Lectures bibliques : Lc 2, 6-12 ; Mt 2, 1-12 ; Jn 8, 12 : voir Liturgie composée pour le culte avec les jeunes de l’école biblique et du catéchisme : voir DOC
Thématique : accueillir la présence de l’Esprit de Dieu au creux de la vulnérabilité humaine.
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Culte du 13/12/20
Pas besoin aujourd’hui d’une grande prédication, puisque les jeunes ont déjà résumé l’essentiel du message de Noël dans leurs lectures et les différents dialogues. Je me cantonnerai donc à quelques éléments de réflexion que j’avais envie de partager avec vous.
Nous sommes heureux d’accueillir avec les jeunes, en cette fin d’année particulière, la Bonne Nouvelle de Noël : bonne nouvelle de l’amour de Dieu, qui est venu habiter parmi nous par son Esprit présent et agissant en Jésus… Bonne nouvelle d’un Dieu bienveillant qui est venu nous révéler sa bonté dans la personne de Jésus de Nazareth, reconnu comme Christ de Dieu… Bonne nouvelle d’un Dieu qui nous sauve, qui nous libère, qui nous ouvre à la nouveauté.
Noël est cette bonne nouvelle d’un Dieu avec Nous - Emmanuel - d’un Dieu qui se rend proche de nous… qui nous veut du bien.
Nous le savons, après l’année que nous venons de traverser - une année ô combien difficile, perturbée, pesante, angoissante même, à bien des égards - nous avons plus que jamais besoin du message de Noël :
Message libérateur d’un Dieu qui n’est pas là pour nous mettre la pression, nous juger, nous attendre au tournant, nous demander des comptes… mais pour nous apporter son salut, son amour, sa bienveillance… pour nous guider dans la nuit… comme les mages de l’évangile de Matthieu, qui suivent l’astre lumineux, l’étoile, qui les conduit au Christ, Lumière du monde.
Et la bonne nouvelle de Noël, c’est aussi que l’Esprit de Dieu s’incarne dans notre existence terrestre, au creux de notre humanité, dans notre chair.
Dieu révèle son Esprit au creux de la vulnérabilité humaine… non pas dans la domination, la force ou la puissance qui écrase… mais en manifestant la toute puissance de son amour, sous l’apparence d’un nouveau-né… qui dit à la fois la tendresse de Dieu et la fragilité de notre condition humaine, où s’exprime l’Esprit d’amour de Dieu.
Voilà donc le Dieu que nous révèle Jésus Christ : un Dieu qui choisit d’exprimer son amour par la voie de la vulnérabilité… par le sourire d’un nouveau-né accueilli par ses parents… par la joie d’un mère attendrie qui embrasse son enfant et le prend contre elle… par les bras d’un père chaleureux qui enlace son filset lui donne un nom… la promesse d’une présence qui se noue et se joue dans la fragilité, la douceur, la délicatesse, la tendresse…
Voilà le mode de présence de Dieu que nous révèle Jésus de Nazareth : un Dieu présent par son Esprit au creux de la simplicité de la vie… je dirais presque, de la quotidienneté de nos existences.
Et dans l’Evangile, cette présence de l’Esprit de Dieu au creux de la vulnérabilité humaine est décrite en de multiples endroits sur le même ton, sur le même registre, durant toute la vie du Christ : de la naissance de Jésus dans le dénuement de l’étable… aux repas partagés avec ceux qui sont vus comme des impurs… en passant par la guérison des paralysés ou des aveugles qui n’ont rien d’autre pour survivre que la mendicité… pour aller jusqu’au Christ supplicié sur la croix, crucifié parmi des condamnés misérables.
C’est l’image d’un Dieu qui se rencontre en bas, dans l’en-bas de nos vies. L’image d’un Dieu qui n’exige rien, qui ne demande rien, si ce n’est d’aimer le prochain, le frère, l’enfant, le pauvre, le malade, l’étranger, le prisonnier.
Voilà donc la Bonne Nouvelle de Noël, qui vient rejoindre celle de Pâques : un Dieu qui se révèle à l’envers de nos représentations humaines… dont l’Esprit est présent dans la faiblesse d’un nouveau-né… comme dans celle d’un condamné crucifié… un Dieu qui est présent et se manifeste là où nos masques tombent, là où les apparences sont brisées, là où les egos disparaissent.
L’amour de Dieu se fraie ainsi un chemin et trouve sa place quand nous le laissons faire… quand nous nous reconnaissons enfin fragiles, faillibles et vulnérables.
C’est finalement au milieu de notre pauvreté, de notre impuissance… quand nous nous révélons faibles que l’amour de Dieu peut exprimer sa force… quand nous avons abandonné nos désirs égoïstes, nos prétentions d’autonomie ou de maitrise, nos logiques humaines de pouvoir, de rivalité ou de domination. C’est là dans la faiblesse des coeurs simples que l’Esprit de Dieu peut se frayer un passage (cf. Mt 5,3).
Dans la situation actuelle, nous voyons aujourd’hui combien ces logiques et prétentions de puissance de l’homme sont mises à mal devant la maladie… devant la vulnérabilité humaine particulièrement mise à nu cette année.
Accablés par la pandémie du Covid, depuis quelques mois, nous avons complètement revu nos manières de penser : nécessité de repenser à ce qui est vraiment essentiel, l’ordre de nos priorités… de penser la solidarité et la fraternité… de repenser aussi la liberté et la santé… et de penser l’économie et le travail.
Le paradoxe de nos vies contemporaines, c’est que la mort est devenue inacceptable… à force de la cacher dans les hôpitaux et les Ehpad… de la refouler, de ne plus en parler ensemble entre générations depuis des décennies … c’est comme si, tout d’un coup, en cette année 2020, nous l’avions redécouverte : nous sommes mortels !
Chaque année, 610.000 personnes meurent en France… 150.000 personnes décèdent du cancer… Cette année, sur la période de mars à novembre, sur 9 mois, 52000 personnes sont décédées en plus par rapport à l’année précédente, essentiellement au mois d’avril. Ce qui est très triste, bien évidemment… et peut-être avons-nous été touché par des décès dans nos propres familles, parmi nos proches.
Cela fait 12 % d’augmentation des décès sur 9 mois, essentiellement des personnes de plus de 70 ans. En même temps, cette augmentation (si j’ose dire) ne représente que 0,07% de la population française. Il y a fort à parier que, demain, le réchauffement climatique, d’un côté, la pauvreté et la crise économique, de l’autre, feront beaucoup plus de morts que le Corona virus.
Ce qui est paradoxal - avec la crise du Covid - c’est qu’on a l’impression d’avoir redécouvert notre condition humaine fragile et mortelle.
Car, de fait, depuis bien longtemps, on fait semblant… on a progressivement occulté la mort de notre quotidien … et là, brusquement, depuis mi-mars, on a l’impression qu’elle a repris la première place… en tout cas dans le discours de certains journalistes ou médecins… comme si on ignorait, avant cette année, que lamalnutrition tue chaque année 9 millions d’êtres humains sur terre, dont 3 millions d’enfants.
On se souviendra donc de 2020 comme une année angoissante, où les médias nous ont mis « la peur au ventre »… où l’on a parlé quasiment quotidiennement de la maladie… et même de la fin du monde… où nous avons été assignés à résidence - tels des coupables menaçants ou des victimes potentielles - confinés dans la crainte d’une contamination exponentielle.
Et du coup, la santé et la sécurité sont devenues les priorités N°1 : on a sacrifié notre liberté, notre quotidien, nos relations humaines, familiales et sociales, pour la sauvegarde de la santé des plus fragiles. On a sacrifié notre jeunesse et son avenir - qui sont lourdement impactés - pour la santé de tous les autres. On a sacrifié aussi notre vie culturelle et cultuelle.
Le philosophe André Conte-Sponville interroge ces choix. Pour lui, c’est une erreur de sacrifier notre jeunesse pour sauvegarder les plus âgés. Il explique que les plus vulnérables à l'échelle d'une vie ne sont pas les plus vieux, mais au contraire les plus jeunes. Car un septuagénaire n’est plus vulnérable à la mort prématurée, au chômage ou au réchauffement climatique. Pour lui, donner la priorité aux personnes âgées par une obligation de confinement imposé aux plus jeunes, représente une inversion de la solidarité.
Quoi qu’il en soit, il faut redire que la finitude et la vulnérabilité font partie de notre condition. Personne ne l’avait oublié, sauf, peut-être, quelques journalistes déconnectés de la vie quotidienne des gens ou de l’Evangile… Et tant mieux s’ils retrouvent enfin leur lucidité.
Mais maintenant, il nous faut VIVRE… vivre en assumant le risque de la vie qui contient la mort… vivre en nous sachant mortels et vulnérables.
La valeur suprême de la vie n’est pas la SANTE, contrairement à ce qu’on veut nous faire croire… La santé est seulement un état d’équilibre à entretenir.
On ne sait pas, d’ailleurs, si le Christ a un jour été malade. On sait qu’il a lutté contre la souffrance physique ou psychologique de ses contemporains… qu’il a guéri des malades… mais on sait aussi qu’il est mort trentenaire, en raison de sa confiance démesurée en l’amour du Père et de ses convictions. Il n’a pas eu peur de mettre sa vie en jeu pour vivre son engagement et sa foi.
Jésus n’a jamais attaché d’importance à prolonger coûte que coûte la durée de son existence, par n’importe quel moyen. Car il se savait aimé et sauvé par le Père, quoi qu’il arrive. Il avait la foi chevillée au corps. Il était animé par l’espérance de la Résurrection.
En revanche, Jésus nous a appris que la valeur essentielle de la vie, c’est l’AMOUR… qui implique aussi la liberté et la justice, comme valeurs fondamentales.
L’amour inclut le risque de la vulnérabilité, de l’incertitude, de l’inconnu…
L’incertitude est depuis toujours une des composantes de notre destinée humaine. - C’est d’ailleurs l’acceptation de cette incertitude qui a permis à l’humanité d’explorer, de progresser, d’évoluer. - Mais il y a aussi l’espérance : on peut vivre dans l’incertitude - accepter notre condition humaine - d’autant plus facilement que nous sommes aussi animés - en tant que croyants - d’une espérance.
Et c’est peut-être cela, finalement, que révèle la crise majeure que nous avons traversée cette année : la plupart de ceux qui ont pris la parole - des gouvernants, des journalistes, des médecins - ne nous ont pas donné d’espérance, à part celle de la venue d’un vaccin soi-disant salutaire.
Ils nous ont même, d’une certaine façon, désespérés. Car ils n’ont pas cessé de restreindre notre champ de vision, de nous cantonner au risque de la pandémie, de limiter notre vue à cette existence présente avec cette fichue peur de la maladie… sans aucunement ouvrir la perspective et les horizons… sans ouvrir notre espérance à la mesure de Dieu : à la taille infinie de son amour et à l’espérance de la vie éternelle.
Or, le message de Noël nous rappelle cette espérance : Si Dieu se révèle - et nous redit son amour - au creux de la vulnérabilité humaine, à travers l’enfant Jésus de Nazareth… le Nouveau-né de l’étable, qui sera aussi le Crucifié du vendredi saint… et le Ressuscité de Pâques… c’est pour ouvrir l’espérance… pour élargir notre regard avec une espérance qui transcende notre condition humaine… qui nous ouvre au Ciel, à l’espérance de la vie éternelle.
Il nous faut donc VIVRE avec cette double réalité : nous sommes de la terre et du ciel. Il y a, à la fois, l’incertitude et la vulnérabilité de notre destinée humaine où Dieu manifeste son Esprit dans notre fragilité, notre pauvreté… et l’espérance de Pâques, qui ouvre nos destins, qui élargit la perspective, sur un au-delà lumineux, qui transcende notre existence présente… Puisque Dieu est, quoi qu’il arrive, « Dieu avec nous », Emmanuel, ici-bas et au-delà.
Alors, bien sûr, animés par l’espérance de Noël et de Pâques, pour aujourd’hui et pour demain, pour l’en-bas de notre vie et son au-delà, nous pouvons regarder notre existence présente et le sens de la vie autrement… par delà ce que nos yeux peuvent voir et discerner.
La bonne nouvelle de Noël vient ainsi nous sauver et nous redire la présence de Dieu dans l’ici-bas de nos fragilités, de notre vulnérabilité… pour nous conduire - tel le bon Berger - sur un chemin lumineux, malgré les ravins d’ombre et de mort (cf. Ps 23).
Mais, bien sûr, vous n’entendrez pas ce discours dans les médias.
Les médias nous annoncent une autre nouvelle : Il faut « sauver Noël » !
Pour eux, « Sauvez Noël » veut dire : sauver la consommation, sauver les commerçants, sauver les conséquences des fermetures des magasins sur la croissance économique, sauver un modèle de société fondé sur le matérialisme et le consumérisme.
Certainement, il faut aider les commerçants qui ont enduré des pertes économiques importantes… certainement on a plaisir à préparer des cadeaux pour nos proches… mais de là à dire qu’il faut « sauver Noël », il y a un pas : Tout cela semble bien paradoxal !
Ce n’est pas nous, ni le gouvernement, qui sauvera Noël ! Et d’ailleurs, Noël n’a pas besoin d’être « sauvé » mais seulement d’être « fêté », comme nous le faisons aujourd’hui, ou comme nous le feront, peut-être, avec nos familles ou nos proches les 24 ou 25 décembre.
Non… il n’y a pas à sauver Noël, alors que c’est Noël qui nous sauve.
La venue de Jésus Christ à Noël, c’est la venue de la Lumière du monde (Jn 8), de Celui qui est Parole de Dieu (Jn 1) et qui vient ouvrir nos étables et nos maisons à la présence de Dieu… qui vient ouvrir nos coeurs de pierre pour en faire des coeurs de chair… et qui ouvrira encore nos tombeaux, pour nous libérer aussi bien de nos enfermements, de nos peurs, que de la mort.
Noël nous sauve parce qu’en Christ, il ouvre un chemin vers la vie… parce qu’il est le signe que Dieu nous rejoint dans nos quotidiens.
C’est une grâce de voir la Présence de Dieu dans la fragilité d’un nouveau-né, comme dans la faiblesse d’un supplicié… C’est le signe que Dieu nous offre sa présence et son amour au coeur de notre condition humaine si fragile.
Cette année, plus que toute autre peut-être, nous pouvons percevoir le mystère de la Bonne Nouvelle de Noël, parce que nous sommes sans doute plus vulnérables que d’habitude, nous sommes peut-être affaiblis par cette année psychologiquement difficile ou dans un « dénuement » relatif… alors, nous pouvons aussi être dans la reconnaissance de la fraternité de Dieu, sensible à la présence d’un Dieu qui vient frapper, comme un frère parmi les humains, à la porte de notre maison et de notre coeur.
Pour chacun, il s’agit maintenant de vivre de ce salut à portée de main, fraternel et actif… d’accueillir l’Esprit de Dieu avec un coeur d’enfant et le laisser habiter, transformer, notre intériorité… et même sublimer notre être tout entier.
Jésus est pour nous le modèle de l’être humain uni à Dieu, en communion avec Dieu. Nous sommes chacun appelés à accueillir l’Esprit de Dieu dans notre coeur et notre vie, pour advenir à la stature du Christ (comme le disait l’apôtre Paul - cf. Ep 4,13).
Nous sommes appelés à laisser le Christ naître en nous - comme Nicodème (Jn 3) - Dieu nous appelle à une nouvelle naissance spirituelle… une naissance à sa présence, ici et maintenant… une naissance d’en haut qui se manifeste dans l’en-bas de notre vie.
A Noël, nous sommes invités à accueillir la démesure de l’amour de Dieu et la plénitude de l’espérance qu’il nous offre en Christ, pour que nos vies deviennent lumineuses… pour que l’étoile du Christ brille dans nos coeurs.
Soyons donc comme les mages en quête du Christ. Et suivons l’étoile qui nous mène à la vie éternelle, qui commence ici et maintenant.
Amen.
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