Mt 6, 12.14-15
Lectures bibliques : Mt 6, 12.14-15 ; Mt 18,
21-35
Thématique : le Notre
Père : « Pardonne-nous nos offenses… »
Prédication de Pascal LEFEBVRE /
Marmande, le 15/06/14.
Ce matin, je vous propose de méditer
sur une des demandes du « Notre Père » : « Pardonne-nous nos offenses, comme nous
pardonnons aussi » et sur l’affirmation, quelque peu troublante, qui
suit cette prière : « En effet,
si vous pardonnez aux hommes leurs fautes, votre Père céleste vous pardonnera à
vous aussi ; mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père non plus
ne vous pardonnera pas vos fautes » (cf. Mt 6, 14-15).
En écoutant les versets qui concluent
le Notre Père et qui nous appellent au pardon… nous pouvons être saisis de
crainte :
Le pardon de Dieu serait-il conditionnel ?
Dépendrait-il de notre attitude, de notre propre capacité à pardonner nos
frères ?
Est-il une conséquence de nos actes…
ou, au contraire, nous est-il donné au préalable, par pure grâce, sans
condition ?
Il faut avouer que – malgré l’Evangile,
malgré le message que Jésus Christ est venu semer dans le cœur des disciples – l’idée
d’un Dieu qui rétribue, d’un Dieu capable de punir, de châtier, trainent encore,
ici ou là… dans certaines religions… certaines théologies… certaines têtes.
Et pourtant, dans notre Credo chrétien – dans le symbole des
Apôtres – nous disons clairement : je crois à « la rémission des péchés ».
Alors, comment y voir plus
clair ? Comment comprendre ces versets qui suivent le « Notre Père » ?
* Pour ce faire – ce sera le premier
point – nous pouvons nous appuyer sur la parabole du débiteur impitoyable (cf.
Mt 18,23-35).
Ici, Jésus nous offre une histoire,
une image.
Il compare Dieu à un roi… un roi qui
se laisse émouvoir par son serviteur endetté.
A travers ce personnage, Jésus nous
montre que le pardon de Dieu est premier.
L’Eternel, notre Père céleste, agit
à l’image de ce créancier surprenant, qui remet purement et simplement la dette
– le péché – de son serviteur, sans demander d’explication, sans exiger ni
contrepartie, ni compensation.
C’est cela la Bonne Nouvelle de
l’Evangile : nous croyons en un Dieu d’amour, un Dieu qui fait grâce, qui
pardonne nos fausses routes, nos errances, nos torts, sans condition, sans
mérite de notre part.
Il faut donc chasser de notre esprit
toute image d’un dieu vengeur ou punissant… qui imposerait un châtiment aux
misérables pécheurs. Car ce n’est pas le Dieu que Jésus-Christ est venu nous
révéler.
Dieu ne nous attend pas au tournant.
Il n’est pas là pour peser le poids de notre péché.
[Le pardon des péchés n’a rien à
voir avec une solution d’épicier :
Dieu ne tient pas compte de nos
fautes et ne se livre pas à de sadiques exercices de balance commerciale de nos
mérites et de nos manques, de nos créances et de nos dettes.
Il pardonne gratuitement à celui qui
se confie à lui.][1]
Bien entendu, cette gratuité a de
quoi nous étonner. Elle n’appartient pas à notre registre habituel… à nos
mentalités et nos fonctionnements traditionnels.
Dans notre société, rien n’est vraiment
donné... Tout doit se mériter. « On n’a rien sans rien ».
C’est le monde de la réciprocité, le
monde marchant du « donnant-donnant ». Certains diraient « le
monde de la dette », pour l’opposer au « royaume de la grâce ».
[Cette gratuité du pardon de Dieu demeure
donc inexplicable – et même incompréhensible – à celui qui continue à penser la
justice comme une distribution rétributive et symétrique de récompenses et de
punitions.
Elle contraint celui qui se met à
l’écoute de l’Evangile à découvrir un autre visage de Dieu, une autre image de
sa bonté… de sa miséricorde… qui est incommensurable… sans limite.][2]
Ainsi donc, Jésus Christ – à travers
cette parabole, comme à travers toute sa vie et son enseignement – annonce un
Dieu qui remet la dette – le péché – sans condition… un Dieu qui restaure la
relation rompue avec son serviteur, de façon unilatérale, par un acte de grâce
et de libération.
Alors, qu’il serait en droit de
réclamer le paiement de sa dette, alors qu’il pourrait exiger le remboursement
de son dû, il est celui qui – par amour, par générosité – accepte de
« lâcher-prise »… pour permettre à l’humain de passer à autre chose…
pour qu’il puisse renaître à la vie… à une vie nouvelle, libérée du poids de
son passé.
Cela veut dire que croire et annoncer
« la rémission des péchés », c’est vraiment proclamer une bonne
nouvelle transformatrice :
C’est déclarer que l’être humain n’est
pas prisonnier de son histoire (de ce qu’il a commis ou subi… de ses
culpabilités, de ses blessures)… qu’il n’est pas condamné à perpétuité à vivre
dans l’angoisse et à payer pour des actes passés… que Dieu ne veut pas
l’enfermer dans ses fautes et ses erreurs, mais lui permettre d’en sortir, pour
vivre autre chose, pour entrer dans une nouvelle dynamique.
* En même temps – et c’est le
deuxième point – nous entendons à travers cette parabole que Dieu attend
quelque chose de celui qui reçoit son pardon.
La seule chose qu’il attend de son
serviteur gracié, c’est qu’il adopte la même attitude, c’est qu’il agisse avec
autrui dans le prolongement de sa grâce, en se comportant à la hauteur du geste
libérateur dont il a lui-même bénéficié.
Sa volonté, c’est que celui qui a
reçu son pardon gratuit, puisse vraiment se l’approprier, pour qu’à son tour,
il puisse le vivre intérieurement et extérieurement… l’intégrer, l’offrir, le
propager… Pour que ce geste – à la fois de compassion et de miséricorde –
prenne toute sa dimension dans le cœur et l’existence de celui qui l’a reçu…
jusqu’à le manifester autour de lui… jusqu’à le diffuser à tous ses proches.
C’est ainsi qu’il faut comprendre le
pardon entre frères :
Le pardon accordé au prochain, n’est
pas une obligation morale, un devoir astreignant, mais simplement – si j’ose
dire – le prolongement du pardon que Dieu nous offre. Il est le fruit, la
conséquence du pardon de Dieu… d’un pardon capable de nous transformer.
Pour autant, cela ne veut pas dire
que ce soit « simple » ni même « naturel » de pardonner.
C’est sans doute quand on a vraiment
pris conscience de l’immensité, de la démesure du pardon de Dieu, qu’on peut, à
son tour, accepter de lâcher-prise et de pardonner autrui.
Cela signifie que si nous avons
parfois du mal à « lâcher prise », à abandonner la dette, l’offense,
le mal qu’autrui a pu nous faire… si nous avons des difficultés pour remettre
les torts de notre prochain… il faut essayer de mieux réaliser … de vraiment
prendre conscience… d’expérimenter même… le pardon de Dieu dans notre existence.
Car c’est quand nous réalisons
pleinement la gratuité et la force de l’amour de Dieu à notre égard, que nous
pouvons vivre le même amour envers nous – en nous aimant nous-mêmes –… et envers nos frères – en les aimant comme
nous-mêmes… comme Dieu nous aime et comme il les aime.
* J’en viens à un troisième et
dernier point, avec à la fin de la parabole : Comment comprendre ce qui
est dit à celui qui refuse le pardon à son frère ? Qu’est-ce que Jésus
veut dire quand il donne l’image d’un homme finalement livré aux tortionnaires,
en attendant qu’il eût remboursé tout ce qu’il devait ? (cf. Mt 18,
34-35).
Il faut, bien sûr, lire cela comme
une image. Si nous croyons en un Dieu d’amour et de grâce, ce n’est évidemment
pas Dieu qui va nous punir ou nous emprisonner.
Dieu ne punit pas !… il ne veut
pas le mal… encore moins la souffrance ou la torture. Non ! Ce que cela
veut dire, c’est qu’en choisissant de « ne pas pardonner »… en
restant dans la logique de la dette (en tenant le péché d’autrui)… en renonçant
donc à la logique de la grâce… nous risquons, en réalité, de nous punir nous-mêmes.
Nous risquons – pour nous-mêmes, en
nous-mêmes – de continuer à entretenir les conséquences de l’offense subie… nous
risquons de nous enfermer… si nous ne voulons pas lâcher-prise, si nous ne
parvenons pas à dépasser le ressentiment, le désir de paiement, de
remboursement, de vengeance.
Pour limiter le mal subi, pour pouvoir
le dépasser, le surmonter… il n’y a qu’une seule solution, c’est de
l’abandonner, de le laisser tomber… pour ne pas en rester prisonnier… pour
pouvoir passer à autre chose… pour ouvrir la porte – l’avenir – à quelque chose
de nouveau.
A travers l’image forte d’un maître
qui livre son serviteur aux bourreaux ou aux tortionnaires (cf. Mt 18,34),
Jésus veut nous dire – de façon percutante – que « le pardon » est
une nécessité vitale… une nécessité pour l’autre, mais aussi pour soi… pour que celui qui a été victime d’une
offense, puisse retrouver la paix… en pardonnant.
Cela veut dire que nous ne devons
pas recevoir l’exigence du pardon, comme une nouvelle loi… un devoir moral… mais,
bien davantage, comme un conseil de vie… une logique de vie – celle de la grâce
– qui nous est offerte, pour vivre la vraie liberté.
Pour vivre pleinement le salut que
Dieu nous offre, nous sommes invités, d’une part, à accepter de le recevoir dans
notre cœur, à nous savoir aimés de Dieu et aimables, malgré notre péché… mais
le Seigneur nous appelle également – et d’autre part – à nous approprier ce
salut, en lâchant le mal subi à cause des torts d’autrui, en le laissant aller…
pour nous en libérer.
En ce sens, on peut dire que le
pardon est une forme de « résistance » au mal reçu… au mal
susceptible de nous tenir, de nous ronger, si nous ne parvenons pas à le
lâcher.
Jésus nous apprend que
« Pardonner » relève d’un double mouvement de libération… de
gratuité :
C’est délivrer l’autre du poids de
sa dette, mais c’est aussi se libérer soi-même de son rôle de créancier, de
victime offensée, pour pouvoir s’ouvrir à autre chose, pour se trouver réconcilier
avec soi-même et avec Dieu… pour vivre une vie nouvelle, sous le regard bienveillant
et bien-aimant de notre Père céleste.
* Pour conclure, je voudrais
simplement citer deux brefs passages des évangiles :
"En voyant le Seigneur, les disciples furent tout à la
joie. Alors, à nouveau, Jésus leur dit : « La paix soit avec vous.
Comme le Père m’a envoyé, à mon tour je vous envoie. » Ayant ainsi parlé,
il souffla sur eux et leur dit : « Recevez l’Esprit Saint ; ceux
à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. Ceux à qui vous les
retiendrez, ils leur seront retenus. »" (cf. Jn 20, 20-23).
Ailleurs, Jésus dit également à ses
disciples :
« En vérité, je vous le déclare : tout ce que
vous lierez sur la terre sera lié au ciel, et tout ce que vous délierez sur la
terre sera délié au ciel » (cf. Mt 18,18).
A travers ces paroles, nous voyons
la délégation que le Christ confie à ses disciples, à ceux qu’il va envoyer
dans le monde pour propager la Bonne Nouvelle :
La mission des Chrétiens est de
transmettre le pardon de Dieu aux hommes… d’annoncer, en paroles et en actes,
la libération que Dieu nous offre, par son amour et sa grâce.
Nous sommes appelés à recevoir cette
Bonne Nouvelle dans notre vie, à la laisser nous transformer et à la propager
autour de nous… dans l’assurance que le pardon nous libère.
Amen.
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