Pr 12, 18 - Le pouvoir de la Parole
Lectures bibliques : Pr 12, 18 ; Jc 3, 5-12 [+ éventuellement Ps 119,105-112.129-134.145-149]
Prédication de
Pascal LEFEBVRE / Marmande, le 01/12/13.
La fin de l’année approche… et bientôt la perspective des élections
municipales du mois de mars. Ici ou là, les candidats se déclarent… et certains
préparent déjà leur programme.
Lorsqu’un homme politique fait campagne, il est, la plupart du temps,
conduit à présenter un projet et à faire des promesses aux citoyens.
Mais, bien souvent, les choses se compliquent lorsqu’il a atteint son
but, lorsqu’il est enfin élu. Car certaines de ses promesses s’avèrent
réalisables, tandis que d’autres sont beaucoup moins faciles à mettre en place…
voire impossible à concrétiser… pour des différentes raisons : pour des
motifs budgétaires ou juridiques… ou à cause de la pression de certains
lobbies.
Du coup, aux élections suivantes, les électeurs se méfieront davantage
des promesses de campagne. Et peu à peu, la méfiance et le discrédit politique
risquent de prendre le pas sur la confiance.
L’expérience montre qu’on aura tendance à se méfier des paroles de l’un
ou de l’autre… d’un homme politique… mais aussi, de la même manière, d’un
voisin… d’une connaissance… ou même d’un proche… quand on s’aperçoit que les
paroles sont faciles, qu’elles n’engagent pas forcément… alors que leur réalisation,
leur mise en pratique, est beaucoup moins évidente.
Soit qu’on ait affaire à de vaines promesses, des paroles en l’air, des
paroles sans lendemain ; soit – plus grave – à une tromperie manifeste, un
mensonge volontaire.
C’est précisément ce qui distingue la parole avec un petit
« p », la parole de l’homme… de la Parole avec un grand
« P », la Parole de Dieu[1].
Dans la Bible, plusieurs mots traduisent la notion de
« Parole » : le verbe « ‘Amar »
ou le mot hébreux « Dabar »
ou encore le mot grec « Logos ».
Il y a une spécificité de ces mots : c’est qu’ils disent beaucoup
plus de choses que ce que désigne le simple mot « parole » en
français.
Ils sont notamment employés pour parler de ce que Dieu dit et fait… de la
Parole de Dieu, en tant que parole en acte, parole créatrice, parole qui fait
ce qu’elle dit.
Les mots hébreux « ‘Amar »
et « Dabar » désignent
l’acte même de dire, l’acte même de parler… et l’événement qui en résulte.
C’est ce qui se joue, par exemple, dans le récit de la Genèse :
« Et Dieu dit : ‘que la lumière
soit !’ et la lumière fut. » (cf. Gn 1,3).
Il s’agit d’une Parole créatrice, désignant, à la fois, la parole dite et
l’acte même de parler, qui est créateur.
C’est sans doute ce qui distingue fondamentalement la parole de l’homme
de celle de Dieu :
La parole de Dieu est une parole puissante… une parole performative… qui réalise
ce qu’elle énonce… qui associe « Parole et Acte ».
C’est une Parole à laquelle on peut se fier… une parole de promesse, de confiance.
Dans la liturgie du culte, nous l’explicitons, au moment de l’annonce du
pardon ou lors de la prière d’illumination, en disant que tel ou tel
passage de l’Evangile est une parole « certaine », une « Parole
de vie ».
Nous l’affirmons dans la mesure où nous savons que Dieu est fidèle et
bon, qu’il mène à bien ses projets… que nous pouvons donc placer en Lui notre
foi… nous appuyer sur Lui avec confiance.
S’il en est ainsi de la Parole de Dieu… la parole humaine, en revanche,
n’a pas forcément ce statut. Elle n’a pas cette fiabilité.
Il est vrai que Dieu a donné à l’homme le langage, la faculté de parler.
Dans les récits de la Genèse, Dieu confie à l’homme sa création. Il lui
donne son souffle (cf. Gn 2,7) et l’usage de la parole. Il lui demande
d’exercer une douce maîtrise sur la nature et sur les autres créatures (cf. Gn
1, 26-28), de nommer les animaux (cf. Gn 2, 19-20). D’une certaine manière, il
fait de l’homme un collaborateur de son acte de création. Il le rend « co-créateur ».
Mais, pour autant, la parole de l’homme reste ambiguë.
En effet, nous savons que la parole constitue un véritable pouvoir, mais
un pouvoir à double tranchant, qui peut s’exercer positivement ou négativement…
pour bénir ou pour maudire… pour ouvrir ou enfermer… pour pardonner ou
condamner.
Et c’est bien ce que nous a rappelé à l’instant le livre des
Proverbes :
« Les paroles des bavards
blessent comme des coups d’épée, tandis que le langage des sages est comme un
baume qui guérit » (cf. Pr 12, 18).
Lorsqu’une personne est bienveillante… lorsqu’elle met en relief le
positif… lorsqu’elle recherche la valeur… lorsqu’il y a une véritable cohérence
entre ce qu’énonce la parole et les actes qui en découlent… alors,
« oui »… notre parole peut avoir l’effet d’une bénédiction… d’un
baume qui soigne, qui apaise, qui libère, qui guérit.
Peut-être, avons-nous déjà fait l’expérience personnelle d’une telle parole
– celle d’un parent, d’un proche, d’un professeur – qui nous a construit… qui a
pu être vivifiante ou encourageante pour nous.
Mais, quand il s’agit d’une parole qui menace, qui trompe, qui ment ou
qui médit… alors, la langue peut avoir une véritable virulence et causer les
effets les plus désastreux.
Elle peut paralyser ou abîmer… anéantir psychologiquement… réduire l’élan
et la vitalité d’une personne.
C’est, en ce sens, que Jacques
dit que la langue est certes un petit membre, mais qu’elle peut causer bien des
dégâts… être comme un « feu », un « fléau », un
« poison mortel » même, capable de souiller, de salir, de pervertir,
de maudire (cf. Jc 3, 5-12).
Et cela est d’autant plus visible de nos jours, dans un monde ultra
médiatisé et connecté, grâce aux moyens modernes de communication : internet,
la téléphonie et les réseaux sociaux.
Alors que chacun a tendance à y aller de son « twitt » ou de son
petit commentaire personnel… sur tel ou tel événement… ou telle ou telle situation…
nous ne nous rendons pas toujours compte des conséquences de nos paroles… qui,
parfois contribue, d’une manière ou d’une autre, au jugement des personnes, à la
pesanteur du fardeau de la culpabilité ou à la propagation de la médisance.
[[ Entre parenthèses… cela est encore plus vrai quand cette parole trouve
des relais médiatiques dans l’espace public, comme c’est le cas de la parole de
ceux qui exercent certaines fonctions ou responsabilités dans la société ou
dans l’église : les hommes politiques, les enseignants, les avocats et les
magistrats, et même les pasteurs et les membres d’un Conseil presbytéral… qui
ont un rôle pédagogique d’information, d’enseignement ou d’accompagnement…. mais
aussi un devoir de réserve et de discrétion.
Or, pour faire le « buzz »
et créer l’évènement, bien des journalistes sont tentés de chercher « la
petite bête », d’appuyer là où ça fait mal… contribuant ainsi –
volontairement ou non – au discrédit de l’image des personnes et des leurs
idées.
C’est un phénomène qui nous échappe, mais qui doit attirer notre
vigilance : Bien souvent, la manière dont les médias utilisent leur parole,
contribue à la caricature des idées et à la réduction du débat public sur les
questions de fond.
Pour des raisons économiques… - il faut bien vendre son journal ! -
… beaucoup préfèrent surfer sur l’évènementiel… s’en tenir aux informations
superficielles et tranchées.
Mais ce phénomène a des conséquences regrettables… car il ne donne aucune
visibilité aux positions intermédiaires et nuancées… il ne favorise absolument pas la recherche du
consensus, le désir de trouver des solutions communes, en vue de l’intérêt
général.
Je crois que les médias portent ici une lourde responsabilité. Car, bien
souvent, en simplifiant les positions des uns et des autres, en caricaturant
les paroles et les personnes, ils ne présentent pas aux citoyens les vrais
enjeux, ils ne leur donnent pas l’occasion et les moyens de réfléchir et de
débattre sereinement des questions importantes… des grandes orientations de
notre pays.
En d’autres termes, ils ne participent pas, comme ils le pourraient, à la
formation de citoyens éclairés et éduqués, aptes à s’interroger et à
s’impliquer. Et c’est bien dommage !
Cela dit… en tant que lecteurs ou téléspectateurs, nous avons aussi un
rôle à jouer : A commencer par la liberté que nous avons de choisir à
quelles paroles nous accordons du crédit.
Nous sommes libres de décider ce que nous lisons ou ce que nous
regardons… en préférant, par exemple, nous fier à « Arte »… plutôt
qu’à « TF1 »… à tel ou tel journal… à « Ensemble »,
« Réforme » ou « Evangile et Liberté »… plutôt qu’à « Voici »,
« Galla » ou « Closer ».
Nous avons la possibilité de faire basculer l’audience, en optant pour ce
qui paraît plus qualitatif… en choisissant ce qui nous fait grandir, ce qui
semble le plus apte à éveiller nos consciences.
Je ferme ici la parenthèse. ]]
Ce pouvoir étonnant de la parole… avec sa possible ambiguïté… sa dualité…
a été relevé dans plusieurs livres bibliques. Ils soulèvent les dangers potentiels
des langues déliées et bien pendues… et incitent, en conséquence, à la plus
grande prudence et même à la sobriété.
Plusieurs passages de la Bible appellent ainsi à la vigilance et à la sagesse
dans l’usage de la parole :
- On peut penser, par exemple, à quelques versets du livre des
Proverbes :
« Où abondent les paroles le
péché ne manque pas,
mais qui
réfrène son langage est un homme avisé.
La langue du
juste est un argent de choix,
Le cœur des
méchants ne vaut pas grand-chose. […]
Les paroles du
juste sauront plaire,
Mais la langue
des méchants n’est que propos pervers » (cf. Pr 10, 19-20.32).
- De même, le psalmiste adresse une prière à Dieu, pour lui demander son
aide :
« Seigneur, mets une garde à
ma bouche, surveille la porte de mes lèvres » (cf. Ps 141, 3).
Plus fondamentalement (au-delà de ses paroles), il demande à Dieu de
retenir son cœur, afin qu’il ne se laisse pas entrainer sur la pente du mal
(v.4). Car, ce que dit la bouche… n’est-ce pas, en réalité, ce qui déborde du
cœur ? (cf. Mt 12, 34).
Le psalmiste est donc avisé de demander à Dieu la conversion et la
sagesse en se réfugiant dans la fidélité du Seigneur. Son seul désir est que
Dieu fasse naître, en lui, un cœur pur et un esprit nouveau (cf. Ps 51, 12).
- Enfin, on peut penser à l’Ecclésiaste (Qohéleth), qui attire notre
attention, non seulement sur les paroles échangées avec les hommes, mais aussi
sur les mots adressés à Dieu.
Je cite : « Que ta bouche
ne se précipite pas et que ton cœur ne se hâte pas de proférer une parole
devant Dieu.
Car Dieu est
dans le ciel, et toi sur terre.
Donc, que tes
paroles soient peu nombreuses !
Car de
l’abondance des occupations vient le rêve et de l’abondance des paroles, les
propos ineptes.
Si tu fais un
vœu à Dieu, ne tarde pas à l’accomplir. […]
Mieux vaut pour
toi ne pas faire de vœu que de faire un vœu et de ne pas l’accomplir. […]
Quand il y a
abondance de rêves, de vanités, et beaucoup de paroles, alors, crains
Dieu » (Qo 5, 1-6).
Pour l’Ecclésiaste, comme pour le Psalmiste ou le livre des Proverbes, « la crainte du Seigneur est le commencement
de la sagesse » :
La crainte du Seigneur, ce n’est évidemment pas la peur. La 1ère
épître de Jean nous dit que « l’amour bannit la crainte » (cf. 1
Jn 4,18). Ce dont il est ici question, c’est de la reconnaissance de la
souveraineté de Dieu, c’est le respect et la confiance en Dieu. C’est là, pour
beaucoup d’auteurs bibliques, le principe même de la sagesse (cf. par ex. Qo
12, 13 ; Pr 1,7 ; 9,10 ; 14,27 ; 19,23 ; Ps
24,14 ; 103,17 ; 111,10 ; 147,11 ; Ac 9,31 ; 2 Co
5,11 ; voir aussi Dt 10, 12-13).
Ce qui est intéressant dans ce passage de Qohéleth, c’est l’idée d’accomplissement
de la parole (voir aussi Es 55, 10-11). Car, c’est – semble-t-il – ce qui
distingue fondamentalement la Parole de Dieu de celle de l’homme.
Bien que tout au long de sa vie, l’homme tente d’être cohérent avec
lui-même, de mettre en pratique ce qu’il pense, ce qu’il croit et ce qu’il dit,
il n’y parvient pas systématiquement.
Certains – plus pessimistes – diront même, qu’il y parvient rarement.
Il suffit de regarder le monde autour de nous. Beaucoup d’hommes et de
femmes sont bourrés de bonnes intentions. Mais, dès qu’il faut faire un effort…
renoncer à soi-même (cf. Lc 9,23), à son intérêt particulier au profit de
l’intérêt général ou de celui des plus petits parmi nos frères (cf. Mt 25)… il
ne reste plus grand monde, pour agir... et mettre en actes ses convictions et
ses paroles.
Et c’est, sans doute, aussi notre cas : Nous aimerions bien que les
gens, autour de nous, soient plus accueillants, plus conviviaux, plus
fraternels… qu’ils aient également une sensibilité écologique plus aiguisée
face à la pollution environnementale… un investissement plus grand dans
l’Eglise, dans le bénévolat ou le monde associatif… bref, un mode de vie moins
individualiste, moins égocentrique, et plus responsable. Mais, quand c’est à
nous d’agir… de faire les 1ers pas : sommes-nous aussi prompts et engagés
que prévu ?… sommes-nous prêts à modifier notre manière de vivre et nos
comportements ? En un mot, sommes-nous pleinement cohérents… cohérents et
fidèles avec nos pensées et nos valeurs ?
S’il nous arrive d’être inconséquents – reconnaissons-le humblement
! – il n’en est pas de même pour Dieu : Il est le roc sur lequel on peut
s’appuyer (cf. Ps 31,3-5 ; 62,7 ; 71,3 ; Dt 32,4 ; 2 S
22,2-3).
Sa Parole est non seulement une Parole créatrice, une Parole agissante,
mais également une lampe qui guide nos pas, une lumière sur nos sentiers (cf.
Ps 119, 105)… la lumière dont nous avons besoin pour conduire notre monde sur
le chemin du salut.
C’est pourquoi, dans la Bible, le mot Parole est également synonyme de
Loi – de Torah – et de Sagesse.
Pour les Chrétiens, cette Parole, cette Sagesse personnifiée (cf. Pr 8 ;
Si 24), s’est révélée, s’est manifestée dans un homme : Jésus Christ… que
nous recevons comme l’incarnation… comme la personnification de la Parole de
Dieu (cf. Jn 1,1-18).
Ainsi… pour nous Chrétiens… c’est en regardant à Jésus Christ, que nous
discernons la volonté de Dieu, son projet pour l’humanité.
C’est en regardant à Jésus Christ que nous découvrons ce qu’est un homme
pleinement accompli… notre vocation d’être humain.
C’est à travers lui que se réalise la Parole de Dieu… une Parole
efficace, une Parole en Acte, qui accomplit ce qu’elle promet… qui vient nous
apporter paix, libération et guérison.
En Jésus Christ, Dieu vient manifester son amour… sa volonté de dépasser tout
ce qui pourrait nous éloigner de lui : notre indifférence, nos
incohérences et même nos tentations de vivre sans Dieu ou de prendre sa place.
Il vient nous rappeler que son projet pour l’humanité s’inscrit dans la relation
entre l’homme et Dieu.
Il vient faire résonner un « oui » de bénédiction… un
« oui » qui surmonte tous nos « non » (cf. Jn 3,16 ; 1
Jn 4,9s).[2]
C’est le sens des paroles de bénédiction que le pasteur prononce à la fin
du culte, au nom de Dieu : Elles permettent de réentendre et de recevoir
collectivement le « oui » de Dieu sur nous… sa paix et sa bénédiction,
pour construire un projet de vie avec Lui… le « oui » de Dieu qui
nous envoie… qui nous appelle à nous engager, à prendre notre part de
responsabilité… pour nous inscrire dans une dynamique de vie, qui nous
grandisse, qui nous élargisse, qui nous illumine.
La parole de bénédiction prononcée au nom de Dieu – comme celle que nous
recevons le jour de notre baptême – n’est pas une parole magique, mais une
parole affirmative adressée à quelqu’un… à chacun d’entre nous.
C’est une parole d’amour que Dieu nous invite à recevoir, à nous
approprier, à habiter… afin d’entrer en dialogue avec Lui… afin d’oser répondre
« oui » à notre tour.
C’est en recevant peu à peu cette Parole – cette force de Dieu – dans
notre existence, que nous nous rendons compte de son pouvoir :
Comme toute parole d’amour, la Parole de Dieu a la capacité de nous
relever, de nous libérer, de nous transformer.
Elle est véritablement une Bonne Nouvelle, « un baume qui guérit ».
Elle fait de nous des ressuscités, des hommes et des femmes debout…
envoyés vers les autres… pour être des porte-paroles, des porteurs de Bonne
Nouvelle.
Voilà… chers amis… ce à quoi nous sommes appelés : à faire bon usage
de notre parole et à porter des paroles de bénédiction… à être des porteurs de
Bonne Nouvelle !
C’est ainsi que nous vivrons ce que le psalmiste demande à Dieu :
« Fais-moi revivre… fais-nous
revivre… selon ta Parole » (cf. Ps 119, 107b).
Amen.
[1] Je ne parle pas ici des
Ecritures ou de la Bible, mais de la Parole de Dieu, en tant que Parole en
Acte, Parole de vie, c’est-à-dire d’une Parole qui réalise ce qu’elle énonce
sous l’action de l’Esprit. Pour les Chrétiens, Jésus Christ est la
manifestation centrale de cette Parole de Dieu.
[2] Dieu nous offre chaque jour de recommencer. Il nous appelle à vivre en
relation avec Lui. Il nous donne sa Parole et son Esprit saint pour nous
éclairer. Il nous reçoit comme ses enfants, ses fils et ses filles. Et il nous
envoie dans le monde, pour témoigner de sa confiance et de son amour pour tous
les humains.
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