dimanche 4 août 2013

Mt 9, 1-8


Mt 9, 1-8
Lectures bibliques : 1 Jn 4, 7-9.16b.18-21 ; Mt 18, 15-18 ; Mt 9, 1-8
Thématique : une autorité qui libère du péché et de la peur / Libérés pour libérer
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Marmande, le 04/08/13.

* Qui a le pouvoir de pardonner les péchés ?
Voilà une question très sérieuse posée à Jésus, face à un homme paralysé sur une civière et à un groupe de religieux – de scribes – qui pensent que ce pouvoir n’appartient qu’à Dieu… qu’il relève d’une prérogative divine.

Tout le passage vise à démontrer qu’il n’en est pas seulement ainsi… qu’en réalité il appartient à l’homme (à l’homme préoccupé par le règne de Dieu et sa justice (cf. Mt 6,33)… à l’homme qui agit au nom du Christ (cf. Mt 10, 1) ou de l’Esprit saint (cf. Mt 12,20 ; Jn 20, 22s)) de remettre le péché d’autrui au nom de Dieu.
Le pardon des péchés n’est pas la chasse gardée de Dieu au ciel. Sur la terre, ce pardon peut aussi être prononcé et donné… et il est tout aussi complet, tout aussi valable, que celui que Dieu accorde au ciel (cf. Mt 18, 18).

La conviction de Jésus, c’est que Dieu délègue ce pouvoir à ses enfants. Il permet à chacun de délier autrui du poids de son péché, du poids de sa dette, d’une culpabilité, capable de l’enfermer, de le réduire et même de le paralyser.

Pour comprendre ce passage de l’Evangile, il faut se souvenir qu’en hébreux, le mot « péché » veut dire « rater sa cible ». Il s’agit avant tout d’une faute relationnelle (vis-à-vis de soi-même, de Dieu et des autres), avant d’être une faute morale.
Et il faut resituer ce récit dans le contexte de l’Ancien Testament et du Judaïsme.
La pensée du Proche Orient Ancien opère un lien, une association entre péché et maladie[1].

Aujourd’hui, ce mode de pensée peut nous choquer, car, bien évidemment, nous savons que ce lien peut être contestable.
Si j’attrape, par exemple, le virus de la grippe ou un staphylocoque, ou si je nais avec une maladie génétique ou auto-immune, cela n’a rien à voir avec la notion de péché, avec une faute relationnelle.

En même temps, on ne peut pas rejeter complètement cette manière de penser qui s’intéresse à l’homme dans sa globalité (dans son rapport à lui-même, aux autres et au monde), sans limiter la notion de santé (ou de maladie) au registre physique ou physiologique.
S’il n’existe pas de lien systématique entre péché et maladie, l’association « péché-maladie » (et donc « pardon-guérison ») peut parfois s’avérer juste dans certaines situations :
Par exemple, à la suite d’une faute relationnelle grave (dont je suis responsable ou dont je suis victime), il se peut que je développe un fort sentiment de culpabilité ou même une maladie psychosomatique.
Le péché, en tant que cause, peut avoir des conséquences sur mon mode de vie et mes représentations. Il peut conduire à une maladie, en tant qu’effet : à la dépression, au développement d’une pathologie ou d’un comportement mortifère.

Autrement dit… la conception du Judaïsme du 1er siècle, c’est que le péché est une puissance capable d’asservir l’homme au point de le paralyser… qu’il peut être la cause d’une maladie… et qu’il est plus difficile d’éliminer la cause (le péché) que de soigner les symptômes, les effets (que constitue la maladie).

En effet, pour les scribes, l’homme ne peut pas remettre le péché, il ne peut pas s’en libérer par lui-même. Il appartient exclusivement à Dieu de pouvoir le faire. Le pardon est un acte de Dieu. Cela signifie que l’homme ne peut agir que sur les conséquences, les symptômes de la maladie.
Et c’est la raison pour laquelle les Juifs religieux du temps de Jésus pensent que celui-ci blasphème, qu’il emploie le nom de Dieu en vain, en osant pardonner au nom de Dieu… en s’arrogeant une autorité (celle de remettre les péchés) qui n’appartient qu’à Dieu (cf. Mc 2, 7).

Mais Jésus conteste cette manière de penser notre relation à Dieu. Il veut montrer que Dieu – pour faire advenir son règne… son royaume d’amour, de justice et de paix, sur terre – délègue aux hommes cette autorité… qu’il leur donne la possibilité d’opérer des guérisons (cf. Mt 10, 1) et de pardonner les péchés (cf. Mt 9, 8 ; Mt 18, 15-35), c’est-à-dire d’en libérer autrui, en les remettant, en les écartant, en tournant la page une bonne fois pour toutes.[2]  

Pour démontrer le bien fondé de cette conviction, Jésus opère un renversement :
Pour lui, il n’est pas plus difficile de dire à un homme « tes péchés sont pardonnés » que de le guérir et de lui dire « lève-toi et marche ». Au contraire, il est plus difficile d’opérer une guérison et de dire « lève-toi et marche », car une telle affirmation doit être suivie d’effet et être immédiatement constatable aux yeux de tous, tandis que dire « tes péchés sont remis » reste une affirmation indémontrable et invérifiable.

En opérant une démonstration a fortiori, Jésus part du plus difficile pour aller au plus facile… « qui peut le plus peut le moins » :
S’il est capable de dire au paralytique « lève-toi et marche » et que cela se réalise vraiment, d’autant plus aura-t-il montré qu’il a aussi l’autorité de remettre les péchés.

Et c’est précisément ce qui se passer dans ce récit de guérison. Jésus adresse à l’homme couché la parole la plus difficile à dire : « lève-toi, prends ta civière et va dans ta maison ». L’homme se relève et obéit.
Ainsi, il montre que sa parole initiale : « confiance , mon fils, tes péchés sont pardonnés » (cf. Mt 9, 2) était adéquate et n’avait rien de blasphématoire… contrairement à ce que croyaient les scribes.

Le fils de l’homme – et ici l’expression ne désigne pas seulement Jésus (v.6), mais l’Homme / l’être humain en général (v.8)… tout individu en tant que fils de Dieu, en tant que disciple du royaume, de cette humanité nouvelle que Jésus est venu susciter – a cette capacité : Dieu lui donne cette faculté, cette autorité de remettre aux autres leurs péchés… et ainsi de s’attaquer à la cause présumée du mal, afin d’en délivrer autrui.

C’est sur ce point que se conclut le passage :
En transmettant aux apôtres le pouvoir d’accomplir des guérison (cf. Mt 10,1), Jésus étend aussi à l’ensemble des disciples l’autorité des prêtres, l’autorité sacerdotale d’être ministre de la miséricorde de Dieu, qui remet les péchés (cf. Mt 16, 19 ; Mt 18, 18 ; Jn 20, 19-23).
(C’est ce que les Réformateurs ont très bien perçu avec la notion de « sacerdoce universel » qui reconnaît que cette mission incombe à tous – aux laïcs – et pas seulement à une classe de clercs.)
Chacun est appelé à imiter Dieu (cf. Mt 5, 45.48), à agir en son nom, en faisant preuve de miséricorde et en soulageant l’autre du poids de son péché, de sa dette, de sa culpabilité… de tout ce qui pèse sur lui et qui risque de l’enfermer dans son passé.

Ainsi, en remettant à autrui son péché, Jésus appelle ses disciples à faire de même, à faire œuvre de libération, à permettre à chacun de reprendre le chemin d’une vie nouvelle, vivante et libre, sous le regard de Dieu.

* Par ailleurs, un autre aspect important concernant la guérison et le péché peut être relevé dans ce passage de l’évangile :
Il est intéressant d’observer la manière dont Jésus s’y prend avec cet homme paralysé. En s’adressant à lui, il le rend actif et le renvoie à lui-même.

Premier aspect, premières paroles : « courage, fils, tes péchés sont remis ».
Nous ne connaissons pas la cause de la paralysie de l’homme, mais ce que nous pouvons constater c’est que la parole que lui adresse Jésus – que Matthieu traduit avec le verbe grec tharseô à l’impératif : « aie courage ; aie confiance ; ne crains pas !  » – l’invite à un changement d’attitude existentiel.

Jésus ne s’intéresse pas d’abord aux symptômes de la maladie, il ne cherche pas à en soigner les manifestations physiques, mais, de façon globale, il appelle l’homme à une conversion, à un changement de comportement… à apprivoiser ce qui le paralyse : la peur.

Précisément, le mot qui traduit cet appel au « courage » et à la « confiance » vient nous révéler que sa paralysie est avant tout le symptôme d’une peur, d’une angoisse fondamentale.
Symboliquement, la paralysie est souvent liée à la peur, et la peur renvoie à de fausses bases, à une conception erronée de la vie.

Tout au long de l’évangile – comme dans le récit qui précède de peu notre passage : celui de la tempête apaisée (cf. Mt 8, 23-27) – Jésus ne cesse de s’étonner que les disciples aient peur, qu’ils manquent de foi, de confiance en Dieu.
C’est peut-être là le péché fondamental de cet homme paralysé : il vit enfermé dans la peur.

D’ailleurs, cela rejoint la signification du mot « péché », qui veut dire (comme je le rappelais) : « manquer son but », « vivre à côté de soi-même »… en d’autres termes : « être à côté de la plaque » par rapport à sa véritable humanité.
Et il y a au moins deux manières de vivre à côté de soi-même :
- Vivre sans Dieu, sans préoccupation ultime, sans personne à qui se fier…
- Prendre la place de Dieu… en faisant de soi le centre de la réalité, le centre de son monde…
Dans les deux cas, cela revient à mettre toute la pression de la vie sur ses seules épaules… dans l’angoisse et la peur de ne pas parvenir à tout maîtriser ou d’échouer… car, bien évidemment, l’homme n’est pas un être autonome, autosuffisant et tout-puissant. Et une vie vécue dans la stricte indépendance – sans confiance – le condamne, en réalité, à l’inquiétude… à l’angoisse incessante de l’échec.

Dans notre monde d’aujourd’hui, comme dans celui de Jésus, de nombreux individus vivent immobilisés, paralysés par la peur : peur de souffrir ou simplement de vivre et d’aimer, parce qu’ils ont vécus des expériences douloureuses ou traumatisantes ; peur de l’échec, parce qu’ils pensent qu’ils n’ont pas le droit à l’erreur… parce qu’ils ont vécu sous la pression de leurs parents ou sous celle la société, dont l’injonction est la réussite et la rentabilité.
Il faut toujours être parfait et fort. Il faut être le premier, le meilleur.
L’individu ne doit jamais avoir ni inhibitions, ni blocages. Il ne doit jamais trembler… avoir ni failles, ni fragilités.

En bref… les expériences douloureuses, comme les fausses attentes démesurées, peuvent nous enfermer dans la peur et paralyser notre désir et notre capacité à vivre débout… à avancer et à inventer, au fur et à mesure des rencontres de l’existence.

Pour surmonter cette fausse conception de la vie, qui enferme l’individu à côté de lui-même, à côté de sa réalité d’être humain faillible et fragile, Jésus invite ses auditeurs, et plus particulièrement ici cet homme paralysé, à se réconcilier avec la fragilité et l’imperfection qui sont inhérentes à la réalité humaine.

En appelant l’homme à la confiance et au courage (au courage de vivre avec ses fragilités) et en lui remettant ses péchés, Jésus l’invite à changer de comportement, à réviser sa manière de voir. Il l’appelle à quitter toutes ses peurs, pour s’en remettre à un Autre… pour se confier au Dieu de Moïse, au Dieu de Jésus Christ… à Celui qui nous libère aussi bien du péché, que de l’illusion de la perfection.

Sous le regard bien aimant de Dieu, il n’y a plus de peur et de crainte à avoir (cf. 1 Jn 4, 18). Le Dieu miséricordieux nous fait grâce… il nous délivre de la peur, du poids de notre passé, de notre péché, de nos échecs, comme de notre volonté de tout maîtriser… il nous libère des fausses conceptions de la vie et de nous-mêmes, pour nous remettre debout et en marche.

Ainsi libéré par l’amour et le pardon de Dieu, l’homme peut s’appuyer sur un Autre que lui-même. Il peut non seulement se relever, vivre debout, mais aussi porter sous son bras son brancard (son grabat) – le symbole de ses paralysies – pour rentrer chez lui et vivre une vie nouvelle, dans l’assurance de pouvoir se reposer sur Dieu… d’avoir un berger, un guide, pour l’aider à conduire sa vie (cf. Ps 23).

* Il me semble… chers amis, frères et sœurs… que c’est ce que nous pouvons retenir de ce passage de l’Evangile :

Tout comme le paralysé, il nous arrive souvent de vivre dans la peur (peur de l’échec, peur de manquer, peur de lâcher prise, peur perdre, peur de souffrir, peur de se faire avoir, peur d’aimer,…).

C’est bien ce qui paralyse notre monde d’aujourd’hui… qui l’empêche d’inventer de nouveaux modèles de vie… et qui retient nombre de nos contemporains dans le désespoir : la peur de changer, la peur de s’ouvrir à la nouveauté, la peur d’innover.

Si nous cessions de vivre dans la peur… nous pourrions changer de mentalité… et commencer par vivre des vraies relations… des relations plus authentiques, plus fraternelles avec nos proches, notre famille, nos collègues, nos voisins, nos connaissances….
Nous pourrions aussi changer de mentalité face à l’argent, face à l’avoir et au pouvoir. 
Nous pourrions cesser de garder nos points fermés et nos portes closes, cesser de vouloir accaparer et posséder, dans la crainte de perdre ou de manquer… cesser de nous scléroser dans des comportements méfiants vis-à-vis d’autrui.

Face à ce constat… face à cette peur fondamentale (peur de l’inconnu, de l’autre, de la vie) qui nous paralyse… Jésus ne nous propose pas de guérison surnaturelle… mais il nous renvoie à nous-mêmes, avec un impératif… un petit mot qui change tout : « courage » !« confiance » !

« Confiance »… nous dit-il… « confiance » !… tu es aimé de Dieu… Dieu te fait grâce, il te pardonne, il te relève…
Désormais, tu n’as plus rien à craindre… tu appartiens à un Autre… ton nom est écrit sur la paume de la main de Dieu… et tout ce qui t’éloignait de lui, des autres et de toi-même, tout cela, il le balaie… il l’écarte du revers de son autre main… il ne s’en souvient plus…
Lève-toi et marche… vis avec tes failles et tes fragilités… tu n’es pas seul, Dieu t’apprendra à les surmonter… « courage » !  « confiance » !
Désormais, tu es libre… libre de te savoir aimé, sans condition… libre d’aimer aussi, gratuitement… libre, pour vivre dans la foi et pour libérer, à ton tour, tous ceux que tu rencontreras sur ta route !
Libéré par Dieu (pardonné et sauvé), tu es appelé, toi aussi, à libérer autrui au nom de Dieu… à prendre part, ici-bas, sur terre, au règne de Dieu.

Amen.




[1] A titre d’exemple, on retrouve cette idée dans le discours des amis de Job.
[2] Il s’agit donc ici à la fois d’un récit de guérison et d’une controverse. La polémique avec les scribes porte sur cette autorité divine qu’aurait le Fils de l’homme – et avec lui, la communauté des disciples (cf. Mt 9,8 ; Mt 18,18) – pour libérer l’homme de la puissance du péché, sans la médiation de la Loi et du Temple. Ce qui revient, en conséquence, à mettre en cause la pratique officielle des sacrifices et même la notion d’expiation sacrificielle, en cours dans le judaïsme du 1er siècle (jusqu’en 70, date de la destruction du temple… et reprise autrement, à travers l’interprétation de la Croix, par l’orthodoxie chrétienne). / Voir aussi la citation d’Osée 6,6 en Mt 9,13.

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