangile
insiste tant sur ce point, c’est pour une raison simple : c’est difficile
pour nous d’écouter.
« En
général, nous n'aimons pas écouter. Voyez ce qui se passe lors d'une
discussion, ou même lors d'une interview de journaliste : on se coupe
constamment la parole. Chacun veut placer - et faire prévaloir - son point de
vue, sa vérité. On ne laisse pas l'autre s'exprimer, on le contredit avant
qu'il ait terminé. Chacun se refuse d'entendre - et même de laisser entendre -
ce que l'autre veut dire. En somme nous n'aimons pas ce qui ne vient pas de
nous-mêmes, nous n'aimons pas et ne savons pas écouter, faire taire nos propres
voix pour essayer aussi de saisir celle de l'autre.
Si les humains
sont si peu capables de s'écouter les uns les autres, on est en droit de se
demander comment ils vont pouvoir écouter une voix autrement étrangère, je veux
parler de celle de Dieu, que Jésus est venu essayer de nous faire entendre.
Celui qui
n'écoute pas se condamne lui-même à tourner [en rond], comme un lion dans sa
cage, [à sombrer dans la répétition et finalement dans une forme d’immobilisme]
: on n'en sort pas, on se retrouve toujours seul avec soi-même, on est perdu.
L’Évangile, le
message proclamé par Jésus, c'est justement une autre voix qui cherche à se
faire entendre de nous ; une voix qui vient d'ailleurs que de nous-mêmes, qui
nous apporte quelque chose d'autre, quelque chose de différent, quelque chose
de neuf : une voix qui apporte aux humains le salut. […]
Dans notre
monde, envahi par ce qu'on appelle les médias,
on nous sollicite à longueur de publicité pour que nous achetions ceci ou que
nous votions pour celui-là [surtout en ce moment, en période électorale]. Mille
voix cherchent à se faire entendre, employant les techniques les plus
astucieuses pour forcer notre attention par toutes sortes d'images séduisantes
[de manipulations] ou de slogans accrocheurs.
En nous disant « Faites attention à ce que vous
entendez », Jésus nous […] [appelle au milieu de ce brouhaha] à prêter
attention à la seule voix qui nous donne une chance de sortir de nous-mêmes et
de découvrir enfin autre chose, une autre vie, un autre avenir. Il nous invite
à saisir le salut [que Dieu nous offre]. […]
Marc enchaîne aussitôt
avec une autre parole de Jésus : « La
mesure dont vous vous servez servira de mesure pour vous ». Ce qui
signifie alors : « Tout ce que, en écoutant Jésus, vous saisissez du
mystère du monde nouveau de Dieu, tout cela, Dieu vous le donne, pas moins. »
Et Jésus ajoute cette promesse : « Et
Dieu y ajoutera encore ».
Ainsi plus nous
écoutons et mieux nous faisons passer dans notre vie ce que Jésus nous dit du
monde nouveau de Dieu, mieux et davantage ce monde nouveau prend pied chez nous
et y fait entrer sa rayonnante nouveauté.
Enfin cet appel
pressant à écouter et cette promesse à ceux qui écoutent, Marc les couronne par
une dernière sentence de Jésus : « A celui
qui a, il sera beaucoup donné ; et à celui qui n'a pas, même ce qu'il a
lui sera retiré ».
[On peut trouver
cette dernière sentence un peu « dure » ou même
« injuste ». Mais, Jésus la formule de manière assez générale et
impersonnelle, comme une sorte de règle de fait ou de loi universelle.] Elle a
toutes les apparences d'un dicton populaire comme on en trouve dans presque
toutes les langues. Il existe, par exemple, un dicton arabe qui dit à peu près :
« Qui possède du lait reçoit du lait ;
qui possède de l'eau reçoit de l'eau. » Ce qui pourrait vouloir dire : on n’obtient
jamais que ce qu'on possède déjà. En français vous connaissez le « On ne prête qu'aux riches ». La parole
de Jésus a le même aspect de sagesse populaire : « À celui qui a il sera donné ; et à celui qui n'a pas, même ce
qu'il a lui sera retiré. » […]
[Dans le
contexte de l’évangile selon Marc, Jésus utilise cette sentence pour conclure
son appel à écouter. Et du coup, elle pourrait sonner comme une bonne
nouvelle :] « À celui qui a il
sera donné ». Autrement dit, celui ou celle qui aura accueilli le
monde nouveau de Dieu en écoutant Jésus, recevra plus encore qu'il ne pouvait
l'espérer ; il sera comblé au-delà de toute attente [un peu comme le grain
de blé qui tombe dans la bonne terre et produit beaucoup de fruits]. […]
Bien entendu, si
Marc a rassemblé ici quatre déclarations de Jésus originairement éparses pour
renforcer son appel à écouter, c'est qu'il y a quelque chose de
particulièrement vital à saisir [à ses yeux.] […]
[Nous ne pouvons
pas examiner plus en détail ce matin tout ce que Jésus dit et fait. Mais, pour
nous aider à réaliser qu’il s’agit d’une nouvelle mentalité dans laquelle le
maître nous invite à entrer, on pourrait se limiter à un seul exemple :
Pour Jésus, ce
monde nouveau de Dieu, on y accède en] renonçant à toute domination (cf. Mc 10,
42-45) : que ce soit de certains humains sur d'autres, ou des hommes sur les
femmes, ou des forts sur les faibles, ou des riches sur les pauvres, ou des
adultes sur les enfants, ou des pasteurs sur les laïcs, ou d'une prétendue race
sur une autre, ou des savants sur les ignorants... La liste pourrait être
longue. Partout où de telles dominations subsistent, le monde nouveau de Dieu
n'est sûrement pas là.
Cette nouvelle
mentalité ne nous est pas plus naturelle qu'aux autres humains. Nous vivons
dans un monde, en effet, où l'ambition la plus fréquente est de conquérir ou de
conserver un pouvoir sur les autres, que ce soit dans les familles, dans les
entreprises, à l'école, dans le monde politique ou les relations
internationales. On sait bien où cela mène : c'est la source de tous les
conflits.
Comment en
sortir ?
Le monde nouveau
de Dieu n'est-il pas une utopie, un rêve trop beau pour être vrai ?
A cette
inquiétude Jésus répond par avance en deux phrases. Il évoque d'abord l'image
de « la lampe » : la lampe
allumée n'est pas destinée à être placée sous un seau ou sous un lit, mais sur
un porte-lampe, car elle est faite pour éclairer.
La seconde
phrase est encore sous forme de dicton :
« Il n'y a rien de secret qui ne doive être mis au jour ». L'image
de la lampe et le dicton se renforcent mutuellement, et le sens est
clair : le message de salut proclamé par Jésus est une lampe allumée.
De même que la
lampe est faite pour éclairer, de même la lumière du monde nouveau de Dieu doit
chasser la nuit dans laquelle notre vieux monde meurt et se perd.
Le rayonnement
du monde nouveau de Dieu est encore quelque chose de caché à la plupart, de
confidentiel, de non évident. Mais [nous aurions] tort de vous faire du souci :
la vérité finit toujours par éclater.
C'est sur cette certitude
sereine de Jésus que j'aimerais vous laisser [et conclure] : [l’Évangile],
c'est une bonne nouvelle de salut pour notre monde.
Elle a commencé
à se répandre, la lumière a commencé à briller.
Elle est trop
nouvelle, c'est-à-dire trop étrangère à nos mentalités naturelles pour être
acceptée sans plus par la plupart des humains. Elle n'a été encore écoutée et
reçue que par un petit nombre. Elle est donc encore pratiquement secrète, cachée,
confidentielle, non évidente.
Mais la lumière
de [l’Évangile] est faite pour éclairer. Et elle éclairera. […] [Dès maintenant
nous pouvons nous en réjouir. Nous pouvons remercier Dieu pour cela.
Une seule chose
nous est demandé : nous mettre à l’écoute de l’Évangile, en plaçant toute
notre confiance en Dieu.] »[1]
Amen.
[1] Extr. Jean-Marc Babut,
Actualité de Marc, p. 74-78.
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