Lc 7, 36-50
Lectures
bibliques : Jn 8, 1-11 ; Lc 7, 36-50 [1]
Thématique :
la foi ou le désir de laisser le salut
de Dieu entrer dans sa vie
Prédication
de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 15/12/13
Qu’est-ce
que ce texte de l’évangile peut nous dire de la foi et du salut ? Que
peut-on en retirer pour notre vie d’aujourd’hui ?
Pour
tenter une réponse… je vous propose de prendre d’abord quelques minutes pour
écouter un peu plus attentivement l’évangile, en nous posant une question toute
simple : qu’est-ce qui distingue la foi de la femme de l’attitude du
pharisien ?
L’évangéliste
Luc place cette rencontre dans le cadre d’un banquet où Jésus est invité par un
pharisien, Simon.
Nous
ne connaissons pas les motifs de cette invitation : Sans doute que l’homme
se pose des questions au sujet de Jésus, qu’il souhaite en savoir plus sur lui
et sur son enseignement ou, tout simplement, avoir une conversation avec le
rabbi, considéré comme un maître (v.40).
Lors
du repas, un incident se produit avec l’arrivée inopinée d’une femme connue
comme une pécheresse « dans la ville » (v.37).
Sans
que rien ne soit précisé, l’allusion à « la ville » signifie que son
péché est surtout un « péché social », quelque chose de notoriété
publique. Il s’agit peut-être d’une femme adultère ou plus vraisemblablement
d’une prostituée.
Tout
ce qui se joue dans la suite du texte nous montre deux attitudes
différentes :
-
D’un côté, une femme qui passe de la connaissance à l’action. Elle a appris que
Jésus est là à table dans cette maison et elle s’y rend. Toutefois, elle ne
vient pas pour en apprendre davantage et obtenir quelques réponses à ses
questions. Elle est là pour une vraie rencontre... une rencontre directe !
Pénétrant dans la maison, elle prend l’initiative et entre immédiatement en
relation avec Jésus : elle mouille ses pieds de ses larmes, elle les essuie
avec les cheveux de sa tête, elle couvre ses pieds de baisers et elle répand
sur eux du parfum.
En
quelques mots, Luc résume toute la démarche de cette femme : Elle n’est
pas là parce qu’elle s’interroge… sa foi n’est pas de l’ordre de la spéculation
ou d’une adhésion intellectuelle. Elle relève d’une adhésion existentielle.
Elle est là, parce qu’elle considère déjà Jésus comme son sauveur.
Et
cela, elle ne le dit pas avec des mots, avec une confession du péché ou une
confession de foi – elle ne prononcera pas un seul mot – mais avec son corps.
Ce sont tous ses gestes qui décrivent son attitude de foi et l’intensité
de la relation qu’elle établie avec Jésus, dans une posture d’humilité.
On
peut lire dans les pleurs de cette femme aux pieds de Jésus, une imploration,
c’est-à-dire, une prière, une supplication, une demande de pardon.
Ces
larmes de repentance semblent aussi mêlées à des larmes de délivrance… des
larmes de joie… d’une joie imprenable, qui vient de la conscience vive d’avoir
trouvé celui à qui elle peut tout confier… celui qui pourra lui manifester le
pardon de Dieu (v.47a. 48)… qui pourra la soulager de tous ses péchés, de ce poids
trop lourd à porter… pour la libérer… pour ouvrir un nouveau chemin.
Ce
qui fait dire ça, c’est le fait qu’avec ses larmes, elle répand aussi du parfum
sur les pieds de Jésus :
Si
ce geste correspond aux règles de l’hospitalité de l’époque – qui prévoyaient
de faire laver et parfumer les pieds des invités par un esclave – cette onction
d’huile peut également avoir un autre sens.
On
la pratiquait habituellement sur la tête, pour oindre le roi, le prêtre ou le
prophète. Le geste peut donc nous faire penser à une sorte d’onction messianique
et signifier que cette femme reconnaît Jésus comme le messie.
Cela
dit… ce n’est pas du tout ce que vont comprendre les témoins de cette
scène : Pour eux, les gestes excessifs de cette femme – avec ses pleurs,
ses cheveux et son parfum – sont tout-à-fait inconvenants et quasiment
érotiques. Ils s’indignent alors que Jésus se laisse « toucher »
(v.39) par une « intouchable », par une femme « perdue »,
pécheresse et impure.
-
L’évangéliste Luc nous laisse entendre l’indignation intérieure du pharisien. Curieusement,
son intérêt et sa désapprobation ne porte pas sur la femme – qui ne semble pas
du tout l’émouvoir – mais sur Jésus… celui qu’il avait invité afin de mieux le
connaître.
Or,
ce qu’il voit là, ne met pas en branle sa compassion, mais son jugement.
Faisant
preuve d’un regard critique à l’égard de la réaction de Jésus, qui laisse
faire… Luc nous laisse entendre que le pharisien reste à distance de son
invité :
Jésus
– pense-t-il – n’est pas un prophète… encore moins le prophète tant attendu… sinon,
il saurait qui est cette femme et de quelle espèce elle est, à savoir une
pécheresse.
La
suite du récit – nous l’avons entendu – va confronter le pharisien à son erreur
de jugement. Jésus va habillement lui faire « toucher » du doigt une
double vérité :
- Dieu
est un Dieu miséricordieux, qui fait grâce et qui pardonne, sans compter, sans
mérite (v.42).
- La
foi consiste à prendre part à ce salut offert par Dieu, à répondre à cet amour
premier de Dieu, dans l’amour et la confiance (v.47a. 50)… chose que la femme
semble avoir déjà compris.
Notre
passage met ici en dialogue 2 types de connaissance :
-
celle du pharisien qui croit savoir, mais qui juge sur les apparences, en s’en
tenant à des catégories morales ou à des règles de pureté religieuse.
-
celle de la femme pécheresse, qui ne dit pas un mot, mais qui vit une foi
incarnée, qui manifeste un mouvement de toute son existence vers le Christ.
Pour
faire accéder Simon à une autre vision des choses, Jésus emploie une parabole
qui raconte une histoire symétrique à la situation présente.
A
travers l’histoire d’un créancier (figure du Père) qui remet complètement leur
dette à deux débiteurs incapables de rembourser, Jésus donne à voir la
générosité et la gratuité du pardon de Dieu, qui remet les péchés, par pure
grâce, sans condition.
Mais
en comparant la situation des deux débiteurs, dont l’un est bien plus redevable
que l’autre – ce qui correspond ici à la situation de la femme pécheresse –
Jésus ajoute le motif de la gratitude à celui de l’amour… à savoir que le plus
gros débiteur sera logiquement le plus reconnaissant.
Toute
la suite du dialogue entre Jésus et Simon va dans ce sens, bien qu’elle laisse
apparaître une difficulté de traduction importante avec le verset suivant
(v.47) :
« Si je te déclare que ses péchés si nombreux
ont été pardonnés [dit Jésus], c’est parce qu’elle a montré beaucoup
d’amour. Mais celui à qui on pardonne peu montre peu d’amour ».
Une
telle traduction (ici, celle de la TOB) pourrait laisser penser que le pardon de
Dieu a été accordé, en raison… à cause… d’un acte humain : grâce à l’amour,
à la foi de cette femme.
Or,
on ne peut absolument pas tirer cette conclusion de la parabole racontée par
Jésus (v. 41-43). Le pardon de Dieu n’est pas conditionnel, il n’est la
conséquence de l’amour humain, mais il est premier… comme le laisse entendre la
comparaison avec le créancier qui fait grâce et remet la dette de ses
débiteurs.
C’est,
au contraire, l’attitude de la femme – la manifestation de son amour – qui est
une conséquence, une réponse à l’amour premier de Dieu… à cet amour
qu’elle vient chercher auprès de Jésus, mais dont elle sait, au fond d’elle,
qu’il lui est déjà offert, déjà acquis.[2]
Il
faut donc mieux entendre ce verset… comme le propose la traduction en français
courant :
« C’est pourquoi, je te le déclare [dit Jésus] :
le grand amour qu’elle a manifesté prouve que ses nombreux péchés ont
été pardonnés. Mais celui à qui l’on a peu pardonné ne manifeste que peu
d’amour » (v.47).
Malgré
tout… cette difficulté, cette ambiguïté du texte, peut nous inciter à réfléchir
à cette « manifestation d’amour » qui est ici évoquée.
Que
veut dire Luc quand il dit « elle a montré beaucoup d’amour »
(v.47) ?
Au-delà
des gestes et de l’attachement qu’elle manifeste à Jésus, le mot
« amour » n’est-il pas utilisé, ici, pour manifester la foi et la
gratitude de la femme ?[3]
Cela
irait dans le sens de la conclusion de cette rencontre : « ta foi t’a sauvé. Va en paix »
(v.50).
Non
pas que ce soit la foi, à elle seule, qui sauve cette femme, mais cette fameuse
expression – qu’on retrouve à 4 reprises dans l’évangile de Luc – met l’accent
sur le côté participatif du salut.
En
effet… que serait un salut offert par Dieu, mais non reçu par l’être
humain ?
A
quoi cela servirait-il que Dieu nous pardonne notre péché, si nous ne nous
approprions pas son pardon, si nous ne le recevons pas, si ça ne change rien
dans notre existence ?[4]
Certes,
nous savons que le salut nous est offert par grâce – depuis la Réforme, les
théologiens protestants ne cessent de le répéter – mais ce que nous montre
l’évangile de ce jour, c’est que les choses ne s’arrêtent pas là :
Il
nous faut encore accepter ce salut de Dieu et le recevoir dans notre vie, par
la foi.
Il
nous faut encore y prendre part et nous laisser transformer par lui.
Regardons
un instant… et rapidement… les 4 passages de l’évangile où la formule « ta
foi t’a sauvé » est employée par Jésus :
-
Elle apparaît ici, pour la première fois (Lc 7,50).
-
Ensuite, lors de la guérison de la femme hémorroïsse (Lc 8,48), un passage qui
montre l’agir de la foi : celle d’une femme qui prend l’initiative, qui
vient toucher la frange du vêtement de Jésus… qui agit en raison de sa
souffrance et de sa confiance.
-
Nous trouvons également l’expression lors de la guérison du lépreux samaritain,
1 des 10 lépreux (Lc 17,19). Ici encore, c’est le samaritain qui prend
l’initiative et qui revient une seconde fois vers Jésus, pour le remercier et
pour glorifier Dieu, après sa purification.
-
Enfin, la formule revient lors de la guérison d’un aveugle à Jéricho (Lc 18,
42)… de cet aveugle animé par la foi, qui crie avec insistance vers Jésus, en
faisant appel à sa compassion.
Il
y a un point commun à tous ces récits :
Il
s’agit, à chaque fois, du mouvement de confiance de l’être humain vers le
Christ… d’une demande de guérison ou d’un mouvement de gratitude.
La
foi mobilise… fait aller de l’avant. Elle fait entrer en relation avec Jésus,
en conduisant à des gestes ou des paroles pour solliciter son action.
Puis,
elle suscite un relèvement et un envoi, une guérison et une paix.
Dans
toutes ces situations… la foi, relève d’abord, d’une pauvreté, d’une humilité –
celle d’un homme ou d’une femme qui reconnaît implicitement son état : son
péché ou sa maladie –… ensuite, d’une volonté très forte de changement, une
volonté de salut, de guérison… enfin, d’une confiance inouïe envers Jésus,
reconnu comme le médiateur possible de cette guérison.
Ce
qui pousse ces hommes et ces femmes à agir ainsi, avec audace et courage, c’est
l’attente d’un autre avenir, c’est leur foi en l’impossible.
En
dépit de leur misère et de leur souffrance, ils sont littéralement mis en
mouvement… mus… par leur espérance et leur confiance.
Dès
lors, face à cette « grande foi »… à cette incroyable volonté de s’en
sortir et de guérir, et à cet élan de confiance… Jésus n’a plus qu’une chose à
faire : accepter, entériner et prendre acte de ce mouvement, pour
l’approuver, pour prononcer le « oui » au nom de Dieu… le
« oui » qui relève, qui donne guérison et paix.
C’est
exactement ce qui se joue dans notre passage :
La
femme n’a pas prononcé un seul mot, mais, assurément, par son attitude, ses
pleurs et ses gestes, elle a « montré beaucoup d’amour »
(v.47) :
Elle
a montré son désir de passer à autre chose, de dépasser son péché, de changer
d’état, de changer de vie.
Elle
a également montré sa pleine confiance en Jésus. Elle sait qu’il est celui qui
peut prononcer le « oui » de Dieu, qui peut la restaurer dans son
identité, pour l’ouvrir à une vie nouvelle, en relation avec Dieu et avec les
autres.
Nous
avons là… chers amis… 2 ingrédients essentiels à toute guérison : le désir
de changement et la confiance… et sans doute même un 3ème : la
gratitude.
C’est
bien parce que cette femme était animée par tout cela, qu’elle a pu recevoir le
salut dans sa vie.[5]
Et
c’est en ce sens qu’on peut comprendre l’affirmation de Jésus : « ta
foi t’a sauvé ».
L’amour
qu’elle a manifesté (v.47) prend ici le nom de foi (v.50).
Et
le pardon – le pardon des péchés – qu’elle a reçu, prend le nom de salut,
c’est-à-dire de relèvement, de guérison, à la fois, spirituelle, relationnelle
et sociale.
Alors…
chers amis… que pouvons-nous conclure de tout cela, pour nous aujourd’hui… dans
la situation qui est la nôtre ?
En
racontant cette rencontre avec Jésus, l’évangéliste Luc met l’accent sur
l’aspect participatif du salut :
Contrairement
au pharisien qui, bien qu’ayant invité Jésus, reste d’abord à distance de lui,
par son jugement critique… la femme pécheresse fait preuve d’une incroyable
audace. Elle n’hésite pas un instant à exprimer son désir de changer, de
recevoir le pardon de Dieu… elle n’hésite pas à prendre l’initiative en se
jetant aux pieds de Jésus, en exprimant sa confiance.
A
travers ses gestes, cette femme nous rappelle que la foi est liée à l’amour.
Elle se concrétise dans l’amour.
Autrement
dit, la foi de cette femme est vivante… elle s’exprime dans son attitude, son
regard et ses gestes… elle ne reste pas à un niveau philosophique, intellectuel
ou spéculatif. Et c’est en cela que cette foi est participante et salvatrice.
C’est
tout ce mouvement de l’être… cette confiance vécue… cette foi vivante… qui lui
permet d’accueillir la grâce de Dieu, le pardon, dans sa vie.
Ainsi
donc… ce que cette femme nous montre, c’est ce dont nous avons besoin pour que
le salut ne reste pas simplement une belle idée, une potentialité, mais qu’il
devienne une réalité pour chacun… en chacun :
Pour
que ce salut soit opérant et vivifiant, il nous faut l’incarner, l’accepter, le
recevoir, y prendre part dans notre existence, au moyen de la foi.
Pour
s’épanouir en nous, pour être à même de nous transformer, le salut – le
« oui » de Dieu – a besoin de notre réponse, de notre adhésion
existentielle… de la réponse de notre amour.
C’est
la raison pour laquelle Jésus ne cesse d’appeler à la foi dans les
évangiles :
« Ayez
foi en Dieu » (cf. Mc 11, 22)
« Croyez
en Dieu, croyez aussi en moi. » (cf. Jn 14,1)
« Cesse d’être incrédule et deviens un homme [une
femme] de foi » (cf. Jn 20, 27)
Si
Dieu est bien l’auteur du salut… Jésus
nous appelle à être acteur de notre
foi… à nous laisser saisir par l’Esprit d’amour et de pardon de Dieu… pour que
sa grâce soit réellement source de transformation dans notre vie.
Le
témoignage de l’Evangile nous rappelle cette promesse : la foi nous donne
accès à l’extraordinaire, à l’impossible… jusqu’à « transporter les
montagnes » nous dit Jésus (cf. Mc 11,23) … car elle fait entrer le salut
de Dieu – sa lumière – dans notre vie… dans notre demeure (cf. Jn 14,23 ;
Lc 19,9).
Amen.
[1] A priori, il n’y a aucune relation entre ces 2 passages des
évangiles. Pourtant, faut-il risquer un lien entre ces 2 textes ? Certains
exégètes se demandent si le récit primitif inclus en Jn 8 (la femme adultère)
n’était pas au départ un récit lucanien. Par ailleurs, le caractère spontané de
la démarche de la femme montre que Jésus est déjà reconnu par elle comme celui
qui pardonne. Le sait-elle par réputation, par ouï-dire ou par expérience
personnelle ?
[2] En tout cas, Jésus,
lui, le sait. Puisqu’il ne cesse d’annoncer un pardon déjà donné par Dieu,
comme l’indique l’usage du passif en grec : « Ses/Tes péchés ont été
pardonnés [sous entendu … par Dieu] » (v.47a et 48).
[3] On peut le penser en
raison de l’absence de verbe en hébreu et en araméen pour exprimer la
gratitude. Par ailleurs, le verbe grec agapaô
peut aussi avoir cette nuance.
[4] Si cela ne nous dé-préoccupe pas de nous-mêmes ? si cela ne nous
libère pas de notre fardeau, pour nous permettre d’aimer librement et de nous
mettre au service des autres ?
[5] Contrairement à d’autres situations racontées
dans l’évangile, Jésus n’a pas eu besoin de lui demander ce qu’elle voulait
[cf. « que veux-tu que je fasse pour toi ? » (Lc 18, 41) ou
« veux-tu guérir ? » (Jn 5,6)], tant ses gestes, son désir et sa
confiance étaient explicites.
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