lundi 13 février 2017

Mc 4, 10-12. 21-25

Mc 4, 10-12. 21-25
Lectures bibliques : 2 Co 1, 19-22 ; Mc 4, 1-12. 21-25
Thématique : Évangile ou énigme ? Un appel : écouter !
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 12/02/17
(Largement inspirée de deux méditations de Jean-Marc Babut)

* Dans le premier passage que nous venons de lire… en écoutant la traduction habituelle de ce texte dans la version courante… nous entendons les versets suivants : « À vous le mystère du règne de Dieu est donné, mais pour ceux du dehors tout devient énigme, pour que, tout en regardant, ils ne voient pas  et que, tout en entendant, ils comprennent pas, de peur qu’ils ne se convertissent et qu’il leur soit pardonné ».
On rencontre là une idée assez insupportable et même indéfendable :
quel est donc ce Dieu qui choisirait et sélectionnerait quelques privilégiés, capables de comprendre les paraboles de Jésus et son message de salut, pour mieux perdre les autres : ceux qui n’y entendent rien ?… comme si l’objectif de Jésus – en racontant des paraboles – serait de rendre incompréhensible son message à un certain nombre de ses auditeurs… en vue de les perdre.

Tout cela ne tient pas debout : disons le clairement ! Comment imaginer que le langage de Jésus, en paraboles, réponde à une double mission : d’une part, faire découvrir à certains le royaume, le monde nouveau de Dieu, qu’il est venu apporter sur la terre. Et, d’autre part, dans le même temps, rendre un peu plus opaque à tous les autres le mystère de ce royaume, afin de les maintenir dehors ?
Cette manière de comprendre ce passage ne colle absolument pas avec le message et l’attitude de Jésus partout ailleurs.

On voit, en effet, dans l’évangile de Marc, un Jésus qui proclame la proximité du règne de Dieu, dans lequel il invite tous ses auditeurs à entrer, en changeant de mentalité.
On voit un Jésus qui parle de Dieu comme un père bien-aimant, miséricordieux et plein de compassion : il nous présente un Dieu qui cherche le salut et le bien-être des humains, ses enfants… alors, comment pourrait-il vouloir exclure une partie de ses auditeurs par quelques langages énigmatiques ?

Cela ne colle ni avec ce que Jésus dit et fait dans l’Évangile, ni avec ce que l’apôtre Paul dit aussi au sujet de Jésus Christ. Je cite : « le Christ Jésus n'est pas venu pour être « oui » et « non ». Au contraire, il est le « oui » de Dieu, … il est le « oui » qui confirme toutes les promesses de Dieu » (2 Co 1, 19-20).

L’explication est simple : nous devons revoir la traduction habituelle de ce passage dans nos Bibles, pour y découvrir un autre sens et une autre interprétation.
Il y a, en effet, une petite particule grecque, que nos versions traduisent par « pour que » ou « afin que ». Or, cette particule peut aussi avoir la valeur d’un « de sorte que » : ce qui change complétement le sens du verset.
On peut lire alors : « … pour ceux du dehors tout devient énigme, de sorte que, tout en regardant, ils ne voient pas, et que, tout en entendant, ils ne comprennent pas. Ainsi, ils ne se tournent pas vers Dieu et ne trouvent pas le pardon ».

On comprend mieux, dès lors, que ce n’est pas l’intention de Jésus de cacher, de rendre opaque ou mystérieux son message : Jésus est celui qui prononce le « oui » de Dieu. Mais, c’est en fait une possibilité qui peut venir des récepteurs de son message. Le « non » ne peut venir que des auditeurs.

Autrement dit, c’est un constat que Jésus dresse : Autour de lui, il y a des hommes et des femmes qui ont accueilli le message du monde nouveau de Dieu, le message d’un Dieu gratuit, bien-aimant et accessible, qui appelle les humains à un changement de mentalité, à la confiance, à la gratuité, au pardon, à l’amour inconditionnel. Il y a des personnes qui ont accepté son message de salut offert à tous, aux bons comme aux méchants, aux purs comme aux impurs, aux fidèles comme aux infidèles : tous sont appelés à entrer dans le règne de Dieu. Mais, il y en au d’autres – ceux du dehors, comme les appelle Jésus – qui refusent d’entrer dans cette nouvelle mentalité : qui n’acceptent pas que Dieu puissent aimer et accepter aussi bien les bons croyants que ceux qui seraient pécheurs, indignes ou inacceptables… Il y en a qui refusent de sortir des systèmes de récompense, de mérite, de salut promis uniquement aux croyants pieux et aux religieux fidèles.

Alors quand Jésus appellent ses auditeurs à accomplir des actes bons, à aimer leurs prochains plutôt qu’à respecter le jour du sabbat et les règles de la religion instituée… quand il explique, par des paraboles que les premiers risquent d’être les derniers… cela ne plait pas à tout le monde.
Des gens se trouvent soudain placés devant une logique nouvelle, totalement déconcertante : la logique de l’amour et de la gratuité du monde nouveau de Dieu n’est pas celle du mérite, instituée par la religion des règles, de la loi et des rites.
« Pour ceux du dehors » qui ne sont pas encore entrés dans cette nouvelle mentalité du royaume, tout devient énigme. Et la triste conséquence, c’est que ces gens laissent apparaître au grand jour leur incompréhension, leur surdité, leur aveuglement ou leur refus.
C’est eux-mêmes qui, refusant le message de salut annoncé par Jésus, se trouve hors du lieu où ils trouveraient un vrai pardon et une vie nouvelle, avec plus de liberté et de confiance : une confiance en Dieu, plutôt que dans la loi ou la religion.

Tout change avec cette autre manière de traduire ces versets : on comprend que rien n’est accordé à certains et refusé à d’autres : Le message du salut adressé par Jésus est offert à tous.
Mais, Jésus constate avec la parabole du semeur que dans 3 cas sur 4, c’est un échec. Les humains n’entendent pas, oublient ou n’adhérent pas à son Évangile.
Seule, 1 fois sur 4, la semence tombe dans la bonne terre, et là, c’est un miracle : les fruits produits sont nombreux et abondants.

Malgré ces 75 % d’échecs, Jésus continue d’espérer et de semer. Il appellent ses disciples (ailleurs dans l’Évangile) à continuer semer à sa suite, même si tous les interlocuteurs n’accueillent pas le monde nouveau de Dieu.
Y entrer, en effet, implique un tel changement de mentalité et de logique, un style de vie si différent de nos habitudes – un nouveau mode de relations aux autres, fondées sur la gratuité plutôt que sur l’échange ou le donnant-donnant – que peu osent réellement adopter le nouveau comportement promu par Jésus.
Très nombreux sont ceux qui préfèrent rester dans les modes de penser ou les comportements pratiqués par tout le monde depuis toujours, fondés sur un salut de type « individualiste », « chacun pour soi », lié au mérite ou à la domination sur autrui.

Ce n’est pas pour rien que Jésus parle de « mystère du monde nouveau de Dieu ». Cela ne signifie pas que ce soit un secret réservé à quelques privilégiés. Mais, la vie qu'on y mène tranche tellement avec les convictions ancestrales et les comportements habituels de l'humanité qu'aucun de nous n'est naturellement prêt à rompre avec ce qui nous apparaît comme bien connu et sûr, pour risquer de s’aventurer dans ce qui ressemble à quelque chose de totalement nouveau, dont on n’ignore encore le résultat… ou dont on a peur, parce que cela nécessiterait de remettre en cause toutes nos habitudes, nos manières de penser et d’agir.

C’est précisément pour nous faire percevoir cette nouveauté du règne de Dieu – ce monde nouveau de Dieu – que Jésus emploie des paraboles, des images, des comparaisons, des analogies. Il veut nous appeler à regarder notre réalité, notre monde et nos relations aux autres de façon différente et nouvelle. Il nous invite à une transformation.
Pour Jésus, ce monde nouveau est offert. Il est à notre portée. C’est un cadeau et une promesse : là où ce cadeau est reçu, là où un simple grain tombe dans la bonne terre, le monde nouveau de Dieu prend pied dans l’humanité, le salut qu’il apporte se met à l'œuvre et fait éclater toutes les prévisions. Jésus parle d’une fécondité et d’une croissance extraordinaires.

* Ensuite, dans le deuxième passage que nous avons entendu ce matin, Jésus nous donne des pistes pour accéder à ce règne de Dieu. Le mot d’ordre, c’est « écouter ».

« Si quelqu'un a des oreilles pour entendre, qu'il entende! » Et Marc appuie cette première recommandation de Jésus par une seconde : « Faites attention à ce que vous entendez »

Nous voilà donc prévenus : il y a là, dans ce que dit Jésus, quelque chose qui vaut la peine d'être entendu, quelque chose qui vaut la peine « d' écouter ».

Si l’Évangile insiste tant sur ce point, c’est pour une raison simple : c’est difficile pour nous d’écouter.
« En général, nous n'aimons pas écouter. Voyez ce qui se passe lors d'une discussion, ou même lors d'une interview de journaliste : on se coupe constamment la parole. Chacun veut placer - et faire prévaloir - son point de vue, sa vérité. On ne laisse­ pas l'autre s'exprimer, on le contredit avant qu'il ait terminé. Chacun se refuse d'entendre - et même de laisser entendre - ce que l'autre veut dire. En somme nous n'aimons pas ce qui ne vient pas de nous-mêmes, nous n'aimons pas et ne savons pas écouter, faire taire nos propres voix pour essayer aussi de saisir celle de l'autre.

Si les humains sont si peu capables de s'écouter les uns les autres, on est en droit de se demander comment ils vont pouvoir écouter une voix autrement étrangère, je veux parler de celle de Dieu, que Jésus est venu essayer de nous faire entendre.
Celui qui n'écoute pas se condamne lui-même à tourner [en rond], comme un lion dans sa cage, [à sombrer dans la répétition et finalement dans une forme d’immobilisme] : on n'en sort pas, on se retrouve toujours seul avec soi-même, on est pe­rdu.

L’Évangile, le message proclamé par Jésus, c'est justement une autre voix qui cherche à se faire entendre de nous ; une voix qui vient d'ailleurs que de nous-mêmes, qui nous apporte quelque chose d'autre, quelque chose de différent, quelque chose de neuf : une voix qui apporte aux humains le salut. […]

Dans notre monde, envahi par ce qu'on appelle les médias, on nous sollicite à longueur de publicité pour que nous achetions ceci ou que nous votions pour celui-là [surtout en ce moment, en période électorale]. Mille voix cherchent à se faire entendre, employant les techniques les plus astucieuses pour forcer notre attention par toutes sortes d'images séduisantes [de manipulations] ou de slogans accrocheurs.

En nous disant « Faites attention à ce que vous entendez », Jésus nous […] [appelle au milieu de ce brouhaha] à prêter attention à la seule voix qui nous donne une chance de sortir de nous-mêmes et de découvrir enfin autre chose, une autre vie, un autre avenir. Il nous invite à saisir le salut [que Dieu nous offre]. […]

Marc enchaîne aussitôt avec une autre parole de Jésus : « La mesure dont vous vous servez servira de mesure pour vous ». Ce qui signifie alors : « Tout ce que, en écoutant Jésus, vous saisissez du mystère du monde nouveau de Dieu, tout cela, Dieu vous le donne, pas moins. » Et Jésus ajoute cette promesse : « Et Dieu y ajoutera encore ».
Ainsi plus nous écoutons et mieux nous faisons passer dans notre vie ce que Jésus nous dit du monde nouveau de Dieu, mieux et davantage ce monde nouveau prend pied chez nous et y fait entrer sa rayonnante nouveauté.

Enfin cet appel pressant à écouter et cette promesse à ceux qui écoutent, Marc les couronne par une dernière sentence de Jésus : « A celui qui a, il sera beaucoup donné ; et à celui qui n'a pas, même ce qu'il a lui sera retiré ».

[On peut trouver cette dernière sentence un peu « dure » ou même « injuste ». Mais, Jésus la formule de manière assez générale et impersonnelle, comme une sorte de règle de fait ou de loi universelle.] Elle a toutes les apparences d'un dicton populaire comme on en trouve dans presque toutes les langues. Il existe, par exemple, un dicton arabe qui dit à peu près : « Qui possède du lait reçoit du lait ; qui possède de l'eau reçoit de l'eau. » Ce qui pourrait vouloir dire : on n’obtient jamais que ce qu'on possède déjà. En français vous connaissez le « On ne prête qu'aux riches ». La parole de Jésus a le même aspect de sagesse populaire : « À celui qui a il sera donné ; et à celui qui n'a pas, même ce qu'il a lui sera retiré. » […]

[Dans le contexte de l’évangile selon Marc, Jésus utilise cette sentence pour conclure son appel à écouter. Et du coup, elle pourrait sonner comme une bonne nouvelle :] « À celui qui a il sera donné ». Autrement dit, celui ou celle qui aura accueilli le monde nouveau de Dieu en écoutant Jésus, recevra plus encore qu'il ne pouvait l'espérer ; il sera comblé au-delà de toute attente [un peu comme le grain de blé qui tombe dans la bonne terre et produit beaucoup de fruits]. […]

Bien entendu, si Marc a rassemblé ici quatre déclarations de Jésus originairement éparses pour renforcer son appel à écouter, c'est qu'il y a quelque chose de particulièrement vital à saisir [à ses yeux.] […]

[Nous ne pouvons pas examiner plus en détail ce matin tout ce que Jésus dit et fait. Mais, pour nous aider à réaliser qu’il s’agit d’une nouvelle mentalité dans laquelle le maître nous invite à entrer, on pourrait se limiter à un seul exemple :
Pour Jésus, ce monde nouveau de Dieu, on y accède en] renonçant à toute domination (cf. Mc 10, 42-45) : que ce soit de certains humains sur d'autres, ou des hommes sur les femmes, ou des forts sur les faibles, ou des riches sur les pauvres, ou des adultes sur les enfants, ou des pasteurs sur les laïcs, ou d'une prétendue race sur une autre, ou des savants sur les ignorants... La liste pourrait être longue. Partout où de telles dominations subsistent, le monde nouveau de Dieu n'est sûrement pas là.

Cette nouvelle mentalité ne nous est pas plus naturelle qu'aux autres humains. Nous vivons dans un monde, en effet, où l'ambition la plus fréquente est de conquérir ou de conserver un pouvoir sur les autres, que ce soit dans les familles, dans les entreprises, à l'école, dans le monde politique ou les relations internationales. On sait bien où cela mène : c'est la source de tous les conflits.

Comment en sortir ?
Le monde nouveau de D­ieu n'est-il pas une utopie, un rêve trop beau pour être vrai ?
A cette inquiétude Jésus répond par avance en deux phrases. Il évoque d'abord l'image de « la lampe » : la lampe allumée n'est pas destinée à être placée sous un seau ou sous un lit, mais sur un porte-lampe, car elle est faite pour éclairer.

La seconde phrase est encore sous forme de dicton : « Il n'y a rien de secret qui ne doive être mis au jour ». L'image de la lampe et le dicton se renforcent mutuellement, et le sens est clair : le message de salut proclamé par Jésus est une lampe allumée.
De même que la lampe est faite pour éclairer, de même la lumière du monde nouveau de Dieu doit chasser la nuit dans laquelle notre vieux monde meurt et se perd.

Le rayonnement du monde nouveau de Dieu est encore quelque chose de caché à la plupart, de confidentiel, de non évident. Mais [nous aurions] tort de vous faire du souci : la vérité finit toujours par éclater.

C'est sur cette certitude sereine de Jésus que j'aimerais vous laisser [et conclure] : [l’Évangile], c'est une bonne nouvelle de salut pour notre monde.
Elle a commencé à se répandre, la lumière a commencé à briller.

Elle est trop nouvelle, c'est-à-dire trop étrangère à nos mentalités naturelles pour être acceptée sans plus par la plupart des humains. Elle n'a été encore écoutée et reçue que par un petit nombre. Elle est donc encore pratiquement secrète, ­cachée, confidentielle, non évidente.

Mais la lumière de [l’Évangile] est faite pour éclairer. Et elle éclairera. […] [Dès maintenant nous pouvons nous en réjouir. Nous pouvons remercier Dieu pour cela.
Une seule chose nous est demandé : nous mettre à l’écoute de l’Évangile, en plaçant toute notre confiance en Dieu.] »[1]

Amen.


[1] Extr. Jean-Marc Babut, Actualité de Marc, p. 74-78.

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