Mt 9, 1-8
Lectures bibliques : 1
Jn 4, 7-9.16b.18-21 ; Mt 18, 15-18 ; Mt 9, 1-8
Thématique :
une autorité qui libère du péché et de la peur / Libérés pour libérer
Prédication de
Pascal LEFEBVRE / Marmande, le 04/08/13.
* Qui a le pouvoir de pardonner les
péchés ?
Voilà une
question très sérieuse posée à Jésus, face à un homme paralysé sur une civière et
à un groupe de religieux – de scribes – qui pensent que ce pouvoir n’appartient
qu’à Dieu… qu’il relève d’une prérogative divine.
Tout le passage
vise à démontrer qu’il n’en est pas seulement ainsi… qu’en réalité il
appartient à l’homme (à l’homme préoccupé par le règne de Dieu et sa justice (cf.
Mt 6,33)… à l’homme qui agit au nom du Christ (cf. Mt 10, 1) ou de l’Esprit
saint (cf. Mt 12,20 ; Jn 20, 22s)) de remettre le péché d’autrui au nom de
Dieu.
Le pardon des
péchés n’est pas la chasse gardée de Dieu au ciel. Sur la terre, ce pardon peut
aussi être prononcé et donné… et il est tout aussi complet, tout aussi valable,
que celui que Dieu accorde au ciel (cf. Mt 18, 18).
La conviction de
Jésus, c’est que Dieu délègue ce pouvoir à ses enfants. Il permet à chacun de délier
autrui du poids de son péché, du poids de sa dette, d’une culpabilité, capable
de l’enfermer, de le réduire et même de le paralyser.
Pour comprendre
ce passage de l’Evangile, il faut se souvenir qu’en hébreux, le mot
« péché » veut dire « rater sa cible ». Il s’agit avant
tout d’une faute relationnelle (vis-à-vis de soi-même, de Dieu et des autres),
avant d’être une faute morale.
Et il faut resituer
ce récit dans le contexte de l’Ancien Testament et du Judaïsme.
La pensée du
Proche Orient Ancien opère un lien, une association entre péché et maladie[1].
Aujourd’hui, ce
mode de pensée peut nous choquer, car, bien évidemment, nous savons que ce lien
peut être contestable.
Si j’attrape,
par exemple, le virus de la grippe ou un staphylocoque, ou si je nais avec une
maladie génétique ou auto-immune, cela n’a rien à voir avec la notion de péché,
avec une faute relationnelle.
En même temps, on
ne peut pas rejeter complètement cette manière de penser qui s’intéresse à
l’homme dans sa globalité (dans son rapport à lui-même, aux autres et au monde),
sans limiter la notion de santé (ou de maladie) au registre physique ou
physiologique.
S’il n’existe
pas de lien systématique entre péché et maladie, l’association « péché-maladie »
(et donc « pardon-guérison ») peut parfois s’avérer juste dans
certaines situations :
Par exemple, à
la suite d’une faute relationnelle grave (dont je suis responsable ou dont je suis
victime), il se peut que je développe un fort sentiment de culpabilité ou même
une maladie psychosomatique.
Le péché, en
tant que cause, peut avoir des conséquences sur mon mode de vie et mes
représentations. Il peut conduire à une maladie, en tant qu’effet : à la
dépression, au développement d’une pathologie ou d’un comportement mortifère.
Autrement dit…
la conception du Judaïsme du 1er siècle, c’est que le péché est une
puissance capable d’asservir l’homme au point de le paralyser… qu’il peut être la
cause d’une maladie… et qu’il est plus difficile d’éliminer la cause (le péché)
que de soigner les symptômes, les effets (que constitue la maladie).
En effet, pour
les scribes, l’homme ne peut pas remettre le péché, il ne peut pas s’en libérer
par lui-même. Il appartient exclusivement à Dieu de pouvoir le faire. Le pardon
est un acte de Dieu. Cela signifie que l’homme ne peut agir que sur les
conséquences, les symptômes de la maladie.
Et c’est la
raison pour laquelle les Juifs religieux du temps de Jésus pensent que celui-ci
blasphème, qu’il emploie le nom de Dieu en vain, en osant pardonner au nom de
Dieu… en s’arrogeant une autorité (celle de remettre les péchés) qui n’appartient
qu’à Dieu (cf. Mc 2, 7).
Mais Jésus
conteste cette manière de penser notre relation à Dieu. Il veut montrer que
Dieu – pour faire advenir son règne… son royaume d’amour, de justice et de paix,
sur terre – délègue aux hommes cette autorité… qu’il leur donne la possibilité d’opérer
des guérisons (cf. Mt 10, 1) et de pardonner les péchés (cf. Mt 9, 8 ; Mt
18, 15-35), c’est-à-dire d’en libérer autrui, en les remettant, en les écartant,
en tournant la page une bonne fois pour toutes.[2]
Pour démontrer
le bien fondé de cette conviction, Jésus opère un renversement :
Pour lui, il n’est
pas plus difficile de dire à un homme « tes péchés sont pardonnés »
que de le guérir et de lui dire « lève-toi et marche ». Au contraire,
il est plus difficile d’opérer une guérison et de dire « lève-toi et
marche », car une telle affirmation doit être suivie d’effet et être immédiatement
constatable aux yeux de tous, tandis que dire « tes péchés sont
remis » reste une affirmation indémontrable et invérifiable.
En opérant une
démonstration a fortiori, Jésus part du
plus difficile pour aller au plus facile… « qui peut le plus peut le moins » :
S’il est capable
de dire au paralytique « lève-toi et marche » et que cela se réalise
vraiment, d’autant plus aura-t-il montré
qu’il a aussi l’autorité de remettre les péchés.
Et c’est
précisément ce qui se passer dans ce récit de guérison. Jésus adresse à l’homme
couché la parole la plus difficile à dire : « lève-toi, prends ta civière et va dans ta maison ». L’homme se
relève et obéit.
Ainsi, il montre
que sa parole initiale : « confiance
, mon fils, tes péchés sont pardonnés » (cf. Mt 9, 2) était adéquate
et n’avait rien de blasphématoire… contrairement à ce que croyaient les scribes.
Le fils de
l’homme – et ici l’expression ne désigne pas seulement Jésus (v.6), mais l’Homme
/ l’être humain en général (v.8)… tout individu en tant que fils de Dieu, en
tant que disciple du royaume, de cette humanité nouvelle que Jésus est venu
susciter – a cette capacité : Dieu lui donne cette faculté, cette autorité
de remettre aux autres leurs péchés… et ainsi de s’attaquer à la cause présumée
du mal, afin d’en délivrer autrui.
C’est sur ce
point que se conclut le passage :
En transmettant
aux apôtres le pouvoir d’accomplir des guérison (cf. Mt 10,1), Jésus étend
aussi à l’ensemble des disciples l’autorité des prêtres, l’autorité sacerdotale
d’être ministre de la miséricorde de Dieu, qui remet les péchés (cf. Mt 16,
19 ; Mt 18, 18 ; Jn 20, 19-23).
(C’est ce que
les Réformateurs ont très bien perçu avec la notion de « sacerdoce
universel » qui reconnaît que cette mission incombe à tous – aux laïcs –
et pas seulement à une classe de clercs.)
Chacun est
appelé à imiter Dieu (cf. Mt 5, 45.48), à agir en son nom, en faisant preuve de
miséricorde et en soulageant l’autre du poids de son péché, de sa dette, de sa
culpabilité… de tout ce qui pèse sur lui et qui risque de l’enfermer dans son
passé.
Ainsi, en
remettant à autrui son péché, Jésus appelle ses disciples à faire de même, à
faire œuvre de libération, à permettre à chacun de reprendre le chemin d’une
vie nouvelle, vivante et libre, sous le regard de Dieu.
* Par ailleurs,
un autre aspect important concernant la guérison et le péché peut être relevé dans
ce passage de l’évangile :
Il est
intéressant d’observer la manière dont Jésus s’y prend avec cet homme paralysé.
En s’adressant à lui, il le rend actif et le renvoie à lui-même.
Premier aspect,
premières paroles : « courage,
fils, tes péchés sont remis ».
Nous ne
connaissons pas la cause de la paralysie de l’homme, mais ce que nous pouvons
constater c’est que la parole que lui adresse Jésus – que Matthieu traduit avec
le verbe grec tharseô à
l’impératif : « aie courage ; aie confiance ; ne crains
pas ! » – l’invite à un changement d’attitude existentiel.
Jésus ne
s’intéresse pas d’abord aux symptômes de la maladie, il ne cherche pas à en soigner
les manifestations physiques, mais, de façon globale, il appelle l’homme à une
conversion, à un changement de comportement… à apprivoiser ce qui le
paralyse : la peur.
Précisément, le
mot qui traduit cet appel au « courage » et à la « confiance »
vient nous révéler que sa paralysie est avant tout le symptôme d’une peur,
d’une angoisse fondamentale.
Symboliquement,
la paralysie est souvent liée à la peur, et la peur renvoie à de fausses bases,
à une conception erronée de la vie.
Tout au long de
l’évangile – comme dans le récit qui précède de peu notre passage : celui
de la tempête apaisée (cf. Mt 8, 23-27) – Jésus ne cesse de s’étonner que les
disciples aient peur, qu’ils manquent de foi, de confiance en Dieu.
C’est peut-être là
le péché fondamental de cet homme paralysé : il vit enfermé dans la peur.
D’ailleurs, cela
rejoint la signification du mot « péché », qui veut dire (comme je le
rappelais) : « manquer son but », « vivre à côté de
soi-même »… en d’autres termes : « être à côté de la
plaque » par rapport à sa véritable humanité.
Et il y a au
moins deux manières de vivre à côté de soi-même :
- Vivre sans
Dieu, sans préoccupation ultime, sans personne à qui se fier…
- Prendre la
place de Dieu… en faisant de soi le centre de la réalité, le centre de son
monde…
Dans les deux
cas, cela revient à mettre toute la pression de la vie sur ses seules épaules…
dans l’angoisse et la peur de ne pas parvenir à tout maîtriser ou d’échouer…
car, bien évidemment, l’homme n’est pas un être autonome, autosuffisant et
tout-puissant. Et une vie vécue dans la stricte indépendance – sans confiance –
le condamne, en réalité, à l’inquiétude… à l’angoisse incessante de l’échec.
Dans notre monde
d’aujourd’hui, comme dans celui de Jésus, de nombreux individus vivent
immobilisés, paralysés par la peur : peur de souffrir ou simplement de
vivre et d’aimer, parce qu’ils ont vécus des expériences douloureuses ou
traumatisantes ; peur de l’échec, parce qu’ils pensent qu’ils n’ont pas le
droit à l’erreur… parce qu’ils ont vécu sous la pression de leurs parents ou
sous celle la société, dont l’injonction est la réussite et la rentabilité.
Il faut toujours
être parfait et fort. Il faut être le premier, le meilleur.
L’individu ne
doit jamais avoir ni inhibitions, ni blocages. Il ne doit jamais trembler… avoir
ni failles, ni fragilités.
En bref… les
expériences douloureuses, comme les fausses attentes démesurées, peuvent nous
enfermer dans la peur et paralyser notre désir et notre capacité à vivre débout…
à avancer et à inventer, au fur et à mesure des rencontres de l’existence.
Pour surmonter
cette fausse conception de la vie, qui enferme l’individu à côté de lui-même, à
côté de sa réalité d’être humain faillible et fragile, Jésus invite ses
auditeurs, et plus particulièrement ici cet homme paralysé, à se réconcilier
avec la fragilité et l’imperfection qui sont inhérentes à la réalité humaine.
En appelant l’homme
à la confiance et au courage (au courage de vivre avec ses fragilités) et en
lui remettant ses péchés, Jésus l’invite à changer de comportement, à réviser
sa manière de voir. Il l’appelle à quitter toutes ses peurs, pour s’en remettre
à un Autre… pour se confier au Dieu de Moïse, au Dieu de Jésus Christ… à Celui
qui nous libère aussi bien du péché, que de l’illusion de la perfection.
Sous le regard
bien aimant de Dieu, il n’y a plus de peur et de crainte à avoir (cf. 1 Jn 4,
18). Le Dieu miséricordieux nous fait grâce… il nous délivre de la peur, du
poids de notre passé, de notre péché, de nos échecs, comme de notre volonté de
tout maîtriser… il nous libère des fausses conceptions de la vie et de
nous-mêmes, pour nous remettre debout et en marche.
Ainsi libéré par
l’amour et le pardon de Dieu, l’homme peut s’appuyer sur un Autre que lui-même.
Il peut non seulement se relever, vivre debout, mais aussi porter sous son bras
son brancard (son grabat) – le symbole de ses paralysies – pour rentrer chez
lui et vivre une vie nouvelle, dans l’assurance de pouvoir se reposer sur Dieu…
d’avoir un berger, un guide, pour l’aider à conduire sa vie (cf. Ps 23).
* Il me semble… chers
amis, frères et sœurs… que c’est ce que nous pouvons retenir de ce passage de
l’Evangile :
Tout comme le
paralysé, il nous arrive souvent de vivre dans la peur (peur de l’échec, peur
de manquer, peur de lâcher prise, peur perdre, peur de souffrir, peur de se
faire avoir, peur d’aimer,…).
C’est bien ce
qui paralyse notre monde d’aujourd’hui… qui l’empêche d’inventer de nouveaux
modèles de vie… et qui retient nombre de nos contemporains dans le
désespoir : la peur de changer, la peur de s’ouvrir à la nouveauté, la
peur d’innover.
Si nous cessions
de vivre dans la peur… nous pourrions changer de mentalité… et commencer par
vivre des vraies relations… des relations plus authentiques, plus fraternelles avec
nos proches, notre famille, nos collègues, nos voisins, nos connaissances….
Nous pourrions aussi
changer de mentalité face à l’argent, face à l’avoir et au pouvoir.
Nous pourrions
cesser de garder nos points fermés et nos portes closes, cesser de vouloir
accaparer et posséder, dans la crainte de perdre ou de manquer… cesser de nous
scléroser dans des comportements méfiants vis-à-vis d’autrui.
Face à ce
constat… face à cette peur fondamentale (peur de l’inconnu, de l’autre, de la
vie) qui nous paralyse… Jésus ne nous propose pas de guérison surnaturelle…
mais il nous renvoie à nous-mêmes, avec un impératif… un petit mot qui change
tout : « courage » !« confiance » !
« Confiance »… nous dit-il… « confiance » !…
tu es aimé de Dieu… Dieu te fait grâce, il te pardonne, il te relève…
Désormais, tu n’as plus rien à craindre…
tu appartiens à un Autre… ton nom est écrit sur la paume de la main de Dieu… et
tout ce qui t’éloignait de lui, des autres et de toi-même, tout cela, il le
balaie… il l’écarte du revers de son autre main… il ne s’en souvient plus…
Lève-toi et marche… vis avec tes failles
et tes fragilités… tu n’es pas seul, Dieu t’apprendra à les surmonter… « courage » ! « confiance » !
Désormais, tu es libre… libre de te
savoir aimé, sans condition… libre d’aimer aussi, gratuitement… libre, pour
vivre dans la foi et pour libérer, à ton tour, tous ceux que tu rencontreras
sur ta route !
Libéré par Dieu (pardonné et sauvé), tu
es appelé, toi aussi, à libérer autrui au nom de Dieu… à prendre part, ici-bas,
sur terre, au règne de Dieu.
Amen.
[1] A titre d’exemple, on
retrouve cette idée dans le discours des amis de Job.
[2] Il s’agit donc ici à la
fois d’un récit de guérison et d’une controverse. La polémique avec les scribes
porte sur cette autorité divine qu’aurait le Fils de l’homme – et avec lui, la
communauté des disciples (cf. Mt 9,8 ; Mt 18,18) – pour libérer
l’homme de la puissance du péché, sans la médiation de la Loi et du Temple. Ce
qui revient, en conséquence, à mettre en cause la pratique officielle des
sacrifices et même la notion d’expiation sacrificielle, en cours dans le
judaïsme du 1er siècle (jusqu’en 70, date de la destruction du
temple… et reprise autrement, à travers l’interprétation de la Croix, par
l’orthodoxie chrétienne). / Voir aussi la citation d’Osée 6,6 en Mt 9,13.
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